O Le traitement médical de l’entérite postradique DOSSIER THÉMATIQUE

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DOSSIER THÉMATIQUE
Pathologies de l’intestin grêle
Le traitement médical
de l’entérite postradique
Medical treatment of postradiation enteritis
Francisca Joly, Olivier Corcos, Bernard Messing*
O
n regroupe sous le terme d’entérite radique
les complications intestinales de la radiothérapie abdomino-pelvienne définies par
la présence de lésions morphologiques acquises
de la muqueuse et de la paroi intestinales (1, 2).
L’entérite radique peut se présenter sous une forme
aiguë ou chronique. L’entérite radique aiguë est la
conséquence directe de l’irradiation abdominale
ou pelvienne, son traitement est symptomatique,
et les symptômes régressent dans les semaines qui
suivent l’arrêt de la radiothérapie (3, 4). L’entérite
radique chronique (ERC) peut apparaître 2 mois à
30 ans après l’arrêt de la radiothérapie et résulte
d’une atteinte transmurale de l’intestin. Parmi les
malades nécessitant une radiothérapie abdominale
ou pelvienne, 5 à 15 % présenteront des manifestations cliniques en rapport avec une ERC (5, 6).
L’ERC est une affection grave avec, dans les formes
sévères, une survie actuarielle de 36 % 5 ans après
la première consultation pour ERC (7). Du fait de
résections intestinales itératives responsables parfois
d’un syndrome de grêle court et/ou d’un tableau de
subocclusion chronique, l’ERC peut nécessiter une
nutrition parentérale à domicile (NPAD) prolongée.
Elle représente ainsi de 4 à 12 % des causes de NPAD
prolongée chez les adultes (8-10).
Le recours à une intervention chirurgicale est nécessaire dans environ la moitié des cas. Mais la chirurgie
reste réservée aux atteintes sévères résistant au
traitement médical, car la mortalité est d’environ
15 %, et la morbidité peut aller jusqu’à 50 % (11).
Physiopathologie
* Service de gastroentérologie, MICI
et assistance nutritive, pôle des maladies de l’appareil digestif, université
Diderot, Paris-VII, hôpital Beaujon.
Les chercheurs ont étudié les effets de la radiothérapie sur différents aspects du tractus
gastrointestinal chez l’homme, en particulier sur
les modifications hormonales, neurologiques,
200 | La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XIV - n° 5 - septembre-octobre 2011
musculaires, immunitaires et enzymatiques. Mais
les conclusions définitives sont rares. Presque toutes
les informations au niveau cellulaire et moléculaire
proviennent de l’expérimentation animale. Toutefois, la pertinence des études sur les animaux n’est
pas claire, parce que différents animaux répondent
différemment à une même irradiation et parce
que les doses administrées pourraient ne pas être
comparables à celles utilisées chez l’homme. Les
données disponibles suggèrent que le processus
initial est l’apparition d’un œdème qui progresse
en état inflammatoire de la muqueuse, réaction qui
s’étend ensuite à la sous-muqueuse. Ces événements
vont stimuler les phénomènes de régénération, qui
vont soit entraîner la réparation de la muqueuse,
soit développer des lésions graves avec inflammation, ulcération et, enfin, fibrose. Ces changements
dépendent d’une cascade de cytokines, qui pourrait
persister pendant des décennies (1).
L’épithélium intestinal est la couche la plus vulnérable du fait de l’index mitotique élevé et de la
fréquence des turnover. L’atteinte radique du grêle
est soit unisegmentaire soit plurisegmentaire,
réalisant alors une atteinte étagée. L’iléon reste le
segment le plus exposé à l’irradiation, surtout après
une chirurgie pelvienne, qui le place dans la position la plus déclive. La région iléocæcale, le côlon
et le rectum sont anatomiquement fixés et sont
aussi exposés à l’effet de l’irradiation. Les anomalies
microscopiques les plus fréquentes sont l’oblitération
de l’endartère, la fibrose sous-muqueuse et enfin
l’ectasie veineuse et lymphatique.
Les lésions intestinales induites par la radiothérapie
sont la conséquence d’un effet cytotoxique direct
lors de l’irradiation compliqué secondairement à long
terme par une atteinte vasculaire. La constitution de
dépôts de collagène et une fibrose extensive induite
par les radiations ionisantes pourraient favoriser une
inflammation locale chronique en rapport avec la flore
Points forts
»» On regroupe sous le terme d’entérite radique les complications intestinales de la radiothérapie
­abdomino-pelvienne définies par la présence de lésions morphologiques acquises de la muqueuse et de
la paroi intestinales.
