Travailler Clinique inter-compréhensive, déontologie et éthique

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Santé et Travailler
Clinique inter-compréhensive, déontologie et éthique
Séminaire Ethique et vie au travail, CEERE Université de Strasbourg
Mardi 18 novembre 2014
Dominique Huez, médecin du travail
dmf.huez@orange.fr
Consultation de Pathologie professionnelle au CHU de Tours pour la Souffrance au Travail
Avertissement
Médecin du travail pendant 35 ans, consultant actuel d’une consultation hospitalière « Souffrance au
travail », c’est à partir de mon expérience clinique de praticien, confrontée à l’évolution des connaissances
médicales et des sciences humaines, que je voudrais apporter ma contribution.
Ce document n’a d’autre finalité que de donner à voir au participant du séminaire Ethique et Vie au travail,
d’une façon singulière à partir d’une posture professionnelle spécifique, celle de médecin du travail, des
questions d’éthique professionnelle.
L’actualité du débat social sur l’instruction du lien santé-travail par les médecins du travail et de son
attestation écrite en cas de besoin, en offre le prétexte. En aucune façon l’approbation ou non du lecteur
n’est recherchée.
Mais si la résonance de cette problématique fait écho aux interrogations éthiques du participant du
séminaire, même par rebond, ce texte aura alors une raison d’être !
Introduction
« La santé (…) c’est d’avoir les moyens d’un cheminement personnel et original vers un état de bien-être
physique mental et social ».
Construire sa santé au travail est donc avant tout une affaire de marges de manœuvre. Travailler c’est, à
chaque instant, s’affronter à la réalité. Cela ne peut se concevoir seul. Le travail n’est pas solitaire mais
solidaire. On y construit son « existence au monde » par et pour les autres. Autour d’un système de valeurs
construit collectivement sur le travail, la manière de le faire, son résultat… La maîtrise du travailleur sur son
travail est un facteur personnel d’accomplissement puisqu’il confère la reconnaissance des autres
professionnels.
La reconnaissance est un jugement qualitatif proféré sur le travail. Elle procède de deux jugements:
- Un Jugement d’utilité (économique, technique, social) proféré par la hiérarchie. Il donne le statut de
travail. Il permet les coordinations professionnelles.
- Un Jugement de beauté, sur la belle ouvrage (conformité du travail accompli avec les règles de
métier, style original), proféré par des pairs. Il a un impact majeur sur l’identité. Cette
Reconnaissance permet la communauté d’appartenance, le collectif de travail, les coopérations entre
pairs.
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- La reconnaissance est dans le registre du Faire, elle ne porte pas sur la personne. Dans un deuxième
temps elle est rapatriée dans le registre de l’être. Travailler ce n’est donc pas seulement produire,
mais se transformer soi-même. La Reconnaissance de la Contribution permet de transformer la
souffrance au travail en plaisir de l’accroissement de l’identité, armature de la santé mentale.
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AGIR EN MEDECINE DU TRAVAIL DANS L’INTERET EXCLUSIF DE LA SANTE DES
PERSONNES
1. Les missions de la médecine du travail
L’exercice de la médecine du travail consiste à identifier la relation entre des altérations de la santé d’un
travailleur et des éléments pathogènes de sa situation professionnelle. La médecine du travail est un
exercice médical : à ce titre les praticiens procèdent comme tout médecin à l’établissement de diagnostics
médicaux qui comportent l’identification de la ou des étiologies de l’affection en cause.
L’exercice de la médecine du travail impose au médecin du travail d’informer le travailleur des risques de sa
situation professionnelle et de leurs liens, éventuellement pathogènes, à sa santé. Comme tout médecin, le
médecin du travail « doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille, une information loyale,
claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose… » (R4127-35 du CSP). Le
droit à l’information du patient sur son état de santé porté par l’article L1111-2
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est un des éléments
fondateurs de la révision du code de la santé publique de 2002.
Le constat du lien d’un salarié entre sa santé et son travail par le médecin du travail doit être consigné par
écrit dans le dossier médical en santé au travail, ou donner lieu à la délivrance d’un certificat médical. Ce
constat écrit est soit tenu à la disposition du travailleur, soit lui est accessible. L’article R4127-50 du CSP
impose à tout médecin de « faciliter l'obtention par le patient des avantages sociaux auxquels son état lui
donne droit ». Cela peut nécessiter la rédaction d’un certificat médical.
