G Gestion de la rémission dans l’épilepsie Management of remission in epilepsy

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Objectif RÉMISSION
Sous l’égide de
Gestion de la rémission
dans l’épilepsie
Management of remission in epilepsy
Pr Sophie Dupont*
Pr Sophie Dupont
G
lobalement, même si l’épilepsie peut se révéler une maladie chronique très invalidante,
il faut garder à l’esprit que presque les 2/3 des patients sont parfaitement bien stabilisés
par un traitement antiépileptique adéquat et ainsi considérés comme étant en rémission.
La question est de savoir comment on définit cette rémission, comment l’optimiser
et à partir de quel moment on peut parler non plus de rémission mais de guérison.
Qu’entend-on par rémission ?
La rémission est définie par la Ligue internationale
contre l’épilepsie (ILAE) comme l’absence de crises
sur une période de 5 ans, que les patients soient sous
traitement médicamenteux ou non (1).
Néanmoins, dans les études de la littérature, on
note une grande disparité dans la définition même
de la rémission : 1 an sans crises, 2 ans sans crises,
absence de crises au dernier suivi, etc., ce qui, bien
entendu, rend difficile la comparaison des résultats
issus de ces différentes études.
On distingue par ailleurs généralement les rémissions immédiates − obtenues dès la mise en route
du premier traitement antiépileptique − des rémissions tardives, obtenues au minimum 6 mois après
l’instauration d’un premier traitement, voire après
des années d’évolution de la maladie, au prix de
plusieurs adaptations thérapeutiques.
Quelles sont les chances
d’obtenir une rémission
dans les épilepsies traitées ?
* Département de réhabilitation
neurologique, unité d’épileptologie, groupe hospitalier de la PitiéSalpêtrière, AP-HP, Paris.
Membre du comité de rédaction
de La Lettre du Neurologue.
Rémission précoce
Dans les épilepsies nouvellement diagnostiquées,
l’étude qui reste la référence absolue est celle de
P. Kwan et M.J. Brodie (2). Cette étude prospective
22 | La Lettre du Rhumatologue • No 400 - mars 2014
menée chez 525 patients suivis dans un centre tertiaire d’épilepsie a montré que, dans les cas d’épilepsie nouvellement diagnostiquée (470 patients),
les chances d’entrer en rémission (1 an sans crises,
en l’occurrence) après l’instauration du premier
traitement antiépileptique étaient de 47 %, s’élevaient à 60 % après le deuxième essai médicamenteux et à seulement 64 % au terme du troisième
traitement essayé. Cette étude suggère donc que,
dans les épilepsies nouvellement traitées, on peut
avoir une idée fiable de l’efficacité du traitement
très rapidement.
Les facteurs identifiés comme prédictifs d’une rémission précoce sont :
➤ le type d’épilepsie :
• les épilepsies idiopathiques (ou “génétiques”
dans la nouvelle classification). Le prototype de
l’épilepsie idiopathique associée à de très fortes
chances de rémission est une forme d’épilepsie
partielle, fréquente chez le petit garçon : l’épilepsie
à paroxysmes rolandiques, avec des chances quasi
certaines de guérison sans séquelles et sans traitement à l’adolescence. Il y a une plus grande
disparité dans la rémission des épilepsies généralisées idiopathiques (3) : les épilepsies-absence
apparaissant dans l’enfance ont de plus grandes
chances de rémission que les épilepsies-absence
se déclarant à l’adolescence. Les myoclonies ou
les crises généralisées tonicocloniques associées
diminuent par ailleurs globalement les chances de
rémission des épilepsies-absence, et les chances
Points forts
Mots-clés
» Dans les épilepsies nouvellement diagnostiquées, les chances de rémission sont de 47 % au terme
du premier essai médicamenteux et de 64 % au terme du troisième essai.
» Vingt-cinq pour cent des épilepsies sont d’emblée pharmacorésistantes et n’entreront jamais en rémission.
