Première rencontre internationale sur Escherichia coli et maladie de Crohn Lille, 29 juin 2007 IP Laurent Peyrin-Biroulet* D e nombreux arguments suggèrent un rôle clé de la flore intestinale dans la physiopathologie de la maladie de Crohn (MC). Au sein de cette flore, certaines espèces pourraient jouer un rôle particulier. Ainsi en est-il d’un nouveau pathovar de Escherichia coli dénommé AIEC (pour AdherentInvasive E. coli). Cette piste infectieuse est maintenant explorée par de nombreuses équipes et les travaux les plus importants qui lui ont été consacrés sont résumés ci-dessous par A. DarfeuilleMichaud (Clermont-Ferrand). 1998 – Mise en évidence d’une colonisation anormale de la muqueuse iléale de patients atteints de maladie de Crohn par des souches de E. coli et des propriétés d’adhésion de ces bactéries aux cellules épithéliales intestinales Les équipes de Lille (INSERM U795, J.F. Colombel, P. Desreumaux, C. Neut) et de Clermont-Ferrand (Pathogénie bactérienne intestinale, A. Darfeuille-Michaud) mettent en évidence que les biopsies iléales de patients atteints de MC sont colonisées par des souches virulentes de E. coli. Des études d'interaction E. coli-cellules épithéliales intestinales en culture indiquent que 84,6 % des souches de E. coli isolées au niveau de lésions iléales de patients avec MC possédaient des propriétés d'adhésion aux cellules versus 33 % pour les souches isolées de biopsies de sujets contrôles. 1999 – Les E. coli associés à la MC iléale sont des bactéries pathogènes originales ayant la capacité d’envahir les cellules épithéliales intestinales Les souches de E. coli associées à la muqueuse iléale chez les patients atteints de MC sont non seulement capables d’adhérer aux cellules épithéliales intestinales mais peuvent également les envahir. Un nouveau groupe de E. coli pathogènes dénommé AIEC (Adherent-Invasive E. coli) est identifié, dont la référence est la souche AIEC LF82. 2001 – Mise en évidence de la résistance des bactéries AIEC au pouvoir bactéricide des macrophages Les souches AIEC isolées de patients atteints de MC possèdent non seulement la propriété de survivre, mais également celle de se multiplier en macrophages. Contrairement à d’autres bactéries pathogènes, les AIEC n’entraînent pas la mort des macrophages * CHU Nancy. infectés. En revanche, la multiplication intracellulaire des AIEC dans les macrophages induit une très forte synthèse de cytokine pro-inflammatoire TNF-α. Échos des congrès É chos des congrès 2001-2002 – La communauté scientifique internationale apporte de nouveaux arguments permettant de renforcer l’hypothèse d’une implication de bactéries invasives et de E. coli dans la MC Les récentes découvertes dans la génétique de la MC suggèrent que la susceptibilité à cette maladie pourrait être liée à une perte de la fonction de barrière de la muqueuse intestinale. Celle-ci pourrait favoriser l’invasion de cette muqueuse par des bactéries intracellulaires. L’équipe de S. Targan met en évidence des taux élevés d’anticorps dirigés contre la protéine de membrane externe OmpC de E. coli chez 55 % des patients atteints de MC. L’équipe de A. Toubert (Hôpital Saint-Louis, Paris) montre qu’une infection bactérienne intestinale à E. coli peut conduire au développement de symptômes inflammatoires via une expression apicale accrue de molécules MICA, homologues des molécules du CMH1 impliquées dans la réaction de défense naturelle de l’organisme. 2004 – Analyse de la prévalence des souches AIEC chez les patients atteints de MC et mise en évidence de la présence d’ADN de E. coli dans les granulomes de MC L’équipe de J. Rhodes (université de Liverpool) confirme la présence de souches de E. coli invasives dans des biopsies de patients atteints de MC. Cette même année, les équipes françaises rapportent que des souches AIEC sont retrouvées chez 36,4 % des patients ayant une atteinte iléale de maladie de Crohn, et rarement présentes chez les patients atteints de rectocolite hémorragique et chez les sujets indemnes de toute maladie inflammatoire de l’intestin. En parallèle, l’équipe de F. Shanahan, grâce à une technique de microdissection au laser, met en évidence la présence d’ADN de E. coli dans 80 % des granulomes de patients. La formation de telles structures multicellulaires peut refléter une infection par des bactéries invasives et renforce donc l’hypothèse d’une possible implication de E. coli invasifs dans cette pathologie. 2005 – Mise en évidence du pouvoir virulent des bactéries AIEC en macrophages Les bactéries AIEC sont internalisées par les macrophages dans un phagosolysosome actif qui possède tout l’équipement La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. X - n° 9 - novembre-décembre 2007 239 Échos des congrès É chos des congrès 240 enzymatique et chimique requis pour éliminer les bactéries intracellulaires. Ces bactéries sont capables de contrôler l’activité bactéricide des macrophages (pH acide, hydrolases…) et d’y échapper, vraisemblablement par l’expression de facteurs de virulence spécifiques, qui sont en cours de caractérisation grâce aux données de séquence du génome de la souche AIEC de référence LF82. 2007 – Analyse de l’expression anormale d’un récepteur au niveau iléal chez les patients atteints de MC Une implication possible d’un récepteur anormalement exprimé chez les patients est suggérée par la forte prévalence de souches AIEC associées à la muqueuse iléale. La souche AIEC de référence LF82 est capable d’adhérer au pôle apical d’entérocytes isolés de pièces opératoires iléales de patients atteints de MC mais n’adhère pas à des entérocytes isolés de sujets contrôles. Cette adhésion se fait par l’intermédiaire de protéines bactériennes polymérisées sous forme de pili reconnaissant un récepteur riche en résidus mannose de la famille CEACAM exprimé à la surface des cellules épithéliales intestinales. Différentes expériences d’inhibition d’adhésion en présence d’anticorps dirigés contre les différents membres de la famille CEACAM ont indiqué que la souche AIEC LF82 adhèrait aux entérocytes via le récepteur CEACAM6. Les analyses à l’aide de cellules épithéliales intestinales ou de cellules transfectées exprimant CEACAM6 montrent que l’expression de ce récepteur est très augmentée après stimulation des cellules avec de l’interféron-γ ou du TNF-α et que cela est corrélé à une capacité accrue des bactéries à adhérer aux cellules. De plus, une infection des cellules par les bactéries AIEC permet d’induire une expression augmentée de CEACAM6. Ainsi, les bactéries sont capables de promouvoir leur propre niche de colonisation chez les patients atteints de MC. L’étude de CEACAM6 par immunohistochimie montre une expression iléale augmentée chez environ 35 % des patients atteints de MC, ce qui permet de suspecter ce récepteur comme facteur de susceptibilité aux formes iléales de la MC. L’importance de ces découvertes a motivé l’organisation, le 29 juin dernier à Lille, de la première rencontre internationale sur les relations entre E. coli invasif et maladie de Crohn. Durant la matinée, les chercheurs de différentes équipes ont exposé leurs derniers travaux. L’après-midi était consacrée à des discussions passionnées sur les thèmes : “Points communs et différences entre les E. coli invasifs isolés dans différents pays” , “Rôle des facteurs de l’hôte dans le pouvoir invasif de E. coli” , “Réservoirs et transmission de cette bactérie” , et enfin “Implications thérapeutiques”. Un temps fort de ces discussions a été la confrontation des opinions entre vétérinaires et médecins, des souches de E. coli invasives étant en effet impliquées dans des colites granulomateuses spontanées chez le chien boxer ! Le tableau reprend la liste des équipes présentes lors de cette première rencontre internationale, avec les noms des principaux orateurs. Cette réunion devrait déboucher sur des travaux collaboratifs qui pourraient être présentés dès l’an prochain lors de la deuxième rencontre internationale, qui se tiendra également à Lille à la même période. Tableau. Laboratoire de bactériologie, Faculté de pharmacie - Lille – France (C. Neut) Unité Inserm U795, Inflammatory Bowel Disease Research Center, Lille, France (P. Desreumaux, J.F. Colombel) Pathogénie bactérienne intestinale, Université d'Auvergne, Clermont-Ferrand, France (A. Darfeuille-Michaud, N. Barnich, L. Claret) Medizinische Klinik der Charité, Berlin, Germany (A. Swidsinsky) University of Liverpool, UK (J. Rhodes) Universiteit, Gent, Belgium (M. Devos) College of Veterinary Medecine, Cornell University, USA (K. Simpson) Institut de pharmacologie et de biologie structurale, Toulouse, France (F. Altare) Universitat de Girona, Spain (M. Martinez) Center for Vaccine Development, University of MD, USA (E.C. Boedeker) Department Head, Pathobiology and Veterinary Science, University of Connecticut, USA (H. Van Kruiningen) Cinq références essentielles 1. Abraham C, Cho JH. Bugging of the intestinal mucosa. N Engl J Med 2007;357:708-10. 2. Barnich N, Carvalho FA, Glasser AL et al. CEACAM6 acts as a receptor for adherent-invasive E. coli, supporting ileal mucosa colonization in Crohn disease. J Clin Invest 2007;117:1566-74. 3. Rhodes JM. The role of Escherichia coli in inflammatory bowel disease. Gut 2007;56:610-2. 4. Darfeuille-Michaud A, Boudeau J, Bulois P et al. High prevalence of adherent-invasive Escherichia coli associated with ileal mucosa in Crohn's disease. Gastroenterology 2004;127:412-21. 5. Darfeuille-Michaud A, Neut C, Barnich N et al. Presence of adherent Escherichia coli strains in ileal mucosa of patients with Crohn's disease. Gastroenterology 1998;115:1405-13. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. X - n° 9 - novembre-décembre 2007