Allaitement et traitement par antithyroïdien de synthèse

hyperthyroïdie en cours de grossesse a
une prévalence de 0,2 % ; et dans
80 % des cas, il s’agit d’une maladie de
Basedow. Notre groupe s’intéresse depuis
quelques années à la prise en charge de ces
grossesses et à la prévention des dysthyroï-
dies fœtales liées soit au passage des anti-
corps antirécepteurs à la TSH (hyperthyroï-
dies et exceptionnellement hypothyroïdies),
soit à l’effet secondaire des antithyroïdiens
de synthèse sur la thyroïde fœtale (hypothy-
roïdie) (3,4,7,14). Au décours de l’accouche-
ment, la question légitime de l’allaitement
maternel sera abordée avec la patiente,
conjointement par l’obstétricien, le pédiatre
ou l’endocrinologue pédiatre et le pharmaco-
logue. Afin d’éviter des discours discordants,
la question doit être résolue avant ou en cours
de grossesse en fonction du traitement, de
l’évolutivité de la maladie, et de son éventuel
retentissement fœtal. Dans tous les cas, il
faudra essayer de fournir une information
claire et de respecter le désir maternel, dans
la limite de ce qui est “médicalement raison-
nable”.
Le Carbimazole (Néo-mercazole®) et le
Propylthiouracile® (PTU) sont les deux anti-
thyroïdiens de synthèse (ATS) les plus utili-
sés dans le traitement des thyrotoxicoses de
la maladie de Basedow ou d’autres étiolo-
gies. Ils agissent en freinant la synthèse des
hormones thyroïdiennes par blocage de l’in-
corporation d’iode oxydé à la thyroglobuline,
de plus le propylthiouracile inhibe la conver-
sion périphérique de T4 en T3 ; un effet
immunosupresseur utile dans la maladie de
Basedow semblerait aussi être un mécanisme
d’action. Les principaux effets indésirables
sont des réactions allergiques, des agranulo-
cytoses, et évidemment en cas de surdosage
le passage en hypothyroïdie. En cours de
grossesse, les antithyroïdiens de synthèse
passent la barrière placentaire.
D’exceptionnels cas de tératogénicité ont été
rapportés avec le Néo-mercazole® (en parti-
Allaitement
et traitement par antithyroïdien de synthèse
D. Luton 1, M. Polak 3, B. Raccah Tebeka 1, C. Boissinot 1, E. Jacqz Aigrain 2
Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume V, n° 4, juillet-août 2001 175
1. Service de chirurgie gynécologie-obsté-
trique, hôpital Robert Debré, Paris.
2. Pharmacologie pédiatrique et pharmaco-
génétique, hôpital Robert Debré, Paris.
3. Service d’endocrinologie pédiatrique,
hôpital Robert Debré, Paris.
Le postpartum est une situation à
risque d’aggravation ou de récidive
de la maladie de Basedow et il faut
en tenir compte dans la décision
d’allaitement maternel.
Le carbimazole et le propylthiou-
racile (PTU) sont excrétés dans le lait
maternel, mais le PTU passe à un
moindre degré (13). Aussi, en cas
d’allaitement, le médicament anti-
thyroïdien de premier choix est le
PTU.
Des doses de 200 à 300 mg de
PTU et de 5 à 15 mg de Néo-merca-
zole
®
semblent compatibles avec un
allaitement maternel, sous sur-
veillance régulière de la fonction
thyroïdienne néonatale.
Il faut se souvenir qu’il existe un
risque théorique de réaction allergique
à ces médicaments chez l’enfant.
Quelques études, réalisées chez
un nombre limité d’enfants exposés
in utero aux ATS, n’ont pas montré
d’effets délétères sur la fonction thy-
roïdienne néonatale ou sur le déve-
loppement intellectuel à distance. À
l’inverse, les résultats portant sur le
développement des enfants de
mères présentant une hypothyroïdie
pendant la grossesse sont moins
favorables. Ainsi, il est raisonnable
de limiter l’allaitement maternel en
cas de prise d’ATS, particulièrement
dans les situations à risque présen-
tées plus haut, sans toutefois pou-
voir opposer d’arguments formels à
une patiente dûment motivée.
L’
Stratégie thérapeutique
culier aplasie du cuir chevelu) mais non avec
le PTU. Les antithyroïdiens de synthèse pas-
sent aussi dans le lait maternel et en raison de
potentiels effets néonataux, l’allaitement
reste une contre-indication classique dans
tous les ouvrages de pharmacologie (2).
Malgré ces risques, une hyperthyroïdie en
cours de grossesse doit toujours être traitée,
l’évaluation du rapport bénéfice/risque est
en faveur de l’utilisation des antithyroïdiens
de synthèse, même s’il est en règle générale
admis que la dose minimale doit être prescri-
te,
quitte à laisser la patiente en discrète
hyperthyroïdie biologique.
Le choix de l’antithyroïdien de synthèse
reste une affaire d’école. Actuellement il se
porte plutôt sur le PTU que sur le Néo-mer-
cazole® du fait d’un moindre passage trans-
placentaire (réduisant le risque d’hypothy-
roïdie fœtale iatrogène) et d’un moindre
risque tératogène.
Les hormones thyroïdiennes sont essen-
tielles au développement du cerveau durant
la vie fœtale et à son fonctionnement en
période postnatale. Ces hormones jouent un
rôle important dans la neurogenèse, la
migration neuronale, la synaptogenèse et la
régulation de certains neurotransmetteurs
(1). Ainsi, un déficit en hormones thyroï-
diennes, en période anténatale ou dans les
premières années de vie, peut potentielle-
ment grever le pronostic intellectuel.
L’intégrité de l’axe hypothalamo-hypophy-
saire et thyroïdien à la fois chez la mère et le
fœtus durant la grossesse et chez le nouveau-
né paraît donc importante. Ainsi, des altéra-
tions subtiles et parfois plus importantes du
développement neuro-psychologique ont pu
être montrées chez des enfants dont le déve-
loppement thyroïdien était normal, mais
dont la mère avait eu une hypothyroïdie non
diagnostiquée pendant la grossesse (5,6).
Les études pilotes menées avant les années
1970 ont dicté pendant de nombreuses
années une conduite stricte d’interdiction de
l’allaitement en cas de prise d’antithyroï-
diens de synthèse. Les données récentes sont
moins nettes (8,9,10).
Le carbimazole (Néo-mercazole®)
et apparentés
Le carbimazole a une vie plasmatique de 3
à 5 heures et il est rapidement transformé en
méthimazole, son métabolite actif. Le rap-
port des concentrations lait/plasma du car-
bimazole est égal à 1, signant le passage de
ce médicament dans le lait. Lorsque la mère
reçoit une dose de 40 mg de carbimazole
par jour en une prise, les concentrations
maximales mesurées dans le lait sont
proches de 0,8 mg/l. Ainsi, pour un nou-
veau-né recevant 150 ml/kg/jour de lait
maternel, la quantité de carbimazole serait
de 0,12 mg/kg/jour. L’enfant reçoit une
quantité significative de substance active
puisque les doses pédiatriques sont de 0,5 à
0,7 mg/kg/jour. En revanche, à une dose
maternelle inférieure à 15 mg par jour, le
risque que l’enfant subisse une perturbation
de la fonction thyroïdienne paraît plus
faible. La quantité de médicament reçue par
l’enfant sera encore plus faible si la mère
n’allaite pas l’enfant pendant les 4 heures
qui suivent la prise du médicament. Enfin,
dans tous les cas d’allaitement mater
nel
sous carbimazole, la fonction thyroïdienne
du nouveau-né doit être contrôlée une fois
par semaine pour certains auteurs.
L’apparition d’une idiosyncrasie chez l’en-
fant (fièvre, éruption cutanée, agranulocyto-
se)
n’est pas exclue.
Azizi et al (1) ont étudié les conséquences de
l’allaitement sur les nouveaux nés de mère
prenant du methimazole (MMI). Cent trente
neuf patientes ayant une thyrotoxicose et
allaitant leur enfant ont été étudiées.
Cinquante et une mères ont été traitées pen-
dant la grossesse et pendant l’allaitement.
Quatre vingt huit mères ont reçu du MMI
quotidiennement pendant un mois, soit à la
dose de 20 mg/jour (n = 42) soit à la dose de
10 mg/jour (n = 46), puis toutes ont reçu
10 mg quotidiennement pendant 1 mois et de
5 à 10 mg ensuite. Ces doses se sont révélées
efficaces chez les mères jusqu’à 12 mois de
traitement. Chez tous les enfants, les concen-
trations de T4 libre, de T3 libre et de TSH
étaient normales avant et jusqu’à 12 mois
après la naissance et les concentrations
sériques de MMI étaient inférieures à
0,03 mg/ml. Six mères recevant 20 mg de
MMI ont présenté une augmentation des taux
de TSH au bout d’un mois de traitement.
Dans un sous-groupe d’enfants (14 enfants
du groupe exposé et 17 témoins) étudiés à un
âge variant de 48 à 74 mois, les caractéris-
tiques cliniques, le quotient intellectuel et le
test de Weschler et l’exploration thyroïdien-
ne (dosages de T4L, T3L et de TSH)
n’étaient pas différents entre le groupe expo-
sé et le groupe contrôle. Les auteurs
concluent qu’aucun effet délétère n’est appa-
ru sur la fonction thyroïdienne et sur le déve-
loppement physique et intellectuel des
enfants nourris au sein alors que leur mère
prenait jusqu’à 20 mg de MMI quotidienne-
ment. Mais les auteurs concluent aussi qu’il
existe un risque potentiel, certainement limi-
té, de dysfonction thyroïdienne chez les
enfants et chez la mère, justifiant de sur-
veiller la fonction thyroïdienne de l’enfant
toutes les 4 semaines.
