CAS CLINIQUE Une tuberculose de la charnière cervico-occipitale : une localisation rare mais sévère Tuberculosis of the craniovertebral junction: a rare but severe localization I. Mahmoud*, O. Saidane*, M. Haouel*, H. Sahli*, L. Abdelmoula*, R. Tekaya*, R. Zouari* L e mal de Pott au niveau de la charnière atloïdo-axoïdienne est exceptionnel, mais il expose à de graves complications bulbomédullaires. Son pronostic, conditionné par l’atteinte neurologique, souligne l’intérêt d’un diagnostic rapide. Deux observations d’une atteinte tuberculeuse de la charnière cervico-occipitale sont ici décrites. Observation n° 1 Observation n° 2 Mme J.H., âgée de 54 ans, diabétique, est hospitalisée pour l’exploration de cervicalgies inflammatoires évoluant depuis 3 mois. L’examen trouve un rachis cervical raide, avec une douleur sous-occipitale à la pression. La biologie révèle une hyperleucocytose (12 000 éléments blancs/mm3) avec une VS à 100 mm à la première heure. Le diagnostic de spondylodiscite à germes banals est d’abord suspecté. Cependant, Mme J.O., âgée de 44 ans, est hospitalisée pour l’exploration de lombalgies inflammatoires qui évoluent depuis 6 mois. L’examen clinique met en évidence un rachis raide en totalité et un syndrome pyramidal aux membres supérieurs, sans atteinte sensitivomotrice. Le bilan biologique montre une VS à 70 mm à la première heure et une CRP à 30 mg/l. La recherche de bacilles de Koch dans les crachats et les urines ainsi que les hémocultures sont négatives, mais l’intradermoréaction à la tuberculine est fortement positive. Les radiographies du rachis cervical et lombaire montrent un pincement en C1-C2 avec un aspect effacé du plateau supérieur de C2 et un pincement en D12-L1 avec des géodes en miroir. L’IRM médullaire confirme l’existence d’une spondylodiscite en D12-L1 avec une épidurite en C1-C2, une spondylite en C2 et de multiples abcès épiduraux et périrachidiens. Une ponction-biopsie discovertébrale lombaire montre un granulome épithélioïde gigantocellulaire. Le diagnostic de spondylodiscite tuberculeuse atloïdoaxoïdienne et de la charnière dorsolombaire est retenu. Une quadrithérapie antituberculeuse adaptée est prescrite, ainsi qu’une immobilisation rachidienne cervicale et dorsolombaire. L’évolution est favorable au bout de 9 mois. Figure 1. Radiographie du rachis cervical de profil montrant une destruc- tion de l’apophyse odontoïde et une luxation atloïdo-axoïdienne. * Service de rhumatologie, hôpital Charles-Nicolle, Tunis, Tunisie. 28 | La Lettre du Rhumatologue • No 399 - février 2014 CAS CLINIQUE l’évolution au bout de 45 jours d’un traitement par fluoroquinolones et pénicilline M est marquée par l’apparition d’une destruction de l’apophyse odontoïde avec une luxation atloïdo-axoïdienne (figure 1). Ces éléments et la présence de bacilles de Koch dans la culture des urines font évoquer un mal de Pott en C1-C2. L’évolution sous quadrithérapie antituberculeuse est défavorable : une tétraplégie flasque apparaît. L’IRM montre un aspect de spondylodiscite de C1 à C4, avec une importante épidurite étendue à la base du crâne et comprimant la jonction bulbomédullaire à l’origine de signes de souffrance médullaire (figure 2). Une traction par un halo crânien en association avec les antituberculeux a permis d’obtenir une récupération complète du déficit moteur ainsi qu’une nette régression de l’épidurite au bout de 75 jours. Discussion La tuberculose ostéoarticulaire reste fréquente en Tunisie. Elle est toujours la deuxième localisation extrapulmonaire de la maladie après les atteintes ganglionnaires. Figure 2. IRM médullaire montrant un aspect de spondylodiscite de C1 à C4 avec une importante épidurite en regard, étendue à la base du crâne, comprimant la jonction bulbomédullaire à l’origine de signes