»» L’entérite radique aiguë est la conséquence directe de l’irradiation abdominale ou pelvienne, son traitement
est symptomatique, et les symptômes régressent dans les semaines qui suivent l’arrêt de la radiothérapie.
»» L’entérite radique chronique peut apparaître 2 mois à 30 ans après l’arrêt de la radiothérapie et résulte
d’une atteinte transmurale de l’intestin.
»» Une prise en charge nutritionnelle s’impose chez les malades souffrant d’entérite radique chronique,
car ils ont une malabsorption quasi constante responsable d’une dénutrition parfois sévère.
intestinale locale, comme cela a été observé dans le
cas des maladies inflammatoires cryptogénétiques de
l’intestin, aboutissant aux lésions d’ERC. L’effet aigu
des radiations ionisantes sur la muqueuse intestinale
se traduit par l’inhibition des mitoses au niveau des
cryptes, ce qui aboutit à une dénudation épithéliale
augmentant la perméabilité épithéliale vis-à-vis des
bactéries et des antigènes endoluminaux. On observe
ainsi dans les suites immédiates de l’irradiation une
augmentation de l’apoptose épithéliale et une diminution de la taille des villosités intestinales (12, 13). Outre
des facteurs endoluminaux, une atteinte vasculaire et
la constitution de dépôts de collagène responsables
d’une fibrose sont impliquées dans la constitution des
lésions d’entérite radique. Ces anomalies prédominent
au niveau de la sous-muqueuse. Les lésions vasculaires touchent essentiellement les petites artères qui
présentent de manière caractéristique un épaississement et une hyalinisation de la paroi, une prolifération de cellules spumeuses au niveau de l’intima et la
présence de microthrombi intraluminaux.
L’ensemble de ces facteurs aboutit à une inflammation chronique de l’intestin avec des ulcérations
muqueuses et une ischémie chronique gênant la
cicatrisation, ce qui peut aboutir à une perforation
et à la constitution d’une fistule ou d’un abcès. Les
lésions sténosantes liées à la fibrose, plus ou moins
associées à des troubles moteurs, aboutissent à la
constitution d’une occlusion chronique et à une
pullulation bactérienne responsable de diarrhée et
de dénutrition. À côté de l’atteinte du grêle, une
atteinte rectocolique est fréquemment observée,
prédominant au niveau du sigmoïde et du rectum, du
fait de leur localisation correspondant au champ d’irradiation. Ces lésions peuvent majorer les troubles en
cas d’ERC, notamment en aggravant la diarrhée du
fait de la perte de la compliance rectosigmoïdienne.
Le traitement
de l’entérite radique
Prise en charge nutritionnelle
Une prise en charge nutritionnelle s’impose chez
les patients atteints d’ERC, car ils souffrent presque
systématiquement d’une malabsorption responsable
d’une dénutrition parfois sévère. Un suivi nutritionnel
est nécessaire afin d’apprécier la quantité et la
qualité des ingesta et de juger de l’évolution de l’état
nutritionnel. Une supplémentation nutritionnelle par
voie orale avec des compléments alimentaires peut
être utile. La malabsorption, quasi constante en cas
d’ERC, intéresse toutes les catégories de nutriments,
préférentiellement les lipides. Cela est probablement
dû à une baisse de l’absorption des acides biliaires
par l’iléon terminal responsable d’une diminution de
la concentration intraduodénale des acides biliaires
entraînant une solubilisation insuffisante des lipides
alimentaires. Une supplémentation en vitamines et
en minéraux adaptée s’avère souvent indispensable
compte tenu de la malabsorption.
En cas d’occlusion chronique, qui est le plus souvent
la conséquence de sténoses radiques, le traitement
est d’abord médical : aspiration digestive, correction des désordres hydroélectrolytiques et nutrition parentérale. Un traitement étiopathogénique
par nutrition parentérale exclusive de quelques
semaines, éventuellement associé à une corticothérapie, peut être tenté, surtout si l’irradiation est
récente. Si le tableau clinique ne s’amende pas, le
recours à la chirurgie devient nécessaire. Celle-ci doit
être faite par des équipes spécialisées (1).
Mots-clés
Entérite postradique
Occlusion
Nutrition parentérale
Highlights
»» Post-radiation enteritis may
appear 2 months to 30 years
after the end of radiotherapy.
»» Post-radiation enteritis is
a serious disease that can
develop life-threatening. Treatment is based on nutritional
care with correction of malnutrition and deficiencies. In case
of severe lesions, especially in
sub-occlusive syndrome, a
parenteral nutrition for 6 to 8
weeks, combined with a corticosteroid, can be effective.
