La dénutrition, un problème décelable par le pharmacien

La dénutrition, un problème décelable par le pharmacien
Desport JC, Jésus P, Massoulard A, Gindre-Poulvelarie L, Fayemendi P, Lorgueilleux S,
Baptiste A, Fraysse JL.
Réseau LINUT, Isle, France, Faculté de Médecine et CHU de Limoges, France.
On sait depuis de nombreuses années que la dénutrition est un problème de santé
publique. Elle a des répercussions importantes en termes de santé des personnes et
représente un poste de dépenses majeur dans l’organisation des soins, avec un coût
probablement plus important que celui de l’obésité. La fréquence de la dénutrition
augmente avec l’âge des personnes, et par conséquent touche de manière plus marquée les
personnes âgées.
La dénutrition est définie comme un état pathologique lié à un déficit en protéines et en
énergie par rapport aux besoins. Quand il s’agit d’un déficit d’apport isolé (« pas assez à
manger ») on parle de dénutrition primaire et, si la dénutrition est due à une maladie qui limite
les apports alimentaires ou augmente les dépenses, il s’agit de dénutrition secondaire
Sauf en cas de famine, les dénutritions secondaires sont les plus fréquentes et peuvent être
causées par une insuffisance d’apport liée par exemple :
- à une anorexie (« je n’ai plus faim »), elle-même révélatrice le plus souvent d’une autre
affection, comme un cancer,
- à des troubles de la déglutition, après un accident vasculaire cérébral par exemple,
- à des douleurs lors de la prise alimentaire (lors d’une mucite après chimiothérapie)
- à une insuffisance respiratoire, par un mécanisme multifactoriel : sensation de réplétion
gastrique rapide lors des repas, gène respiratoire accentuée après les repas, etc…
La seconde cause de dénutrition secondaire est l’excès des dépenses ou des pertes, comme
lors de vomissements, de diarrhées, d’atteintes rénales avec pertes de protéines dans les
urines, d’hyperthyroïdie, d’états infectieux ou inflammatoires et de cancers avec
augmentation du niveau métabolique. Bien entendu, une insuffisance d’apports et une
augmentation des pertes peuvent être associées, comme par exemple lors des états infectieux
ou du cancer.
Des conséquences redoutables
Au quotidien, la dénutrition est redoutable par ses conséquences multiples, qui altèrent de
nombreuses fonctions corporelles, ainsi que l’état psychologique. Une conséquence majeure
de la dénutrition est la perte de la masse musculaire qui entraîne de la fatigue, une instabilité à
la marche, une limitation des capacités à l’effort, d’où une réduction de l’autonomie. La
dénutrition altère également la cicatrisation, d’où le risque important de complications après
une intervention chirurgicale et l’effet très négatif lorsque la personne âgée souffre d’une
escarre. La dénutrition dégrade l’immunité des patients, et par conséquent favorise la
survenue d’infections. Elle restreint les capacités respiratoires par divers mécanismes :
atrophie diaphragmatique, baisse de la surface des alvéoles pulmonaires, infections
pulmonaires. Elle limite les capacités d’absorption du tube digestif et induit un passage
anormalement élevé vers le sang de bactéries venant de la lumière intestinale. Elle favorise la
survenue d’une dépression, et chez la personne âgée peut simuler un état confusionnel. Elle
s’accompagne d’une réduction de la masse osseuse et d’une perte de masse grasse, d’où en
cas de chute, à cause de la disparition des « amortisseurs » au niveau des hanches et de la
fragilité osseuse, une augmentation du risque de fracture.
Les signes révélateurs
Ceci dit, il y a des critères d’alerte, pour certains aisément repérables par le pharmacien, des
critères diagnostiques cliniques simples ainsi que des critères basés sur le poids, là encore
accessibles au pharmacien, et des critères biologiques.
Particulièrement chez les personnes âgées, les critères d’alerte sont nombreux et souvent
aisément décelables quand les patients sont bien connus. C’est ainsi qu’un veuvage, un état de
solitude ou un conflit avec l’entourage, une dépression ainsi que de mauvaises conditions
économiques peuvent précéder la survenue d’une dénutrition. C’est aussi le cas quand les
patients suivent un régime prolongé et trop strict, si les personnes prennent 2 repas par jour ou
moins, lors de problèmes bucco-dentaires, de troubles de déglutition, d’une constipation ou en
cas de consommation de plus de 5 médicaments différents par jour. Si le patient signale qu’il
a perdu l’appétit, qu’il se fatigue vite, qu’il ne peut plus faire les activités de la vie
quotidienne qu’il assumait jusque là, la dénutrition peut être en cause. Ces derniers critères
sont particulièrement importants.