de souffrance médullaire. La localisation cervico-occipitale est rare. Elle correspond à moins de 1 % des localisations rachidiennes (1). Habituellement, elle touche l’adulte jeune, âgé de 20 à 30 ans, de sexe masculin (2). Cette localisation est caractérisée par un retard diagnostique de 11 mois en moyenne (2). Les tableaux cliniques sont variés : ➤ une cervicalgie banale généralement postérieure, le plus souvent asymétrique, avec une irradiation vers la région occipitale, l’oreille et le membre supérieur (3) ; ➤ un torticolis ; ➤ des troubles psychiatriques (4) ; ➤ une atteinte ORL avec une paralysie du XII (3,5 % des cas) et une dysphagie (12,5 % des cas) [5], en rapport avec un abcès rétropharyngé qui peut également provoquer une dysphonie et une dyspnée ; ➤ des signes neurologiques allant de simples troubles sensitifs à une quadriplégie dans 24 % à 64 % des cas (6). L’atteinte peut aussi être complètement asymptomatique, comme c’est le cas pour notre première patiente. L’atteinte de la charnière cervico-occipitale est particulière parce qu’elle engage le pronostic du fait d’une grande instabilité de la charnière cervico-occipitale avec de graves complications bulbomédullaires, mais aussi de l’envahissement de la paroi rétropharyngée, pouvant être à l’origine d’une détresse respiratoire et d’une dysphagie (4). L’interprétation de la radiographie standard est difficile, surtout au début, et retarde souvent le diagnostic. Il s’agit généralement de lésions ostéolytiques allant de la simple érosion à la véritable destruction osseuse qui intéressent en particulier les masses latérales de l’atlas. Les signes à rechercher sont l’augmentation de l’épaisseur des parties molles prévertébrales, la subluxation de C1 sur C2 avec une lésion plus localisée ou une masse latérale de C1. La tomodensitométrie permet une meilleure analyse des structures osseuses. L’aspect le plus typique associe une destruction “fragmentaire” de C1 et C2 avec une tuméfaction des parties molles (7). L’IRM facilite une meilleure analyse de l’étendue des lésions et de l’état de la charnière cervico-occipitale (8). Elle permet de mieux visualiser l’atteinte des parties molles et, surtout, les abcès prévertébraux et endocanalaires. Seule une preuve bactériologique, soit par biopsie des parties molles prévertébrales, soit par abord direct du foyer, permet de confirmer le diagnostic (9). Dans la grande majorité des cas, la biopsie est chirurgicale, même si des abords transbuccaux de l’axis peuvent être réalisés (10). Dans les pays d’endémie tuberculeuse, le diagnostic est parfois retenu sur des éléments de présomption. Le traitement du mal de Pott cervical est essentiellement médical. Une antibiothérapie antituberculeuse de 12 mois en moyenne est indiquée, associée à une immobilisation rachidienne allant de 5 mois à 1 an (11-13). La guérison se traduit par une reconstruction osseuse ; des zones de condensation osseuses avec une fusion des éléments lysés apparaissent. Quelques cas évoluent vers l’instabilité de la destruction des structures ligamentaires (14). Certains auteurs insistent sur l’intérêt d’un geste chirurgical comprenant une arthrodèse, avec une décompression La Lettre du Rhumatologue • No 399 - février 2014 | 29 CAS CLINIQUE antérieure et une évacuation des lésions abcédées, ce qui pourrait permettre d’écourter l’évolution de la maladie et d’obtenir une récupération plus rapide et complète des signes neurologiques (15). D’autres n’envisagent une chirurgie que devant la persistance d’une destruction osseuse avec une instabilité rachidienne entraînant une compression médullaire ou devant une aggravation de l’état neurologique (16). L’évolution est généralement favorable sous traitement médical, même en présence de signes neurologiques (17), comme dans