L’ Complications neurologiques de la radiothérapie pelvienne

effet des radiations ionisantes sur le sys-
tème nerveux tant central que périphé-
rique est bien connu. Ces lésions, parfois tar-
dives, peuvent altérer les différentes voies du
contrôle vésicosphinctérien en cas de radiothé-
rapie pelvienne. Toutes les structures nerveuses
peuvent être touchées, qu’il s’agisse de lésions
des centres réflexes médullaires, des voies de
conduction périphériques ou encore des plexus.
Le caractère protéiforme des lésions causales
explique bien la diversité des tableaux cliniques
et urodynammiques rencontrés. L’analyse est
d’autant plus complexe que ces lésions ner-
veuses se surajoutent aux lésions organiques
soit directement consécutives à la radiothérapie
(cystopathie radique par exemple), soit secon-
daires au traitement chirurgical initial ou asso-
cié (dénervation induite par une chirurgie rectale
Complications
neurologiques de la
radiothérapie pelvienne
G. Amarenco*
L’
* Service de rééducation neurologique
et d’explorations périnéales,
hôpital Rothschild AP-HP, 33, bd de Picpus,
75571 Paris Cedex 12.
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Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 4, vol. III - octobre/novembre/décembre 2003
Complications de la radiothérapie pelvienne
ou utérine élargie). De plus, d’autres atteintes
neurologiques secondaires au cancer (et non pas
à la radiothérapie) peuvent être responsables
des troubles mictionnels, soit dans le cadre d’une
atteinte encéphalique (leuco-encéphalopathie
multifocale progressive, encéphalite limbique,
rhombencéphalite, encéphalomyélite diffuse,
métastase cérébrale, atrophie cérébelleuse), soit
dans le cadre d’une atteinte périphérique (neu-
ropathies périphériques paranéoplasiques), soit
dans le cadre d’une atteinte médullaire (méta-
stases épidurales et plus rarement intramédul-
laires, myélopathie nécrosante aiguë ou subai-
guë). Des extensions directes, des compressions
par le processus tumoral peuvent même parfois
se discuter. Dans tous les cas, l’analyse clinique
est largement aidée par le bilan urodynamique
et les tests électrophysiologiques périnéaux.
S
TRUCTURES NERVEUSES TOUCHÉES
Physiopathologie des lésions
postradiothérapiques
La survenue des lésions postradiques est condi-
tionnée par les modalités d’application de la
radiothérapie : durée et dose totales, fraction-
nement et étendue des champs. Sur le plan
physiopathologique, la fibrose induite par la
radiothérapie semble jouer un rôle essentiel,
vraisemblablement associée à des lésions vas-
culaires et à une atteinte directe des structures
nerveuses (1). Exceptionnellement, une tumeur
radio-induite (tel un sarcome) des enveloppes
nerveuses peut être en cause.
Structures touchées
Atteinte médullaire
La radiothérapie peut provoquer plusieurs types
d’atteinte médullaire.
Chez 10 à 15 % des patients, on peut observer
une réaction précoce survenant vers le troisième
mois et caractérisée par des phénomènes sen-
sitifs, comme des paresthésies des membres
inférieurs, en règle générale régressifs. Un autre
type d’atteinte médullaire est une lésion aiguë
entrant dans le cadre d’une myélite ischémique.
La myélite atrophique s’installe entre 3 mois et
2 ans. Elle est tout aussi peu fréquente avec une
lésion élective de la corne antérieure donnant
un tableau déficitaire moteur pur avec altération
de la force musculaire, hypotonie, fasciculation,
sans – bien évidemment – de troubles sensitifs.
En réalité, la forme de loin la plus fréquente est
la myélite chronique ; elle s’observe dans 0,15
et 3 % des irradiations de la région médullaire.
Elle dépend naturellement de la dose utilisée
(de 20 à 60 Gy). Le délai d’apparition des
troubles est de 13 mois en moyenne (de 3 à
presque 4 ans). L’installation de la symptoma-
tologie est toujours très progressive marquée
par des troubles sensitifs à type de paresthésies
et de douleurs, puis par un déficit moteur pou-
vant aboutir à une paraplégie plus ou moins
complète. Le liquide céphalorachidien est nor-
mal contrairement aux méningites carcinoma-
teuses. Les troubles vésicosphinctériens sont
très fréquents en cas d’atteinte médullaire, plus
que dans les atteintes plexiques.
Atteinte plexique lombosacrée
Il est parfois bien difficile cliniquement de tran-
cher entre une atteinte médullaire et une atteinte
sensitivomotrice par plexopathie lombosacrée.
Cette atteinte postradique du plexus lombosacré,
survient après irradiation abdominopelvienne
pour cancer de l’utérus, ovarien, testiculaire, rec-
tal ou encore en cas de lymphome. Elle est liée
aux caractéristiques de la radiothérapie (dose,
durée, fractionnement du traitement, étendue
des champs). Si des doses de 3 000 à 4 000 rd
peuvent suffire, en règle générale des doses plus
fortes sont nécessaires. L’intervalle libre entre l’ir-
radiation est extraordinairement variable, de
quelques semaines à plusieurs années, et jus-
qu’à… 30 ans. Habituellement, la symptomatolo-
gie débute par des troubles moteurs, souvent bi-
latéraux avec faiblesse musculaire, hypotonie,
amyotrophie et diminution ou abolition des ré-
flexes. L’évolution se fait sur de nombreux mois
avec aggravation progressive. Les troubles sensi-
tifs restent souvent modestes et assez tardifs.