Du point de vue clinique, une fonte musculaire peut être un signe de dénutrition facilement
repérable au niveau du visage (joues et tempes creuses) ou des mains (perte des muscles de la
base du pouce, des interosseux qui font aux patients des « mains de squelette ») (Figure 1). Le
pharmacien peut se rendre compte de l’amyotrophie rien qu’en serrant la main de la personne
dénutrie. Au niveau des membres inférieurs, la perte musculaire touche en premier lieu la
partie externe de la jambe, et au niveau du tronc les muscles du cou, constituant une « corde
deltoïdienne ».
Attention, car chez certains patients, il peut y avoir des oedèmes au niveau des membres
inférieurs, parfois remontant jusqu’aux mains et aux bras, alors que l’amyotrophie est
évidente au niveau du visage. Dans ce cas, la dénutrition est en partie cachée par les oedèmes,
et le tableau est celui d’un kwashiorkor (dénutrition avec oedèmes), plus grave que la forme
avec amaigrissement généralisé, ou marasme (figure 1). Le kwashiorkor, mot d’origine
africaine lié à la dénutrition de l’enfant après le sevrage, peut cependant être présent chez la
personne âgée. Il joue sur le poids, car le stockage hydrique peut compenser la perte de masse
musculaire et de masse grasse, et par conséquent le signalement des oedèmes par le patient ou
son repérage par le Pharmacien sont importants.
Le poids est également un critère fondamental pour apprécier l’état nutritionnel des personnes
âgées, et la présence d’une balance dans une Pharmacie peut être une initiative très
intéressante, dont le coût est faible. De même, un équipement avec une toise permet d’obtenir
la taille, nécessaire pour calculer l’Indice de Masse Corporelle (IMC) qui est défini par la
formule : poids (en kg) / taille² (en m au carré), et sert de repère de dénutrition. Pour une
personne de moins de 70 ans, un IMC de moins de 18,5 signe une dénutrition, et au-dessus de
70 ans, la dénutrition est présente si l’IMC est inférieur à 21. La perte de poids involontaire
peut être signalée au Pharmacien, et doit si possible être appréciée, car une perte de poids de
5% ou plus en un moins, ou de 10% ou plus en six mois affirme une dénutrition.
Le principal critère biologique de dénutrition est l’albuminémie. Une concentration sanguine
inférieure à 35 g/L indique une dénutrition, en sachant cependant que de nombreux biais
peuvent rendre le résultat mal interprétable. C’est ainsi qu’un état inflammatoire ou
infectieux, une insuffisance hépatique, une maladie rénale, une hyperhydratation (lors d’une
insuffisance cardiaque, d’une insuffisance rénale, d’un état de stress sévère, en cas de
perfusion rapide) peuvent artificiellement créer une hypoalbuminémie. A l’inverse, une
dénutrition d’apparition très progressive peut s’accompagner d’une albuminémie conservée.
L’albuminémie est donc probablement plutôt un indice pronostique global qu’un bon
marqueur nutritionnel.
Mesures à suivre
La prévention est très importante, et repose sur des mesures souvent simples, qui pour
certaines concernent le pharmacien. Celui-ci peut alerter le médecin et le patient devant un
trop grand nombre de médicaments consommés, signaler au patient qu’un régime ne doit pas,
dans la plupart des cas, être trop strict et trop prolongé, et doit être discuté avec le médecin,
inciter la personne âgée à des soins dentaires si besoin, et inciter à lutter contre la
constipation, en indiquant qu’une bonne hydratation est nécessaire, qu’il faut, si possible,
garder une activité physique minimale et qu’un régime apportant des fruits et légumes est
favorable. Si la personne âgée présente des troubles de déglutition, il faut faire préciser s’ils
surviennent avec les liquides, les solides ou les deux à la fois, et donner des conseils de
texture alimentaire (voir plus bas). Devant des problèmes psychologiques ou socio-
économiques, la discussion avec l’entourage ou la famille peut être engagée par le
pharmacien. Dans tous les cas où le pharmacien est en difficulté, l’orientation vers le médecin
est utile.
