Questions internationales Questions Un bilan de la présidence grecque de l’UE Le Moyen-Orient après les printemps arabes Zero Dark Thirty et la traque de Ben Laden La Pologne CANADA : 14.50 $ CAN M 09894 - 69 - F: 10,00 E - RD 3’:HIKTSJ=YVUUUX:?a@a@q@j@k"; N° 69 Septembre-octobre 2014 au cœur de l’Europe Prochain numéro : Les grands ports maritimes Questions internationales Conseil scientifique Gilles Andréani Christian de Boissieu Yves Boyer Frédéric Bozo Frédéric Charillon Jean-Claude Chouraqui Georges Couffignal Alain Dieckhoff Julian Fernandez Robert Frank Stella Ghervas Nicole Gnesotto Pierre Grosser Pierre Jacquet Christian Lequesne Françoise Nicolas Marc-Antoine Pérouse de Montclos Fabrice Picod Jean-Luc Racine Frédéric Ramel Philippe Ryfman Ezra Suleiman Serge Sur Équipe de rédaction Rédacteur en chef Serge Sur Rédacteur en chef adjoint Jérôme Gallois Rédactrices-analystes Céline Bayou Ninon Bruguière Secrétaire de rédaction Anne-Marie Barbey-Beresi Traductrice Isabel Ollivier Secrétaire Marie-France Raffiani Stagiaire Benoît Lerosey Cartographie Thomas Ansart Patrice Mitrano Antoine Rio (Atelier de cartographie de Sciences Po) Conception graphique Studio des éditions de la DILA Mise en page et impression DILA Contacter la rédaction : [email protected] Retrouver Questions internationales sur : Questions internationales assume la responsabilité du choix des illustrations et de leurs légendes, de même que celle des intitulés, chapeaux et intertitres des articles, ainsi que des cartes et graphiques publiés. Les encadrés figurant dans les articles sont rédigés par les auteurs de ceux-ci, sauf indication contraire. Éditorial V ingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin, quinze ans après son entrée dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), dix ans après son adhésion à l’Union européenne, où en est la Pologne ? Elle est désormais au cœur de l’Europe, et de l’Europe entendue au-delà même de l’Union. Les transformations qu’elle a connues et en large part initiées depuis la dissolution du pacte de Varsovie puis la chute de l’URSS sont considérables et, pour l’essentiel, positives. Dans son histoire multiséculaire et tourmentée, le dernier quart de siècle apparaît comme une renaissance, qui lui rend sa liberté, son identité, sa vitalité culturelle, sa souveraineté. Après avoir été tout au long du xxe siècle partagée ou dominée, s’être vu imposer durant des décennies un système soviétique qui la coupait de l’Europe occidentale et la soumettait à un régime despotique, la Pologne a repris une place pleine et entière dans le concert des nations, place qu’elle entend occuper activement. Ce sont ces transformations et leur bilan qu’explore le présent dossier. La Pologne est devenue l’un des grands de l’Union européenne, par sa taille, sa population, sa dynamique politique, sa croissance économique. Elle n’est pas – pas encore ? – membre de la zone euro, mais a vocation à s’y intégrer. Elle participe avec l’Allemagne et la France au « triangle de Weimar » qui reconnaît sa nouvelle influence. On peut donc considérer son appartenance à l’Union comme une réussite, qui a enraciné démocratie et droits de l’homme en son sein, accéléré la libéralisation de son marché et accru l’influence de sa diplomatie. C’est là cependant que les interrogations commencent. La Pologne a en effet choisi, avant même l’Union européenne, l’OTAN, le monde transatlantique, les États-Unis. Elle l’a fait pour des raisons sécuritaires, mais sans doute aussi pour équilibrer par l’appui sur les ÉtatsUnis la prédominance, du moins à l’époque, du couple franco-allemand en Europe. Ce faisant, elle contribuait à reconstituer la coupure entre l’Europe et la Russie, au lieu de travailler à développer un mécanisme de sécurité paneuropéen et de maintenir le climat de confiance qui a suivi la fin de la guerre froide. L’accord sur le projet américain de système antimissile en partie installé sur son territoire, la participation à la désastreuse guerre en Irak en 2003, la volonté d’intégrer l’Ukraine dans l’Union européenne et dans l’OTAN, au-delà de ce que beaucoup d’autres membres sont prêts à accepter, tout cela implique une logique de confrontation avec la Russie que ne semble pas pouvoir justifier la présence de l’enclave russe de Kaliningrad à sa frontière. La Pologne a même poussé le zèle pro-américain jusqu’à tolérer sur son sol des prisons clandestines de la CIA, ce qui lui a valu condamnation pour complicité de la part de la Cour européenne des droits de l’homme. Pour l’Europe, n’aurait-elle pas pu mieux faire ? Les rubriques récurrentes de Questions internationales ne quittent d’abord pas l’Europe, avec une étude de la récente présidence grecque de l’Union. Les « Regards sur le monde » se portent ensuite sur la problématique recomposition du Moyen-Orient après les « printemps arabes ». Si le renouveau du cinéma polonais est analysé dans le dossier, c’est un film américain, Zero Dark Thirty, objet de controverses autour de l’exécution de Ben Laden, qui nourrit « Questions internationales à l’écran ». Quant à la « Chronique d’actualité », elle traite d’un sujet d’une durable actualité, celui du sport professionnel et de ses enjeux économiques – thème international s’il en est. Questions internationales Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 1 N 69 SOMMAIRE o DOSSIER… La Pologne au cœur de l’Europe 4 Ouverture – La Pologne ou le phénix de l’Europe Serge Sur 11 Retour dans le concert des nations Georges Mink 24 La Pologne au sein de l’Union européenne Ewa Kulesza et Christian Lequesne 35 Les contraintes géopolitiques 48 Sécurité et politique de défense David Cadier Stanisław Parzymies 60 Les recompositions de la scène politique nationale © Fotolia / Katatonia Cédric Pellen 74 Vingt-cinq ans de transformations économiques Éric Brunat et Jacques Fontanel 2 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Regards sur le MONDE Regards sur la culture polonaise 87 La nouvelle scène artistique 90 Vers un renouveau du cinéma Et les contributions de Amélie Bonnet (p. 44), Lise Bourdeau-Lepage (p. 84), Dorota Dakowska (p. 57), Romain Su (p. 53), Jean-Charles Szurek (p. 71), et Amélie Zima (p. 33) Chronique d’ACTUALITÉ Le sport professionnel, un enjeu politique et économique en « trompe-l’œil » Jacques Fontanel Questions EUROPÉENNES 98 après les printemps arabes Anna Rochacka-Cherner Dorota Szeligowska 96 recomposition 105 La du Moyen-Orient La présidence grecque de l’Union européenne : entre réhabilitation et singularité Renaud Dorlhiac Xavier Hautcourt Les questions internationales à L’ÉCRAN Dark Thirty : 111 Zero polémiques autour du récit de la mort de Ben Laden Grégory Boutherin Documents de RÉFÉRENCE la Pologne martyre 118 De à la Pologne messie Adam Mickiewicz, Jules Michelet,Czesław Miłosz et Tadeusz Mazowiecki (extraits) Les questions internationales sur INTERNET 124 Liste des CARTES et ENCADRÉS ABSTRACTS 125 et 126 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 3 Dossier La Pologne au cœur de l’Europe La Pologne ou le phénix de l’Europe Vivre sa vie, l’un des premiers films de Jean-Luc Godard, s’ouvre par une parabole : prenez une poule, ôtez lui ses plumes, il reste la peau ; enlevez la peau, il reste les os ; retirez les os, il ne reste rien, il reste l’âme. La parabole peut devenir métaphore pour la Pologne. Non parce que Vivre sa vie conte l’histoire tragique d’une prostituée victime de son souteneur et que, selon le mot de Churchill, les petits États se conduisent comme des prostituées et les grands comme des gangsters, mais parce que cette grande nation a connu au cours de sa longue histoire d’immenses vicissitudes. Ne s’agit-il pas de l’un des seuls États européens, à la formation très ancienne, qui ait disparu pendant plus d’un siècle, avalé par des voisins plus grands que lui ? Puis ressuscité au début du xxe siècle, après la Première Guerre mondiale, avant de subir de nouvelles tribulations, territoriales et politiques, à nouveau partagé entre l’Allemagne nazie et l’URSS, déplacé et assujetti au camp socialiste après 1945, enfin appelé à redevenir lui-même à la suite de la Table ronde entre le pouvoir communiste et l’opposition démocratique au printemps 1989, de la chute du mur de Berlin et de la disparition du pacte de Varsovie ? Tribulations polonaises Au fond, l’histoire de la Pologne est celle d’un empire avorté qui s’est régénéré en devenant nation. Durant ses décennies, voire ses siècles de gloire sous la dynastie des Jagellon, aux xve et xvie siècles, l’ensemble polonais incorporait des nationalités, des cultures et des religions différentes, de la Baltique jusqu’à proximité de 4 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 la mer Noire, sous des monarchies guerrières. Mais les empires périssent, et la Pologne a péri plus vite que ses grands rivaux, Autriche, Prusse, Russie qui pour un siècle l’avaient partagée. La vocation dominatrice de l’ensemble, qui n’avait pas de frontières naturelles dans une Europe centrale ouverte à toutes les invasions, circulations, mélanges de populations, avait débouché sur la réalité de sa division et de son absorption. À la fragilité extérieure s’ajoutait l’instabilité intérieure, et le système de monarchie élective et féodale conduisait à l’anarchie polonaise. Jean-Jacques Rousseau pouvait bien écrire un projet de Constitution pour la Pologne, cherchant à concrétiser ses théories démocratiques, l’anarchie polonaise n’était pas un vain mot. Elle entraînait trois partages successifs et la disparition complète de la Pologne, d’abord au nom de sa sauvegarde, suivant la rhétorique classique des interventions, mélange d’hypocrisie et de cynisme. La disparition On lit, en effet, dans le préambule du premier traité de partage, signé à Saint-Pétersbourg le 25 juillet 1772 : « Au nom de la très Sainte Trinité, l’esprit de faction qui maintenait l’anarchie en Pologne y faisant craindre la décomposition totale de l’État, qui pourrait troubler les intérêts des voisins de cette république, altérer la bonne harmonie qui existe entre eux, et allumer une guerre générale, l’Autriche, la Prusse et la Russie […] avaient décidé […] de rétablir l’ordre dans l’intérieur de la Pologne, et de donner à cet État une existence politique plus conforme aux intérêts de leur voisinage. » On pourra adapter ce langage à certaines interventions contemporaines et, derrière des Saint-Pétersbourg Le Royaume de Pologne-Lituanie (vers 1400) Royaume de Pologne-Lituanie Source : G. Duby, Grand Atlas historique, Larousse, Paris, 1997 et F. W. Putzger, Historischer Weltatlas, Cornelsen, Berlin, 1995. Mer Baltique Territoire vassal Riga ORDRE TEUTONIQUE Zone d’influence de la Pologne-Lituanie Hambourg El be Vis tul e Varsovie Berlin SAXE Królewiec Dantzig ´ (Gdansk) Od er Minsk R O YA U M E D E POLOGNELITUANIE Rh Wrocław SAINT SILÉSIE EMPIRE Cracovie Prague ROMAIN BOHÊME GERMANIQUE MORAVIE Lublin Brno Dnie RUTHÉNIE R O YA U M E DE HONGRIE M O L D AV I E Belgrade VENISE VALACHIE Danube 500 km Saint-PétersbourgConstantinople L’Europe centrale et orientale (1740) Source : G. Duby, Grand Atlas historique, Larousse, Paris, 1997 et F. W. Putzger, Historischer Weltatlas, Cornelsen, Berlin, 1995. Possessions des Habsbourg d’Autriche SUÈDE Royaume de Prusse Riga Limites du Saint Empire romain germanique Mer LITUANIE Baltique Limite entre la Russie et l’Empire ottoman La Pologne aujourd’hui Königsberg Vis tul e Varsovie Berlin SAXE Rh Dresde in FRANCE Bamberg Minsk Dantzig (Gdansk) Hambourg El be BRANDEBOURG Paris Mer Noire Bucarest Wrocław SILÉSIE Prague FRANCONIE BOHÊME MORAVIE SOUABE Brno Stuttgart Vienne BAVIÈRE Munich AUTRICHE Buda RUSSIE R O YA U M E DE POLOGNE Lublin Cracovie GALICIE Kiev Dnie Lwów (Lviv) Dnie pr str BUCOVINE Pest MOLDAVIE HONGRIE CRIMÉE Rhôn e EMPIRE OTTOMAN Venise R É P. D E VENISE Belgrade VALACHIE Danube Bucarest Mer Noire 500 km Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014 Rhôn Venise pr str e Pest Dnie Lwów (Lviv) Vienne Buda Kiev VOLHYNIE in Paris K H A N AT D E LA HORDE D’OR Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014 La Pologne aujourd’hui Constantinople Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 5 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe références surannées, on trouvera des réalités modernes. En l’occurrence, derrière les modalités du partage, le principe de l’équilibre qui imposait des compensations que s’accordaient chacun des bénéficiaires, mais qui les renforçait par rapport à l’extérieur, dans l’impuissance ou l’indifférence de l’Angleterre ou de la France, pourtant intéressées à des degrés divers. Ce prétendu rétablissement de l’ordre conduisait la Pologne à son dépeçage. Alors, dans Ubu roi, au début du xxe siècle, Alfred Jarry notait : « L’action se déroule en Pologne, c’est-à-dire nulle part. » Reconstitué à la fin de 1918, l’État polonais était à nouveau un champ d’affrontements diplomatiques et militaires en Europe jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et son sort devenait l’un des points centraux de la conférence de Yalta. Mollement défendue par Roosevelt et Churchill, divisée entre deux gouvernements extérieurs et rivaux, d’obédience occidentale et communiste, la Pologne tombait dans le camp socialiste lorsque Staline l’obligeait à refuser le plan Marshall, source pour elle d’une frustration dont les conséquences sont sensibles jusqu’à nos jours. Le communisme soviétique pouvait bien lui imposer sa domination politique et militaire, collectiviser son économie, disposer d’une bureaucratie acquise à son idéologie ou servant ses intérêts, la société civile demeurait sourdement hostile, et l’Église catholique, si puissante sur les esprits, attendait son heure. Elle est venue avec un pape polonais, Jean-Paul II, exploitant avec une grande habilité l’épuisement du système soviétique et les mécontentements ouvriers incarnés par Lech Wałęsa. Est alors née la nouvelle Pologne, qui entend redevenir un acteur en Europe. L’acteur, le sujet, l’objet, le champ Dans les relations internationales, les États peuvent être des acteurs, des sujets, des objets ou enfin se réduire à des champs. Ce répertoire est aussi une hiérarchie fondée sur leurs capacités respectives. Les acteurs sont autonomes, ils jouent leur partition, formulent leurs règles, définissent leurs intérêts et les servent. Les sujets existent, on doit en tenir compte, ils doivent consentir, mais enfin ils sont soumis, ils obéissent à des normes, ils s’en font même une vertu – et 6 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 parfois il leur faut accepter que ces normes soient violentées par les acteurs, qui ont tendance à les plier à leur interprétation souveraine, voire à exporter les leurs. Les objets sont inertes, on ne les écoute pas, on ne tient pas compte de leurs avis, soit qu’on les récuse comme illégitimes, soit que leurs voix ne soient pas audibles. Lorsque les États deviennent champs, leur démembrement est en cours, ils sont au minimum défaillants. Leurs autorités publiques internes sont ou bien impuissantes ou bien rejetées, souvent les deux. Il leur faut se métamorphoser sous la pression extérieure ou disparaître. On trouve aujourd’hui nombre d’exemples de ces diverses positions. Positions, en effet, et non statuts, parce qu’elles sont évolutives et que leurs ressorts sont multiples aussi bien que précaires, comme ceux de la puissance qui les fonde. La Pologne ainsi a connu ces différentes situations. Acteur européen au début de son histoire, elle a progressivement été assujettie avant d’être l’objet des partages qui en ont fait un champ d’affrontements et de batailles, un espace que parcouraient les conquérants du moment. Lors même qu’on l’a rétablie comme sujet, en 1919 ou en 1945, son sort a été au départ celui d’un objet dont des vainqueurs réglaient le sort. Elle a été durant l’entre-deuxguerres un acteur instable, flottant comme son territoire, par exemple plutôt pro-allemand au moment de Munich, et surtout très anti-tchèque. Le jeu de l’homme fort de l’époque, le colonel Beck, a été d’un machiavélisme voué à l’échec, comme l’est généralement le machiavélisme. Sous domination soviétique, la Pologne a été sujet et a par exemple participé à l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 au nom du pacte de Varsovie, aux côtés de l’URSS et d’autres séides. C’est dire que l’on ne peut imputer les tribulations polonaises à la seule avidité de ses voisins. Elles tiennent à un ensemble de raisons de nature diverse. Géopolitiques avec un territoire ouvert, sans frontières naturelles et longtemps humainement mélangé, en toute hypothèse très difficile à défendre. Situation qui n’ôte rien à la valeur militaire des Polonais, qui se sont illustrés dans de nombreux conflits. Soldats fidèles de la Grande Armée sous Napoléon, combattants courageux de la Première Guerre mondiale, aviateurs Les trois partages de Lelas troPologne (1772, 1793 et 1795) is partages de la Polog Saint-Pétersbourg ne, 1772-17 95 Source : G. Duby, Grand Atlas historique, Larousse, Paris, 1997 et F. W. Putzger, Historischer Weltatlas, Cornelsen, Berlin, 1995. Pskov LIVONIE Riga Mer Baltique Dantzig (Gdansk) Minsk be Neisse ssi e Ru stu Kiev Lublin Dnie Cracovie GALICIE Lwów (Lviv) RUTHÉNIE MORAVIE Brno Vienne 1772 1793 Varsovie Wrocław BOHÊME Munich Brest le SILÉSIE e in Au tri ch Rh Pr us se r SAXE R O YA U M E DE PRUSSE Vi Ode Berlin Partages : EMPIRE DE RUSSIE Stettin AUTRICHE 1795 Dnie str BUCOVINE Buda Odessa ROYAUME DE HONGRIE Pest CRIMÉE EMPIRE D’AUTRICHE La Pologne après le deuxième partage (1793) La Pologne aujourd’hui Belgrade Mer Noire Bucarest Danube 500 km Saint-Pétersbourg La disparition de la Pologne (XIXe siècle) Constantinople Duché de Varsovie (1807-1814) SUÈDE Congrès de Vienne (1815) : Riga Mer Royaume de Pologne attribué au Tsar Baltique Dantzig (Gdansk) Posnanie restituée au roi de Prusse Königsberg Ville libre, annexée par l’Autriche (1846) Minsk be Oder El Berlin EMPIRE ALLEMAND Rh in Paris Rh ô Munich E M P I R E Configuration des EMPIRE RUSSE Wrocław SILÉSIE BOHÊME ne tul e Varsovie 3 empires (en 1914) La Pologne aujourd’hui Kiev Lublin Prague Stuttgart FRANCE Vis SAXE Dresde pr Cracovie Dnie Lwów (Lviv) GALICIE MORAVIE Brno Dnie pr str Vienne AUTRICHE Odessa Buda Pest HONGRIE CRIMÉE EMPIRE D’AUTRICHE-HONGRIE Source : G. Duby, Grand Atlas historique, Larousse, Paris, 1997 et F. W. Putzger, Historischer Weltatlas, Cornelsen, Berlin, 1995. Belgrade Raguse Mer Noire Bucarest Danube 500 km Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014 El Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014 Niémen Vilnius Königsberg EMPIRE Constantinople Questions internationales n 69 – Septembre-octobre 2014 o 7 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe défendant Londres lors de la bataille d’Angleterre en 1940, participant au débarquement en Normandie le 6 juin 1944, ils ont souvent servi les intérêts d’autres puissances au nom des leurs, sans en tirer la reconnaissance qu’ils pouvaient attendre. Raisons intérieures également, qui tiennent aux divisions de la société polonaise. Envahie en 1939, la Pologne est devenue pour l’Allemagne nazie un champ d’extermination, notamment de la plus nombreuse et de la plus brillante communauté juive d’Europe. Mais un certain antisémitisme polonais s’est aussi manifesté sous le communisme. L’âme Même au plus profond de son démembrement, de son inexistence étatique, l’âme de la Pologne n’a jamais disparu. C’est ce qui a permis sa