2. La clinique médicale du travail
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Les risques psychosociaux au travail (RPS) sont les risques pour la santé mentale, physique et sociale,
engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir
avec le fonctionnement mental.
Pour permettre au sujet d’échapper au mécanisme qui le broie, il faut lui permettre de comprendre le
processus délétère qui annihile sa capacité d’agir. Ce travail clinique individuel passe par la parole et repose
sur la confiance dans la « capacité élaborative » des travailleurs à penser leur travail, à participer aux
transformations des organisations du travail et à recomposer l’agir ensemble.
Guidé par la clinique médicale du travail, le médecin a pour objectif de soutenir la réflexion du salarié et de
l’aider à élaborer une parole propre sur les enjeux de son travail. L’objectif de ce travail clinique est la
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Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes
investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs
conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres
solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des
investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit
en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver.
Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des
règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser.
Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel…
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De nombreux éléments de cette partie sur la clinique médicale du travail sont empruntés à : Huez Dominique, Riquet
Odile, (2008), Savoir-faire clinique et action en médecine du travail. Archives des Maladies Professionnelles, 30 ème
journées de Santé et Médecine du travail de TOURS, juin 2008, pp 373-379
et des mêmes auteurs in Cahier SMT 27, 2013 : Une démarche clinique au cœur des questions du travail, pp 18-24,
actes du colloque avec E-Pairs du 14 juin 2013
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reconquête par le salarié de son pouvoir d’agir afin de lui permettre ainsi de recouvrer sa capacité à
construire sa santé au travail.
Par cette pratique clinique, le médecin appréhendera mieux le « travail singulier » du sujet, les effets
irréductiblement personnels du travailler ensemble. Le médecin du travail y adosse ses préconisations
médicales dans l’intérêt exclusif de la santé du salarié, et en nourrit son action de prévention primaire
collective ou de sauvegarde.
L’activité clinique en donnant la parole aux salariés permet une redistribution de l’expertise sur les questions
du travail, et de nouvelles modalités de production de connaissances.
L’analyse clinique ne sépare pas les conditions de travail des salariés, de l’évolution des rapports sociaux du
travail et des organisations du travail, ni des conflits qui les accompagnent, y compris au sein même de la
santé au travail.
2.1. L’émergence d’une nouvelle clinique en santé au travail
La question de la compréhension
Pour comprendre les difficultés du salarié, l’effort du médecin du travail doit être entièrement
tourné vers une « disponibilité à comprendre avec » qui naitra de ce qui émergera du récit du sujet.
Dans la consultation, le salarié raconte le travail prescrit, le travail réel, son engagement, ses
émotions. Mais ce qui le malmène peut échapper à sa compréhension, parce que la quotidienneté
de son travail le contraint « à faire avec », et donc à faire répression aux affects trop douloureux,
« pour tenir malgré tout ». Le salarié peut rejoindre « le cadre de compréhension » proposé par
cette consultation, s’il y reconnait une opportunité pour agir pour sa santé, dans un espace qui ne
serait pas porteur de jugement sur ces actions professionnelles.
La question de l’élaboration
La clinique médicale du travail prend en compte l’engagement subjectif dans le travail et la relation
que celui qui travaille entretient avec son environnement, les autres et le monde. Il existe une
distance parfois très importante entre ce que fait le sujet et ce qu’il est en mesure d’en dire.
L’activité est en avance sur la raison et peut rester obscure aux yeux de celui qui la réalise. Mais
cette énigme de l’activiest accessible à la prise de conscience et le lieu de la consultation peut
ouvrir un espace d’élaboration entre une activité incarnée, vécue et la nécessité de la mettre en
mots, dans un langage commun et d’en rendre compte. Quand le salarié doit faire face à des
interrogations ou à des critiques, quand il s’interroge sur ce qu’il a fait, quand il constate l’écart
entre son activiet ce qu’il voulait faire, ou entre son activité et les attentes d’autrui, son identité
peut vaciller. Le médecin du travail, dans le lieu et le temps de la consultation, peut proposer un
temps d’élaboration nécessaire pour lui permettre de sortir des impasses de l’activité.
2.2. Cette clinique n’est accessible que par la parole
Faciliter le récit
Il faut se faire raconter dans le détail une situation de travail dans laquelle le salarié a été mis en
difficulté, les premiers incidents qui l’ont malmené. Il faut, pour le médecin faciliter le récit en
manifestant ses difficultés à comprendre l’activité du salarié pour ne pas coller au discours et éviter
les chausse-trappes dans le récit qui s’accroche au relationnel et comportemental de collègues ou de
la hiérarchie. Les sujets expriment toujours en premier les relations professionnelles qui font écho
ou qui se présentent comme la cause première de leur souffrance.