Keywords
Post radiation enteritis
Occlusion
Parenteral nutrition
Prise en charge médicamenteuse
La diarrhée chronique est la manifestation la plus
fréquente de l’ERC. Elle est d’origine multifactorielle
et peut être en rapport avec :
➤➤ l’accélération du transit ;
➤➤ une entéropathie cholérétique par diminution
de l’absorption des acides biliaires ;
➤➤ une contamination bactérienne chronique du
grêle ;
➤➤ la malabsorption du lactose ;
➤➤ une diminution de la compliance rectosigmoïdienne ;
➤➤ des sténoses coliques ou du grêle ;
➤➤ de nouvelles lésions néoplasiques.
Il existe aussi d’autres causes possibles, non directement liées aux lésions intestinales postradiques
mais qu’il convient de rechercher pour un traitement
adapté :
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XIV - n° 5 - septembre-octobre 2011 | 201
DOSSIER THÉMATIQUE
Pathologies de l’intestin grêle
Le traitement médical de l’entérite postradique
➤➤ effets secondaires de médicaments ;
➤➤ dysthyroïdie ;
➤➤ constipation ;
➤➤ maladie cœliaque ;
➤➤ insuffisance pancréatique (sur pancréas post­
radique) ;
➤➤ lymphangiectasies.
Les traitements doivent donc être adaptés aux
résultats de l’analyse séméiologique de la diarrhée (diarrhée motrice, biliaire ou de malabsorption)
et des explorations fonctionnelles (test au carmin,
fécalogramme, test respiratoire au glucose). L’entéropathie cholérétique répond aux chélateurs des
acides biliaires tels que la colestyramine. La diarrhée
secondaire à la contamination bactérienne chronique du grêle est améliorée par une antibiothérapie
séquentielle.
La corticothérapie intraveineuse, pendant 4 à
8 semaines, potentialise l’efficacité de la NP exclusive et diminue le risque de récidive (1, 14). Les
corticoïdes seuls n’ont cependant pas d’efficacité
démontrée ; de plus, leurs effets indésirables en
limitent l’emploi à long terme.
D’autres traitements semblent prometteurs, notamment la pentoxifylline, qui, associée à de fortes doses
d’un antioxydant, la vitamine E (tocophérol), joue
un rôle anti-inflammatoire et antifibrosant (15).
La correction de facteurs associés pouvant aggraver
l’évolution de la maladie est indispensable : il faut,
le cas échéant, contrôler l’hypertension artérielle
et le diabète et arrêter le tabac.
L’atteinte rectosigmoïdienne
Une revue (16) a résumé les éléments de preuve pour
le traitement des saignements rectaux secondaires
à la radiothérapie. Les lavements de sucralfate (2 g
de sucralfate suspension avec 30 à 50 ml d’eau dans
une seringue administrés 2 fois par jour par l’intermé-
diaire d’une sonde de Foley lubrifiée à travers l’anus
dans le rectum) sont plus efficaces que la corticothérapie ou la mésalazine sous forme de lavements. Le
métronidazole oral pendant 4 semaines est bénéfique,
mais doit probablement être contre-indiqué chez les
patients ayant une neuropathie préexistante induite
par une chimiothérapie. Trois possibilités de traitement endoscopique existent : utiliser la coagulation
par plasma d’argon, le laser Nd-Yag ou la formolisation de la muqueuse pathologique. Les résultats
sont difficiles à interpréter, en raison de l’absence
de patients contrôles, de définition claire de l’efficacité (nombre de transfusions, nombre d’émissions
sanglantes, gravité des lésions endoscopiques…) et
d’une réponse variable selon la gravité de l'état initial
du patient. De plus, il convient de noter que le risque
de complications graves rapportées semble très élevé.
Aussi ces traitements endoscopiques doivent-ils être
discutés au cas par cas.
L’oxygénothérapie hyperbare a donné des résultats prometteurs, mais qui demandent à être
confirmés (17).
En résumé
L’entérite postradique est une maladie sévère,
pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Sa prise
en charge est particulièrement difficile. Son traitement repose sur une prise en charge nutritionnelle,
avec correction de la malnutrition et des carences.
En cas de lésions sévères, notamment lors des
syndromes subocclusifs, une nutrition parentérale
exclusive, pendant 6 à 8 semaines, et une corticothérapie peuvent se révéler efficaces. Certains
traitements semblent prometteurs et demandent à
être confirmés : l’utilisation d’antioxydants associés
à la pentoxifylline, l’oxygénothérapie hyperbare et
l’utilisation de facteurs trophiques de la muqueuse
intestinale.
■
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