renaissance. Cette âme nationale s’est manifestée de diverses manières. Des insurrections épisodiques. La culture, et les intellectuels polonais, littéraires, scientifiques, ont toujours occupé en Europe une place de choix, comme les artistes. L’Église catholique, religion majoritaire qui a protégé l’identité polonaise, un peu à l’instar de ce qu’elle a réalisé en Irlande, nation elle aussi durablement assujettie. Ses soldats, comme on vient de le rappeler, et la résistance polonaise à l’occupation allemande durant la Seconde Guerre mondiale n’a pas été symbolique. Sa diaspora, répandue en Europe et aux États-Unis, où elle demeure consciente et active. Les liens avec la France sont les plus ambigus, parce que les Polonais d’origine, nombreux et divers, intellectuels, guerriers ou mineurs, juifs, catholiques ou agnostiques, se sont fondus dans le creuset national et y ont rempli des fonctions illustres, sans esprit communautaire, sans devenir un lobby particulier. Pas de meilleur symbole de cette survivance de l’âme polonaise et de ces liens avec la France que Frédéric Chopin, fils d’un Français et musicien polonais, mais compositeur parisien, ou Marie Sklodowska-Curie, double prix Nobel en physique et en chimie. C’est que la cause polonaise a suscité au xix e siècle une sympathie particulière en France. On se souvient de l’interjection à la fois nationale et républicaine, « Vive la Pologne, 8 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Monsieur ! », jetée à Paris, en 1867, au tsar Alexandre II par Charles Floquet, futur dignitaire de la iiie République. Sous la monarchie, des alliances matrimoniales avaient rapproché de façon intermittente les deux royaumes, mais sans lendemains durables. Napoléon avait recréé un grand-duché de Varsovie, sans aller jusqu’à une véritable restauration étatique. La France s’est en revanche fait l’avocat de la Pologne lors du traité de Versailles, puis l’a accompagnée dans sa lutte contre les assauts bolcheviques dans les années qui ont suivi, campagne durant laquelle s’est illustré le capitaine Charles de Gaulle, instructeur et théoricien. En 1939, c’est pour répondre à l’agression de l’Allemagne contre la Pologne que la France entre dans le second conflit mondial aux côtés du Royaume-Uni, premier à déclarer la guerre. La défaite et quatre ans d’occupation en sont le produit, mais la France n’en a pas tiré de bénéfice moral auprès de la Pologne, qui lui a longuement reproché son inaction militaire initiale face à la débâcle du pays doublement envahi, par l’Allemagne et l’URSS. La Pologne entre ambitions et frustrations Il est nécessaire de garder présentes à l’esprit ces blessures de l’histoire et leurs perceptions contemporaines dans la nouvelle Pologne. Elle est membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis 1999 et de l’Union européenne depuis 2004. Elle a su tirer profit de cette double appartenance, qui lui permet d’aspirer à la fois à la sécurité otanienne et à la prospérité de l’Union. Elle est devenue acteur des deux organisations, et un acteur qui veut pleinement jouer son rôle, à la fois périphérique, puisqu’elle est à la frontière actuelle des deux organisations, et central, parce qu’elle entend bien exercer son influence au-delà, être l’avocat, le mentor, voire le protecteur, des nations d’Europe orientale qui voudraient les rejoindre. Ce pays de 38 millions d’habitants et de plus de 300 000 km² aspire à être considéré comme un des grands de l’Europe et mène une diplomatie entreprenante et active, comme s’il avait du temps à rattraper. Le Triangle de Weimar avec l’Allemagne et la France en porte témoignage. Au fond, derrière la renaissance d’une nation et d’un État polonais autonomes et vigoureux apparaît le fantôme de la puissance qui un temps domina l’Europe centrale, orientale, voire baltique. L’Occident, l’OTAN, l’Union européenne Il est intéressant de noter que l’appartenance à l’OTAN a précédé l’entrée dans l’Union, voire qu’elle l’a accélérée. Au départ, cette entrée dans l’OTAN de la Pologne, et des pays baltes notamment, n’était pas prévue parce qu’aucune grande puissance ne souhaitait humilier une Russie affaiblie et qui ne représentait pas une menace. Elle a résulté d’un lobbying efficace de la Pologne ellemême, qui entendait obtenir la garantie d’une protection américaine en même temps que rentrer dans la grande alliance occidentale, marque d’un choix passionné pour l’Occident. Ainsi, le pays hôte du pacte de Varsovie, organisation directement anti-OTAN, passait avec armes et bagages de l’autre côté. Il est vrai que les conséquences en étaient plus diplomatiques et stratégiques qu’internes, ce qui n’est pas le cas de la participation à l’Union européenne, longtemps attendue et préparée par étapes. Cette participation implique, en effet, une transformation profonde du pays, qui a dû en quelques années organiser une transition politique – du communisme au pluralisme –, économique – du collectivisme à l’économie de marché – et juridique – absorber un demi-siècle de droit de l’Union, alors que les anciens membres ont pu le faire de façon très étalée. La Pologne a vécu ces choix comme complémentaires, ce qui peut être discuté. Les principes de l’Union européenne sont ceux de la réconciliation, elle a vocation à accueillir en son sein des pays en paix avec eux-mêmes et en paix avec leurs voisins. La Pologne n’a sans doute pas de griefs à l’égard des autres membres de l’Union, ce qui n’est pas le cas à l’égard de la Russie. L’Union européenne a toujours cherché à entretenir avec l’URSS, puis la Russie, des relations apaisées, à la fois en raison de ses valeurs et de son inexistence militaire. Nombre de ses membres participent certes à l’OTAN, mais leur participation remonte à l’époque de la guerre froide, et l’OTAN est une organisation de guerre froide. On aurait donc pu escompter que les ruptures déchirantes de la décennie 1990 allaient permettre une reconstruction paneuropéenne de la sécurité européenne, dépassant les antagonismes du passé au profit d’un système consensuel sur le modèle de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), dont le rôle dans la fin de l’affrontement Est-Ouest avait été considérable. Choisir l’OTAN plutôt que la CSCE, devenue Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), était accepter le risque de la confrontation au lieu de la réconciliation, choix fondateur de l’Union européenne avec la coopération franco-allemande, voire, dans le cas de certains milieux en Pologne, souhaiter la confrontation. La confrontation, c’est la méfiance à l’égard de la Russie, dont l’objet n’apparaît pas clairement aux observateurs extérieurs. C’est aussi risquer de se mettre en porte-à-faux par rapport à l’Union européenne. On l’a mesuré, par exemple, lorsque, pourtant fortement subventionnée par l’Union, la Pologne a choisi des avions F-16 américains plutôt que des avions européens. On l’a surtout constaté lorsque, avant même son entrée dans l’Union européenne, mais alors que celle-ci était décidée, le pays a choisi de soutenir l’intervention armée des États-Unis en Irak et de la coalition qui la suivait, contre la position fortement affirmée de l’Allemagne et de la France. Le secrétaire à la défense américain, Donald Rumsfeld, pouvait alors ironiser sur « la Vieille Europe », celle des membres fondateurs, opposée à la « Nouvelle Europe », celle des nouveaux membres. Bref, le choix polonais était un choix transatlantique, et même un choix américain. La Pologne se vit comme la pointe avancée d’un Occident dont les États-Unis seraient le leader naturel, et non comme un membre de l’Union pouvant contribuer à l’organisation d’un nouveau pôle international ayant ses intérêts et valeurs propres. La vitalité intellectuelle et culturelle de la Pologne est indéniable. Mais son développement rapide, sa stabilité politique, la modernisation de sa société, sa laïcisation sont surtout le produit de son appartenance à l’Union. Une démographie déclinante obère, en outre, sa dynamique, comme celle de nombreux pays européens. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 9 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Le syndrome de l’enfant battu Pourquoi ces choix, qui peuvent sembler à contrecourant des intérêts de l’Union et de ceux mêmes de la Pologne, au moins à long terme ? À première vue, trois hypothèses peuvent être envisagées. Dans la première, le pays serait un objet, un instrument d’un grand jeu défini ailleurs, c’està-dire aux États-Unis. L’ouvrage de Zbigniew Brzezinski, Le Grand Échiquier 1, oriente en ce sens : dans une logique géopolitique et géostratégique, il pose que la maîtrise de l’Europe passe par l’ensemble polono-ukrainien, et donc que pousser la Pologne à développer son influence en Ukraine est une clef pour une durable domination américaine, avec le mérite accessoire de préempter l’autonomie stratégique de l’Union à l’égard de la Russie. La deuxième hypothèse voit une Pologne offensive par elle-même, attachée à réparer ce qu’elle considère comme les injustices de l’histoire, à rétablir son ancienne prédominance dans l’espace de l’Europe orientale et baltique, à repousser la Russie le plus loin possible à l’Est. La troisième est plus défensive : c’est le syndrome de l’enfant battu, qui redoute un retour d’une Russie frustrée, qui craint qu’une Ukraine incertaine et flottante ne le facilite, qui estime que sans le développement concomitant de ses voisins le sien propre est menacé. Ces trois hypothèses sont plus cumulatives qu’alternatives, et la politique étrangère polonaise peut emprunter aux trois en fonction des domaines et des circonstances. Il est entre les trois un point commun, qui est la méfiance à l’égard de la Russie, alors qu’historiquement la Pologne n’a pas moins souffert de l’agressivité allemande, même si le massacre de Katyń demeure dans toutes les mémoires. Staline – encore un mauvais calcul de sa part – aurait déclaré en 1945 qu’il fallait gaver l’oie polonaise de terre allemande, afin de prévenir tout rapprochement entre les deux pays. Il a favorisé le déplacement vers l’ouest des frontières polonaises, au prix d’une épuration ethnique qui alors ne disait pas son nom. En réalité, c’est aujourd’hui avec l’Allemagne réunifiée que la Pologne a les liens 1 Le Grand Échiquier. L’Amérique et le reste du monde [traduction de The Grand Chessboard: American Primacy and Its Geostrategic Imperatives], Bayard, Paris, 1997. 10 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 les plus étroits en Europe. Quant à la Russie, la présence de la Biélorussie qui en reste très proche, de l’enclave de Kaliningrad fortement militarisée, la réaffirmation de sa puissance par la présidence Poutine peuvent objectivement justifier l’inquiétude polonaise. N’oublions pas non plus le jeu de certains milieux américains très actifs dans les mouvements récents en Ukraine, sans considération pour l’Union européenne, ses positions et ses intérêts, comme l’ont illustré les propos méprisants, voire orduriers, de Victoria Nuland, secrétaire d’État adjointe chargée de l’Europe et de l’Eurasie. La crise ukrainienne et ses développements en cours sont une pierre de touche des ambitions polonaises, et peuvent renouveler ses frustrations. Cette crise est au demeurant à somme négative pour tous, un gâchis pour l’Europe dans son ensemble. L’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union a été négocié de façon discrète sans que ses conséquences soient mesurées, sans que la Russie soit impliquée alors que ses intérêts dans la région sont légitimes, et qu’il est clair qu’il était conçu par ses promoteurs comme un chaussepied pour l’entrée dans l’Union et peut-être dans l’OTAN. Là ne sont évidemment pas les intérêts de l’Union, qui n’a pas vocation à accueillir un pays aux élites mafieuses et corrompues, pas davantage à se confronter à la Russie, revenant à une guerre froide d’un nouveau style. Enfant battu de l’Europe, la Pologne peut estimer n’avoir de comptes à rendre à personne et mener son propre jeu en mettant les autres devant des faits accomplis, car elle n’a guère bénéficié de solidarités historiques effectives. Elle fait fond sur le soutien américain : là est sans doute son erreur, car les États-Unis ne se sont pas mobilisés pour elle en 1939, ne l’ont guère soutenue à Yalta et l’ont négligée lors des mouvements anticommunistes de 1956. Déjà face à la crise ukrainienne ils ont pris leurs distances, et il est clair que le dialogue avec la Russie leur importe avant tout. L’OTAN n’est pas au surplus une garantie automatique. L’isolement n’a jamais été une posture favorable à la Pologne. Elle semble en prendre conscience désormais, quoique tardivement. ■ Serge Sur Retour dans le concert des nations Georges Mink * * Georges Mink est directeur de recherche émérite à l’Institut des sciences sociales Quinze ans se sont écoulés depuis l’adhésion de la Pologne à l’OTAN – le 12 mars 1999 – et dix ans permanent au Collège d’Europe (campus de Natolin). Il a codirigé depuis celle à l’Union européenne – le 1er mai 2004. (avec Laure Neumayer), History, Les élites libérales actuellement au pouvoir ont souhaité Memory and Politics in Central and faire de ces anniversaires une grande fête célébrant Eastern Europe, (Palgrave Macmillan, la réussite des Polonais et de la Pologne, leur retour 2013) et prépare la publication de Pologne au cœur de l’Europe sur la scène européenne et, plus largement, (1914-2014). dans le concert des nations. Mais ces deux dates sont loin d’être les seules à retenir l’attention des autorités, bien conscientes que le poids du passé, tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur et notamment vis-à-vis des États voisins, n’est pas sans incidence sur les décisions politiques. du politique au CNRS, professeur En septembre 1989, au sortir du régime communiste, les Polonais s’engageaient sur un chemin inconnu avec pour horizon espéré un régime démocratique et une économie capitaliste. Vingt-cinq ans plus tard, une sorte de pulsion commémorative s’est emparée d’eux, alors que 2014 rime avec un nombre exceptionnel d’anniversaires à chiffres ronds. La plupart des célébrations qui y sont associées révèlent la fierté d’un pays qui a su mettre à profit cette période pour mener à bien les processus de changement de régime politique, de transition vers l’économie de marché et de retrouvailles avec les communautés européenne et transatlantique. D’autres anniversaires encore rendent compte des oscillations historiques de cette nation éprouvée par les occupations étrangères. Ces commémorations sont l’occasion de constater qu’entre l’histoire choisie et l’histoire subie les conflits de mémoire continuent à jouer un rôle majeur dans l’espace public. La nouvelle Pologne Il y a vingt-cinq ans se terminaient les négociations de la Table ronde en vertu desquelles furent organisées, le 4 juin 1989, des élections qualifiées de semi-libres 1. En septembre 1989, le premier gouvernement non communiste de la région, avec à sa tête Tadeusz Mazowiecki, obtenait son investiture. Quelques mois plus tard, la « thérapie de choc » destinée à assainir l’économie était mise en œuvre par le nouveau ministre des Finances, Leszek Balcerowicz. On lui attribue le mérite d’avoir guidé avec succès la transformation d’une économie de type soviétique obsolète en une économie de marché performante. En quelques mois, il a étouffé l’hyperinflation, a fait du zloty une monnaie forte et a ouvert la voie à 1 À la Diète, 65 % des sièges furent réservés au Parti communiste et seulement 35 % proposés à la compétition libre, tandis qu’au Sénat les élections étaient entièrement libres. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 11 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe la restructuration industrielle. Celle-ci, en conduisant à des licenciements massifs, s’est d’ailleurs paradoxalement retournée contre la base ouvrière du syndicat Solidarność (Solidarité), qui avait fourni les élites alors au pouvoir. Le coût social fut très important, puisque la baisse moyenne du pouvoir d’achat au début des années 1990 fut d’environ 20 %. Toutefois, malgré les mouvements de mécontentement nés de ces réformes, la démocratie polonaise a résisté et s’est même consolidée, plusieurs alternances politiques ayant permis de canaliser ces mouvements sociaux. En particulier, l’arrivée au pouvoir en 1993 d’une gauche ex-communiste convertie au social-libéralisme avec à sa tête le président Aleksander Kwaśniewski, élu pour deux mandats consécutifs (1995-2000, 2000-2005), a rassuré l’électorat de gauche, qui craignait la vengeance des vainqueurs. L’autre partie de l’électorat d’A. Kwaśniewski, quant à elle, a adhéré à son slogan moderniste « Choisissons l’avenir ». Depuis 2005, cette gauche s’est néanmoins effritée, laissant aux différents courants de la droite le monopole de la gouvernance. Deux anniversaires ont trait au statut international et à la politique étrangère de la Pologne. En effet, le pays est membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis quinze ans et de l’Union européenne depuis dix ans. L’adhésion à l’Union européenne est considérée comme très bénéfique surtout au plan économique, tandis que celle à l’OTAN a permis aux Polonais d’accroître leur sentiment de sécurité et d’affirmer leur euro-atlantisme. Mais ces deux anniversaires ont été commémorés avant tout par les publics les plus mobilisés, comme par exemple la Fondation Robert-Schuman et le Mouvement européen. Au début de la transition, c’est l’intégration dans les structures militaires de l’OTAN qui a été jugée prioritaire par les élites démocratiques. La Pologne a déployé alors d’immenses efforts budgétaires pour donner des gages à l’Alliance atlantique et la convaincre qu’elle méritait d’en être membre à part entière. Elle a non seulement procédé à la modernisation des équipements et à l’adaptation de l’encadrement pour obtenir aussi vite que possible l’interopérabilité militaire, mais a aussi envoyé des contingents importants de 12 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 soldats au Kosovo, en Afghanistan, enfin en Irak. Le soutien actif à la politique de George W. Bush en faveur de la guerre contre Saddam Hussein en Irak et l’accueil clandestin sur le territoire polonais de prisonniers de la CIA soumis à des interrogatoires constitueront l’acmé de ce que certains analystes ont appelé l’« atlantisme instinctif » de la Pologne 2. C’est la période où s’affirmera le statut de « protégé » des Américains qui considèrent que la Pologne a le potentiel et la volonté d’être un leader régional. C’est aussi la période au cours de laquelle s’accumuleront les malentendus sémantiques entre ses alliés européens – la France et l’Allemagne – d’un côté, et les Américains de l’autre. Le paraphe de la Pologne aux côtés de sept autres pays européens – dont la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie – en soutien de l’intervention militaire en Irak lui vaudra d’être incluse dans le sermon de Jacques Chirac, jugeant qu’« ils se sont comportés avec légèreté [et] ont manqué une bonne occasion de se taire » 3. Quelques semaines plus tôt, le secrétaire d’État américain à la défense, Donald Rumsfeld, avait récompensé les pays est-européens, notamment la Pologne, en établissant une division du continent entre « Nouvelle Europe » et « Vieille Europe ». « Si vous regardez l’Europe, son centre de gravité passe à l’Est », selon la thèse normative d’un basculement de l’Europe anachronique – Allemagne et France opposées à la guerre en Irak – vers l’Europe dynamique – dont la Pologne 4. Cette orientation atlantiste s’est partiellement estompée depuis l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne, mais ce pays reste l’un des meilleurs élèves de la classe puisque le président polonais, Bronisław Komorowski, s’est prononcé, à l’occasion de la commémoration du 25e anniversaire des élections semi-démocratiques en 2 À ce sujet, voir Marcin Zaborowski et Kerry Longhurst, « America’s Protégé in the East? The Emergence of Poland as a Regional Leader », International Affairs, vol. 79, no 5, octobre 2003, p. 1009-1028. Les auteurs expliquent ce concept d’atlantisme instinctif, entre autres facteurs, par l’histoire douloureuse de la Pologne qui est à la base d’une culture géopolitique ne faisant confiance, pour garantir la sécurité du pays, qu’aux États-Unis. 3 Voir la conférence de presse de Jacques Chirac à l’issue de la réunion informelle du Conseil européen le 17 février 2003. 