CHIRURGIE DE L’OBESITE Gilles FOURTANIER L’accroissement de la prévalence de l’obésité et de sa gravité en France comme dans tous les pays européens, désigne ce phénomène comme un des enjeux importants de santé publique pour les années à venir. En effet, l’obésité est à l’origine d’un surcoût de santé humain et social de plus en plus lourd pour la société, d’une part en raison des frais de santé qui doivent être mobilisés pour le traitement des affections induites par l’obésité mais aussi du fait des coûts indirects liés à son retentissement social et professionnel : perte de productivité, arrêt de travail, absentéisme et mise en invalidité. En France, les frais de santé attribuables à l’obésité sont de 2,6 milliards d’€ par an, ce qui représente 3 % des dépenses de santé et une part importante de cette dépense est le fait des personnes sévèrement obèses. Or la prévalence de l’obésité et surtout des obésités sévères est de plus en plus importante en France, en particulier chez l’enfant où son taux a été multiplié par 5 au cours des 10 dernières années. C’est dire qu’il faut pour la combattre, non seulement des actions de prévention, mais aussi une approche thérapeutique qui permet un amaigrissement à la fois suffisant et durable pour guérir ou améliorer les pathologies associées. Dans le cas de l’obésité massive ou morbide, le traitement chirurgical (ou chirurgie bariatrique) est souvent la solution de dernier recours, la seule qui permet l’amaigrissement durable recherché. Définition L’obésité morbide (ou obésité maladie), se définit sur le calcul de l’indice de masse corporelle (IMC). Cet indice est le rapport du poids (exprimé en kg) sur le carré de la taille (exprimée en mètre). Chez l’adulte, l’obésité morbide est définie par un IMC égal ou supérieur à 40 kg/ m2. Pour ces derniers patients, seule la chirurgie bariatrique a fait la preuve de son efficacité. En effet à long terme, elle permet une diminution de la morbidité et de la mortalité. La super obésité correspond à des patients dont l’IMC est >50 kg/m2. Par ailleurs, on parle de supersuper-obésité à partir d’un IMC>60kg/ m2. Indications de la chirurgie de l’obésité Elles ont fait l’objet de recommandations basées sur des consensus professionnels : le National Institute of Health et les recommandations des sociétés savantes françaises conseillent de réserver la chirurgie de l’obésité à des patients sélectionnés respectant les critères suivants: 1. Une obésité morbide: IMC supérieur à 40 kg/m2 ou à 35 kg/m2 avec des facteurs de comorbidités dus à l’excès de poids et susceptibles de régresser avec la perte de l’excès de poids : diabète, hypertension artérielle, syndrome d’apnée du sommeil, arthrose invalidante (gonarthrose, coxarthrose). 2. Une obésité stable depuis cinq ans. 3. Un échec du traitement médical: les recommandations françaises précisent que la durée de la prise en charge médicale doit être d’au moins un an avant d’envisager la chirurgie sur la constatation d’un ou plusieurs échecs du traitement conventionnel de l’obésité combinant : régime diététique, activité physique, approche comportementale. 4. Motivation et coopération du patient: les techniques de réduction gastrique impliquent un bouleversement des habitudes alimentaires des patients dont il faut qu’ils soient informés, qu’ils y soient préparés et qu’ils acceptent une surveillance post-opératoire régulière prolongée. 5. Concernant l’âge du patient; la plupart des équipes s’accordent à réserver ces interventions à l’adulte. Concernant la limite supérieure il faut que le patient puisse bénéficier de la perte de poids, le rapport bénéfice-risque est moins favorable au-delà de 60 ans mais certaines situations d’invalidité par arthrose peuvent être prises en compte. Chez l’adolescent, certes la situation d’endémie croissante de l’obésité amène à se poser des questions, mais les indications chirurgicales ne peuvent être qu’exceptionnelles. Au total l’ensemble de ces recommandations rend absolument évidente la nécessité d’une décision pluridisciplinaire, la préparation et la surveillance psycho-diététique, la coopération du patient à chaque