le cas de notre deuxième patiente, qui a totalement récupéré de sa tétraplégie. Conclusion Le diagnostic de mal de Pott cervico-occipital est habituellement tardif. Il doit être évoqué devant un torticolis chronique associé à un épaississement prévertébral et une lyse de C1-C2. L’IRM est d’un grand apport diagnostique. Le diagnostic est confirmé sur des arguments histobactériologiques mais parfois retenu sur des éléments de présomption. Le traitement est fondé sur une antibiothérapie antituberculeuse et l’immobilisation du rachis cervical. L’évolution sous traitement est habituellement favorable. ■ Références bibliographiques 1. Jain AK, Kumar S, Tuli SM. Tuberculosis of spine (C1 to D4). Spinal Cord 1999;37:362-9. 2. Ibahioin K, Ait Ben Ali A, Choukri M et al. Suboccipital tuberculosis: a case report. Neurochirurgie 2001;47:66-8. 3. 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L’occasion aussi d’échanger, au travers d’ateliers réunissant tous les acteurs impliqués dans cette pathologie (pédiatres, internistes, rhumatologues, généticiens, etc.), sur les difficultés rencontrées telles que la prise en charge de l’enfant ou encore la prise en charge et le suivi des atteintes osseuses. Au vu du succès de cette journée, une nouvelle édition devrait voir le jour en 2014. La maladie de Gaucher est une pathologie génétique de transmission autosomique récessive due à des mutations du gène GBA (1q21) − qui code pour une enzyme lysosomale, la glucocérébrosidase − ou, exceptionnellement, du gène PSA, qui code pour son activateur (saposine C). Le déficit en glucocérébrosidase entraîne l’accumulation de dépôts de glucocérébroside dans les cellules du système réticulo-endothélial non seulement au niveau du foie et de la rate, mais aussi dans la moelle osseuse. À cette infiltration médullaire s’ajoutent d’autres mécanismes délétères pour l’os, en particulier des modifications de l’activité du système ostéoclaste-ostéoblaste favorisant des phénomènes lytiques principalement localisés, mais aussi diffus et à l’origine d’une déminéralisation ainsi que de l’ostéoporose. Si la prise en charge des patients atteints de maladie de Gaucher est multidisciplinaire, le rhumatologue joue un rôle clé tant au moment de l’évaluation initiale que lors du suivi. Des anomalies osseuses cliniques et radiologiques sont en effet présentes chez 70 à 100 % des patients. Les manifestations sont diverses ; il peut s’agir de crises douloureuses, d’ischémies osseuses, en particulier d’une nécrose aseptique de la tête fémorale très invalidante, ou de fractures ostéoporotiques, notamment rachidiennes, sources de morbidité chronique. Elles surviennent plus ou moins tardivement dans l’évolution de la maladie, parfois à bas bruit. Un bilan osseux est donc indispensable au moment du diagnostic et une surveillance régulière est ensuite mise en œuvre, que les patients nécessitent ou non un traitement. Les experts plaident d’ailleurs pour une amélioration de cette surveillance ostéoarticulaire. Une IRM est recommandée tous les 6 mois pendant les 2 années suivant le début du traitement enzymatique de substitution, puis tous les 2 à 3 ans après la stabilisation de la maladie. Ils ont en outre souligné l’importance du suivi des patients dans des registres pour approfondir les connaissances sur cette affection hétérogène et évaluer l’efficacité et la tolérance des traitements. Lorsque le diagnostic est évoqué, le patient doit être adressé à un centre de référence pour réaliser un bilan complet et poser l’indication thérapeutique. La mise en route d’un traitement enzymatique de substitution répond en effet à un certain nombre de critères et requiert un avis spécialisé. Dr Marine Joras (Puteaux) D’après le Gaucher Day organisé par le laboratoire Shire le 29 novembre 2013.