4 Voir à ce sujet Marcin Zaborowski et Kerry Longhurst, op. cit. Saint-Pétersbourg La Pologne (1918-1945) Mer Limites de la Pologne de 1923 à 1939 ESTONIE Guerre soviéto-polonaise (1919-1921), avances : Baltique Riga Autres États créés après 1918 polonaise (juin 1920) LETTONIE soviétique (août 1920) LITUANIE Memel Dantzig ´ (Gdansk) Frontière germanosoviétique du 28 sept. 1939 à 1941 Minsk Hambourg El be Ode Berlin r Vis tul La Pologne aujourd’hui Varsovie e POLOGNE ALLEMAGNE Kiev Lublin Wrocław Rh in Paris Cracovie Prague Munich Rh ôn T C H É C O S L O VA Q U I E e Source : G. Duby, Grand Atlas historique, Larousse, Paris, 1997 et F. W. Putzger, Historischer Weltatlas, Cornelsen, Berlin, 1995. ROUMANIE HONGRIE Pologne, en présence du président Obama, pour l’augmentation du budget des dépenses militaires, telle que souhaitée par les États-Unis et par le secrétaire général de l’OTAN. D’autres dates encore sont fêtées en 2014 pour rappeler aux Polonais leur héroïsme mais aussi les côtés sombres de leur histoire. On commémore ainsi l’année 1914 – et, plus généralement, la Première Guerre mondiale – qui incarne le grand pari des leaders polonais de la cause nationale, Józef Piłsudski et Roman Dmowski 5, pour lesquels la guerre entre empires constituait un moyen de retrouver l’indépendance 6. Le 70e anniversaire de l’insurrection de Varsovie donne lieu quant à lui à des controverses concernant l’utilité de ce sursaut patriotique d’août 1944 contre les nazis. Certains en relèvent les conséquences meurtrières puisque, en affaiblissant les capacités de résistance des élites 5 Józef Piłsudski (1867-1935) est considéré comme le père de la iie République de Pologne, créée en 1918. Roman Dmowski (1864-1939), théoricien de la démocratie nationale, fut son principal concurrent. 6 Voir le dossier « L’Été 14 : d’un monde à l’autre (1914-2014) », Questions internationales, no 68, juillet-août 2014. str Odessa BESSARABIE Budapest Belgrade pr U.R.S.S. Dnie Vienne AUTRICHE Dnie Lwów (Lviv) BOHÊME-MORAVIE FRANCE Territoires incorporés à l’U.R.S.S. après 1945 Bucarest Danube CRIMÉE Mer Noire 500 km Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014 Ligne Curzon (1919) contre le nouvel occupant, il a favorisé la vassalisation de la Pologne par l’Union soviétique quarante ans durant. Cependant, tout au long de cette domination, divers courants d’opposition n’ont eu de cesse d’y résister et plusieurs affrontements directs entre les différentes composantes de la société et le pouvoir communiste ont émaillé l’histoire de ces décennies. On peut présenter ces événements comme une série de rendez-vous sociétaux manqués de l’opposition au régime – en 1968 et en 1970 –, avant que ne se réalise, en 1980, une union d’une grande partie de la société. Les ouvriers, les intellectuels et même les agriculteurs ont participé aux mouvements syndicaux sous la bannière de Solidarność (août 1980-décembre 1981) qui a définitivement délégitimé la prétention du pouvoir communiste à représenter la société, et notamment les ouvriers 7. 7 Ce processus a été décrit dans plusieurs des ouvrages de l’auteur, notamment, dans La Force ou la raison. Histoire sociale et politique de la Pologne (1980-1989), La Découverte, Paris, 1989, ou dans deux ouvrages collectifs : Zinaïda Erard (pseud. Ewa Bérard) et G.M. Zygier (pseud. Georges Mink) (dir.), La Pologne : une société en dissidence, « Cahiers libres », no 338, Maspero, Paris, 1978 ; Patrick Michel et Georges Mink, Mort d’un prêtre. L’affaire Popieluszko. Analyse d’une logique normalisatrice, Fayard, Paris, 1985. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 13 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Le poids du passé communiste dans les jeux politiques Le tournant s’est produit en 1976 lorsque les intellectuels ont soutenu une nouvelle vague de protestation ouvrière contre la vie chère, puis lorsque l’opposition démocratique pluraliste, forgée dans ces épreuves, a réussi une jonction décisive avec les ouvriers autour de Solidarność. Pluraliste, hybride dans sa composition sociologique, ce syndicat, avec ses dix millions de membres, a constitué une véritable force de frappe contre le pouvoir communiste. Ce dernier, dans un réflexe de survie, a bien tenté une normalisation militaire en 1981 mais, face à la persévérance du mouvement social et de ses leaders, il a fini par céder. L’heureux dénouement est dû à ce mouvement endogène tout autant qu’à la conjoncture internationale – relâchement du contrôle soviétique sous Mikhaïl Gorbatchev, pression des États-Unis dans la compétition technologique, irruption de l’ethos pacifique de la réconciliation prôné par le « pape polonais » Jean-Paul II. Par chance, face aux opposants radicaux et aux communistes conservateurs, ce sont les réformateurs du Parti et les modérés du syndicat qui ont prévalu. Au nom de l’intérêt suprême de la nation, le dialogue a pu être noué et déboucher sur un compromis négocié autour de la Table ronde (février-avril 1989). En Pologne, les héritages de cette période demeurent la source de clivages profonds, et le système politique binaire qui prévaut depuis le milieu des années 2000 se structure autour de la compétition entre deux narrations historiques contradictoires. Conflits entre narrations historiques On remarquera l’absence, juste après les accords de la Table ronde sur la sortie négociée du communisme, du questionnement – pourtant traditionnel dans le répertoire des acteurs lors d’une transition – sur le traitement à réserver au passé. Aucune préconisation n’a été donnée quant à la manière de gérer le passé criminel de 14 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 l’ancien régime, le compromis polonais s’inspirant implicitement du modèle espagnol, où les adversaires d’hier sont devenus les garants du processus de démocratisation. C’est ainsi qu’au début des transformations la marge de manœuvre des partisans de la pénalisation du passé criminel communiste fut délibérément réduite, quitte à entraîner des flottements législatifs et institutionnels dans le domaine de la gestion du passé communiste. Cet élément explique pourquoi ce débat revient cycliquement, comme s’il fallait à tout prix combler un vide. Le principal acteur institutionnel de ces jeux mémoriels est l’Institut de la mémoire nationale (en polonais, Instytut Pamięci Narodowej ou IPN), créé en 1999, soit dix ans après la chute du communisme. Ses adversaires l’ont aussitôt baptisé avec dédain « ministère de la Mémoire nationale ». Pour ses protagonistes, l’institution permet en revanche de séparer les archives de la police politique communiste de celles de la Pologne démocratique de manière à se protéger de la tentation d’utiliser les dossiers personnels dans les jeux politiques. De par sa fonction juridique, l’IPN devait œuvrer à faire justice aux victimes du système communiste et à rendre hommage à ceux qui ont combattu pour la liberté et l’indépendance de la Pologne. D’emblée, l’Institut a contribué à lancer des chantiers historiques importants, en prenant par exemple à bras le corps l’enquête sur l’ampleur des pogroms perpétrés par la population polonaise contre ses voisins juifs entre 1940 et 1941 8. Le personnel juridique de l’IPN a pu instruire un certain nombre de procès de « responsables des crimes (nazis ou communistes) dirigés contre la nation polonaise ». Mais, entre 2005 et 2010, il est devenu l’instrument d’une « politique historique » lancée à l’initiative des frères Kaczyński. Cette période 8 Cette enquête a été lancée après la publication, en 2001, de l’ouvrage de l’historien Jan Tomasz Gross, aujourd’hui professeur à l’université de Princeton. Il y fait le récit du massacre par des Polonais de leurs voisins juifs dans le village de Jedwabne, durant la période située entre le retrait des Soviétiques – qui occupaient depuis le 17 septembre 1939 la partie orientale de la Pologne – et l’arrivée des armées allemandes. Jan T. Gross, Les Voisins. 10 juillet 1941. Un massacre de Juifs en Pologne, Fayard, Paris, 2002. 9 Voir à ce propos Georges Mink, « Institutions of National Memory in Post-Communist Europe: From Transitional Justice to Political Uses of Biographies (1989-2010) », in Georges Mink, Laure Neumayer (dir.), History, Memory and Politics in Central and Eastern Europe. Memory Games, Palgrave, Macmillan, 2013, p. 155-173. © AFP se caractérise par l’idéologie de la « wzmoźenie moralne » (intensification morale). L’IPN a ainsi propagé l’idée que la « lutte contre le communisme ne s’est pas achevée avec 1989 ni même avec l’implosion de l’URSS ». Le rôle de cet Institut est aussi d’instruire des procès à charge contre les anciens membres des services de la police politique et contre les militants communistes les plus impliqués dans la politique répressive avant 1989. Cependant, la justice transitionnelle qui s’appuie sur des lois de « lustration » – vérification du passé des cadres politiques communistes – n’a pas connu un grand succès en Pologne. Escamotée dès 1992 par ses propres partisans qui précipitent la publication « sauvage » des listes de soi-disant collaborateurs, elle ne sera réellement mise en place qu’à partir de 1997, puis précisée en 2006. Le sentiment demeure cependant qu’elle a été « ratée » ou, à tout le moins, inachevée, seuls quelques rares procès ayant pu se tenir 9. Cette politique historique a contribué à approfondir les clivages politiques et s’est traduite par la consolidation d’un système dominé par deux partis, la Plateforme civique (Platforma Obywatelska, PO) de l’actuel Premier ministre Donald Tusk et du président de la République Bronisław Komorowski d’un côté, et le parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS) dirigé par Jarosław Kaczyński de l’autre. Depuis la victoire de la Plateforme civique aux élections législatives de 2007, la « politique historique » a perdu de son impétuosité. Le clivage entre les « artisans du compromis de la Table ronde » – PO, Sojusz Lewicy Demokratycznej (SLD) ex-communiste et courants liés au Parti paysan polonais (Polskie Stronnictwo Ludowe, PSL) – et ses pourfendeurs – PiS, extrême droite et milieux catholiques de Radio Maryja, station fondée par le prêtre intégriste Tadeusz Rydzyk – reste néanmoins l’axe de rotation du système Le 7 décembre 1970, le chancelier ouest-allemand Willy Brandt, à l’origine de l’Ostpolitik, ou politique de rapprochement et de détente avec les pays du bloc soviétique, rend hommage aux victimes du ghetto de Varsovie. politique binaire 10. Ces derniers entretiennent le soupçon d’une entente secrète qui aurait permis aux communistes d’échapper au jugement et de retrouver des situations confortables dans le nouveau régime, avec la complicité d’une partie de l’opposition démocratique. La Pologne en Europe C’est dans le domaine de la politique étrangère que le pays a obtenu le plus de succès. Ils sont à mettre d’abord au crédit du ministre des Affaires étrangères Krzysztof Skubiszewski qui, entre 1989 et 1993, fut l’artisan de changements fondamentaux. Son programme visait trois objectifs principaux : la dissolution des struc10 Sur cette question, voir l’article de Cédric Pellen dans le présent dossier. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 15 DOSSIER 16 La Pologne au cœur de l’Europe tures soviétiques, la réorganisation régionale par la mise en place d’une politique de voisinage et l’intégration euro-atlantique. Varsovie travailla de concert avec la Hongrie et la Tchécoslovaquie à la suppression des structures de domination soviétique. Le Conseil d’aide économique mutuelle (CAEM) fut dissous en juin 1991 et le pacte de Varsovie le 1er juillet 1991. Certes, il a fallu attendre septembre 1993 pour que les derniers soldats soviétiques quittent le territoire polonais, mais cela n’a pas empêché le pays de se doter préalablement d’une politique extérieure indépendante. La Pologne a ainsi joué un rôle décisif pour institutionnaliser la coopération régionale instaurée par le groupe de Visegrád 11. La normalisation des relations polonoallemandes fut consacrée lors des négociations « 2 + 4 » 12 réunissant les représentants des deux Allemagnes et les quatre puissances occupantes au sortir de la Seconde Guerre mondiale, à savoir les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et l’URSS. Ces discussions avaient pour but de régler définitivement la question allemande en posant les bases et les conditions de la réunification : l’Allemagne renonçait à l’arme nucléaire et ses frontières devenaient inaltérables. La Pologne fut invitée lors des phases finales des négociations. Elle signa avec l’Allemagne réunifiée un traité qui rendait intangible la frontière entre les deux pays, la ligne Oder-Neisse 13. Cet accord ouvrit également la voie à l’établissement d’un forum de coopération régionale entre Berlin, Paris et Varsovie, connu sous le nom de Triangle de Weimar. Formé en août 1991, le Triangle avait alors pour but d’aider la Pologne à rejoindre les institutions occidentales. Trois raisons ont guidé l’orientation de la politique de sécurité de la Pologne : combler le vide sécuritaire dans lequel cette région était tombée, éviter tout risque de finlandisation et se protéger de la Russie dont on craint qu’elle ne sombre dans l’autoritarisme et ne veuille à tout prix conserver sa sphère d’influence. En mars 1999, le ministre des Affaires étrangères Bronisław Geremek, en compagnie de ses homologues tchèque et hongrois ainsi que de la secrétaire d’État américaine Madeleine Albright, paraphait le document d’adhésion à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Dès 1989, les nouvelles autorités polonaises avaient envisagé une adhésion aux Communautés européennes. Malgré les changements de majorité, la ligne pro-européenne de la Pologne ne se démentit pas et, en 1994, le pays se déclara officiellement candidat à l’Union européenne, qu’il rejoignit le 1er mai 2004. Tout au long de ce processus qui a permis à la Pologne de retrouver une place d’importance sur la scène internationale, les bonnes performances économiques du pays ont en quelque sorte légitimé sa démarche. La Pologne a, en particulier, forcé l’admiration au sein de l’Union européenne et au-delà, en 2008-2009, en pleine crise financière. Alors que la vague de récession submergeait l’Europe, elle a poursuivi sa croissance, à l’abri des crédits toxiques qui avaient infecté le système bancaire mondial. Toutefois, dans le contexte de cette double intégration euro-atlantique, les relations avec la Russie se sont, quant à elles, sensiblement dégradées. Si Boris Eltsine avait affirmé en août 1993 à Varsovie que la Pologne était libre de choisir ses alliances, le gouvernement russe fit rapidement volte-face. 11 Créé en février 1991, le groupe de Visegrád réunit la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie (puis la République tchèque et la Slovaquie depuis 1993). 12 Traité signé à Moscou le 12 septembre 1990. 13 Cette insertion de la Pologne doit beaucoup à l’insistance du président François Mitterrand. Roland Dumas, alors ministre des Affaires étrangères, déclara : « La Pologne compte sur la France et ne veut pas d’un nouveau Yalta. Nous l’avons bien compris. Le mieux dans ces conditions n’est-il pas, pour lever toute équivoque, d’associer la Pologne à nos conversations franco-allemandes ? » Des relations polono-russes cycliques Les relations entre la Pologne et la Russie sont marquées par une profonde méfiance. Pourtant, entre 2007 et 2010, les signes conciliateurs émis par les dirigeants des deux pays se sont multipliés avec, en particulier, la mise en action du « Groupe bilatéral pour les questions Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Le poids du passé douloureux face aux voisins difficiles » – composé d’historiens et créé en 2002 – et l’initiative d’établir à Moscou et à Varsovie des centres de dialogue polonorusse. Ce processus de réconciliation, qui s’est appuyé sur une « diplomatie du pardon », était en marche depuis plusieurs années déjà. Cyclique, il avait débuté sous M. Gorbatchev à la fin des années 1980, puis avait connu une accélération sous B. Eltsine, lequel devait déclarer, en 1993, au nom du peuple russe : « Pardonnez-nous, si vous le pouvez. » Force est toutefois de constater que le passé conflictuel entre les deux peuples constitue un cadre référentiel contraignant pour les dirigeants politiques. La mémoire, même ancienne, peut servir les stratégies actuelles. Comme par défi, en pleine guerre des symboles historiques, Vladimir Poutine a ainsi décrété, en 2005, que le 4 novembre serait désormais le jour de l’Unité nationale. Or cette date marque l’expulsion hors de Moscou, en 1612, de l’armée polonaise qui occupait le Kremlin. Les Polonais, quant à eux, se souviennent qu’à partir de la fin du xviiie siècle ce fut au tour de leur pays d’être occupé par les Russes, de concert avec les Prussiens et les Autrichiens. L’État soviétique assura la continuité de cet héritage impérial en attaquant en 1920 une Pologne qui ne jouissait de son indépendance que depuis deux ans. Le prétexte était fourni par l’utopique extension de la révolution mondiale, l’URSS se portant au secours de la révolution allemande et piétinant au passage le pays intermédiaire. L’armée polonaise repoussa alors les envahisseurs, fait d’armes qu’on qualifiera de « miracle de la Vistule ». © AFP / Alexander Joe Ce processus s’était cependant enrayé au milieu des années 1990 et la dynamique ne s’est inversée, partiellement, qu’au cours des années 2000. Le changement législatif intervenu en Pologne en 2007 a en effet porté au pouvoir une nouvelle majorité autour de D. Tusk, un réaliste en politique étrangère qui se refuse à user des appréhensions historiques dans les relations internationales. L’équipe Tusk estime en particulier qu’il n’est pas souhaitable de laisser la Russie hors des évolutions politiques de l’Europe. Le Premier ministre polonais Donald Tusk et son épouse posent devant le monument aux victimes du massacre de Katyń à Johannesburg en Afrique du Sud. De nombreux monuments de ce type ont été érigés par les communautés polonaises à travers le monde, notamment au Royaume-Uni, au Canada, aux États-Unis et en Ukraine. Puis vint le pacte Ribbentrop-Molotov, signé le 23 août 1939, dont la clause secrète postulait l’annexion par les Soviétiques des territoires orientaux de la Pologne le 17 septembre, soit à peine dix-sept jours après l’agression des armées nazies. C’est durant ce bref intermède de l’alliance entre nazis et Soviétiques que les troupes du NKVD (Narodni Komissariat Vnoutrennikh Diel – Commissariat du peuple aux Affaires intérieures), la police politique de l’Union soviétique, se livrèrent au printemps 1940 à une série de massacres dont le charnier de la forêt de Katyń est devenu le symbole, même si les lieux de crimes sont bien plus nombreux. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 17 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Depuis l’implosion de l’Union soviétique, la Pologne n’a plus qu’un point de contact direct avec son voisin, l’enclave de Kaliningrad. Ce morceau de territoire est suffisant pour entretenir un climat de méfiance chez les Polonais, d’autant qu’il abrite une importante base militaire. Au milieu des années 1990, la suggestion russe de créer un corridor extraterritorial entre Kaliningrad et la Biélorussie via la Pologne suscita notamment des inquiétudes palpables. La diplomatie russe montre également des signes de nervosité face à la politique orientale de la Pologne, surtout lorsque celle-ci se veut garante de la souveraineté de l’Ukraine. Des pics d’hostilité ont été atteints sur ce dossier en 2004 et en 2013-2014, lorsque par deux fois les Ukrainiens ont exprimé des tendances pro-occidentales activement soutenues par les Polonais. Le 10 avril 2010, la catastrophe aérienne de Smolensk, dans laquelle périrent le président polonais Lech Kaczyński et de nombreux représentants des élites polonaises, a ouvert de nouveaux contentieux entre les deux nations. Cet accident a contribué à approfondir la division de l’arène politique nationale polonaise, les partisans de la thèse de l’attentat accusant le gouvernement PO de collusion avec « l’ennemi russe ». Un parallèle a même été dressé par certains entre cet épisode douloureux et les traumatismes du passé : la catastrophe ayant eu lieu près de Katyń, lieu du massacre des officiers polonais par la police politique de l’Union soviétique (NKVD), d’aucuns emploient désormais le qualificatif de Katyń II pour désigner cet accident d’avion. Au cours de l’hiver 2013-2014, les événements de Maïdan en Ukraine ont réactivé en Pologne la représentation d’une Russie éternellement impérialiste. Les sujets de tension sont nombreux, comme on a pu le constater avec l’embargo imposé pour raisons sanitaires par la Russie sur les importations de produits agricoles polonais, interdiction qui n’a pu être levée que grâce à l’intervention de la Commission européenne. De même, la question de la dépendance énergétique vis-à-vis du fournisseur russe est devenue très sensible depuis la crise ukrainienne, et 18 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 la Pologne appelle à la mise en place d’une politique commune européenne en la matière. Les projets d’installation d’un bouclier antimissile et de batteries Patriot par les ÉtatsUnis sur le sol polonais ont également contribué à déstabiliser les relations entre les deux pays. La Russie, qui s’estime visée par ces éléments, a menacé de répliquer par l’installation de missiles Iskander dans l’enclave de Kaliningrad. En décembre 2013, Moscou a successivement confirmé l’installation de ces missiles à la « frontière avec l’Union européenne » puis, quelques jours plus tard, l’a démentie. La Pologne et les pays baltes ont alors émis une vigoureuse protestation, suivis en cela par la mise en garde adressée à Moscou par le secrétaire général de l’OTAN. Les relations polono-allemandes sur la voie de la réconciliation En Pologne, la phrase d’Henry Kissinger décrivant l’Allemagne comme trop grande pour l’Europe et trop petite pour le monde est une figure rhétorique souvent réactivée. Le fait qu’après 1989 les relations polono-allemandes aient été d’une exceptionnelle qualité n’élimine pas entièrement l’hypothèque d’un long passé d’hostilité 14. Cet héritage historique très lourd a atteint son apogée pendant la Seconde Guerre mondiale, créant un véritable abîme entre les deux nations. Les communistes l’avaient bien compris, eux qui ont fabriqué un signe d’égalité entre Allemand et nazi et y ont cherché une façon de se légitimer en tant qu’antifascistes résolus. Ils jouaient là délibérément avec le sentiment antigermanique des Polonais. Les tentatives pour rompre ce cercle de rejet et de haine furent entreprises, côté polonais, par l’épiscopat en réponse à une déclaration de l’Église évangélique allemande – lettre de 1965 des évêques polonais contenant la phrase suivante : « Nous pardonnons et demandons pardon. » Du côté allemand, le chancelier Willy Brandt (1913-1992) imprima à la politique 14 Sur cette question, voir aussi l’encadré de Dorota Dakowska dans le présent dossier. allemande une réorientation inspirée par le triptyque gaullien : détente-entente-coopération. C’est d’ailleurs W. Brandt qui, lors de sa visite en Pologne en décembre 1970, s’agenouilla devant le monument des combattants du ghetto de Varsovie. Par ce geste symbolique, il consolidait le modèle d’une Allemagne idéale pour les Polonais, comme l’exprima le ministre polonais des Affaires étrangères, B. Geremek, lorsque l’Université libre de Berlin lui décerna le titre de docteur honoris causa le 15 janvier 1999 : « Les Allemands ont le choix entre deux traditions. L’une est symbolisée par Brandt agenouillé devant le monument du ghetto de Varsovie, par le testament d’Adenauer postulant les trois grandes réconciliations [avec la France, la Pologne et Israël], par Herzog rendant hommage aux insurgés de l’insurrection de Varsovie. L’autre tradition, liée à la RDA, consiste à transférer à d’autres la responsabilité des agissements de l’Allemagne du xxe siècle. » Bonn se prononça d’ailleurs assez rapidement pour l’adhésion de Varsovie aux structures euro-atlantiques 15. L’arrivée au pouvoir en 1998 d’un nouveau chancelier issu du SPD, Gerhard Schröder, changea quelque peu la donne. D’autant que celui-ci, lors de sa campagne électorale, avait exprimé des doutes quant à la nécessité de hâter l’élargissement européen 16. Le ministre polonais des Affaires étrangères, B. Geremek, rappela alors : « […] Les paroles d’Henry Kissinger n’ont pas perdu leur actualité. […] Une question demeure : comment l’Allemagne réunifiée utilisera-t-elle sa puissance ? La réponse à cette question associe la mémoire allemande du 15 Les traités de bon voisinage et de coopération signés par Berlin et Varsovie entre 1990 et 1991 donnèrent également une impulsion forte au renforcement de la coopération au niveau sociétal. Deux organismes furent créés, un Fonds de coopération germano-polonais et un Office germano-polonais pour la jeunesse. Des gestes symboliques de grande importance furent en outre accomplis des deux côtés. 16 Les tensions avec le gouvernement Schröder se cristallisèrent également autour de la construction du gazoduc Nord Stream qui, via la mer Baltique, relie directement la Russie à l’Allemagne. Ce projet, soutenu par Berlin et fruit d’un accord entre sociétés énergétiques européennes et russe, pourrait permettre de couper l’approvisionnement en gaz de la Pologne sans incidence pour Berlin. L’entrée de G. Schröder au conseil d’administration de Nord Stream après ses deux mandats de chancelier apparut comme une confirmation légitimant les soupçons de favoritisme au profit de la Russie. passé avec la vision allemande de l’avenir 17. » Après l’élection de L. Kaczyński à la présidence polonaise en décembre 2005, la germanophobie du PiS trouva un terrain d’expression en attaquant la chancelière allemande fraîchement élue elle aussi, Angela Merkel. Depuis les dernières alternances côté allemand comme polonais, les gouvernements sont plus pragmatiques et tiennent les émotions hors du champ de la politique. Angela Merkel a soutenu le projet polono-suédois de Partenariat oriental. Le Triangle de Weimar a également connu une relance, ce dont témoigne l’intervention des trois ministres des Affaires étrangères à Kiev en février 2014. En novembre 2011 déjà, le ministre polonais des Affaires étrangères, Radosław Sikorski, avait prononcé un discours remarqué sur la nécessité pour l’Europe d’avoir une Allemagne forte et soucieuse de ses responsabilités. Cet événement fait penser que les relations avec le voisin occidental pourraient être définitivement normalisées. Pologne-Ukraine ou le dépassement d’une mémoire douloureuse Dès 1989, les nouvelles élites polonaises ont tenu à aplanir le potentiel des conflits mémoriels avec l’Ukraine et ont fait figurer ce voisin immédiat au rang des priorités de la politique étrangère. Ainsi la Pologne a-t-elle été le premier pays à reconnaître le nouvel État ukrainien en 1991. La construction du Partenariat stratégique, puis du Partenariat oriental dans le cadre de la Politique européenne de voisinage (PEV) élaborée après 2004 au sein de l’Union 18, nécessite en effet que soient levés les obstacles mémoriels, notamment les représentations des passés douloureux qui sont à la base de l’hostilité entre les deux nations. 17 Du côté allemand, l’année 1998 marqua un autre point de rupture avec l’émergence de tensions autour de l’Union des expulsés allemands (BdV). Formée par les descendants des Allemands ayant vécu sur les territoires occidentaux de la Pologne, la BdV exigeait que l’Allemagne conditionne l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne à une indemnisation pour les préjudices subis lors de l’expulsion. 18 Voir Elsa Tulmets, « La politique européenne de voisinage à la recherche d’un nouveau souffle », Questions internationales, no 66, mars-avril 2014, p. 95-102. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 19 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Il est vrai que les relations entre les Ukrainiens et les Polonais n’ont pas toujours été bonnes. Pendant et au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des crimes de masse ont été commis des deux côtés : les massacres de Volhynie et de la Galicie orientale (1943) perpétrés par les nationalistes ukrainiens sur la population rurale polonaise et, dans l’autre sens et en guise de revanche, l’action de purification ethnique contre les Ukrainiens, montée par la police politique communiste polonaise après 1945, sont dans toutes les mémoires. Avant les manifestations de la place Maïdan, les Ukrainiens se méfiaient de chaque geste conciliateur de la Pologne. Ils y voyaient tantôt une tendance à concevoir l’Ukraine exclusivement par son Ouest et non par Kiev, Kharkiv, Odessa ou Dnipropetrovsk, tantôt comme une volonté d’instrumentaliser l’Ukraine comme un État tampon. Enfin, ils soupçonnaient la Pologne de s’être octroyée une mission singulière et « civilisatrice » en tant que représentante de l’Union européenne face à l’Ukraine. Ce soupçon de manifestation de supériorité a été balayé par la révolution ukrainienne. Pour les Polonais admiratifs de l’héroïsme du mouvement pro-européen et démocratique de Maïdan, c’est l’Ukraine rêvée qui est apparue lisible, et la promesse d’un voisinage sans arrière-pensée. ●●● Deux événements récents symbolisent parfaitement le rôle croissant de la Pologne dans le concert des nations. La présidence polonaise de l’Union européenne, en 2011, a permis de diffuser une image positive du pays en éliminant au passage certains stéréotypes négatifs. Plusieurs des objectifs de cette présidence ont d’ailleurs été réalisés, comme la rédaction du traité d’adhésion de la Croatie. Par une série de récentes prises de position, la Pologne a confirmé un mouvement plus large constaté au cours des dernières années, à savoir sa volonté de rejoindre le petit groupe des pays membres qui se distinguent par leur acharnement à affirmer le credo européen, par l’originalité de 20 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 leurs propositions et par la volonté de contribuer au sauvetage de l’Union via son approfondissement. À cet égard, on peut noter un apparent paradoxe. Les Polonais restent majoritairement europhiles, comme peu d’autres nations au sein de l’Union européenne. Mais simultanément, ils n’ont été que 23 % à prendre part aux élections européennes de 2014 et ont envoyé au Parlement européen un contingent important d’élus eurosceptiques (PiS) et quelques députés antieuropéens, menés par Janusz Korwin-Mikke et son nouveau parti d’extrême droite. En réalité, comme ailleurs, les élections européennes ont été interprétées par la majorité des Polonais comme un enjeu de politique intérieure. La commémoration du 25e anniversaire des élections semi-démocratiques, organisée à Varsovie le 4 juin 2014 en présence de plus de quarante chefs d’État et de gouvernement, a en outre été l’occasion de reconnaître à la Pologne son rôle pionnier dans le processus de démantèlement des régimes communistes à la fin des années 1980. C’est bien ce qu’a traduit le discours du président Barack Obama rappelant que « nous ne devons pas oublier que l’étincelle de l’espoir est venue de Pologne ». Alors que la crise ukrainienne et la politique menée par la Russie ont ravivé certaines des craintes ressenties par les anciens pays satellites de l’URSS, les dirigeants présents – dont le nouveau président ukrainien Petro Porochenko – ont fait front uni avec le chef de l’État américain pour souligner le rôle géopolitique de la Pologne dans cette nouvelle conjoncture internationale. Au même moment, le président polonais B. Komorowski a proposé d’accélérer la réflexion sur la nécessité pour son pays de rejoindre la zone euro. Si l’idée n’est pas très populaire auprès d’une population polonaise redoutant une brusque dégradation de son niveau de vie, elle est largement soutenue par les élites qui considèrent que, sans l’adoption de l’euro, la Pologne ne pourra pas satisfaire son ambition d’être un acteur qui compte au sein de l’Union européenne et dans le monde. ■ X Pologne : quelques éléments chronologiques 966 1791 Le prince de Pologne Mieszko I se convertit au christianisme. er 1025 Boleslas Ier est sacré roi de Pologne et fonde la dynastie des Piast. 1034-1058 Casimir Ier installe sa capitale à Cracovie. 1333-1371 Casimir III le Grand lance l’expansion vers l’est (Ruthénie, Volhynie) et fonde l’université de Cracovie (1364). 1385-1386 Le mariage de la reine Hedwige de Pologne et de Jogaila, grand-duc de Lituanie, roi de Pologne sous le nom de Ladislas II, entraîne le rapprochement des deux pays et est à l’origine de la dynastie des Jagellon. 1569 4 juillet : l’acte de Lublin réunit la Pologne et la Lituanie en un seul État, la république des Deux Nations, qui devient une monarchie élective. 1596 L’Union de Brest scelle l’allégeance au pape d’une partie de l’Église orthodoxe des provinces ruthènes de la République polono-lituanienne. Le roi Sigismond III Vasa déplace la cour de Cracovie à Varsovie. 1612 L’armée polonaise qui occupait le Kremlin est chassée de Moscou. 1772 5 août : les souverains russe, prussien et autrichien réunis à SaintPétersbourg organisent le premier partage de la Pologne. 3 mai : la Diète dote la Pologne d'une Constitution, qui établit la monarchie héréditaire au profit de la maison de Saxe. 1793 25 septembre : suite à l’invasion de la Pologne par la Russie, opposée aux réformes internes, le traité de Grodno entre la Russie et la Prusse organise le deuxième partage de la Pologne. 1795 3 janvier : le troisième partage de la Pologne entre la Russie, la Prusse et l’Autriche met fin à l’existence de l’État polonais. 1807 Napoléon amorce une renaissance d’un État polonais sous la forme du duché de Varsovie, formé sur des territoires arrachés à la Prusse et à l'Autriche. 1815 Le Congrès de Vienne dissout le duché de Varsovie et reconstitue un royaume du Congrès sur lequel règne le tsar. Pologne, libérée des puissances impériales allemande, autrichienne et russe. 1920 La Pologne, en guerre contre la Russie soviétique pour la détermination de sa frontière occidentale, est aidée par la GrandeBretagne et la France, notamment le général français Maxime Weygand et le jeune capitaine Charles de Gaulle. Août : le « miracle de la Vistule » permet à l’armée polonaise, menée par Józef Piłsudski, d’arrêter l’Armée rouge devant Varsovie. 1921 19 février : la Pologne signe un traité d’alliance avec la France. 17 mars : la Constitution de la IIe République est adoptée. 18 mars : la paix de Riga entre la République polonaise et la Russie soviétique met fin à la guerre soviétopolonaise et permet à la Pologne de repousser sa frontière orientale d’environ 200 km à l’est de la ligne de démarcation proposée par le ministre des Affaires étrangères britannique Lord Curzon. 1924 1918 8 janvier : le treizième des « quatorze points » du président Wilson prévoit un État polonais indépendant disposant d’un accès à la mer. 11 novembre : la Pologne proclame son indépendance. Józef Piłsudski en devient le chef de l’État. 1919 17 février : début des affrontements avec la Russie, Lénine souhaitant traverser la Pologne pour apporter un soutien militaire à la révolution allemande. 28 juin : le traité de Versailles reconnaît l’indépendance de la Avril : la Pologne se dote de sa propre monnaie, le zloty. 1925 Février : la Pologne signe un concordat avec le Saint-Siège. 1926 12 mai : un coup d’État militaire du maréchal Piłsudski met un terme au régime démocratique. 1932 25 juillet : la Pologne signe un traité de non-agression avec l’Union soviétique. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 21 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe 1934 26 janvier : la Pologne signe un traité de non-agression avec l’Allemagne, dans un contexte de tensions territoriales autour du corridor de Dantzig. 1938 30 septembre : le colonel Józef Beck, ministre des Affaires étrangères aux ambitions impérialistes, obtient à l’occasion des accords de Munich une partie du territoire de la Tchécoslovaquie autour de la ville frontalière de Teschen. 1939 31 mars : après que la Pologne eut décliné l’offre d’alliance de Hitler, le Royaume-Uni se porte garant de son indépendance. 23 août : le pacte de non-agression germano-soviétique prévoit, dans ses clauses secrètes, le partage de la Pologne entre les deux États. 1er septembre : la Pologne est envahie par l’Allemagne nazie. 17 septembre : la Pologne est envahie par l’Union soviétique. 1940 Printemps : dans la forêt de Katyń, le NKVD soviétique massacre plusieurs milliers de membres de l’élite polonaise, notamment de nombreux officiers de l’armée. Mai : les nazis créent le camp de concentration d’Auschwitz (Oświęcim), où périront entre 1,1 et 1,5 million de personnes après la mise en œuvre de la « solution finale » et des chambres à gaz en 1942. Octobre : les nazis créent le ghetto de Varsovie afin d’y enfermer les citoyens polonais de confession juive. 1942 14 février : création de l’Armia Krajowa, armée de résistance intérieure sous l’autorité du gouvernement en exil à Londres. 22 1943 Avril-mai : le ghetto de Varsovie se soulève et est détruit par l’armée allemande. 1944 22 juillet : le Comité national, organe de résistance communiste, crée le Comité polonais de libération nationale, gouvernement provisoire concurrent du Gouvernement polonais en exil. Août : la répression de l’insurrection de Varsovie laisse la résistance nationaliste polonaise exsangue, face à la passivité de l’armée soviétique. 1945 17 janvier : l’armée soviétique libère Varsovie. Au sortir de la guerre, la ville est complètement détruite. Février-août : les conférences de Yalta et de Potsdam fixent les frontières de la Pologne entre la ligne Oder-Neisse à l’ouest et la ligne Curzon à l’est. 12 septembre : la Pologne dénonce le concordat avec l’Église catholique. 