étape. Les différentes opérations : elles sont de 2 types, restrictives ou mixtes (restriction et malabsorption) Le choix du procédé est guidé par plusieurs facteurs : importance de l’obésité, troubles du comportement alimentaire, échec d’un procédé antérieur. Il se fera toujours, comme l’indication opératoire, après une discussion pluridisciplinaire . La gastroplastie par anneau péri gastrique : opération de type restrictive Les anneaux ajustables de gastroplastie sont de diffusion récente (1992). Leur principe repose sur la réalisation d'un bandage circulaire de la partie haute de l'estomac à l'aide d'un anneau modulable obligeant le patient à bien mastiquer ses aliments, sans prendre plus de 2 cuillères à soupe à chaque prise et en attendant au moins 1mn avant de reprendre 2 autres cuillères. La particularité de cette technique qui se pratique par laparoscopie, outre la réalisation d'une petite poche à la partie haute de l'estomac, est d'être ajustable et réversible. En effet, le dispositif est complété par un boîtier placé dans le plan sous-cutané profond et relié par un cathéter au ballonnet de l’anneau. Son remplissage par du sérum physiologique permet de moduler le serrage, modifiant ainsi la vitesse de passage du bol alimentaire. En principe, au terme d’un amaigrissement suffisant, il pourra être dégonflé, ce qui diminue le risque de migration intragastrique, principale complication à long terme de cette technique (1 à 3%). Ce procédé n’est pas efficace si le patient compense une diminution d'ingestion d'aliments solides par la prise d'aliments liquides ou semiliquides (en particulier de glucides, chez des patients décrits comme « sweet eaters »). Il nécessite une adaptation du comportement alimentaire du patient qui doit être accompagné. Cette technique a une faible efficacité chez les super-obèses et les super-super obèses. On préfère aujourd’hui dans ces cas là le by-pass gastrique. Les super-obèses (IMC >50 kg/m2) et super-super-obèses (IMC>60 kg/m2) ont en effet une haute incidence de problèmes médicaux coexistant tels le diabète, l’hypertension artérielle, l’apnée du sommeil, l’arthrose. L’anneau périgastrique, qui est la technique de chirurgie bariatrique la plus fréquemment réalisée en France (8000 cas/an), s’adresse ainsi aux patients hyperphages qui ont bien compris le principe de l’opération et à ceux qui ne sont pas hyperobèses ; la présence d’une hernie hiatale de plus de 5 cm contre-indique cette procédure. Une demande d’entente préalable est obligatoire pour la pratiquer et la Sécurité Sociale rembourse le dispositif implantable. Son taux d’échec est de 20 à 30%. Ceci peut nécessiter la conversion d’anneau périgastrique en une autre procédure. La gastroplastie mécanique de type Mason-Mac Lean : opération restrictive Elle est actuellement moins pratiquée. Elle consiste à faire une gastroplastie au moyen d’un agrafage mécanique qui ferme et coupe l’estomac le long de la petite courbure gastrique. Par ailleurs, on assure un retrécissement de la sortie de la gastroplastie grâce à une bandelette autour de l’estomac à ce niveau, ce qui oblige le patient à s’alimenter de la même manière qu’avec un anneau de gastroplastie. Son indication est la même que pour la gastroplastie annulaire, mais elle peut être proposée aussi chez des patients qui ont une hernie hiatale. La gastrectomie longitudinale ou « sleeve » gastrectomie Elle a été récemment étudiée et correspond à une nouvelle opération qui est en phase d’évaluation. Elle permet de réduire la capacité gastrique de 75 %. L’utilisation de sutures mécaniques au cours de l’abord laparoscopique facilite la réalisation de ce procédé qui consiste à fermer et sectionner l’estomac le long de la petite courbure et de conserver l’antre . Il s’agit d’une technique restrictive qui a l’avantage de réséquer la zone de sécrétion de ghréline, hormone qui augmente l’appétit. Les mécanismes responsables de la diminution de l’appétit sont mal connus. La ghréline est sécrétée au niveau du fundus, qui est en grande partie réséqué lors d’une gastrectomie longitudinale. La ghréline est une hormone produite sous