Des atteintes motrices pures sont possibles (de
diagnostic différentiel très difficile avec des at-
teintes médullaires localisées à la corne anté-
rieure) mais avec, alors, rarement de troubles vé-
sicosphinctériens. Les douleurs sont en revanche
fréquentes (50 % des patients), souvent modé-
rées, surtout en comparaison avec celles, très im-
portantes, rencontrées en cas d’envahissement
néoplasique du plexus lombosacré. L’électromyo-
graphie des membres inférieurs va mettre en évi-
dence une dénervation systématisée dans les ter-
ritoires lombaires, sans modification des vitesses
de conduction motrice, avec altération des poten-
tiels sensitifs (nerf saphène externe), décharges
myokimiques, altération des ondes F.
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dossier
Atteinte du nerf périphérique
Il n’y a pas d’atteinte directe du nerf par la radio-
thérapie. L’atteinte périphérique observée se
situe dans le cadre des neuropathies paranéo-
plasiques. La neuropathie sensitive de type
Denny-Brown est la plus classique. Les douleurs
sont au premier plan, le déficit moteur très
modéré ou absent, les réflexes abolis, et… les
troubles sphinctériens exceptionnels. Les neu-
ropathies sensitivomotrices, dont le diagnostic
est parfois difficile avec une infiltration cellulaire
métastatique, peuvent en revanche s’accompa-
gner, comme toute polyneuropathie, de troubles
urinaires, voire anorectaux et génitosexuels.
T
ABLEAUX CLINIQUES
NEUROPÉRINÉAUX
Les deux versants classiques peuvent s’observer.
• Les fuites urinaires par urgence mictionnelle,
accompagnées de pollakiurie et d’impériosité,
suggèrent d’emblée une instabilité vésicale dont
la cause la plus évidente en cas de radiothérapie
pelvienne préalable est bien évidemment une
atteinte médullaire s’intégrant dans le cadre
d’une myélopathie radique. Une dysurie (miction
en plusieurs jets, poussée abdominale, sensa-
tion de mauvaise vidange vésicale) évoquant une
dyssynergie vésicosphinctérienne est souvent
observée dans ce cadre nosologique.
L’examen neuropérinéal retrouve un tonus anal
augmenté et des réflexes du cône présents ou
même vifs. En revanche, des fuites urinaires plus
ou moins insensibles, sans réel besoin, éven-
tuellement liées à l’effort, évoquent une
défaillance sphinctérienne souvent observée
dans les lésions périphériques pures. L’examen
retrouve un trouble de la commande, une hypo-
tonie anale, une diminution des réflexes sacrés,
parfois une hypoesthésie.
• Dysurie et rétention urinaire constituent le
deuxième versant. Il peut encore s’agir d’une
dyssynergie vésicosphinctérienne secondaire à
une atteinte médullaire suprasacrée par myélite
radique. La sensibilité périnéale est normale, les
réflexes du cône vifs, le tonus augmenté. L’exa-
men neurologique retrouve un syndrome pyra-
midal avec réflexes ostéotendineux vifs et signe
de Babinski. Mais le plus souvent, dysurie et
rétention plus ou moins complète évoluent dans
le cadre d’une atteinte du système nerveux péri-
phérique où la vessie est totalement paralytique,
hypoactive, acontractile. C’est le cas des lésions
plexiques où il est fréquent de mettre en évi-
dence une hypoesthésie périnéale systématisée
de manière uni- ou bilatérale dans les métamères
sacrés S2 S3 S4, une hypotonie anale et une abo-
lition des réflexes du cône médullaire.
T
ABLEAUX URODYNAMIQUES
Ils ne sont pas spécifiques, mais des difficultés
d’interprétation peuvent être présentes en rai-
son des complications mécaniques de la radio-
thérapie pelvienne (cystite radique, urètre rigide
postradique) et de la chirurgie initiale éventuelle
(dénervation périphérique par lésion nerveuse
directe) (2-4). Dans le cadre des mictions impé-
rieuses, une hyperactivité vésicale peut s’ob-
server avec des contractions non inhibées du
détrusor pendant la phase de remplissage. Cette
hyperactivité s’associe donc parfois à un trouble
de compliance secondaire à une lésion de la
muqueuse vésicale induite par la radiothérapie.
Le besoin d’uriner est préservé dans les deux cas.
La synergie vésicosphinctérienne est parfois plus
difficile à apprécier.
La rétention d’urine par lésion plexique s’ac-
compagne d’une vessie hypoactive, hypoesthé-
sique, de grande capacité, aréactive, hypercom-
pliante. Les résistances urétrales sont parfois
effondrées avec diminution des pressions de clo-
ture et positivité du vasalva leak point. Il est vrai-
semblable qu’une altération de la compliance
urétrale mise en évidence par planimétrie uré-
trale puisse s’observer.
D
ONNÉES ÉLECTROPHYSIOLOGIQUES
L’atteinte médullaire centrale ne s’exprimera que
par une altération des potentiels évoqués par sti-
mulation périnéale avec respect des latences
réflexes. En revanche, les atteintes plexiques
sacrées donneront un tracé neurogène périphé-
rique dans les muscles périnéaux, associé à une
augmentation ou à une abolition des latences du
réflexe bulbocaverneux. Les latences distales
sont en règle générale normales.
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