Devant une dénutrition avérée, deux orientations complémentaires sont indiquées :
- Mettre en évidence la cause du problème et si possible la traiter. Le recours au
Médecin est en général nécessaire.
- Nourrir le patient. Le Pharmacien peut largement intervenir par des conseils
diététiques, ou bien en optimisant par exemple un traitement par un complément
nutritionnel oral (CNO).
Néanmoins, il faut connaître quelques éléments de base des besoins nutritionnels de la
personne âgée et de son équilibre alimentaire. C’est ainsi que les personnes âgées ne doivent
pas restreindre leur alimentation en invoquant leur âge. En effet, en prenant de l’âge, le
« rendement » énergétique de l’alimentation est probablement moins bon, et il faut donc rester
à au moins 30 kilocalories part kilo de poids corporel et par jour pour les apports
énergétiques, et à au moins 1 g de protéines par kilo et par jour (soit pour une personne de 60
kg : 1800 kilocalories et au moins 60 g de protéines, en sachant que 1 g de protéines équivaut
à environ 5 g de steak ou de poisson). Un apport de fruits et végétaux est souhaitable, avec
environ 5 portions par jour, de manière à apporter environ 20 à 25 g de fibres, des vitamines
et des oligoéléments. Une supplémentation en calcium et vitamine D est souhaitable (par
exemple pour la vitamine D 100 000 unités per os tous les 6 mois, ou pour calcium + vitamine
D un comprimé par jour d’une association).
Devant un problème de dénutrition, il faut avant tout essayer de mettre en œuvre les solutions
les plus simples, les moins dangereuses et les moins coûteuses.
D’une manière globale, le schéma décisionnel est décrit par la figure 2.
Si le patient peut s’alimenter par la bouche, deux outils thérapeutiques sont applicables : les
conseils diététiques et les CNO enrichis en protéines ou en énergie, éventuellement associés à
des produits à texture spéciale.
La base des conseils diététiques qui peuvent être donnés par le pharmacien est simple : 1) les
patients doivent consommer selon leurs envies, 2) il est souhaitable de varier les repas pour
éviter la monotonie, source de restriction alimentaire, et 3) la personne âgée doit si possible
s’alimenter avec d’autres personnes, car la convivialité est fondamentale pour bien
s’alimenter. En pratique, de manière plus détaillée, les conseils diététiques sont des conseils
de bon sens (tableau 1). L’enrichissement de l’alimentation quotidienne est aisé, de même que
les conseils concernant la texture de l’alimentation : un patient qui fait des fausses routes aux
liquides doit si possible utiliser une alimentation épaissie, un patient qui a des problèmes de
dentier peut à l’inverse mieux tolérer des apports alimentaires plutôt liquides. Une
modification de la température des aliments peut être favorable. Il faut savoir que la
sensibilité du goût baisse avec l’âge, et par conséquent, pour obtenir les mêmes sensations que
chez les personnes plus jeunes, il peut être nécessaire pour les personnes âgées de consommer
des aliments plus sucrés ou plus salés. Enfin, bien mâcher, fractionner les prises alimentaires
et les prises de liquides, centrer le patient sur le repas du milieu de journée, éventuellement
manger un peu avant le coucher, voire la nuit sont des conseils aisément acceptables. Enfin,
d’une façon générale, l’entourage joue un rôle majeur pour aider la personne âgée dénutrie à
suivre les conseils, et doit être contacté.
L’usage du complément nutritionnel oral
Les CNO sont mis en œuvre lorsque les conseils diététiques sont insuffisants ou inopérants.
Ils sont enrichis en protéines et énergie. Leur intérêt est bien démontré, en particulier chez les
personnes âgés, mais leur prix reste souvent un obstacle important, d’où l’intérêt d’une prise
en charge sociale. En France, ils sont pris en charge pour toutes les dénutritions. Ils sont
présentés de manières très différentes, afin de répondre à des problèmes divers : formes
liquides en bouteilles (produits lactés, soupes, jus de fruits), crèmes en cups, repas mixés en
barquettes, gâteaux enrichis. Les formules sont équilibrées entre énergie et protéines, les
apports protéiques vont jusqu’à 20 g par unité, et les apports énergétiques jusqu’à 350
kilocalories par unité. Des bouteilles à 250 ml sont sur le marché, mais des volumes plus
faibles sont en développement. Il existe des produits plus spécifiques destinés par exemple
aux patients diabétiques, aux patients porteurs d’escarres, ainsi que des poudres de nutriments
destinées aux enrichissements (poudres de protéines, poudres de glucides complexes), et enfin
des eaux gélifiées et des poudres épaississantes pour les patients ayant des troubles de
déglutition aux liquides.