l’influence d’une stimulation cholinergique et dont les récepteurs se situent dans l’hypophyse et dans l’hypothalamus. Expérimentalement, l’injection de cette hormone augmente la prise alimentaire et la prise de poids. Récemment, il a été montré une diminution des taux de ghréline de manière précoce et prolongée un an après gastrectomie longitudinale. Lors de la réalisation de cette technique, chez le patient super-obèse, super-super-obèse, ou lors d’une conversion d’anneau en by-pass, à haut risque péri opératoire, cette opération permet sans doute d’obtenir une plus faible morbidité et mortalité que celle du by-pass gastrique. La gastrectomie longitudinale, pourrait être un traitement suffisant chez le super obèse, pour obtenir une perte de poids supérieure à 50 % de l’excès poids. Si l’amaigrissement obtenu est insuffisant, la gastrectomie longitudinale, est alors le premier temps d’un by-pass gastrique réalisé dans un deuxième temps, dans de meilleures conditions techniques, après amaigrissement obtenu grâce à la gastrectomie longitudinale. Le plateau de la perte d’excès de poids, après la gastrectomie longitudinale, survient vers le 18ème mois. A distance d’une gastrectomie longitudinale, aucun cas de complication grave n’a été rapporté à ce jour. Le court-circuit gastrique (by-pass gastrique, BPG) procédé mixte (restriction et malabsorption) Son principe repose sur la réduction de la capacité gastrique associée à un certain degré de réduction d'absorption intestinale et de dérivation biliopancréatique grâce à la réalisation d'une anse grêle en Y de 150 cm. La poche gastrique dans le court-circuit gastrique est réalisée le long de la petite courbure par agrafage ; elle est déconnectée du reste de l'estomac. L'anse grêle en Y est anastomosée d'une part à la poche gastrique et d’autre part au grêle proximal pour les sécrétions biliopancréatiques. La longueur de l'anse alimentaire permet de moduler le défaut d'absorption intestinale. Le BPG a un pourcentage de complications postopératoires précoces et tardives de l’ordre de 10%. Des carences en fer et en vitamine sont possibles après bypass gastrique ; elles doivent être systématiquement prévenues. Le BPG a une grande efficacité à long terme. Il est choisi d’emblée en cas d’hyperobésité et chez les patients qui ont des troubles du comportement alimentaire, ou en cas d’échec d’une autre procédure restrictive. Le duodenal –switch, procédé mixte (restriction et malabsorption) Cette opération est rarement pratiquée en France. C’est un procédé de diversion bilio-pancréatique qui comporte une sleeve gastrectomie et une anse en Y alimentaire de 200 cm anastomosée au 1er duodénum. L’anse bilio-pancréatique est réimplantée à une anse commune sur l’iléon terminal ; elle mesure 100 cm. 100cm Par rapport à l’intervention classique de diversion bilio-pancréatique de Scopinaro, cette intervention, réservée aux super-super-obèses (IMC>60kg/m²), donne moins d’ulcères anastomotiques et de syndrome d’intestin court. Elle peut être pratiquée par laparoscopie. Sa morbidité est moindre si les patients sont préparés par un amaigrissement majeur obtenu, mieux que par un ballon intragastrique, par une sleeve gastrectomie. Son efficacité à long terme a été évaluée aux alentours de 70% sur la réduction de l’excès de poids. Elle nécessite un suivi très rigoureux pour éviter un syndrome carentiel (Vitamines, Fer, Calcium). Conclusions : La chirurgie bariatrique, réalisable le plus souvent sous laparoscopie, devient une véritable spécialité ; grâce à une équipe pluridisciplinaire qui s’occupe du patient avant et après la chirurgie, le pourcentage de succès augmente. Il n’y a pas une, mais plusieurs opérations adaptées à chaque patient. Au terme d’un amaigrissement notable qui peut prendre plus d’un an, une ou plusieurs interventions de chirurgie plastique sont éventuellement proposées. Il est important d’envisager cette possibilité dès la première prise en charge du patient. La Sécurité Sociale sait que cette chirurgie des « formes » s’inscrit dans une prise en charge globale de l’obèse et acceptera ainsi plus facilement l’entente préalable.