» Les chances de rémission sont très influencées par le type d’épilepsie, mais aussi par la fréquence
des crises avant l’instauration du traitement et par la présence de comorbidités psychiatriques.
» Dans les épilepsies chroniques, l’obtention d’une rémission tardive n’est pas synonyme de guérison
et s’avère parfois douloureuse à vivre.
d’obtenir une rémission sans aucun traitement pour
les épilepsies myocloniques juvéniles demeurent
inférieures à 20 % ;
• les épilepsies non idiopathiques, parmi lesquelles on distingue les épilepsies généralisées,
souvent de très mauvais pronostic, sans possibilité aucune de rémission (exemple : les encéphalopathies épileptiques de type Lennox-Gastaut),
mais heureusement rares, et les épilepsies focales
(symptomatiques ou cryptogéniques), qui représentent près de 60 % de toutes les épilepsies.
Dans ces dernières, les facteurs significativement
associés à l’obtention d’une rémission dans une
étude récente (1 an sans crises également dans
cette étude) [4] sont : la normalité de l’électroencéphalogramme, le sexe masculin (facteur probablement biaisé par le fait que, dans cette étude, les
patientes épileptiques présentaient plus d’effets
indésirables liés à leurs traitements et donc plus
d’arrêts et d’adaptations de traitement), l’âge
(la rémission est plus facile à obtenir chez les
enfants et les patients âgés), un long délai sans
crises ou avec peu de crises avant l’instauration du
traitement, le type de médicament antiépileptique
prescrit et, enfin, l’absence de lésion neurologique ;
➤ un nombre élevé de crises avant l’instauration
du premier traitement antiépileptique (4, 5), même
si d’autres études montrent que le fait de différer le
traitement ne semble pas significativement affecter
les chances de rémission à long terme (6) ;
➤ l’existence de comorbidités psychiatriques
d’emblée (5).
Rémission tardive
Une étude récente de M.J. Brodie et al. (7) montre
que, chez les patients n’ayant pas de rémission au
cours des 6 premiers mois suivant l’instauration du
premier traitement, environ la moitié n’obtiendra
jamais de rémission tandis que, dans la majorité
des cas, l’autre moitié en obtiendra une tardive. Les
auteurs distinguent globalement 4 modèles d’évolution de l’épilepsie :
➤ modèle A : rémission précoce et évolution
stable sans crises dans le temps (environ 37 % des
patients) ;
➤ modèle B : rémission tardive (environ 22 % des
patients) ;
➤ modèle C : évolution fluctuante alternant les
périodes de rémission et de rechute (16 % des
patients) ;
➤ modèle D : aucune rémission d’emblée (25 %
des patients).
Il faut enfin garder à l’esprit que des études montrent
que, même en cas de pharmacorésistance avérée,
l’essai de nouvelles molécules antiépileptiques peut
se révéler profitable, voire supprimer les crises.
A.L. Luciano et S.D. Shorvon (8) ont ainsi étudié
l’effet de 265 essais d’ajout de nouvelles molécules
antiépileptiques chez un panel de 155 patients souffrant d’épilepsie pharmacorésistante évoluant depuis
au moins 5 ans. Ils ont montré que l’ajout d’une nouvelle molécule avait permis une complète cessation
des crises chez 16 % des patients sur une période de
1 an minimum. L’équipe de J.A. French (9) a quant à
elle démontré que l’ajout d’une nouvelle molécule
dans une population d’épileptiques pharmacorésistants permettait d’obtenir une rémission de 6 mois
sans crises chez 15 % des patients. Les facteurs prédictifs d’une non-rémission étaient l’existence d’un
retard mental, une longue durée de pharmacorésistance (à durée égale d’évolutivité de l’épilepsie) et
des antécédents d’état de mal épileptique.