Ces récits de l’activité de travail peuvent permettre d’approcher ce qui peut potentiellement faire
souffrir les salariés, c’est-à-dire des vécus de surcharge, d’injustice, d’humiliation, de non
reconnaissance de leur contribution, de marginalisation, d’isolement. Ils peuvent exprimer aussi
l’impossibilité à pouvoir coopérer, à anticiper, le sentiment de devoir tricher avec les règles pour
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simplement pouvoir travailler. C’est très souvent le sentiment, à l’atelier ou au bureau, de ne pas
avoir les moyens de faire ce qu’il faudrait faire, et ne pas se reconnaître dans ce qu’on est contraint
de faire.
Le fait de parler de son travail permet au salarié un niveau d’élaboration plus complexe, sa
problématique prend une nouvelle dimension, ce qui peut lui permettre de prendre conscience des
enjeux de son activité et de ses dimensions conflictuelles.
Quand le salarié peut mettre en récit et rendre compte des impasses de son activité, il ramène dans
l’espace de la consultation des contradictions et des dilemmes qu’il affrontait seul dans l’isolement
comme s’il s’agissait de questions personnelles sans lien avec le travail et les collègues.
Dans certaines situations professionnelles, il peut être nécessaire au médecin du travail de vérifier la
compréhension des évènements qu’il s’est forgé, afin de ne pas se fourvoyer. C’est dans ces
circonstances que peut apparaitre l’intérêt « de la reformulation » de ce que croit comprendre le
médecin du travail en écho au récit du sujet. Cette « reformulation » doit être prudente au regard du
risque de déstabilisation des processus défensifs professionnels, respectueuse du sujet, et ouverte à
plusieurs possibles explicatifs. Quand un sujet « rebondit » sur la reformulation du médecin du
travail et « débloque » le récit en y apportant de nouveaux éléments du de l’activité de travail,
le travail d’élaboration peut à nouveau se déployer, un saut qualitatif dans la compréhension du lien
santé-travail peut avoir lieu.
Le récit impossible
Quelquefois le médecin du travail ne comprend pas du tout. Si la situation actuelle est très
douloureuse, en cas de difficulté importante pour appréhender la situation actuelle d’un salarié, il
faut proposer de raconter des situations antérieures, il faut passer par la reconstruction de son
parcours professionnel à la lumière de la clinique médicale du travail où le travailler ensemble
permettait de construire sa santé au travail. Cela permet de voir, pour les situations passées, les
dynamiques de l’activi de travail, le travail collectif, le déploiement ou non d’un engagement
subjectif dans le travail, de son « travailler ». Le sujet effondré aujourd’hui reprend pied par son récit
dans une activité de travail où son pouvoir d’agir s’est construit dans la confrontation à la résistance
du réel. Cette investigation compréhensive de la trajectoire professionnelle passée peut éclairer
alors la situation actuelle.
Dans les situations cliniques très difficiles, il est parfois impossible au médecin du travail de
comprendre la dynamique du travailler et d’instruire le lien santé-travail. Quelles en sont les causes ?
Les conditions d’un travail clinique en confiance peuvent ne pas être réalisées. Une « idéologie
défensive professionnelle » interdit toute représentation de l’activité de travail. Une pathologie
mentale originaire ou réactionnelle fait empêchement à la mise en récit des difficultés majeures du
« travailler ».
Mais le récit sur le travail du sujet peut aussi être lisse, « trop normalement lisse ! ». Le médecin du
travail « ne voit pas le sujet travailler », ne se le représente pas. Il n’est alors pas en mesure de
déployer une pratique en clinique médicale du travail. Le sujet peut en effet être alors submergé par
les effets d’une pathologie psychiatrique qui fait obstacle à la possibilité du travail de la clinique
médicale du travail.
2.3. Lesfenses psychiques face à la peur ou la honte
Les stratégies défensives psychiques visent à protéger les sujets. Mais en les empêchant de penser
les causes de leurs difficultés, ces défenses les empêchent d’agir pour transformer leur travail.
Permettre aux salariés par l’attention portée aux difficultés de leur travail, de retrouver la capacité
de les repérer est alors essentiel.
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