1946 14 février : les populations allemandes de Pologne commencent à être expulsées. 1947 Janvier : le Parti ouvrier prend le pouvoir et fusionne avec le Parti socialiste pour former le Parti ouvrier unifié de Pologne (POUP). 9 août : la Pologne renonce à participer au plan Marshall sous la pression de l’URSS. 1952 La Constitution de la République populaire de Pologne est promulguée. Elle est largement inspirée de la Constitution soviétique de 1936. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 1953 26 juillet : le cardinal Stefan Wyszyński, primat de Pologne, est arrêté. 1955 14 mai : le pacte de Varsovie, alliance militaire entre les démocraties populaires d’Europe centrale et l’URSS, est signé. 1956 Juin : des émeutes ouvrières et paysannes éclatent à Poznań dans le contexte de la déstalinisation. 21 octobre : Władysław Gomułka, exclu en 1948 pour déviationnisme, revient au pouvoir et engage des réformes libérales (« l’octobre polonais »). 28 octobre : le cardinal Wyszyński est libéré. 1968 Mars : dans un contexte de révoltes étudiantes, le général Mieczysław Moczar, ministre de l’Intérieur, lance une campagne de purges antisémites. 1970 Décembre : des émeutes ouvrières à Gdańsk et dans d’autres villes de la côte baltique contraignent W. Gomułka à la démission. 7 décembre : dans le cadre de l’Ostpolitik, le chancelier allemand Willy Brandt, présent à Varsovie pour signer un traité entre la Pologne et la République fédérale d’Allemagne (RFA), s’agenouille devant le monument aux combattants du Ghetto afin de leur rendre hommage. 1978 16 octobre : l’archevêque de Cracovie Karol Wojtyła est élu pape sous le nom de Jean-Paul II. 1980 Novembre : le syndicat Solidarność (Solidarité) regroupe les mouvements syndicaux indépendants et autogérés sous la conduite de Lech Wałęsa. 1981 13 décembre : face à l’activisme de Solidarność, le général Jaruzelski proclame « l’état de guerre » et fait arrêter Lech Wałęsa, qui n’est libéré qu’en novembre 1982. 1983 5 octobre : le prix Nobel de la paix est décerné à Lech Wałęsa. 1989 Février-avril : le gouvernement du général Jaruzelski légalise le syndicat Solidarność et négocie avec lui les accords dits de la « Table ronde » sur la démocratisation du pays. 4 juin : premières élections semi-libres. 19 août : la Pologne se dote d’un gouvernement non communiste dirigé par Tadeusz Mazowiecki. 29 décembre : la Pologne cesse d’être une « république populaire ». Début de la IIIe République. 1990 12 septembre : la Pologne participe aux négociations qui précèdent la signature du traité de Moscou portant règlement définitif concernant l’Allemagne, entre les deux Allemagne et les quatre puissances occupantes (traité « 2 + 4 »). Décembre : Lech Wałęsa est élu président de la Pologne au suffrage universel. 1991 Février : création du groupe de Visegrád qui réunit la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie (puis la République tchèque et la Slovaquie après 1993). 25 février : les structures militaires du pacte de Varsovie sont dissoutes. 17 juin : signature d’un « traité de bon voisinage et de coopération amicale » avec l’Allemagne réunifiée établissant l’intangibilité de la ligne Oder-Neisse comme frontière entre les deux pays. 1er juillet : les structures politiques du pacte de Varsovie sont dissoutes. 28 août : la Pologne signe avec la France et l’Allemagne les accords de Weimar, « instrument politique intelligent » (Bronisław Geremek) de coopération entre les trois États. 1994 Avril : la Pologne fait officiellement acte de candidature auprès de l’Union européenne. 1995 Novembre : Lech Wałęsa perd l’élection présidentielle face au candidat de la gauche ex-communiste Aleksander Kwaśniewski (qui est réélu en 2000). 1997 Février : un nouveau concordat avec l’Église catholique est ratifié. 1999 L’Institut de la mémoire nationale est chargé de juger les crimes des régimes nazi et communiste et de structurer le travail de mémoire dans le pays. 12 mars : la Pologne adhère à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). 2003 Janvier : la Pologne cosigne la « Lettre des huit » en soutien à une intervention américaine en Irak. Elle s’oppose ainsi à la position de l’Allemagne et de la Fance. 2004 1er mai : la Pologne devient membre de l’Union européenne. 2005 2 avril : le pape Jean-Paul II décède après plus de vingt-six ans de pontificat. Octobre : la droite nationaliste et catholique arrive au pouvoir avec l’élection à la présidence de Lech Kaczyński du parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS). 2007 La victoire dela droite libérale de la Plateforme civique aux élections législatives conduit Donald Tusk au poste de Premier ministre. 2010 10 avril : l’avion du président Kaczyński, qui se rendait à la commémoration du massacre de Katyń, s’écrase près de Smolensk en Russie, entraînant la mort du président et de nombreuses personnalités polonaises. Bronisław Komorowski lui succède au terme d’une élection anticipée. 2011 8 novembre : l’inauguration du gazoduc Nord Stream reliant directement la Russie à l’Allemagne à travers la mer Baltique réactive les craintes polonaises d’un condominium des deux puissances. 2013 28 octobre : le décès du premier chef de gouvernement de la Pologne postcommuniste Tadeusz Mazowiecki marque la fin du système politique issu de Solidarność et des accords de la Table ronde. 2014 20 février : les ministres des Affaires étrangères du Triangle de Weimar, Radosław Sikorski, Frank-Walter Steinmeier et Laurent Fabius, se rendent à Kiev afin de tenter d’apporter une réponse européenne à la crise en Ukraine. 27 avril : Jean-Paul II est canonisé par le pape François à Rome. 25 mai : la mort du général Jaruzelski réactive les dissensions nationales sur la mémoire du communisme. 2016 Juillet : les XXXIes Journées mondiales de la jeunesse se tiendront à Cracovie. Questions internationales Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 23 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe La Pologne au sein de l’Union européenne Ewa Kulesza * et Christian Lequesne ** * Ewa Kulesza est directrice exécutive du Centre d’études et de recherches internationales Depuis 2007, l’une des priorités de la politique du gouvernement de Donald Tusk vise à faire de la Pologne ** Christian Lequesne un acteur qui compte au sein de l’Union européenne. Cette est directeur de recherche au CERI et professeur à Sciences Po. finalité puise ses racines dans un modèle historique ancien, réaffirmé aujourd’hui avec force. Il ne fait aucun doute que l’engagement européen de la Pologne s’est largement raffermi par rapport à ce qu’il était en 2004 au moment de l’adhésion du pays. Ce saut qualitatif a contribué à la success story polonaise, manifeste si l’on compare la situation de ce pays à celle des autres nouveaux États membres. Ce choix, intrinsèquement lié à la présence au pouvoir de la Plateforme civique, n’a cependant rien d’irréversible. (CERI). Rodzinna Europa, en polonais, signifie l’Europe natale, l’Europe familière. C’est le titre de l’essai autobiographique du prix Nobel de littérature, Czesław Miłosz, paru en 1959. La traduction française, Une autre Europe, ne rend pas justice au titre original 1. Cette imperfection illustre bien l’écart entre ce pays et la perception qu’en a l’ouest du continent, les incompréhensions et les différences de représentations à propos de ce que C. Miłosz appelle « la moins bonne partie de l’Europe ». L’histoire de la Pologne atteste pourtant un attachement profond à l’esprit européen. De ce point de vue, son adhésion à l’Union européenne en 2004 est une continuité de l’histoire. Elle explique l’enga1 Première édition polonaise, Instytut Literacki, Paris, 1959. Première édition française, Gallimard, Paris, 1964. Le titre de la version anglaise, parue chez Doubleday en 1968, Native realm: a search for self-definition, est également imparfait en ce qu’il omet toute référence à l’Europe. 24 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 gement ambitieux de la Pologne contemporaine dans l’expérience de la construction européenne. L’européanité polonaise Un ancrage ancien La Pologne contemporaine, qui vient de vivre l’un des « meilleurs quarts de siècle de son histoire » 2, assume son européanité sans interrogation majeure. De fondation précoce – le couronnement du premier roi polonais en 1025 n’est précédé que par celui d’Étienne de Hongrie –, l’État polonais trouve son développement dans une dynamique historique européenne. Il se définit dès l’origine par les références religieuses, culturelles et politiques communes de la papauté et du Saint Empire, jouant de la fidélité absolue 2 Adam Michnik, cité par Gazeta Wyborcza, 20 mars 2014. © Wikicommons Fondée en 1364 par le roi Casimir le Grand sur le modèle de la Sorbonne, l’université jagellonne de Cracovie contribua à ancrer la Pologne au cœur de l’Europe catholique. C’est là qu’étudia l’astronome Nicolas Copernic qui, au début du XVIe siècle, développa la théorie de l’héliocentrisme. à la première pour contrer la Marche vers l’Est – Drang nach Osten – du second. Plus tôt encore, le « baptême » de la Pologne en 966 apparaît déjà comme un projet politique étroitement inscrit dans un cadre européen. Il s’agit d’opter pour la chrétienté de Rome et non pour celle de Byzance, plus périphérique, tout en formant une alliance régionale avec le duché de Bohême pour conserver une distance prudente face à l’élément germanique 3. Par le jeu des alliances dynastiques, l’usage du latin, l’adoption des règles et des coutumes féodales, ou encore la fondation en 1364 de l’université de Cracovie, la Pologne du Moyen Âge reflète la « norme » européenne de son temps. 3 L’ouvrage le plus complet sur l’histoire de la Pologne reste celui de Norman Davies, God’s Playground. A History of Poland, Oxford University Press, Oxford, 1981. Cette situation change radicalement à la suite de la crise dynastique qui éclate lors du décès en 1370 du roi Casimir le Grand, privé d’héritier mâle. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes polonais qu’en cherchant un souverain dans une lignée européenne – les Anjou de Hongrie – et en voulant se protéger de l’ordre des Chevaliers teutoniques venu de l’Ouest, le centre de gravité du royaume, ses ambitions et ses perspectives d’expansion se déplacent vers les confins orientaux de l’Europe. L’alliance avec le grand-duché de Lituanie en 1386, puis l’avènement de la république nobiliaire des Deux Nations en 1569 font de la Pologne homogène un Commonwealth multinational et multireligieux. Cette transformation apporte dans un premier temps une splendeur et une gloire que la Pologne n’aurait probablement jamais acquises Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 25 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Densité de population, 2012 Tallinn ESTONIE LETTONIE Riga LITUANIE 9 77 2 2 56 3 91 (en nombre d’habitants par km²) 30 Prague Densité de population 17 Varsovie POLOGNE R É P. T C H È Q U E S L O VA Q U I E Bratislava Budapest HONGRIE ROUMANIE SLOVÉNIE Ljubljana Entités géographiques : régions européennes (NUTS 2), données 2011 pour la Roumanie Bucarest BULGARIE Sofia Source : Eurostat, http://epp.eurostat.ec.europa.eu en demeurant ancrée à un socle historique purement centre-européen. Elle se traduit aussi par les « galimatias » identitaires décrits par C. Miłosz et par un affaiblissement du pouvoir central au sein de l’État. Sur le plan international, l’union polono-lituanienne conduit à succomber devant les projets impériaux germaniques à l’Ouest et russes à l’Est, qui la prennent durablement en tenailles entre les xviiie et xxe siècles et, à plusieurs reprises (1772, 1793, 1795, 1815, 1939), l’oblitèrent des cartes politiques de l’Europe. L’opposition entre « la Pologne des Piast » (xie-xive siècles), considérée comme une puissance moyenne ethniquement homogène et engagée dans une coopération harmonieuse avec ses voisins et alliés, et la « Pologne des Jagellon » (xive-xvie siècles), expansionniste et aventurière, méfiante à l’égard du Saint Empire germanique et de la Russie, demeure une référence dans la réflexion contemporaine sur l’État polonais et sur les orientations de sa politique étrangère. 26 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014 Vilnius À l’occasion du 70 e anniversaire de l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, le ministre polonais des Affaires étrangères, Radosław Sikorski, a écrit : « Les ambitions de puissance “à la Jagellon” n’offrent pas la réponse juste aux dilemmes géostratégiques et identitaires de la Pologne. Cette réponse réside au contraire dans le renforcement d’un État-nation moderne, le terme de nation étant utilisé non pas dans son acception ethnique, mais politique et citoyenne. Cela signifie que l’engagement de la Pologne dans le processus d’intégration européenne renforce la modernisation de l’État polonais. Modernisation et intégration sont les deux notions clefs à l’étape actuelle du développement de la Pologne 4. » Une histoire récente apaisée Les initiatives et les réalisations diplomatiques de la Pologne depuis 1989 doivent être interprétées comme autant d’actes de liquidation de pesants héritages historiques. L’engagement en faveur de l’intégration européenne, dès la fin du communisme, est à considérer comme indissociable de tous les efforts de modernisation de l’État et de consolidation de la démocratie. La normalisation des relations avec les voisins traduit la nécessité de dépasser les griefs et les souffrances imposés à la Pologne au cours des siècles. À l’Ouest, l’Allemagne devient « un partenaire stratégique, une alliée et une amie de la Pologne », alors que la Seconde Guerre mondiale avait inscrit une histoire difficile faite de morts et d’expulsions 5. La normalisation des relations avec les voisins immédiats à l’Est, que ce soit par le biais des accords bilatéraux ou par la promotion de la politique de voisinage de l’Union européenne, traduit également la nécessité de dépasser le passé douloureux avec les Lituaniens, les Ukrainiens et les Biélorusses. Une méfiance demeure toutefois à l’égard de la Russie, exacerbée par les démonstra4 Gazeta Wyborcza, 29 août 2009. 6 millions de morts victimes de la Seconde Guerre mondiale, dont 3 millions de citoyens polonais de confession juive et 3 millions de confession chrétienne, et l’expulsion ou le départ, après 1944, de millions d’Allemands des territoires allemands situés à l’ouest de la frontière Oder-Neisse. Sur cette question, voir l’encadré de Dorota Dakowska dans le présent dossier. 5 ➜ FOCUS Quelques personnalités polonaises Jean-Paul II (1920-2005) Prêtre catholique sous le régime communiste, Karol Wojtyła est consacré archevêque de Cracovie en 1964. Élu en 1978 au siège pontifical, il devient le premier pape non italien depuis le xvie siècle. Au cours d’un pontificat long de près de 27 ans, il réforme en profondeur l’Église catholique et joue un rôle central dans les changements que connaît la Pologne dans les années 1980 en apportant son soutien à Lech Wałęsa et à Solidarność. Wojciech JARUZELSKI (1923-2014) Militaire et homme d’État de la Pologne communiste, il décrète la loi martiale en qualité de chef du gouvernement et de ministre de la Défense le 13 décembre 1981 afin de lutter contre l’activisme du syndicat Solidarność. Il lance néanmoins les accords de la Table ronde en 1989 qui mettent fin au régime communiste et devient le premier président de la IIIe République polonaise. Son rôle dans le destin de la Pologne contemporaine demeure âprement débattu. Tadeusz MAZOWIECKI (1927-2013) Intellectuel catholique et opposant au régime communiste, il rejoint Lech Wałęsa dès le début des années 1980. Suite aux élections législatives « semi-libres » de 1989, il devient le premier chef de gouvernement non communiste de la Pologne depuis 1945. Lech WAŁĘSA (1943-) Ouvrier électricien des chantiers navals de Gdańsk, il est à l’origine des grèves de l’année 1980 et du syndicat indépendant Solidarność. Il reçoit en 1983 le prix Nobel de la paix pour son rôle dans l’opposition démocratique qu’il représente aux accords de la Table ronde en 1989. Il est élu président de la République au suffrage universel en 1990. Lech KACZYŃSKI (1949-2010) D’abord engagé auprès de Solidarność, il fonde avec son frère jumeau Jarosław le parti conservateur catholique Droit et Justice en 2001. Élu maire de Varsovie en 2002 et président en 2005, il mène une politique caractérisée par la « révolution morale » et la « lustration » du passé communiste. Il décède brutalement avec son épouse Maria lors de la catastrophe aérienne de Smolensk en 2010. Jarosław KACZYŃSKI (1949-) Premier ministre de son frère Lech entre 2006 et 2007, il dirige un gouvernement de coalition avec des partis ultraconservateurs et populistes. Candidat à la succession de son frère défunt à la présidence en 2010, il est battu par le libéral Bronisław Komorowski. Il demeure le dirigeant du parti Droit et Justice et le principal opposant de droite à la coalition au pouvoir. Aleksander KWAŚNIEWSKI (1954-) Plusieurs fois ministre sous le régime communiste, il participe aux accords de la Table ronde et fonde en 1990 la Social-démocratie de la république de Pologne, devenue en 1999 l’Alliance de la gauche démocratique, principal parti de gauche en Pologne. Président de la République entre 1995 et 2005 après avoir battu Lech Wałęsa, il mène une politique résolument atlantiste marquée par l’adhésion de la Pologne à l’OTAN et à l’Union européenne. Donald TUSK (1957-) Député libéral depuis 1991 et co-fondateur de la Plateforme civique en 2001, il est battu par Lech Kaczyński lors de l’élection présidentielle de 2005. Suite à la victoire de son parti aux élections législatives de 2007, il devient chef d’un gouvernement de coalition de centre-droit. Il promeut une politique libérale, pro-européenne et néanmoins conciliante avec la Russie. Radosław SIKORSKI (1963-) Leader de la grève étudiante en 1982, il obtient l’asile politique au Royaume-Uni où il commence une carrière de journaliste. De retour en Pologne en 1992, il est plusieurs fois ministre dans divers gouvernements de droite. Membre de la Plateforme civique depuis 2007, il est depuis lors ministre des Affaires étrangères du gouvernement Tusk. Il a été, avec ses collègues du Triangle de Weimar, un des porte-voix de la position européenne dans la crise en Ukraine. Questions internationales Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 27 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe tions de force de Vladimir Poutine en Crimée et, plus généralement, dans l’est de l’Ukraine depuis 2014. L’attachement du gouvernement de Donald Tusk à négocier et à « engager » – au sens anglais du terme – les Russes en Europe introduit cependant une nuance, qui peut être attribuée à l’« européanisation » de la politique extérieure de la Pologne depuis 2004. Europe et paysage partisan Mais les affirmations de R. Sikorski doivent également être lues et analysées à la lumière des contraintes et des rivalités de la politique intérieure polonaise 6. Le paysage partisan de la Pologne contemporaine est en effet dominé par l’opposition entre la Plateforme civique (Platforma Obywatelska, PO), au pouvoir depuis 2007, et son seul rival politique susceptible de constituer une alternative de gouvernement, le parti conservateur Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS). Deux lectures de cet antagonisme, qui marginalise totalement la gauche, sont possibles. La première consiste à y voir une spécificité purement polonaise. L’électorat de la PO est urbain, éduqué, implanté dans la partie occidentale du pays, la plus riche, et « connecté » à l’Europe. Il incarne la Pologne de l’Étatnation au sens citoyen du terme évoqué par le ministre Sikorski, une Pologne moderne, cosmopolite et affranchie de l’Église. À l’opposé, le PiS place l’État-nation ethnique au cœur de son système de valeurs et met un signe d’égalité entre les adjectifs « polonais » et « catholique ». Ses électeurs sont issus des villes petites et moyennes, essentiellement situées dans les voïvodies de l’est du pays, plus rurales, plus touchées par le chômage et plus éloignées du cœur de l’Europe historique. La seconde lecture, possible en particulier au vu des résultats des élections au Parlement européen de mai 2014, place l’affrontement PO-PiS dans un contexte européen plus général, caractérisé par la montée des partis souverai6 Sur cette question, voir l’article de Cédric Pellen dans le présent dossier. 