Épilepsie
Rémission précoce
Rémission tardive
Traitement
médicamenteux
Chirurgie
de l’épilepsie
Highlights
» Among newly diagnosed epilepsies, chances of remision are
of 47% after the first antiepileptic drug and of 64% after
the third antiepileptic drug.
» Twenty five percent of epilepsies are drug resistant.
» Chances of remission are
influenced by the type of
epilepsy, by the frequency of
seizures before initiation of
treatment and by the presence
of psychiatric comorbidities.
» In chronic epilepsy, remission does not always mean
complete recovery.
Keywords
Epilepsy
Early remission
Late remission
Antiepileptic drugs
Surgery of epilepsy
Quelles sont les chances
d’obtenir une rémission
dans la chirurgie de l’épilepsie ?
Une étude récente (10) qui avait pour objet le
suivi à très long terme des épilepsies opérées toutvenant a montré que les chances de guérison ou
de rémission étaient de 52 % à 5 ans et de 47 % à
10 ans. Plus la période de rémission postchirurgie
était longue, plus le risque de rechute était faible ;
des cas de rémission tardive étaient possibles, en
lien avec l’introduction d’une nouvelle molécule
antiépileptique non encore testée chez le patient.
Les épilepsies extratemporales étaient toujours
associées dans cette étude, comme dans les autres,
à une chance de rémission moins importante que
les épilepsies temporales, notamment avec sclérose
hippocampique.
La Lettre du Rhumatologue • No 400 - mars 2014 |
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Objectif RÉMISSION
Gestion de la rémission dans l’épilepsie
Comment optimiser
les chances d’obtenir
une rémission ?
À l’évidence, le choix de la molécule antiépileptique
adéquate va jouer un rôle important dans les chances
d’obtenir une rémission (précoce ou tardive). Les critères de choix de la bonne molécule antiépileptique
en termes d’efficacité seront essentiellement conditionnés par le type d’épilepsie (focale ou généralisée,
type de crises) et par l’existence de comorbidités
psychiatriques, qui peuvent retentir sur l’efficacité
du traitement.
Comment gérer la rémission
une fois celle-ci obtenue ?
Pour les patients, une réelle rémission implique le
plus souvent un arrêt du traitement médicamenteux.
Néanmoins, cet arrêt peut parfois compromettre
la rémission et devra donc relever d’un véritable
dialogue entre le clinicien et le patient.
La décision d’arrêter le traitement
médicamenteux dans les épilepsies
non chirurgicales
En règle générale, chez l’adulte, on attend un
minimum de 2 ans sans crises avant d’envisager
l’arrêt du traitement antiépileptique. Ce délai peut
être parfois raccourci chez l’enfant. La décision
d’arrêter un traitement antiépileptique se prend
au cas par cas, en fonction de 2 critères principaux :
➤ le type d’épilepsie dont souffre le patient : les
épilepsies idiopathiques (génétiques) de l’enfance
− on l’a vu − ont très souvent une évolution favorable, avec disparition des crises au cours de
l’adolescence, autorisant l’arrêt du traitement
médicamenteux à ce moment-là. Les épilepsies
idiopathiques débutant à l’adolescence, même si
elles sont très bien contrôlées par le traitement,
sont malheureusement beaucoup plus à risque
de rechute. C’est notamment le cas de l’épilepsie
myoclonique juvénile, épilepsie très pharmacodépendante dans laquelle une rémission, même
obtenue sur plusieurs années, n’incite pas à l’arrêt du
traitement ; les épilepsies focales symptomatiques
sont généralement à fort risque de rechute, sauf si la
cause identifiée de l’épilepsie a pu être traitée, ce qui
est rarement le cas lorsqu’il s’agit d’une lésion cérébrale non évolutive (séquelle d’accident vasculaire
24 | La Lettre du Rhumatologue • No 400 - mars 2014
cérébral, de traumatisme crânien, malformation
cérébrale, etc.) ;
➤ la situation sociale et professionnelle du sujet :
la survenue d’une crise inopportune peut ruiner
une carrière, engager le pronostic vital… La décision doit donc tenir compte des activités sociales
et professionnelles et de l’éventuel impact d’une
récurrence (malade au volant d’une voiture, etc.),
et être prise en concertation avec le patient et/ou
son entourage.