Les modalités d’utilisation des CNO doivent être bien connues par le pharmacien, qui est en
première ligne pour informer et conseiller les patients âgés :
- le nombre d’unités quotidiennement consommées est d’au moins une, et si possible deux.
- ils ne doivent jamais se substituer au repas (sauf pour les plats mixés), mais s’y rajouter
- pour ne pas couper l’appétit des patients, ils doivent être pris à la fin d’un repas ou à une
distance minimale de 2 h, par exemple en collation
- une unité peut être fragmentée en plusieurs prises durant la journée, mais ne doit pas être
réutilisée d’un jour sur l’autre (problème d’hygiène)
- il est nécessaire de les agiter avant usage
- ils peuvent être utilisés +/- frais ou chauds, en fonction de la tolérance de la personne.
- il est très important de varier les goûts, qui sont nombreux sur le marché (vanille, chocolat,
café, fruits des bois, etc…), afin d’éviter la monotonie, mais les CNO existent aussi avec un
goût neutre, ce qui permet de les incorporer à des aliments dans un but d’enrichissement. Pour
les patients qui n’ont pas de trouble de déglutition, il est intéressant de varier aussi les
textures.
Enfin, si les apports per os sont impossibles ou insuffisants malgré les conseils diététiques et
les CNO, il ne reste comme solution que la nutrition artificielle, représentée par la nutrition
entérale et la nutrition parentérale. Ces techniques fortement médicalisées dépendent pour une
bonne application à domicile des conditions de prise en charge financière par les organismes
sociaux. La nutrition entérale consiste en l’apport de nutriments (sucres, graisses, protéines,
vitamines, sels minéraux et oligoéléments) sous forme liquide par une sonde placée dans le
tube digestif. C’est le plus souvent une sonde nasogastrique ou une sonde de gastrostomie (qui
réalise un abord gastrique direct). C’est la technique de nutrition artificielle la plus simple, la
moins coûteuse et surtout la moins dangereuse pour le patient. La nutrition parentérale
consiste en l’apport de nutriments par voie veineuse, et elle est utilisée quand la nutrition
entérale n’est pas possible (par exemple si le tube digestif est trop court ou obstrué, ou en cas
de diarrhée sévère) ou refusée par le patient. Elle est à fort risque d’infection, et par
conséquent ne devrait être appliquée qu’en dernier recours.
En résumé, et sachant qu’on n’arrive pas à vivre sans manger ni sans un apport suffisant en
nutriments, la prise en charge de la dénutrition des personnes âgées est impérative, en premier
lieu pour améliorer leur santé, mais aussi du point de vue de l’économie de santé, car le coût
de la dénutrition est très élevé.
L’objectif est si possible de participer à la guérison des patients, avec une amélioration qui
peut être physique, mais aussi psychologique. Dans tous les cas, la qualité de vie des
personnes âgées dénutries doit être améliorée par la prise en charge nutritionnelle. Par
conséquent, si par exemple le bénéfice est faible pour un patient en fin de vie, le support
nutritionnel est à discuter selon la qualité de vie qu’il apporte. Dans ce cadre, une discussion
multidisciplinaire Pharmacien-Médecin est souvent bénéfique.
Enfin, le Pharmacien et l’entourage ont un rôle particulièrement important chez les personnes
âgées, que ce soit pour repérer comme pour conseiller les patients dénutris.
Figure 1 : Les deux formes de la dénutrition : le marasme avec une amyotrophie diffuse, une
baisse du poids (P) et de l’Indice de Masse Corporelle (IMC), et le kwashiorkor, ou
dénutrition avec oedèmes déclives, qui est une forme plus grave de dénutrition, avec un poids
et un IMC qui peuvent être stables, voire augmentés à cause du stockage hydrique.
Marasme
Kwashiorkor
P
IMC
P
ou stable
IMC ou stable
1 / 7 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !