MISE AU POINT Les génériques en cardiologie : le point de vue du cardiologue Generics in cardiology: the cardiologist’s point of view Y. Juillière*, F. Claudot** L * Professeur des universités en cardiologie et maladies vasculaires, faculté de médecine de Nancy et expert en cardiologie près la cour d’appel de Nancy. ** Avocat au barreau de Nancy, maître de conférence de médecine légale à la faculté de médecine de Nancy, responsable des affaires juridiques du CHU de Nancy. a médecine a énormément progressé au cours des 20 dernières années, notamment dans le domaine de la cardiologie. La mortalité cardiovasculaire n’est plus la première cause de mortalité en France (1). Ce succès est le fait de multiples facteurs, au premier rang desquels on trouve la prise en charge des facteurs de risque mais aussi les prescriptions médicamenteuses. La cardiologie est en effet la première discipline ayant bénéficié de la médecine fondée sur les preuves (evidence-based medicine) et des résultats des grands essais cliniques ayant démontré la diminution de la mortalité totale grâce à une thérapeutique médicamenteuse bien conduite, notamment dans l’infarctus du myocarde ou dans l’insuffisance cardiaque (2). Toutefois, cette efficacité a un coût qui s’avère extrêmement élevé pour les organismes de santé, les médicaments étant onéreux et prescrits à des patients qui vivent plus longtemps. C’est dans ce contexte économique que s’est développé et généralisé le principe de la prescription générique, initialement envisagée pour les pays pauvres mais qui s’est rapidement étendue aux pays développés. Les génériques n’ont qu’un seul intérêt : celui de faire économiser de l’argent à la branche “médicaments” des systèmes de sécurité sociale (3). Récemment, des crises convulsives survenues avec des génériques de médicaments antiépileptiques (4, 5) ont conduit l’Afssaps à recommander la prudence en cas de substitution (6). À côté de l’unique intérêt économique, la question qui se pose est de savoir si les génériques peuvent être à l’origine d’une moindre efficacité en cardiologie. Définition Le générique est défini comme étant la copie identique ou équivalente du produit princeps, c’est-à-dire du produit de marque qui a fait ses preuves au cours 28 | La Lettre du Cardiologue • n° 430 - décembre 2009 d’études animales puis au cours d’essais randomisés et qui, au final, a obtenu une autorisation de mise sur le marché. Il existe trois types de générique (7) : – le générique “copie” : même molécule, même quantité, même forme galénique, même excipient et souvent même fabricant ; – le générique “essentiellement similaire”, où l’excipient change, mais pas le principe actif ni la forme galénique, et qui doit être bioéquivalent à l’original ; – le générique “assimilable”, où la forme galénique change (gélule à la place de comprimé) et où la forme chimique du principe actif change souvent aussi (sel au lieu de base). De ce fait, il existe, pour un même principe actif, de multiples génériques, sous forme de comprimés ou de gélules, parfois associés à des excipients extrêmement variables. Fondement pharmacologique Sur le plan pharmacologique, le générique peut soulever plusieurs problèmes (8). Le principe actif, tout d’abord, qui représente le produit chimique à la base des actions pharmacologiques, peut être modifié de plusieurs façons : un changement chimique dans sa cascade de formation peut modifier son activité lors de sa production, lors de son association avec un excipient différent de l’excipient habituel, ou lors de l’utilisation d’une forme galénique différente. Bien entendu, on n’évoquera pas ici les problèmes liés à une contrefaçon toujours possible et qui peuvent concerner tout médicament. L’excipient peut être dit “à effet notoire”, responsable à lui seul d’effets indésirables (digestifs, cutanés, allergiques, etc.) et donc d’une moins bonne tolérance. Il existe de très nombreux excipients pour un même principe actif. Un risque d’interaction propre Points forts »» Le générique n’est pas toujours une copie exacte du médicament princeps. »» Des variations de bioéquivalence sont tolérées dans des marges fixées par les autorités de santé. »» La substitution peut être pratiquée entre deux génériques et au profit d’un générique plus cher. »» Une étude bénéfice/risque prenant en compte la baisse du prix du générique mais aussi le coût des effets indésirables et collatéraux est nécessaire. entre le principe actif et l’excipient est toujours possible. Cette interaction peut être responsable d’effets indésirables, voire d’une diminution de l’efficacité. On y associera les interactions qui peuvent également exister avec l’agent de cohésion parfois utilisé pour stabiliser l’association de l’excipient avec le produit chimique, et qui peut induire des effets indésirables, parfois simplement du fait d’une incompatibilité avec l’excipient et non le principe actif. La forme galénique peut jouer un rôle majeur. En ce qui concerne le générique, il est admis que toutes les formes galéniques orales à libération immédiate sont considérées comme des formes pharmaceutiques similaires. On comprend alors mal la nécessité de choisir un comprimé plutôt qu’une gélule ou l’inverse, si les deux formes sont similaires en termes d’efficacité. En matière de générique, l’efficacité similaire est déterminée par l’existence d’une bioéquivalence comparable, indépendamment de la forme galénique choisie. La bioéquivalence est l’équivalence des biodisponibilités des médicaments comparés. La biodisponibilité se caractérise par la mesure de la vitesse et de l’intensité de l’absorption corporelle à partir d’une forme galénique, d’un produit actif ou d’une fraction thérapeutique d’un médicament. Pour établir une bioéquivalence, il est nécessaire de réaliser une étude de pharmacocinétique en mesurant la concentration sérique maximale (Cmax), le temps nécessaire à l’obtention de la concentration maximale (Tmax), et l’aire sous la courbe (AUC) fondée sur la concentration sérique en fonction du temps. Des variations sont tolérées dans les intervalles de confiance de ces paramètres, dans des limites définies par les autorités de santé (9) [figure]. Effets indésirables et effets collatéraux Les médicaments génériques ont les mêmes effets indésirables que les médicaments princeps. Mais ils peuvent en développer d’autres. Les excipients “à effet notoire” ont des effets indésirables, qui sont la plupart du temps banals, souvent d’ordre digestif. Mais il peut s’agir d’autres effets (allergiques, dermatologiques, etc.) qui, parfois, peuvent s’avérer graves (10). L’efficacité peut aussi être mise en cause dans certains cas. Cela a été rapporté pour les médicaments antiépileptiques pour lesquels la marge thérapeutique est étroite, avec un risque élevé de sortir facilement de cette marge pour des variations très faibles de concentration sérique, occasionnant alors une perte d’efficacité et la survenue de crises convulsives (4). Ces variations d’efficacité sont bien connues avec les médicaments génériques qui ne doivent garantir, pour être commercialisés, qu’une biodisponibilité similaire à la forme princeps dans une marge de manœuvre prédéfinie. Le laboratoire qui envisage de commercialiser un générique va effectuer des études de bioéquivalence en se mettant dans les conditions les plus simples : sujets jeunes, souvent masculins, indemnes de toute pathologie (11). Le prescripteur utilise le générique dans une tout autre population, surtout en cardiologie : patients âgés, souvent féminins, souffrant non seulement de la pathologie à l’origine de la prescription mais aussi de plusieurs autres pathologies induisant une polymédication qui va générer un risque d’interaction médicamenteuse avec le générique (12, 13). L’utilisation en pathologie et les associations médicamenteuses n’ont alors jamais fait l’objet d’études antérieures avec le générique, et, notamment, avec sa nouvelle forme galénique ou son nouvel excipient. En cardiologie, il a bien été montré, il y a plus de 15 ans, que certains génériques du vérapamil pouvaient entraîner une variation très importante de pharmacocinétique chez les sujets âgés par rapport aux sujets jeunes, avec à la clé un risque accru d’effets indésirables, dans ce cas potentiellement à risque de torsade de pointe par allongement de l’espace QT (14). À l’ensemble de ces remarques, il faut ajouter que montrer une bioéquivalence chez un sujet sain ne permet pas de présager avec certitude du maintien d’une efficacité au long cours dans le cadre d’un traitement chronique chez un patient. La littérature récente s’est étayée d’une méta-analyse portant sur les traitements à visée cardiovasculaire (15) et leur comparaison aux génériques, concluant qu’il n’y a pas d’élément pouvant laisser penser que les génériques seraient moins efficaces que les médicaments princeps. Pour arriver à cette conclusion, après avoir individualisé 47 études dont 38 randomisées, les auteurs regroupaient 30 études comparatives Mots-clés Générique Princeps Bioéquivalence Loi de substitution Surcoût Highlights »» A generic is not always an exact copy of the brand name drug. »» Variations in bioavailability are tolerated within margins defined by health authorities. »» S u b s t i t u t i o n m a y b e performed between two generics and for the most expensive generic. »» A benefit/risk study taking into account both the low price of the generic and the cost of adverse or collateral effects is required. Keywords Generic Brand name drug Bioavailability Substitution law Overexpenditure La Lettre du Cardiologue • n° 430 - décembre 2009 | 29 MISE AU POINT Les génériques en cardiologie : le point de vue du cardiologue Principe et systèmes de prescription Bioéquivalence 80 % 100 % 125 % (Intervalles tolérés [– 20 % /+ 25 %] de bioéquivalence proposés par l'EMEA) Figure. Intervalles de confiance tolérés pour une bioéquivalence selon l’Agence européenne du médicament (EMEA). Les exemples en couleur montrent des résultats de bioéquivalence satisfaisants (vert) et non satisfaisants (rouge). testant 8 classes médicamenteuses (de 1 à 10 études par classe) très différentes les unes des autres (diurétiques, bêtabloquants, calcium bloquant, antiplaquettaires, IEC, statines, alpha-bloquants, anticoagulants), pour un total de 837 patients avec une variation de 23 à 242 patients par étude. Le petit nombre d’études concernées pour un faible nombre de patients prenant en compte des classes médicamenteuses très différentes rend cette métaanalyse très discutable, peut-être pas méthodologiquement mais en tout cas sur le message qu’elle souhaite véhiculer. Enfin, il ne faut pas oublier les effets collatéraux liés à la pratique de plus en plus courante de la substitution de génériques aux produits princeps. Les patients atteints de pathologie chronique, souvent âgés, habitués à recevoir un médicament, se sentent perdus face à une modification compliquant le nom du médicament, et parfois face à plusieurs substitutions au sein d’une même liste de médicaments, la plupart du temps assez longue. Des complications auxquelles on peut s’attendre avec ces pratiques peuvent survenir : erreurs de prises médicamenteuses, altération de l’observance, mélange de plusieurs produits identiques mais que les patients n’identifient pas, etc. Le corollaire se traduit finalement par des frais médicaux supplémentaires, voire des hospitalisations avec un surcoût facilement imaginable. 