L’Encéphale, 2006 ;
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515-8, cahier 2 Les complications du trouble bipolaire
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En ce qui concerne les tentatives de suicide, les
patients bipolaires présentent un risque de tentative de
suicide plus important que les patients unipolaires : bipo-
laires I (26 %), bipolaires II (18 %), unipolaire (11 %). Le
risque de tentative de suicide est corrélé à la présence
d’un état mixte, comme par exemple la manie
dysphorique ; de plus, ce risque est davantage lié à la
sévérité des symptômes dépressifs qu’à la présence d’un
authentique syndrome dépressif (8). Il faut toujours
rechercher des symptômes dépressifs et des idées de sui-
cide même dans les épisodes maniaques.
La manie dysphorique mérite d’être individualisée en
raison de sa fréquence (50 %) et de son pronostic moins
favorable (épisodes plus longs, chimio-résistance aux
antimaniaques et antidépresseurs classiques, risque sui-
cidaire augmenté). Elle se caractérise par la présence
simultanée d’un syndrome maniaque ou hypomaniaque
(avec les critères complets de manie ou d’hypomanie pen-
dant une semaine), et de symptômes dépressifs (plus de
trois symptômes pendant au moins une semaine). Parmi
les caractéristiques sémiologiques, trois semblent parti-
culièrement corrélées au risque suicidaire : l’anxiété dys-
phorique, l’agitation psychomotrice, l’hostilité.
Événements de vie
Lors de la survenue d’un épisode thymique maniaque,
dépressif ou mixte, il est possible d’identifier un événe-
ment de vie ayant eu valeur de facteur déclenchant dans
cette maladie pourtant dite endogène. En outre, 65 % des
patients bipolaires et unipolaires ont subi un événement
de vie dans les 3 mois qui précèdent le geste suicidaire
et 42 % ont subi deux événements de vie dans la semaine
avant le geste suicidaire ; cet événement (perte, conflit)
est souvent auto-promu par le patient (88 % pour les bipo-
laires, 63 % pour les unipolaires). Ces patients suicidants
auraient donc tendance à se mettre dans des situations
difficiles et à « provoquer » des événements de vie néga-
tifs.
Lithium et prévention du suicide
La plupart des études rétrospectives mettent en évi-
dence un effet protecteur du lithium vis-à-vis du suicide
accompli : la majorité des patients bipolaires décédés par
suicide n’étaient pas sous lithium, ceux traités par lithium
avaient des taux de décès par suicide plus bas.
Les résultats des études prospectives vont dans le
même sens. Le Groupe International pour l’Étude de
Patients traités par le Lithium (IGSLI) qui réunit 4 centres
(Aarhus, Berlin, Hamilton, Vienne) a montré qu’après deux
années de traitement la mortalité globale (suicide et autres
causes comme par exemple les troubles cardio-vasculai-
res) et la mortalité par suicide des patients bipolaires sous
lithium est égale à la mortalité de la population générale
(6). Par contre la mortalité par suicide pour les patients
traités depuis moins de deux ans est supérieure à la mor-
talité par suicide pour les patients traités de plus de deux
ans : la prescription de lithium n’est préventive qu’après
une certaine durée de prescription dont le seuil est estimé
à deux ans. Enfin chez les patients qui ont interrompu leur
traitement, la mortalité est largement supérieure à celle
des patients qui poursuivent leur traitement. Cet effet anti-
suicide du lithium est différent de l’effet thymorégulateur ;
il est probablement médié par une action sérotoninergique
(effet anti-agressif).
Complications psychosociales
Les études de suivi ont mis en évidence des compli-
cations psychosociales sévères, durables et fréquentes :
1/3 des patients bipolaires présentent une détérioration
sociale marquée à 3 ans ; 30 à 40 % ont une pension
d’invalidité à 10 ans, tous les domaines de la vie étant tou-
chés (professionnel, financier, amical, conjugal). Ces con-
séquences négatives sont influencées par l’âge précoce
du début de la maladie, le sexe masculin, le nombre élevé
d’épisodes, la présence de symptômes psychotiques,
l’existence d’une personnalité antérieure de type névroti-
que ou instable, la comorbidité alcool/toxicomanie.
Par contre cette détérioration psychosociale ne serait
pas influencée par le type de trouble (unipolaire
versus
bipolaire), les traitements (différentes études montrent
que, chez des patients pourtant en rémission depuis plus
de deux ans, le taux de détérioration est à peu près le
même, touchant 1/3 d’entre eux ; pour des patients sous
lithium depuis une durée certes assez courte, de 1,7 an,
le taux de détérioration des relations interpersonnelles est
identique à celui des patients qui ne sont pas sous lithium).
L’évolution psychosociale est donc défavorable chez
1/3 des patients bipolaires, non pas du fait d’un déficit
intercritique persistant comme dans la schizophrénie,
mais par le biais des conséquences négatives des accès
dépressifs ou maniaques sur la vie socioprofessionnelle
et sur la vie relationnelle.
COMPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES
Deux ont été arbitrairement retenues : les difficultés
d’observance du traitement par lithium et les phénomènes
survenant à l’arrêt du traitement dont le sevrage.
Mauvaise observance du traitement par lithium
18 à 53 % des sujets présenteraient une mauvaise
observance au lithium. Paradoxalement il existe peu d’étu-
des sur cette question alors que 75 % des rechutes y
seraient liées. Certains facteurs dépendent du patient :
jeune âge, sexe féminin, première année de traitement,
nombre peu élevé d’épisodes, antécédents de manie avec
délire mégalomaniaque, antécédents hypomaniaques
(nostalgie des périodes « hautes »). D’autres sont liés au
traitement : effets indésirables du lithium (prise de poids,
troubles cognitifs, tremblements, modifications de la per-
sonnalité) ; certains patients particulièrement créatifs res-