Dans tous les cas, la décision d’arrêter un traitement antiépileptique doit faire l’objet d’une
explication du risque encouru de récidive. Certaines situations particulières comme un désir de
grossesse peuvent inciter à l’arrêt du traitement
antiépileptique chez une patiente n’ayant pas de
crises.
Globalement, le risque de rechute semble majeur
au cours des 2 premières années suivant l’interruption du traitement antiépileptique. Passé ce délai de
2 ans, les risques de récidive s’amenuisent.
Ainsi le taux de récidive après arrêt du traitement
antiépileptique est-il de 25 % à 1 an et de 30 % à
2 ans. Cinquante pour cent de ces rechutes surviennent au cours des 6 premiers mois suivant
l’arrêt du traitement antiépileptique, et 60 à 80 %
la première année.
De façon générale, les facteurs de risque de récidive
des crises (11) sont :
➤ un début très précoce, avant 2 ans ou à l’adolescence ;
➤ une cause retrouvée : épilepsies dites “symptomatiques” ou “métaboliques structurelles” dans la
nouvelle classification ;
➤ la persistance d’anomalies sur l’électroencéphalogramme ;
➤ une longue durée d’évolution de l’épilepsie et un
chiffre cumulé de crises élevé avant la disparition
de celles-ci.
L’existence de ces facteurs de risque peut conduire
à prolonger le traitement pour maintenir la rémission.
Décision d’arrêt
du traitement médicamenteux
dans les épilepsies opérées
Chez les patients épileptiques opérés et n’ayant
pas de crises, la décision d’arrêter le traitement est
toujours délicate. Une étude européenne multicentrique (12) réalisée chez 766 enfants épileptiques
opérés âgés de moins de 18 ans montre qu’un arrêt
Objectif RÉMISSION
précoce du traitement n’affecte pas le pronostic à
long terme. Reste à extrapoler ces données chez
l’adulte.
Et la guérison ?
L’expérience de la chirurgie de l’épilepsie montre
que la rémission obtenue précocement est très différente de celle survenant tardivement. En cas de
rémission précoce (ce qui demeure le cas de la majorité des épilepsies), le patient n’est pas confronté
au vécu d’une maladie chronique. Il a certes des
contraintes liées à sa maladie même : restriction
de conduite automobile pendant 1 an, restriction
d’accès à certains emplois, règles d’hygiène de vie,
angoisse de la récidive, mais, au fil des mois puis
des années, ces contraintes s’estompent. On peut
alors estimer que rémission rimera avec guérison,
ce d’autant que le traitement aura été arrêté relativement rapidement.
À l’inverse, chez les patients épileptiques souffrant
d’épilepsie chronique depuis de nombreuses années,
la rémission (souvent obtenue grâce à la chirurgie) ne
sera pas gage de guérison. Les patients auront vécu et
se seront développés avec l’épilepsie, et la disparition
des crises ne supprimera pas ce vécu. On assiste ainsi
relativement souvent, en période postopératoire, à
la survenue d’une dépression (13) chez les patients
libres de crises : le deuil de la maladie s’avère difficile,
voire impossible, chez ceux dont la vie s’est construite
autour d’elle. Ce risque dépressif a incité nombre de
centres de chirurgie de l’épilepsie à instaurer un suivi
psychologique et psychiatrique systématique avant et
après la chirurgie. Dans ce cas, un accompagnement
médical et psychologique, parfois social, s’avérera
en effet indispensable sur une longue période après
■
l’obtention de la rémission.
L’auteur déclare ne pas avoir
de liens d’intérêts.
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