30 | La Lettre du Cardiologue • n° 430 - décembre 2009 Pour favoriser la prescription des génériques, le système mis en place par la politique de maîtrise des dépenses de santé réside dans le droit de substitution qui a été accordé aux pharmaciens, puis à l’incitation à substituer dont ils bénéficient. La possibilité de remplacer un médicament par un autre a toujours existé, mais sous une autre appellation et à certaines conditions (l’exception du contrôle technique de la prescription). Le Code de santé publique (CSP) a repris le principe de cette exception en ajoutant une autorisation pour le pharmacien à substituer la spécialité prescrite par une spécialité du même groupe générique, à condition toutefois que le prescripteur n’ait pas exclu cette possibilité pour des raisons particulières tenant au patient, par la mention manuscrite “non substituable”. Le pharmacien peut non seulement substituer un médicament princeps par un médicament générique, mais également des médicaments génériques entre eux, à condition qu’ils appartiennent à un même groupe générique (article L. 5125-23 du CSP). Lorsqu’on substitue un générique à un princeps, on peut comprendre que cela revienne effectivement moins cher à l’Assurance maladie en termes de dépense immédiate, mais la légitimité de la substitution de deux génériques entre eux est plus difficile à comprendre en termes d’économie. D’après le Code de la Sécurité sociale (CSS), le prix du générique substituable par le pharmacien ne doit pas entraîner une dépense supplémentaire supérieure à la dépense qu’aurait entraînée la délivrance de la spécialité générique la plus chère du même groupe (article L. 162-16 du CSS). On remarque d’emblée que le prix de référence n’est pas le moins cher, mais le plus cher, ce qui conditionne le choix du médicament générique et offre toutes possibilités de substitution entre génériques selon des critères alors purement commerciaux. D’ailleurs, la mesure a gagné en importance à partir du moment où le pharmacien a été intéressé financièrement à la vente des génériques grâce à sa marge bénéficiaire. Aspects financiers Le prix du générique est en moyenne inférieur de 40 % à celui du médicament de marque. Les génériques ont ainsi permis d’économiser 1 milliard d’euros en 2006 puis la même somme en 2007 sur le remboursement des médicaments. Mais ces chiffres ne prennent aucunement en compte les effets indésirables induits par MISE AU POINT le générique et les frais occasionnés par leur prise en charge (16). À titre d’exemple, la prescription au long cours d’un générique peut faire économiser jusqu’à 10 € par mois de traitement, soit 120 € par an pour un patient. Si le patient présente un effet indésirable lié au générique ou commet une erreur de prise médicamenteuse et que cela conduit à une journée d’hospitalisation dans un service de médecine, soit un coût de 1 100 €, il faut qu’il suive son traitement pendant 10 ans pour qu’il y ait une économie effective ! Ou bien il faudra traiter 10 patients pendant 1 an en espérant qu’un seul de ces patients sera hospitalisé et que cette hospitalisation ne durera qu’un jour ! De ce fait, ce chiffre de 1 milliard est probablement à pondérer, pour peu qu’il demeure effectivement dans la case bénéfice après une réelle enquête de santé publique. Il convient également d’ajouter que certains génériques ont un prix de vente à peine inférieur à celui du médicament princeps, et parfois même supérieur. Une évaluation économique précise du rapport bénéfice/risque devrait être réalisée, afin que l’on puisse très clairement savoir si les efforts des uns et des autres (patients, médecins, pharmaciens) ont vraiment un sens (17). Conclusion Les génériques représentent une des pierres angulaires sur lesquelles est construite notre économie de santé, et leur prescription est fondée sur le principe de substitution. Les chiffres bruts laissent espérer un réel bénéfice. Mais aucune étude épidémiologique de santé publique évaluant le réel rapport bénéfice/ risque n’a été réalisée afin d’apporter des preuves tangibles. Il serait souhaitable que les pouvoirs publics financent une telle étude plutôt que d’imposer la substitution en génériques en attendant que survienne un effet indésirable grave. Pour terminer, un des systèmes de défense des génériques consiste à sous-entendre que les professionnels de santé émettant des doutes sur les génériques ou sur le principe de substitution sont des personnes liées à l’industrie du médicament par des conflits d’intérêt notoires (15). Si les conflits d’intérêt existent pour la plupart des experts et sont d’ailleurs de notoriété publique, ceux concernant les défenseurs des génériques sont probablement aussi importants et tout aussi notoires. ■ Références bibliographiques 1. Aouba A, Péquignot F, Le Toullec A, Jougla E. Les causes médicales de décès en France en 2004 et leur évolution (1980-2004). 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