Biomarqueurs moléculaires des cancers digestifs : indications

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POST’U ( 2015 )
Biomarqueurs moléculaires des cancers
digestifs : indications, modalités d’analyse
et circuit du prélèvement
;;Janick Selves (Toulouse)
E-mail : [email protected]
Mutations RAS et anti-EGFR
dans les cancers colorectaux
(CCR)
Objectifs pédagogiques
–– Connaître les biomarqueurs utiles en
2015 à la prise en charge des patients
en oncologie digestive
–– Connaître leurs implications thérapeutiques
–– Connaître les modalités de prélèvements, le circuit du prélèvement et
les délais de résultats
–– Connaître les principes et limites des
techniques d’évaluation des biomarqueurs tissulaires (biologie moléculaire, hybridation in situ, immunohistochimie)
–– Connaître les programmes en développement des biomarqueurs émergents en oncologie digestive
La prescription d’anti-EGFR (cetuximab et panitumumab) dans le traitement des CCR métastatiques était
initialement conditionnée par l’absence de mutation de l’exon 2 (codon
12 et 13) du gène KRAS dans la tumeur.
Plus récemment, des travaux réalisés
en première ligne par FOLFOX + panitumumab (étude PRIME) ou FOLFIRI +
cetuximab (étude FIRE-3) ont démontré que d’autres mutations KRAS (exon
3 : codon 61, exon 4 : codons 117 et
146) et du gène NRAS (exon 2 : codons
12, 13, exon 3 : codon 61, exon 4 :
codons 117 et 146), étaient également
prédictives de la non efficacité du traitement [1, 2]. Au total, environ 55 %
des CCR présentent une mutation RAS.
En conséquence, les AMM de ces deux
thérapies anti-EGFR (panitumumab et
cetuximab) ont été modifiées en 2013,
et restreintes aux tumeurs RAS sauvages (sans mutations des exons 2, 3
et 4 de KRAS et NRAS). Cependant,
l’absence de mutation RAS ne garantit
pas une réponse aux anti-EGFR (30 à
40 % des patients restent non répondeurs). La valeur pronostique du statut
mutationnel RAS fait encore débat, les
résultats d’études étant contradictoires.
Mutation BRAF
et cancer colorectal
La mutation BRAF V600E (5 % à 10 %
des CCR) est un facteur pronostique
péjoratif, surtout dans le CCR métastatique [3]. Son rôle prédictif de non
réponse aux anti-EGFR n’est pas encore
établi et sa recherche n’est donc pas à
ce jour indispensable à leur prescription. Cependant, la connaissance de ce
statut tumoral peut inciter à un traitement de chimiothérapie intensifiée dès
la 1re ligne [4]. Les patients peuvent être
adressés vers des essais de thérapie
ciblée anti-BRAF. Dans ce but, la détection de cette mutation est systématique depuis 2011.
IMS (ou MSI pour MicroSatellite
Instability) et cancer colorectal
L’instabilité microsatellitaire (IMS) est
présente dans 15 % des CCR sporadiques
et est une caractéristique constante
des CCR développés dans le cadre d’un
syndrome de Lynch. L’instabilité microsatellitaire est utilisée dans le dépistage (précriblage tumoral) de cette
forme héréditaire de CCR [5] pour guider la recherche de mutations germinales vers le gène atteint par immunohistochimie (protéines MLH1, MSH2,
MSH6, PMS2) chez tout patient porteur
d’un CCR de moins de 60 ans ou avec
un antécédent personnel ou familial
(1 er degré) de cancer du spectre de
Lynch. Parmi les tumeurs avec instabilité microsatellitaire, la mise en évidence d’une mutation BRAF et/ou
d’une méthylation du promoteur du
gène MLH1 permet d’éliminer un syndrome de Lynch. L’instabilité microsatellitaire est un facteur de bon pronostic des CCR de stade localisé [6]. Les
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ATELIERS
Les biomarqueurs sont des marqueurs
biologiques qui influencent la prise en
charge thérapeutique. Nous n’aborderons ici que les marqueurs tumoraux,
en décrivant leurs valeurs pronostiques et prédictives et leurs applications en pratique clinique en oncologie
digestive.
cancers du côlon de stade II avec instabilité microsatellitaire n’ont pas d’indication à une chimiothérapie adjuvante
par 5FU seul du fait d’un excellent pronostic lié à l’instabilité microsatellitaire et de l’effet délétère démontré du
5FU en monothérapie en adjuvant
dans cette population [7].