28 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 nistes, eurosceptiques ou europhobes, le PiS s’inscrivant sans conteste dans la première catégorie. À la recherche d’une revanche électorale après trois défaites – aux élections législatives de 2007 et de 2011 et à l’élection présidentielle anticipée de 2010 –, le PiS a marqué des points lors des européennes de 2014 en se rapprochant du score de la PO, avec 31,78 % des suffrages contre 32,13 %, ce qui a garanti 19 sièges à chacun des deux partis 7. À la différence de la Plateforme civique, le PiS se définit clairement comme un parti national-conservateur, jaloux de préserver les prérogatives de l’État polonais dans une Union européenne qu’il juge excessivement supranationale et intrusive. Cela vaut aussi bien dans le domaine économique – où son protectionnisme lui fait critiquer les « excès » du libéralisme du gouvernement Tusk – que sur le terrain des valeurs – puisqu’il dénonce le dévoiement moral, l’abandon de l’identité chrétienne et le laxisme des mœurs dont la modernité européenne serait porteuse, en opposition à ce que serait le cœur de la « polonitude ». Les élections européennes de 2014 ont en outre confirmé la stagnation des autres partis « de gouvernement », le Parti paysan polonais (Polskie Stronnictwo Ludowe, PSL) et le Parti social-démocrate (ex-communiste) 8, dont le positionnement par rapport à la construction européenne ne se démarque pas fondamentalement de celui de la PO. Ce scrutin a, en revanche, été marqué par une montée pratiquement ex nihilo d’un parti d’extrême droite ouvertement xéno- et europhobe, l’Union de la politique réelle (Unia Polityki Realnej, UPR), qui a décroché 7,15 % des voix et 4 sièges au Parlement européen, au sein du groupe Nouvelle Droite (Nowa Prawica). Dans un pays beaucoup moins touché par la crise économique que la plupart des autres États membres de l’Union européenne, cette poussée 7 Commission électorale polonaise. Lors des élections européennes de 2009, la PO avait obtenu 44,43 % des suffrages et le PiS seulement 27,40 % soit, respectivement, 25 et 15 sièges. 8 Aux élections européennes de 2009, ils avaient obtenu respectivement 7,01 % et 12,34 % des suffrages, contre 6,8 % et 9,44 % en 2014. L’engagement européen du gouvernement Tusk Tout au long de la crise économique qui, depuis 2008, a bouleversé l’Union européenne, et tout spécifiquement la zone euro, le gouvernement de D. Tusk a affirmé son désir de participer à la recherche de solutions politiques. « Si l’on n’est pas à la table, on se retrouve soi-même au menu », aurait déclaré le Premier ministre en parlant de la nécessaire implication de la Pologne au sein de l’Union européenne 9. Cette posture volontariste du Premier ministre polonais, au moment même où l’Union européenne doit faire face à une forte crise de légitimité, n’est pas un hasard. Elle s’inscrit dans un continuum qui a fait passer la Pologne 9 Anita Sobják, « Poland: The (Success) Story so Far », in Roderick Parkes (dir.), Is this the Future of Europe? Opportunities and Risks for Poland in a Union of Insiders and Outsiders, Institut polonais des relations internationales, Varsovie, 2014, p. 7. Référendum relatif à l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne (2003) Vote en faveur du “oui” par district (en %) : Limite de voïvodie 0 50 70 85 100 Gdańsk Elbląg Olsztyn Szczecin Białystok Bydgoszcz Varsovie Poznań Zielona Góra Łódź Wrocław Lublin Kielce Opole Katowice Rzeszów Résultat national : Cracovie non 23% 100 km oui 77% Source : Commission électorale polonaise, http://referendum2003.pkw. gov.pl/sww/kraj/indexA.html Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014 de l’UPR est difficile à expliquer. L’hypothèse est faite qu’il pourrait s’agir du résultat de la radicalisation du discours national-chrétien du PiS, notamment depuis la catastrophe de Smolensk qui, en avril 2010, coûta la vie au président de la République Lech Kaczyński, frère jumeau du cofondateur du parti, Jarosław Kaczyński. La dénonciation d’un « complot russe », les happenings patriotiques, les critiques exacerbées proférées par J. Kaczyński à l’encontre du gouvernement Tusk semblent avoir placé le PiS dans une situation de pompier-pyromane finissant par être dépassé et débordé sur sa droite. Dans ce contexte, à un an du prochain rendez-vous électoral important, à savoir les législatives de 2015, le PiS détient certainement la clé de l’évolution de la politique polonaise et, en particulier, de la politique européenne du pays. Il existe une incertitude forte sur la stratégie qu’adopterait le parti en cas de victoire. Il peut en effet chercher à grignoter un morceau de l’électorat de la PO, très attaché à l’activisme de la Pologne au sein de l’Union européenne, en modérant ses positions à l’égard de Bruxelles mais aussi de Berlin ou, à l’exact inverse, se radicaliser en dénonçant l’héritage européen de D. Tusk comme un renoncement à la souveraineté de la Pologne. du statut de nouvel État membre en 2004 à celui en 2014 d’État membre poursuivant l’ambition de jouer un rôle dans les développements futurs de l’Union. Trois facteurs au moins expliquent le dynamisme européen du gouvernement Tusk. ● Le premier facteur est historique. La PO incarne le modèle de l’État polonais fortement recentré sur l’ouest du continent européen, comme il a été décrit plus haut. Il en découle en 2014 une aspiration à être considéré comme un « grand » État membre marqué par l’affirmation d’une ambition politique, à la différence des voisins du groupe de Visegrád (Hongrie, République tchèque et Slovaquie) ou encore des pays baltes. Loin de renoncer à sa souveraineté et à son intérêt national – qu’elle a dû défendre contre l’anéantissement à plusieurs reprises au cours de son histoire –, la Pologne de la Plateforme civique doit jouer le jeu européen dans la cour des grands pour mieux exister en tant qu’État moderne. ● Le deuxième facteur, plus conjoncturel, est la résistance de l’économie polonaise aux effets de la crise. Elle est en effet l’une des seules écono- Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 29 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe mies de l’Union européenne à avoir conservé le parti majoritaire au pouvoir depuis 2007 – en un taux de croissance positif pendant la diffil’occurrence la PO – a été réélu en 2011. Il doit cile période 2008-2012. Un dessin humoristique cette reconduction à la bonne santé de l’écopublié dans une revue polonaise au temps le plus nomie, mais aussi à la politique volontariste fort de la crise n’hésite pas à affirmer : « Ce pays a d’arrimage de la Pologne à l’Union européenne. toujours résisté à tout, y compris à la crise ! » Les Si la popularité de la Plateforme civique a baissé tendances économiques ont certes commencé à dans les sondages depuis 2012 au profit du PiS, s’inverser en 2012, avec un ralentissement du taux à partir de l’automne 2013 la crise ukrainienne a de croissance et une augmentation du niveau du contribué à faire remonter la cote du gouvernechômage, mais il n’en reste pas moins que, depuis ment Tusk en détournant la question sociale vers l’élargissement, la Pologne a vu son PIB par un débat centré sur la sécurité du pays. habitant passer de 48,8 % Pour la première de la moyenne commufois depuis dix ans, la L’un des dilemmes nautaire en 2003 à 62,9 % peur de la Russie est 10 en 2012 . de la Pologne contemporaine réapparue comme une Le pays est le est qu’elle n’est pas encore préoccupation prioriprincipal bénéficiaire taire pour une partie non considérée, en 2014, négligeable de la populades fonds structurels tion polonaise (environ européens, dont il capte par les autres « grands » 40 %) 13. Le gouverne20 % des dotations comme un partenaire globales en 2014. Il ment Tusk a pris soin de ayant complètement bénéficie aussi du marché jouer la carte européenne intérieur, par exemple de atteint leur rang dans la gestion de la crise l’implantation de firmes ukrainienne. Une troïka étrangères – notamment allemandes – qui profitent composée des ministres allemand, français et d’une main-d’œuvre qualifiée mais qui reste bon polonais des Affaires étrangères s’est ainsi rendue marché par rapport à la moyenne communauà Kiev, en février 2014, afin d’exiger du président taire 11. Cette priorité accordée depuis le début des Viktor Ianoukovitch qu’il ouvre des négociations années 1990 à l’accueil des investisseurs étrangers avec son opposition au lieu de la réprimer par commence à engendrer dans le pays des réflexions les armes. Cette visite a sans nul doute contribué à accélérer la chute de V. Ianoukovitch et son critiques de la part de certains experts et intellecabandon du pouvoir. tuels. D’après eux, si la Pologne veut jouer dans la cour des « grands » États européens, elle devra précisément avoir moins « d’usines tournevis » Visions et dilemmes étrangères et penser davantage à l’innovation et à La Pologne de D. Tusk a développé une la valeur ajoutée de ce qu’elle produit. Il est vrai véritable stratégie politique pour asseoir son que l’aspiration croissante de la société à rejoindre ambition européenne. Elle consiste tout d’abord les standards européens risque d’entrer rapideà faire du pays une puissance régionale en Europe ment en contradiction avec un modèle éconocentrale et orientale. Cette quête d’un rôle de mique qui repose sur des bas salaires 12. leader reconnu se retrouve dans plusieurs coopé● Le troisième facteur est la stabilisation de la vie rations et actions auxquelles la Pologne est partie politique depuis le milieu des années 2000. Pour prenante : le groupe de Visegrád – aux côtés de la première fois depuis la chute du communisme, la République tchèque, de la Slovaquie et de la Hongrie –, la politique de voisinage de l’Union “ „ 10 Ministère polonais des Affaires étrangères, Poland’s 10 Years in the European Union, Varsovie, 2014 (www.msz.gov.pl/ resource/ef26c779-74e4-4a0c-aa73-0a9d3c8b695c:JCR). 11 En 2012, le salaire moyen brut en Pologne était de 850 euros. 12 Ministère polonais des Affaires étrangères, op. cit. 30 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 13 Conférence de Piotr Buras, directeur du bureau de Varsovie de l’ECPR, Groupe de recherche sur l’avenir de l’Europe CERI/ CAPS, 28 avril 2014. européenne visant à offrir aux pays situés à l’est de la Pologne une alternative européenne à la politique russe de la zone d’influence – Ukraine, mais aussi Géorgie, Moldavie –, la réactivation avec les deux grands voisins de l’Ouest – Allemagne et France – d’une coopération privilégiée au sein du Triangle de Weimar. Le Premier ministre Donald Tusk entretient en effet depuis 2007 une excellente relation politique bilatérale avec la chancelière allemande Angela Merkel 14. Le ministre des Affaires étrangères Radosław Sikorski (membre de la PO) n’a ainsi pas hésité à déclarer, dans un discours public à Berlin en novembre 2011, que sa principale inquiétude pour l’Europe future serait une Allemagne faible et non une Allemagne forte 15. Compte tenu du lourd passif historique avec le voisin allemand, cette affirmation n’est pas passée inaperçue en Pologne. En revanche, la présidence de Nicolas Sarkozy en France, entre 2007 et 2012, a été marquée par davantage de distance avec le gouvernement Tusk, le chef de l’État français refusant précisément de considérer la Pologne comme un « grand » faisant partie du noyau dur de l’Union européenne. La situation a changé avec l’élection, en mai 2012, de François Hollande qui s’efforce de revitaliser la relation politique avec Varsovie. On en veut pour preuve les quelques visites que le chef de l’État français a déjà rendues au Premier ministre polonais. La deuxième ambition du gouvernement Tusk est de se voir reconnaître le statut de « grand » État membre aux côtés de la France et de l’Allemagne en se déclarant en faveur d’un approfondissement institutionnel de l’Union européenne. Dans ce même discours de Berlin en novembre 2011, R. Sikorski a appelé à un renforcement de la Commission européenne et de la « méthode communautaire », afin d’augmenter la capacité de l’Union à décider de nouvelles politiques. R. Sikorski a aussi été, en 2012, le seul 14 Voir Nathaniel Copsey, « Poland », in Simon Bulmer et Christian Lequesne (dir.), The Member States of the European Union, Oxford University Press, Oxford, 2013. 15 Discours devant la Société allemande pour la politique étrangère (DGAP) à Berlin, 28 novembre 2011, disponible en anglais sur le site du ministère polonais des Affaires étrangères (www.mfa.gov. pl/resource/33ce6061-ec12-4da1-a145-01e2995c6302:JCR). représentant d’un nouvel État membre à signer le rapport des onze ministres des Affaires étrangères en faveur de l’avenir de l’Europe, présidé par le ministre allemand Guido Westerwelle 16. Le gouvernement Tusk réaffirme régulièrement son objectif politique de voir le pays adhérer à la zone euro. De façon paradoxale, les autorités polonaises maintiennent ce cap alors que le pays a de toute évidence largement profité de la conservation du zloty pendant la crise. Une Pologne dotée de l’euro aurait en effet eu davantage de mal à affronter les années 2008 à 2012. Globalement, la position de la Pologne à l’égard de la construction européenne rappelle dans une certaine mesure celle de la France dans la période de sortie du gaullisme, au début des années 1970. Elle met la même vigueur à affirmer sans cesse qu’elle est au cœur de la construction européenne, parce qu’elle y voit un moyen pour maximiser l’intérêt national du pays. Il faut cependant préciser que peu d’hommes politiques polonais et peu de Polonais en général défendent l’idée d’un super-État européen qui viendrait se substituer à leur État-nation. Sur les questions d’identité nationale mais aussi de sécurité sociale, les Polonais restent majoritairement attachés à des politiques nationales 17. Dès lors, l’un des dilemmes de la Pologne contemporaine est qu’elle n’est pas encore considérée, en 2014, par les autres « grands » comme un partenaire ayant complètement atteint leur rang. La France et l’Allemagne, fortes de longues années de travail entre gouvernements et administrations sur les dossiers européens, ont encore parfois tendance à laisser la Pologne à la périphérie des négociations importantes. C’est le cas en particulier lorsque sont abordées les grandes réformes de la zone euro. Cette « périphérisation » de la Pologne, que le président Sarkozy n’a pas hésité à souligner ouvertement, a toutes les chances de perdurer encore quelque temps. Sa progressive disparition dépendra de la santé de la zone euro 16 Final Report on the Future of Europe, consultable en anglais sur le site www.statewatch.org/news/2012/sep/eu-future-ofeurope-report.pdf. 17 Anita Sobjak, op. cit., p. 9. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 31 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe autant que de celle de la Pologne, qui affiche des performances macroéconomiques généralement supérieures à celles des pays méditerranéens de la zone. Cette situation amène du reste les responsables polonais à revendiquer, dans les débats sur l’avenir de la monnaie commune, leur nouvelle appartenance au camp des « pays du Nord », façon de justifier leur quête pour rejoindre le « noyau dur ». Un autre point important de ralliement de la Pologne au statut de « grand » se manifeste dans la contribution du gouvernement Tusk à la future défense européenne. Le retrait américain du continent européen, après l’élection en 2008 de Barack Obama, a conduit les autorités polonaises à souhaiter doubler la solidarité transatlantique par un renforcement de la défense européenne. Ce thème avait d’ailleurs été inscrit comme l’une des priorités de la présidence polonaise de l’Union européenne en 2011 18. 18 Nathaniel Copsey, op. cit. Pour la France, qui s’interroge sur sa traditionnelle alliance bilatérale en matière de défense avec Londres, il en découle une recherche de nouveaux partenaires en Europe continentale, parmi lesquels la Pologne figure au premier plan. L’augmentation de la part du PIB polonais consacrée à la défense (1,9 % du PIB en 2013) ainsi que le projet de modernisation de l’armée polonaise à l’horizon 2020 sont regardés avec intérêt à Paris, comme dans les autres capitales européennes attachées aux progrès de la politique européenne de défense. Ces évolutions sont des preuves supplémentaires du choix de la Plateforme civique de voir la Pologne engagée au cœur du noyau dur de l’Union européenne. Elles témoignent également d’une baisse de la confiance en la sécurité transatlantique, par rapport à la fin de la décennie précédente 19. ■ 19 Voir Jean-Marie Guéhenno, Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013, La Documentation française, Paris, avril 2013 (www.ladocumentationfrancaise.fr/ rapports-publics/134000257/). X U E J N E S E L X U A N O I T A N R E T IN E R U T L U C E C E DE FRAN IQU T I L O P O É G L’ÉMISSIONIN ET ERIC LAURENT ARC THIERRY G ENDREDI / 6H45-7H AU V DU LUNDI FC EI Questions internatio 140x105.indd 1 32 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 riat avec en partena st te, podcrea.fr u o c é é r , Écoute francecultu 28/01/14 14:10 Ò POUR ALLER PLUS LOIN Pourquoi l’OTAN ? L’argumentaire polonais en faveur de l’intégration atlantique La première manifestation officielle de la volonté de la Pologne de rejoindre l’OTAN remonte à 1992, avec le discours du Premier ministre Hanna Suchocka devant le Conseil de l’Atlantique Nord, l’instance suprême de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Cet engagement a par la suite été poursuivi par tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, et a abouti à l’adhésion de la Pologne, en mars 1999, cinq années avant l’adhésion à l’Union européenne. L’argumentaire mis en avant pour justifier cette adhésion s’est alors articulé autour de trois idées : se protéger de la Russie, remédier au vide sécuritaire et ancrer le pays dans la sphère occidentale. « Keep the Russians out and the United States in » 1 La crainte de l’URSS – puis de la Russie – fut l’une des principales justifications du ralliement à l’OTAN de la Pologne. L’avenir incertain de l’Union soviétique au début des années 1990 inquiétait les dirigeants polonais. Le pays allait-il se désintégrer ou réussir sa transition démocratique ? Comment les pouvoirs se répartiraient-ils à terme entre l’URSS et les républiques la composant ? Il fallait donc se prémunir contre tout risque émanant d’un État en proie à des développements intérieurs imprévisibles et qui restait militairement puissant 2. L’adhésion à l’OTAN devait en outre empêcher la Russie de s’octroyer à nouveau un droit de regard sur la Pologne. De fait, toutes les offres d’intégration incluant Moscou, telles que la Confédération européenne proposée en décembre 1989 par le président François Mitterrand ou la garantie croisée suggérée par le président Boris Eltsine et qui prévoyait la protection de l’Europe centrale par un 1 La formule est de Lord Ismay, premier secrétaire général de l’OTAN de 1952 à 1957, qui estimait que l’Alliance avait vocation à « garder les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur et les Allemands sous tutelle ». 