Le propylthiouracile
Le propylthiouracile (PTU) a une demi-vie
plasmatique de 1 à 2 heures. Le rapport des
concentrations lait/plasma est de 0,1 à 0,5.
Après administration de produit marqué,
0,077 % de la dose administrée a été retrou-
vée dans le lait maternel pendant les 24
heures qui ont suivi l’administration. Les
doses reçues par l’enfant sont donc très
faibles et bien en deçà des doses efficaces en
thérapeutique. Ces premiers résultats sont
confirmés par une
seconde étude (8) qui
montre que la dose totale
de PTU excrétée
dans le lait maternel pendant les 4 heures qui
suivent l’ingestion d’une dose unique de
400 mg de PTU est de 0,025 % (0,007 -
0,07 %).
Momotani (11) a suivi la fonction thyroïdien-
ne chez 8 enfants dont les mères recevaient 50
à 300 mg de PTU par jour, pendant 1 à 9 mois
Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume V, n° 4, juillet-août 2001
176
Stratégie thérapeutique
d’allaitement. Les enfants qui étaient hypo-
thyroïdiens à la naissance (à la suite d’un trai-
tement par PTU pendant la grossesse) ont
retrouvé une fonction thyroïdienne normale
pendant l’allaitement, malgré le fait que la
mère recevait du PTU. Aucun effet secondaire
n’a été signalé.
Momotani (12) a ensuite étudié 11 enfants
nourris au sein dont les mères prenaient quo-
tidiennement plus de 300 mg de PTU. Des
prélèvements de T4L, TSH et anticorps anti-
récepteurs à la TSH étaient régulièrement
effectués chez l’enfant et la mère pendant
l’allaitement, mais aussi au sang de cordon à
la naissance en cas de traitement prénatal.
Trois enfants avaient des TSH supérieures à
la normale : dans le cas du premier, testé
19 semaines après la naissance, la TSH était
juste au-dessus des valeurs normales. Chez
les deux autres dont les mères avaient été
traitées par PTU jusqu’à l’accouchement, les
concentrations de TSH déterminées au 7e
jour de vie étaient supérieures aux normes
mais se sont normalisées alors que les doses
de PTU maternelles étaient les mêmes ou
supérieures à celles du traitement anténatal.
Les doses de PTU ou les concentrations
maternelles de FT4 n’étaient pas corrélées à
la TSH des enfants. Les auteurs concluent
que les mères prenant des doses allant jus-
qu’à 750 mg de PTU peuvent allaiter
sans
retentissement sur la fonction thyroïdienne
de
leur enfant.
Ces auteurs insistent par ailleurs sur la fré-
quence des rechutes de maladie de Basedow
dans le postpartum. En effet, les 11 patientes
incluses dans cette étude ont eu une exacer-
bation ou une rechute de leur maladie dans le
postpartum et 3 sur 11 des enfants ont eu une
hypothyroïdie biologique.
Ainsi le PTU est l’antithyroïdien de synthèse
de premier choix en cas d’allaitement. Le
PTU sera pris de préférence juste après les
tétées. La plupart des auteurs s’accordent
pour recommander un suivi régulier (toutes
les 2 à 4 semaines) de la fonction thyroïdien-
ne du nouveau-né (T3,T4,TSH). La survenue
d’une idiosyncrasie chez l’enfant n’est pas
exclue.
En résumé
Les études prénatales insistent sur le caractè-
re délétère d’une hypothyroïdie, même fruste,
sur le développement ultérieur de l’enfant. À
l’inverse, les études postnatales sont en faveur
de l’absence de nocivité des ATS au cours de
l’allaitement. Ceci reflète une exposition fœta-
le aux ATS beaucoup plus importante par voie
transplacentaire que par le lait maternel.
Les études postnatales sont encore limitées,
mais aucun travail récent ou ancien ne rap-
porte d’incidents chez des nouveau-nés allai-
tés alors que leur mère était traitée avec le
PTU (200 à 300 mg/j) ou le carbimazole (5-
15 mg/j). Le suivi biologique de l’enfant est
justifié toutes les 2 à 4 semaines pour confir-
mer ces premiers résultats.
Il paraît cependant raisonnable de limiter
l’allaitement maternel dans les conditions
suivantes :
maladie de Basedow mal équilibrée ou
nécessitant des doses croissantes d’ATS ;
maladie de Basedow avec retentissement
néonatal (hyperthyroïdie par passage d’anti-
corps antirécepteurs à la TSH, ou hypothy-
roïdie par action des ATS), l’allaitement
maternel pouvant perturber la prise en char-
ge spécifique du nouveau-né.
En cas de maladie de Basedow (dont les
anticorps antithyroïdiens se sont négativés) et
sous faibles doses d’ATS, l’allaitement mater-
nel peut être envisagé, sous couvert d’un suivi
médical de l’enfant, et en ayant prévenu la
patiente qu’une rechute ou une récidive de sa
maladie pourra faire discuter secondairement
un arrêt de l’allaitement maternel.
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