HER2 et cancer gastrique
Depuis l’essai de phase III ToGA
démontrant l’efficacité du trastuzumab (anti-HER2) dans les cancers gastriques surexprimant HER2, l’association trastuzumab/chimiothérapie est
devenue un standard des traitements
de première ligne des cancers gastriques
et de la jonction œsogastrique métastatiques [8]. Seuls les patients dont la
tumeur est positive pour HER2 sont
éligibles à un traitement par trastuzumab (AMM 2010). Sont considérées
positives, les tumeurs avec une forte
expression en immunohistochimie de
la protéine HER2 (score 3+) et les
tumeurs avec une expression dite équivoque de HER2 en immunohistochimie
(score 2+) mais avec une amplification
(> 6 copies du gène HER2) prouvée par
hybridation in situ. Environ 15 à 20 %
des cancers gastriques sont HER2positifs.
Mutations KIT, PDGFRA
et tumeurs stromales
gastro-intestinales (GIST)
Il existe des mutations constitutives
activatrices des gènes KIT et PDGFRA
dans 85 % des GIST. Plus de 150 mutations différentes ont été identifiées
avec une fréquence variable en fonction du gène et du caractère localisé ou
avancé des tumeurs : gène KIT (exon 11
la plus fréquente, exon 9, exons 13 et
17 rares) ; la variété de mutations sur
le gène PDGFRA étant plus faible
(essentiellement exon 18, exons 12 et
14 rares). Les mutations de l’exon 18 de
PDGFRA sont presque exclusivement
associées aux tumeurs gastriques et
sont de bon pronostic. Les indications
de la recherche mutation KIT/PDFRA
sont essentiellement à visée thérapeutique en vue d’un traitement par inhibiteur de KIT (imatinib), c’est-à-dire
pour les GIST métastatiques ou localement avancées [9]. Les mutations de
sensibilité à l’imatinib sont les mutations de l’exon 11 de KIT, alors que les
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mutations de l’exon 9 de KIT sont de
moins bonne sensibilité (indication de
doubler la dose d’imatinib : 800 mg/j).
La mutation D842V de l’exon 18 de
PDGFRA est une mutation de résistance
à l’imatinib mais est aussi associée à
un bon pronostic : il n’y a donc pas
d’intérêt de traiter les patients porteurs
de cette mutation. Enfin l’absence de
mutation KIT et PDGFRA est un facteur
de résistance à l’imatinib.
Biomarqueurs émergents
Parmi les nombreux essais cliniques
évaluant de nouvelles thérapies ciblées,
on peut citer le programme Acsé, soutenu par l’INCa, qui permet d’évaluer
l’efficacité d’un traitement par crizotinib des patients porteurs d’une tumeur
avec anomalie génétique des gènes
ROS1, MET (cholangiocarcinome, cancer
gastrique) et par vémurafénib des
patients porteurs d’une tumeur avec
mutation de BRAF (cholangiocarcinome, GIST) [10].
Comment faire une recherche
de biomarqueurs
en pratique ?
L’analyse des biomarqueurs est effectuée sur un fragment de tumeur, souvent fixé et inclus en paraffine (biopsie
ou résection chirurgicale, tumeur primitive ou métastase). Les analyses sont
réalisées dans une des 28 plateformes
hospitalières de génétique des cancers
mise en place par l’INCa. Le circuit de
l’analyse est : 1) prescription de l’analyse moléculaire par le clinicien et envoi
au pathologiste détenteur du matériel
tumoral, 2) transmission par le pathologiste du matériel tumoral à la plateforme de génétique des tumeurs,
3) réalisation de l’analyse sur la plateforme et renvoi du résultat au clinicien
et au pathologiste. Le délai d’une analyse moléculaire simple sur la plateforme est de 8 à 10 jours. La réalisation
de ces analyses nécessite une bonne
coordination entre cliniciens, pathologistes et plateformes de génétique.
Principes et limites
des techniques d’évaluation
Les altérations des gènes sont recherchées dans l’ADN extrait d’un fragment
de tumeur (mutation, réarrangement
génétique, amplification) par biologie
moléculaire ou dans les noyaux des
cellules par hybridation in situ (amplification, translocations). La détection
d’une anomalie moléculaire dans un
échantillon dépend de la qualité de cet
échantillon, de la proportion de cellules
tumorales (> 20 % de cellules tumorales
dans l’échantillon extrait sont recommandées) et de la sensibilité de la technique qui doit être de l’ordre de 5 %.
Les modifications d’expression des
­protéines (perte d’expression pour les
gènes suppresseurs de tumeur, surexpression pour les oncogènes) sont
­évalués par immunohistochimie sur
coupes en paraffine. La qualité d’un
immunomarquage dépend de la qualité de l’échantillon, de l’anticorps utilisé pour la détection de la protéine et
des techniques d’immunohistochimie.
Enfin, il faut signaler le développement
des analyses moléculaires réalisées à
partir de sang (« biopsie liquide »), sur
cellules tumorales circulantes ou
d’ADN tumoral libre circulant. D’autre
part, la mise en place sur les plateformes de séquenceur de nouvelle
génération (NGS) permettront l’analyse de plusieurs mutations en un seul
temps dans un échantillon donné.
Références
1. Douillard JY, Oliner KS, Siena S, Tabernero J,
Burkes R, Barugel M, et al. PanitumumabFOLFOX4 treatment and RAS mutations in
colorectal cancer. N Engl J Med 2013;369:
1023-34.
2. Heinemann J, ESMO 2013 abst. 17
3. Thiel A, Ristimäki A. Toward a molecular classification of colorectal cancer: the role of
BRAF. Front Oncol 2013;3:281.
4. Loupakis F, Cremolini C, Salvatore L, Masi G,
Sensi E, Schirripa M, et al. FOLFOXIRI plus
bevacizumab as first-line treatment in BRAF
mutant metastatic colorectal cancer. Eur J
Cancer 2014;50:57-63.
5. Olschwang S, Bonaïti C, Feingold J, Frébourg
R, Grandjouan S, Lasset C, et al. Identification
and management of HNPCC syndrome
(hereditary non polyposis colon cancer),
hereditary predisposition to colorectal and
endometrial adenocarcinomas. Bull Cancer
2004;91:303-15.
6. Ogino S, Shima K, Meyerhardt JA, McCleary
NJ, Ng K, Hollis D, et al. Predictive and prognostic roles of BRAF mutation in stage III
colon cancer: results from intergroup trial
CALGB 89803. Clin Cancer Res 2012;18:
890-900.
7. Sargent DJ, Marsoni S, Monges G, Thibodeau
SN, Labianca R, Hamilton SR, et al. Defective
mismatch repair as a predictive marker for
lack of efficacy of fluorouracil-based adjuvant therapy in colon cancer. J Clin Oncol
2010;28:3219-26.
8. Gomez-Martin C, Lopez-Rios F, Aparicio J,
Barriuso J, Garcia-Carbonero R, Pazo R, et al.
A critical review of HER2-positive gastric
cancer evaluation and treatment: from trastuzumab, and beyond. Cancer Letters 2014;
351:30-40.
9. Gastrointestinal stromal tumors: ESMO
Clinical Practice Guidelines for diagnosis,
treatment and follow-up. ESMO /European
sarcoma network working group. Ann Oncol
2012;23 (Suppl 7):vii49-55.
10. Plateformes hospitalières de Génétique des
cancers : faits marquants et synthèse d’activité 2013.
http://www.e-cancer.fr/
publications/59-recherche/810-plateformeshospitalieres-de-genetique-moleculaire-descancers-faits-marquants-et-synthese-dactivite-2013
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Les Cinq points forts
Les marqueurs moléculaires indispensables à la prescription d’une
thérapie ciblée sont : les mutations RAS (KRAS et NRAS) pour le
traitement des cancers colorectaux métastatiques par anti-EGFR et la
surexpression de HER2 pour le traitement de cancers œsogastriques par
anti-HER2.
La recherche de mutations de KIT et PDGFRA est indiquée dans les GIST
métastatiques ou localement avancées en vue d’un traitement par
imatinib.
ATELIERS
Les techniques de biologie moléculaire (recherche de mutations, d’IMS,
de méthylation de gènes) sont effectuées à partir d’ADN extrait de la
tumeur. La qualité de l’échantillon tissulaire (biopsie ou résection
chirurgicale) est primordiale quelle que soit l’analyse effectuée.
Une instabilité microsatellite (IMS) doit être recherchée chez tout
patient porteur d’un CCR de moins de 60 ans ou avec un antécédent
personnel ou familial (1er degré) de cancer du spectre de Lynch.
La présence d’une IMS dans les cancers du côlon de stade II contreindique une chimiothérapie adjuvante par 5FU seul
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Notes
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