O , RDRE DES MÉDECINS, PLAINTE D ’EMPLOYEUR, SANTÉ DU PATIENT ET SECRET MÉDICAL PRATIQUE CLINIQUE, DÉONTOLOGIE ET PLAINTE D’EMPLOYEUR Intervention du Docteur Bernadette Berneron pour sa défense devant la Chambre nationale disciplinaire de l’Ordre des médecins le 8 juin 2016 Je ne reprends pas ici le travail d’explication portant sur la clinique médicale du travail et la singularité des consultations souffrance et travail que le Dr Huez qui m’assiste a développé précédemment. Je suis médecin du travail depuis trente‐quatre ans en service interentreprises et médecin consultant au sein du service de consultation de pathologie profession‐ nelle au CHRU de Tours Souffrance et travail depuis 2011. C’est après plus de trente ans d’exercice professionnel que je me retrouve devant votre juridiction. En effet depuis 2013 et en moins de quinze mois j’ai dû affron‐ ter quatre plaintes d’entreprise au Conseil de l’ordre, deux comme praticien attaché à la CPP et deux comme médecin du travail. Le « notamment » introduit subrep‐ ticement dans l’article du Code de la santé publique n’y est sans doute pas étranger. Cela fait pourtant de nombreuses années que j’atteste du lien santé/travail dans le cadre de mon exercice de médecin du travail : que ce soit par un courrier au médecin traitant du salarié, un courrier au médecin conseil, courriers qui sont donnés au salarié ; que ce soit sous la forme d’un certificat de dé‐ claration de MP ou d’une attestation de suivi post professionnel. Je suis devant vous aujourd’hui suite à la plainte de l’employeur d’une salarié‐patiente vue dans le cadre de ma fonction de praticien attaché à la CPP Souffrance et travail adressée par le médecin du travail et pour la‐ LES CAHIERS S.M.T. N°31 - OCTOBRE 2016 quelle j’ai rédigé un certificat attestant du lien santé/travail. Pour la chambre disciplinaire d’Orléans il s’agit de l’écriture « d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance manquant de prudence et de circonspection ». Je ne le crois pas. Cette salariée était par ailleurs reconnue en accident du travail depuis 2009 pour un syndrome anxio‐dépressif réactionnel avec IPP de 10 % et la rechute en 2011 du syndrome anxio‐dépressif ayant généré la demande de CPP a fait l’objet d’une majoration de l’IPP à 20 %. MA PRATIQUE CLINIQUE POUR INSTRUIRE LE LIEN SANTÉ/TRAVAIL Médecin du travail depuis longtemps j’ai développé au fil des ans une pratique clinique pour instruire le lien santé/travail. Le respect de mes obligations déontolo‐ giques passe par le fait d’avoir à établir un lien entre la santé du salarié, son activité professionnelle et son environnement professionnel et d’en informer le sala‐ rié. Lorsque j’ai rédigé cet écrit c’est après avoir patiem‐ ment investigué ce lien par la clinique médicale du travail et j’ai agi exclusivement dans l’intérêt de la santé de la salariée‐patiente. Lorsqu’un salarié se retrouve effondré littéralement à cause du travail, la restauration de sa santé passe aussi par le fait qu’il est important qu’il lui soit signifié à l’oral et par écrit que c’est bien le travail qui le rend malade. La rédaction de cet écrit re‐ lève donc d’une pratique thérapeutique du médecin consultant. Les écrits que j’ai faits n’ont jamais eu pour but d’étayer un dossier en judiciarisation mais ils ont pour but d’aider le salarié à comprendre et à restaurer sa santé. O , RDRE DES MÉDECINS, PLAINTE D ’EMPLOYEUR, SANTÉ DU PATIENT ET SECRET MÉDICAL DES PLAINTES QUI DÉSTABILISENT LES PRATIQUES DES MÉDECINS ET GÉNÈRENT LA PEUR Ma pratique professionnelle quotidienne me conduit à constater que de nombreux confrères médecins du travail vivent sous la menace d’une action pour faute déontologique et ont peur aujourd’hui d’attester du lien santé/travail. Faire le lien entre travail et santé, c’est pourtant le rôle même du médecin du travail, son cœur de métier. Cette menace les empêche de respec‐ ter leur devoir déontologique envers les salariés‐pa‐ tients. Il en est ainsi : du courrier au médecin traitant qui établit le lien entre la dégradation de l’état de santé du salarié et celle de ses conditions de travail et qui n’est pas ou plus rédigé mais envoyé directement au médecin traitant ou remplacé par un appel téléphonique ; de la rédaction de certificats pour maladie pro‐ fessionnelle qui n’est pas ou plus faite par les mé‐ decins du travail qui adressent les salariés aux médecins traitants et aux consultations de patholo‐ gie professionnelle afin que le certificat soit rédigé par un médecin tiers, ce certificat toujours adressé par la CPAM à l’entreprise mettant en visibilité le nom de son rédacteur ; de la rédaction de l’attestation d’exposition pro‐ fessionnelle du salarié pour son suivi post profes‐ sionnel que le médecin du travail ne rédige pas ou pour laquelle il utilise le conditionnel car il ne s’au‐ torise pas à attester d’une exposition ancienne qu’il n’a pas connue. Je peux témoigner ici que certains médecins généra‐ listes ont accepté de modifier le contenu de leur certi‐ ficat sous la menace de poursuites, lors de la phase de conciliation devant le conseil départemental de l’Ordre et devant l’avocat de l’employeur en changeant l’ex‐ pression « stress professionnel » par « stress réaction‐ nel ». Certains ont eu honte de se déjuger. Un médecin généraliste qui a refusé lors de la conciliation de modi‐ fier le contenu de son certificat s’est retrouvé devant la chambre régionale disciplinaire qui l’a sanctionné. Je parle ce jour en mon nom et au nom de confrères qui n’osent pas témoigner de ce qu’ils entendent et comprennent des situations de travail délétères pour la santé des salariés par peur, peur du jugement de l’Or‐ dre des médecins, peur du jugement de leurs confrères, peur d’être un jour interdits d’exercice ce qui les dis‐ suade d’exercer pleinement leur métier et les réduit au silence. MA PRATIQUE MÉDICALE EST DÉONTOLOGIQUEMENT CONFORME Je demande à ce que vous me jugiez en prenant en compte que j’ai répondu au Code de déontologie mé‐ dicale par la rédaction de cet écrit qui a pour unique but de redonner le pouvoir d’agir à une salariée‐pa‐ tiente afin de restaurer et protéger sa santé au travail. Je suis fière de faire mon métier de médecin du travail et de médecin praticien attaché à la consultation de pa‐ thologie professionnelle dans le respect des règles déontologiques et des règles éthiques partagées entre pairs en continuant à attester du lien santé/travail par un écrit aussi souvent que nécessaire pour les salariés‐ patients même si cette posture face à l’Ordre des mé‐ decins a un coût dans tous les sens du terme. L ES C AHIERS S.M.T. N°31 - O CTOBRE 2016