2 Entretiens avec Andrzej Olechowski, ministre des Affaires étrangères (1993-1995), le 14 octobre 2011, et Janusz Onyszkiewicz, ministre de la Défense (1992-1993 et 1997-2000), le 17 novembre 2011. accord entre la Russie et l’OTAN, furent catégoriquement rejetées par Varsovie 3. La proposition russe de garantie croisée avait notamment fait ressurgir le spectre des partages de la Pologne au xviiie siècle et des conférences de Téhéran en 1943 et de Yalta en 1945. Ces expériences passées démontraient aux yeux des dirigeants polonais qu’il fallait, à présent que cela était possible, tenir la Russie à distance afin d’éviter une réédition de ces épisodes douloureux 4. L’OTAN, quant à elle, était considérée comme un outil permettant le maintien de la présence des Américains sur le Vieux Continent 5. Il s’agissait d’affirmer que les États-Unis et l’Europe partageaient les mêmes valeurs et, à ce titre, avaient vocation à maintenir et à renforcer leur alliance. Ce lien, en cas de besoin, pouvait en outre permettre de pallier les éventuelles déficiences des Européens. Gardant à l’esprit l’attitude passive des Alliés durant la campagne de septembre 1939 ou la conférence de Yalta, certains dirigeants polonais estimaient que les pays d’Europe occidentale n’interviendraient pas en cas de tensions entre la Russie et l’Europe centrale6. D’autres, s’interdisant de dresser des parallèles dramatiques avec le passé, n’en estimaient pas moins que la stabilité de l’Europe ne pouvait s’appuyer que sur la présence militaire américaine. Il fallait donc la maintenir, alors que le début des années 1990 correspondait à une période d’incertitudes liées à l’émergence de nouveaux 3 Entretiens avec Andrzej Towpik, vice-ministre des Affaires étrangères (1994-1997) et premier représentant de la Pologne auprès de l’OTAN, le 16 janvier 2012, et Jerzy Maria Nowak, directeur de département au ministère des Affaires étrangères, représentant de la Pologne à l’OSCE, à l’Agence internationale de l’énergie atomique et à la représentation européenne des Nations Unies (1991-1997), le 6 décembre 2011. 4 Entretien avec Jerzy Koźmiński, ambassadeur aux ÉtatsUnis (1994-2000), le 7 décembre 2011, et discours de Krzysztof Skubiszewski, ministre des Affaires étrangères (1989-1993), aux dirigeants français, allemands, américains et britanniques. 5 Entretien avec Janusz Onyszkiewicz, le 17 novembre 2011. 6 Entretiens avec Andrzej Olechowski, le 14 octobre 2011, et Jerzy Maria Nowak, le 6 décembre 2012. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 33 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe États et à la recomposition des alliances 7. L’argumentaire polonais démontrait que la formule de Lord Ismay gardait toute son actualité et que l’OTAN devait exclure la Russie des affaires européennes dans lesquelles les États-Unis devaient conserver un rôle majeur. Remédier au vide sécuritaire Les dirigeants polonais voulaient également que leur pays entre dans l’OTAN, car ils estimaient que l’Alliance le prémunirait contre le vide sécuritaire dans lequel il était tombé depuis la dissolution du pacte de Varsovie. Certains d’entre eux estimaient que la sécurité européenne formait, avec l’OTAN, un ensemble indivisible. L’Alliance atlantique ne pouvait donc rester indifférente aux menaces pesant sur l’ensemble du continent. Cette conception était d’ailleurs présentée comme s’inscrivant dans les compétences de l’OTAN, tant militairement – comme l’un de ses devoirs – que géographiquement – la zone étant bien celle de l’Atlantique Nord 8. Remédier au vide sécuritaire signifiait aussi, pour la Pologne, ne plus être une voie de passage, une zonetampon entre les blocs occidental et russe ou même entre les puissants voisins russe et allemand dont l’entente, par le passé, s’était souvent faite à ses dépens. L’Allemagne demeura d’ailleurs un objet de craintes tant que la ligne Oder-Neisse ne fut pas officiellement déclarée intangible 9. Il fallait donc mettre un terme à cette situation incertaine en rejoignant une organisation militaire efficace, et celle-ci ne pouvait être que l’OTAN 10. Mais l’adhésion devait également être une réponse aux évolutions inquiétantes de l’Europe, comme la fin de l’URSS ou le délitement de la Yougoslavie 11. Cependant, Varsovie souhaitait aussi démontrer que la Pologne ne serait pas un élément déstabilisateur et qu’elle contribuerait à combler le vide sécuritaire de l’Europe centrale 12. C’est pourquoi elle signa des traités 7 Discours de Krzysztof Skubiszewski devant l’Assemblée de l’Atlantique Nord, 29 novembre 1990. 8 Ibid. 9 Entretien avec Andrzej Karkoszka, directeur de département (1993-1995) puis vice-ministre de la Défense (1995-1997), le 17 janvier 2012. 10 Entretiens avec Jerzy Koźmiński, le 7 décembre 2012, et Janusz Onyszkiewicz, le 17 novembre 2011. 11 Entretien avec Andrzej Karkoszka, le 17 janvier 2012. 12 Entretien avec Andrzej Towpik, le 16 janvier 2012. 34 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 de bon voisinage avec l’Allemagne en 1991, la Russie en 1992 ou l’Ukraine en 1996 et, surtout, s’engagea dans le groupe de Visegrád dès sa création en 1991 13. Le retour vers l’Europe Enfin, l’intégration à l’OTAN s’inscrivait dans la thématique du retour vers l’Europe. Il s’agissait de construire un cadre destiné à abolir la distinction artificielle entre l’Est et l’Ouest et à réparer l’injustice dont la Pologne – et plus largement l’Europe centrale – avait été victime à Yalta. L’adhésion devait être le « triomphe de la justice sur l’histoire » 14. Certains allaient même plus loin en considérant que la division de l’Europe n’était pas seulement due à Yalta, mais s’ancrait plus profondément dans l’histoire du continent. Cette vision de l’Europe centrale comme une « Europe B », une Europe de seconde catégorie, était supposée être celle des Occidentaux qui considéraient que tous les États situés à l’est de l’Allemagne devaient tomber sous influences germanique ou russe 15. L’adhésion à l’Alliance atlantique devait mettre fin à cette coupure et créer un nouveau récit européen en réunissant des États qui se sentaient proches, tant d’un point de vue politique que civilisationnel 16. Le choix atlantiste ne fut toutefois jamais exclusif. Il s’est inscrit dans un ensemble de politiques d’intégration, tel que le projet d’adhésion à l’Union européenne, la coopération régionale – groupe de Visegrád, triangle de Weimar – et le développement de processus paneuropéens – comme l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) 17. Ces multiples initiatives ont relevé d’un seul et même objectif destiné à reconstruire le réseau d’alliances et la politique extérieure de la Pologne et à assurer, à terme, sa pleine réintégration européenne. Amélie Zima * * Doctorante à l’université Paris-Ouest, rattachée à l’Institut des sciences sociales du politique. Elle a récemment coordonné le dossier « Entre atlantisme et européisme, l’évolution des politique de sécurité en Europe centrale » de la Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 44, no 3, 2013. 13 Créé en février 1991, le groupe de Visegrád réunit la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie (puis la République tchèque et la Slovaquie depuis 1993). 14 Entretien avec Jerzy Koźmiński, le 7 décembre 2011. 15 Entretien avec Andrzej Towpik, le 16 janvier 2012. 16 Entretien avec Janusz Onyszkiewicz, le 17 novembre 2011. 17 Entretien avec Jerzy Maria Nowak, le 6 décembre 2011. Les contraintes géopolitiques David Cadier * * David Cadier est enseignant à la London School of Economics (LSE) et chercheur Plus que nulle part ailleurs en Europe, les données géopolitiques déterminent les orientations de la Pologne en matière de politique étrangère. Historiquement, les rivalités de pouvoir liées à la conservation ou à la conquête des territoires ont toujours façonné la perception de l’environnement et la formulation des choix diplomatiques du pays. Ces caractéristiques sont encore manifestes tant dans la définition actuelle de l’intérêt national que dans la sensibilité aux évolutions du contexte régional. affilié au LSE IDEAS. Une géographie exposée et une histoire tourmentée et anxiogène ont contribué à faire de la quête primordiale pour la sécurité le mantra permanent et supérieur de la politique étrangère de la Pologne. Les relations avec les « voisins historiques » que sont l’Allemagne et la Russie sont, bien entendu, abordées par ce prisme, mais il en va de même des relations avec les États-Unis ou encore de l’intégration européenne. En cela, des variations dans le comportement de ces acteurs ont pu conduire à une redéfinition des orientations stratégiques de la Pologne. Couplée à des évolutions internes, la perspective d’un désengagement progressif des États-Unis du Vieux Continent a par exemple incité la Pologne à tenter d’accroître son rôle et de consolider son ancrage au sein de l’Union européenne, une intégration renforcée étant perçue comme une garantie de sécurité supplémentaire. De même, la crise ukrainienne et les récentes évolutions de la diplomatie russe sont susceptibles d’amener un nouvel ajustement de la politique étrangère polonaise. Exposition géostratégique et histoire anxiogène Les coordonnées géographiques et historiques nationales constituent les matériaux à partir desquels les États interprètent le monde extérieur et composent leurs identités régionales et internationales. Les décideurs justifient leurs choix diplomatiques en fonction de ces représentations. En Pologne, ces caractéristiques ou représentations ont trait principalement à l’exposition géostratégique du pays et à certains pans, tragiques ou glorieux, de son histoire. La vulnérabilité géostratégique de la Pologne tient à son exposition topographique dans un espace structurellement ouvert et instable. Les plaines polonaises sont réputées quasi indéfendables, à tel point d’ailleurs que certains stratèges de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) avaient émis des doutes quant à l’opportunité d’intégrer le pays au sein de l’Alliance atlantique après la fin de la guerre froide. Cette position découverte est d’autant plus problématique pour la Pologne Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 35 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe qu’elle intervient dans une configuration régionale marquée par un déséquilibre de puissance avec ses deux principaux voisins, l’Allemagne et la Russie. Si un virage hostile de la première est désormais jugé improbable même à long terme, Varsovie surveille de près tout signe qui indiquerait une résurgence impériale de la seconde, avec laquelle elle partage une frontière au nord de son territoire – l’enclave de Kaliningrad. L’Ukraine et la Biélorussie, véritables pierres angulaires de l’équilibre stratégique régional, occupent à cet égard une place spécifique dans la vision géopolitique polonaise. Ces deux pays constituent à la fois une zone tampon avec la Russie et une source d’instabilité potentielle à ses frontières. La Pologne est de ce fait perçue comme occupant une inconfortable et dangereuse position de bordure entre l’espace sécurisé de l’Union européenne et un voisinage oriental trouble 1. L’histoire nationale, rythmée par de nombreuses invasions et partitions, vient renforcer le sentiment de vulnérabilité de la Pologne. Elle est invoquée par les dirigeants polonais pour justifier une perpétuelle quête de sécurité, qui se traduit à la fois par une recherche de garanties concrètes et multiples et par une anticipation constante et à long terme des pires éventualités. Dans le même temps, certains des éléments glorieux du passé national sont aussi mobilisés pour alimenter une identité de puissance régionale et un sentiment d’importance historique qui sont sans équivalents dans les autres pays d’Europe centrale. Ainsi, il n’est pas rare de voir rappelé l’âge d’or de la dynastie des Jagellon (xive et xve siècles), durant laquelle la Pologne et le grand-duché de Lituanie contrôlaient une zone qui s’étendait de la mer Baltique à la mer Noire, pour renforcer l’idée d’une vocation de la Pologne à œuvrer à la démocratisation et à l’intégration européenne du voisinage oriental 2. Le ministre polonais des Affaires étrangères Radosław Sikorski évoque explicitement un « syndrome de la périphérie ». Source : « Address by the Minister of Foreign Affairs on the goals of Polish foreign policy in 2013 », Varsovie, 20 mars 2013 (www.msz.gov.pl/). 2 Voir par exemple : « Address by Radosław Sikorski at the Stefan Batory Foundation », Varsovie, 8 octobre 2009. 1 36 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 C’est à l’aune de ces caractéristiques que le plan de route de la politique extérieure polonaise est élaboré. Les configurations géostratégique et historique décrites plus haut rendent toutefois la Pologne extrêmement sensible aux évolutions du contexte régional. Son instabilité se traduit souvent par une reformulation des priorités de politique étrangère. Ainsi la Pologne a-t-elle pu passer du rôle de tête de pont des États-Unis en Europe au début des années 2000 à celle de leader régional de l’intégration communautaire de l’Est au début des années 2010. D’un atlantisme automatique à un atlantisme intransigeant Après la fin de la guerre froide, la Pologne a longtemps été perçue comme le cheval de Troie des États-Unis en Europe. Varsovie a ainsi fait montre, en particulier dans la seconde moitié de la décennie 1990 et jusqu’au milieu des années 2000, d’un atlantisme systématique et exclusif, accordant la primauté au renforcement de ses liens bilatéraux avec Washington au détriment de toute autre priorité de politique étrangère 3. Sa participation à l’intervention américaine en Irak en 2003 représente le point d’orgue de cette période. La Pologne ne s’est pas contentée, via la signature de la « lettre des Huit » 4, d’apporter son soutien politique à l’intervention américaine, elle a aussi été le seul pays européen avec le Royaume-Uni à participer à l’invasion avant de fournir l’un des plus importants contingents stationnés dans le pays – environ 2 600 hommes. L’atlantisme polonais a deux racines principales. La première est d’ordre stratégique, puisque le maintien d’une présence militaire américaine en Europe est perçu par Varsovie comme la clé de l’équation de sécurité nationale décrite précé3 Sur cette période, voir Kerry Longhurst et Marcin Zaborowski, The New Atlanticist. Poland’s Foreign and Security Policy Priorities, Chatham House/Blackwell Publishing, Londres, 2007. 4 Le 30 janvier 2003, les chefs d’État de huit pays d’Europe (Danemark, Espagne, Hongrie, Italie, Pologne, Portugal, République tchèque et Royaume-Uni) ont appelé à l’unité avec les États-Unis dans la crise irakienne. © Wikicommons et © Wikicommons / Steven Pavlov Deux symboles des antagonismes nationalistes. À gauche, la statue à Cracovie de Józef Piłsudski, héros de la guerre soviéto-polonaise de 1920 et fondateur de la Deuxième République. À droite, le monument sur la place Rouge à Moscou dédié au marchand Kouzma Minine et au prince Dmitri Pojarski, qui menèrent le soulèvement contre l’occupation polonaise en 1612. demment. Les États-Unis sont considérés comme les seuls à même de fournir des garanties stratégiques directes, en premier lieu via l’OTAN et son mécanisme de défense collective. Ils jouent de surcroît un rôle de puissance d’équilibre au niveau régional, prévenant l’émergence d’un pouvoir hégémonique sur le continent et fournissant de ce fait à la Pologne une issue à l’impasse stratégique née de sa position entre l’Allemagne et la Russie. La deuxième explication est d’ordre sociologique. Les élites polonaises conservent une profonde reconnaissance à l’égard de Washington pour son rôle décisif dans l’adhésion de leur pays à l’OTAN en 1999. Cette intégration a non seulement placé la Pologne sous le parapluie de l’Alliance atlantique, mais elle est également venue apporter une consécration à son appartenance à la communauté occidentale, à un moment où l’entrée dans l’Union européenne n’était pas encore possible. Plus généralement, les élites polonaises perçoivent Washington comme le champion de l’économie de marché et de la démocratisation, des valeurs qu’elles cultivent, d’une part, en réaction à la période communiste et, d’autre part, parce qu’elles y ont été préparées grâce à leur interaction avec des organisations et des fondations américaines – tels le Polish-American Enterprise Fund ou le National Endowment for Democracy. L’atlantisme de la Pologne s’est néanmoins transformé à partir du milieu des années 2000 en un calcul stratégique plus utilitariste 5. Cette nouvelle posture s’explique surtout par la déception des gouvernements polonais face à la faible rétribu5 David Cadier, « Après le retour à l’Europe : convergences et contrastes dans les politiques étrangères des pays d’Europe centrale », Politique étrangère, no 3, septembre 2012, p. 573-584. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 37 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe tion de leur soutien aux initiatives américaines, qu’il s’agisse des contrats obtenus par les entreprises polonaises en Irak ou de la levée du régime de visas 6. L’approche utilitariste de Varsovie a notamment été manifeste lors des négociations relatives au projet de bouclier antimissile conçu par l’administration Bush. La Pologne exigea alors des contreparties telles que les négociations demeurèrent au point mort pendant de longs mois 7. L’abandon du projet dans son format initial, annoncé par l’administration Obama en septembre 2009, fut ensuite interprété à Varsovie comme un signe de l’affaiblissement de la fiabilité stratégique de Washington, ou en tout cas de sa détermination à assurer la défense de l’Europe centrale. La Pologne devrait finalement participer au nouveau projet de défense antimissile prévu dans le cadre de l’OTAN, mais elle a choisi en parallèle, afin d’éviter de nouvelles déconvenues et de multiplier ses garanties, d’investir dans la construction de son propre système antimissile, pour lequel des entreprises américaines, françaises et israéliennes sont en compétition. Cette évolution de l’atlantisme polonais ne saurait être interprétée comme un renoncement, par dépit ou par rancœur, à la poursuite d’un lien privilégié avec les États-Unis. Elle correspond, plutôt, à une adaptation à l’évolution de la politique extérieure américaine qui, sans pour autant se désengager du continent, a indéniablement rétrogradé l’Europe dans la liste de ses priorités 8. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne l’Europe centrale, avec laquelle Washington a cherché à normaliser ses relations, c’est-à-dire à les ramener à leur valeur géopolitique réelle 9. Les possibi6 La Pologne est le seul État membre de l’Union européenne ayant adhéré en 2004 dont les citoyens ont encore besoin d’un visa pour les États-Unis. 7 En contrepartie de l’installation sur son territoire d’une base antimissile, la Pologne exigea des batteries Patriot – missiles sol-air à moyenne portée – ainsi que des aides financières et techniques en matière de modernisation militaire. Les négociations ne furent finalement débloquées que dans le contexte de la guerre russo-géorgienne de l’été 2008 et face à la perspective d’un changement d’administration à Washington. 8 Voir sur le sujet le dossier spécial de Questions internationales, « États-Unis : vers une hégémonie discrète », no 64, novembredécembre 2013. 9 Nik Hynek, Vit Stritecky, Vladimír Handl et Michal Koran, « The US-Russian Security “Reset”: Implications for CentralEastern Europe and Germany », European Security, vol. 18, no 3, septembre 2009, p. 263-285. 38 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 lités de coopération bilatérale et rapprochée avec Washington sont donc dorénavant, de fait, moins nombreuses pour Varsovie. Il n’en demeure pas moins que le maintien d’une présence américaine en Europe reste un objectif stratégique essentiel pour la Pologne. Varsovie apporte un soutien actif à de nombreux projets qu’elle estime susceptibles de contribuer à ancrer les États-Unis sur le Vieux Continent. C’est le cas par exemple du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (Transatlantic Trade and Investment Partnership, TTIP) actuellement en cours de négociation entre la Commission européenne et l’administration américaine. Simultanément, soucieuse de ne pas miser sur la seule garantie américaine, la Pologne s’est efforcée d’élargir et de diversifier les bases de sa politique extérieure et de sécurité. C’est dans ce contexte qu’elle s’est attachée à renforcer sa position au sein de l’Union européenne. L’engagement européen de la Pologne C’est au début de la décennie 2010 que se parachève le virage européen de la politique étrangère polonaise, incarné dans le discours du ministre des Affaires étrangères à Berlin le 28 novembre 2011. Radosław Sikorski y plaide à la fois pour une Europe forte et pour une place renforcée de la Pologne en son sein 10. Cette formule incarne relativement bien la stratégie qui est celle de Varsovie depuis la fin des années 2000 et qui consiste en un soutien plus appuyé à l’approfondissement de l’intégration européenne et en une tentative tous azimuts d’installer fermement la Pologne dans le premier cercle des puissances de l’Union européenne. Une première explication à cette évolution, liée au changement des priorités à Washington et à la volonté de la Pologne de diversifier ses 10 « La Pologne offre à l’Europe un consentement à faire des compromis – et même à un plus grand partage de souveraineté – en échange d’un rôle juste dans une Europe plus forte. » Source : « Poland and the future of the European Union », allocution de Radosław Sikorski, ministre des Affaires étrangères de Pologne, Berlin, 28 novembre 2011. La Pologne dans son environnement stratégique (juillet 2014) FIN. SUÈDE LET. Kal. LIT. ALLEMAGNE BIÉL. POLOGNE RÉP. TCH. FRANCE KAZAKHSTAN UKRAINE SLO. HON. MOLD. BOSNIE-H. GÉORGIE AZERB. SERBIE MONTÉNÉGRO ARMÉNIE ARYM* TURQUIE 1 000 km Union européenne à 28 Partenariat oriental de l’UE * ARYM : Ancienne République Yougoslave de Macédoine. Pays européens membres de l’OTAN Union économique eurasiatique Groupe de Visegrad Sources : europa.eu, www.nato.int, www.visegradgroup.eu, http://www.france-allemagne.fr/Presentation-du-Triangle-de-Weimar,186.html, www.cis.minsk.by et www.odkb.gov.ru/start/index_aengl.htm garanties stratégiques, a été avancée plus haut. D’autres facteurs, notamment internes, doivent cependant également être pris en compte. L’arrivée au pouvoir en 2007 de la Plateforme civique (PO), parti libéral-conservateur et pro-européen, est évidemment pour beaucoup dans la nouvelle orientation polonaise. Pour son agenda de modernisation économique, le gouvernement de Donald Tusk a en effet misé en grande partie sur l’obtention de fonds européens et sur l’attraction des investisseurs étrangers, allemands en particulier. Tranchant avec le contexte régional de quasi-récession de la fin des années 2000, les bons résultats économiques de la Pologne ont en outre accru de facto Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014 RUSSIE EST. Triangle de Weimar Communauté des États indépendants (CEI) L’Ukraine a entamé un processus de sortie de la CEI OTSC (Organisation du traité de sécurité collective) La Serbie est observateur de l’OTSC son poids au sein de l’Union européenne et élargi ses possibilités d’influence. Enfin, bien que ces tendances soient toujours difficiles à mesurer, la socialisation des élites polonaises au sein des structures européennes après l’élargissement a certainement joué un rôle dans cette évolution. L’analyse des différents volets de ce nouvel activisme au sein de l’Europe révèle aussi des considérations géopolitiques. Le renforcement d’une relation privilégiée avec l’Allemagne en est, de loin, la composante à la fois la plus importante et la plus significative. C’est avant tout sur ce sujet qu’on peut parler de virage. Après avoir longtemps constitué une menace existentielle pour la Pologne, l’Allemagne est devenue le parte- Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 39 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe naire privilégié du pays, à tel point que le ministre polonais des Affaires étrangères a pu affirmer « moins craindre les actions de l’Allemagne que son inertie ». Les investissements allemands en Pologne sont sollicités à des fins non seulement économiques mais également stratégiques. L’intégration renforcée des deux économies est perçue comme un moyen d’accroître l’importance de la Pologne pour l’Allemagne et, par là même, de lier leurs destinées. La volonté de Varsovie de s’ancrer au cœur de la dynamique européenne se traduit par un engagement renforcé dans les instruments de politique extérieure de l’Union européenne, avec notamment un revirement au sujet de l’Europe de la défense. Longtemps réticente face à un projet qui présentait à ses yeux le risque de réduire le rôle des États-Unis dans l’architecture de sécurité européenne, la Pologne a, en prévision de sa présidence du Conseil européen de 2011, fait des propositions pour développer la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’Union européenne, n’hésitant pas à prendre le contrepied de certaines de ses positions antérieures – sur la perspective d’un centre de commandement intégré ou sur la coopération structurée permanente par exemple 11. La Pologne souscrit toutefois davantage à une vision « allemande » – mécanisme d’intégration – que « française » – instrument de projection de puissance – de la PSDC. Instigateur et principal promoteur du Partenariat oriental, Varsovie a en outre su affirmer son leadership sur les politiques européennes à l’égard de l’est du continent. La Pologne a, il est vrai, un intérêt direct à maintenir la stabilité à ses frontières. Cet activisme accru au sein des structures européennes de politique extérieure n’équivaut pas pour autant à un soutien à l’intégration dans tous les secteurs. Ainsi, bien que la Pologne continue d’afficher son souhait d’adopter à terme la monnaie unique, elle n’a toujours pas fixé de calendrier à cette fin. D’aucuns considèrent que les récents événements en Ukraine pourraient 11 Clara M. O’Donnell, « Poland’s U-turn on European Defense: A Missed Opportunity?», U.S.-Europe Analysis Series, no 53, The Brookings Institution, Washington, 6 mars 2012. 40 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 néanmoins accélérer le processus. Le lien de causalité n’est certes pas évident – il est d’ailleurs probablement exagéré –, mais le fait est que la question de l’intégration monétaire est parfois considérée à Varsovie sous l’angle géopolitique. L’ancien ministre des Finances Jacek Rostowski a par exemple déclaré au Parlement en février 2013 que Londres aurait probablement ratifié le pacte budgétaire si le Royaume-Uni avait été placé sur la carte de l’Europe là où la Pologne se situe. La crise ukrainienne : un nouveau point de bascule ? Si le renforcement des liens avec l’Europe et avec l’Allemagne constitue un changement de stratégie, l’objectif principal de la politique étrangère polonaise demeure constant. Il consiste à stabiliser la situation géopolitique de la Pologne afin de mieux garantir sa sécurité à long terme. De fait, une altération majeure du contexte régional est susceptible de conduire à un nouvel ajustement de la politique extérieure du pays. La crise ukrainienne, et ce qu’elle révèle de la volonté de puissance de la Russie, en constitue l’exemple le plus récent. L’apaisement des relations avec la Russie a été l’élément le plus inattendu de l’évolution de la politique étrangère polonaise à la fin des années 2000. Dans la période qui a suivi son adhésion à l’Union européenne, la Pologne a affiché une attitude intransigeante, pour ne pas dire frondeuse, à l’égard de la Russie. En 2006, elle a même opposé son veto au renouvellement de l’Accord de partenariat et de coopération (APC) qui lie l’Union européenne et la Russie en réponse à l’embargo russe sur les viandes polonaises. Le sommet Union européenne-Russie de 2007 a ensuite ouvert la voie à une première inflexion – sommet au cours duquel la chancelière allemande Angela Merkel exigea de Moscou un changement d’attitude à l’égard des nouveaux États membres. La politique américaine dite du « reset » lancée avec Moscou par l’administration © AFP / Jens Schlueter Les ministres des Affaires étrangères du Triangle de Weimar, Laurent Fabius, Frank-Walter Steinmeier et Radosław Sikorski. Le 20 février 2014, ils sont intervenus conjointement à Kiev afin de promouvoir un accord de règlement de la crise ukrainienne. Obama puis le ralentissement économique de la Russie ont ouvert la voie à une dynamique de rapprochement russo-polonais caractérisée par la volonté des deux parties de surmonter les différends du passé. Le rapprochement se concrétisa par des gestes symboliques – dont certains sont à mettre au crédit de la Russie – au moment des commémorations du massacre de Katyń ou suite à la tragédie de Smolensk 12, et par la réactivation du « Groupe bilatéral pour les questions difficiles » composé d’historiens polonais et russes 13. Il importe pour autant de ne pas se méprendre sur la nature avant tout symbolique de cette politique affichée de réconciliation qui fut rapidement enterrée par la réélection de Vladimir Poutine en mars 2012 et par la crise ukrainienne au printemps 2014. Là encore, il 12 Timothy Garton Ash, « This tortured Polish-Russian story is something we can all learn from », The Guardian, 23 février 2011 (www.theguardian.com/commentisfree/2011/feb/23/ tortured-polish-russian-story). 13 Ce groupe a été créé en 2002 mais n’a pas été vraiment actif avant la fin des années 2000. s’agissait de la part de la Pologne d’un changement d’approche, mais en aucun cas d’une redéfinition de ses intérêts de sécurité ou d’une réévaluation à la baisse du risque géopolitique que peut représenter la Russie à moyen terme. La normalisation des relations avec Moscou s’est inscrite dans la stratégie européenne décrite plus haut. Elle facilitait l’approfondissement du lien avec l’Allemagne et permettait à la Pologne de mieux asseoir, au sein de l’Union européenne, son leadership auprès du voisinage oriental. Le Groupe pour les questions difficiles prétendait moins régler que désamorcer ces questions en les catalysant et en les soustrayant des échanges diplomatiques. Durant cette période, les dirigeants polonais ont suivi de près les évolutions de la Russie, qu’il s’agisse des programmes de modernisation de son armée, de ses exercices militaires conduits conjointement avec la Biélorussie à la frontière polonaise (Zapad) ou des déclarations de Moscou sur l’installation de missiles Iskander dans l’enclave de Kaliningrad. Contrairement Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 41 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe ➜ FOCUS Extraits du discours de Barack Obama à l’occasion du 25e anniversaire des premières élections libres, le 4 juin 2014 à Varsovie « Je suis venu à Varsovie aujourd’hui, au nom des États-Unis et au nom de l’OTAN, pour réaffirmer notre engagement indéfectible envers la sécurité de la Pologne. L’article 5 est clair : une attaque contre l’un des nôtres est une attaque contre tous. En tant qu’alliés, nous avons le devoir sacré, l’obligation prévue par un traité, de défendre votre intégrité territoriale. Et nous le ferons. Nous sommes solidaires, maintenant et pour toujours, car votre liberté est la nôtre. La Pologne ne sera jamais seule. […] Nous sommes solidaires parce que nous croyons que les peuples et les nations ont le droit de choisir leur destin. Y compris le peuple d’Ukraine. […] Les Ukrainiens d’aujourd’hui sont les héritiers de Solidarność, des hommes et des femmes comme vous qui ont osé défier un régime en faillite. […] Merci à la Pologne pour votre volonté de fer et pour avoir montré que, oui, des citoyens ordinaires peuvent prendre les rênes de l’histoire et que la liberté peut l’emporter, parce à d’autres États centre-européens tels que la Hongrie, la République tchèque ou les pays baltes, la Pologne s’est attachée par ailleurs à ne pas laisser les entreprises russes s’approcher de son secteur énergétique. L’Ukraine occupe une place particulière dans ce contexte. Ce pays revêt bien entendu une importance à la fois historique – inclusion dans le Royaume de Pologne et dans le grand-duché de Lituanie – et sociétale – présence de minorités polonaises en Ukraine. Surtout, l’Ukraine joue le rôle de pivot stratégique régional et de révélateur des intentions de la Russie. L’adage de l’ancien conseiller de Jimmy Carter, Zbigniew Brezinski, selon lequel « sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire » continue de trouver une forte résonance à Varsovie. D’un point de vue stratégique, tout comme la Russie ne pourrait accepter une Ukraine membre de l’OTAN, la Pologne ne saurait tolérer une Ukraine russe. L’instabilité chronique dans laquelle l’Ukraine semble s’installer est donc de nature à malmener les relations russo-polonaises. Les tensions entre Varsovie et Moscou au milieu des années 2000 avaient déjà en leur temps été exacerbées par la Révolution orange de 2004. L’actuelle crise ukrainienne 42 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 qu’en fin de compte les chars et les soldats ne peuvent rien contre la force de nos idéaux. […] Dziękuję, Polsko ! Dieu bénisse la Pologne ! Dieu bénisse l’Amérique ! Dieu bénisse notre indestructible alliance ! » Source : « Remarks by President Obama at the 25th Anniversary of Freedom Day », Castle Square, Varsovie, Pologne, 4 juin 2014, The White House, Office of the Press Secretary (www.whitehouse.gov/ the-press-office/2014/06/04/remarks-presidentobama-25th-anniversary-freedom-day-warsawpoland). Traduction de Benoît Lerosey. figure donc sans surprise au cœur des priorités diplomatiques de la Pologne, Varsovie ayant condamné l’attitude de Moscou en Crimée dans les termes les plus fermes. Varsovie a en outre réactivé avec insistance sa demande de déploiement permanent de troupes de l’OTAN sur son territoire et sur celui des pays baltes. De fait, cette crise est de nature à conduire à un nouveau renforcement des liens bilatéraux avec Washington. Pour autant, il est peu probable qu’elle mette en cause l’engagement européen de la Pologne. En réponse à ces tensions, le Premier ministre Donald Tusk a récemment appelé à une union énergétique au niveau de l’Union européenne. De même, lorsqu’il a été mandaté par le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Catherine Ashton, pour une mission de médiation à Kiev en février 2014, le ministre des Affaires étrangères R. Sikorski a tout fait pour impliquer son homologue allemand – qui a, à son tour, associé le ministre français des Affaires étrangères. En plaçant la Pologne sur un qui-vive stratégique, la crise ukrainienne devrait avoir des incidences importantes sur la politique extérieure que Varsovie mettra en œuvre dans les années à venir. ■ Ò POUR ALLER PLUS LOIN La Baltique : un espace de coopérations Les coopérations autour de la mer Baltique (2014) N O RV È G E FINLANDE SUÈDE SaintPétersb. 1 2 4 DAN. 3 E S T. RUSSIE L E T. 5 6 Kal. 7 L I T. Gdańsk ALL. POLOGNE 1 Åland 2 Hiiumaa 3 Saaremaa 4 Gotland 5 Öland 6 Bornhold 7 Rügen 500 km Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014 Mer périphérique des premières Communautés européennes, la mer Baltique est devenue, avec la chute du mur de Berlin en 1989 et les quatrième (1995) et cinquième (2004) élargissements, un espace privilégié de coopération et presque une mer intérieure de l’Union. Les rives de la mer Baltique et de la mer du Nord ont ainsi vu fleurir un certain nombre d’organisations internationales, de cadres de collaboration et de partenariats qui, parfois en réactivant la mémoire de la Hanse ou de l’ancienne Prusse, favorisent une intégration régionale dans laquelle l’Allemagne joue un rôle moteur tout en laissant une place à la Russie. Cette dernière, avec les régions de Saint-Pétersbourg et de Kaliningrad, est en effet désormais le seul pays riverain de la Baltique à n’être pas membre de l’Union européenne. Dès la disparition du bloc soviétique, les États riverains ont engagé une politique d’intégration protéiforme visant à transcender le clivage Est-Ouest en vigueur depuis 1945. Si l’Allemagne y a trouvé le moyen d’opérer son retour vers un Est dont elle fut brutalement chassée, et la Suède celui de promouvoir un modèle social et économique envié, le développement de la coopération régionale a également permis à la Pologne et aux pays baltes de hâter leur intégration euro-atlantique et à la Russie de maintenir sa présence sur un littoral baltique largement amputé. Formalisé en 1992, le Conseil des États de la mer Baltique réunit les dix États riverains et promeut une coopération politique dans les domaines écologique, économique, éducatif, culturel et sécuritaire. Au niveau infranational, l’« Eurorégion baltique » est, avec celle des Carpates, la seule structure de ce type à inclure des collectivités locales d’États non membres de l’Union européenne. Elle regroupe ainsi sept régions situées dans cinq pays différents, sur les deux rives de la Baltique, y compris celle de Kaliningrad, en Russie. Le « B7 » (né en 1989) regroupe en une structure unique les sept plus grandes îles de la Baltique, situées sur le territoire de cinq États, tandis que l’Organisation des ports de la Baltique (née en 1991) organise la coopération entre les principaux organismes et entreprises portuaires. Des réseaux de villes se voulant les héritiers des ligues de cités libres du Moyen Âge ont en outre vu le jour sous la forme de l’Union des villes de la Baltique qui, depuis 1991, regroupe 92 villes dans dix pays, ou en se concrétisant par des jumelages. Gdańsk (anciennement Dantzig), haut lieu de l’histoire de l’Europe et plus grand port polonais, a par exemple tissé, depuis 1991, un étroit réseau de relations avec les principales villes du littoral baltique et de tradition hanséatique : de Saint-Pétersbourg à Brême en allant jusqu’à Rouen et Sefton (Angleterre). Conseil des États de la mer Baltique (dont Union européenne et Islande, hors cadre) B7 Baltic Islands Union des villes de la Baltique Organisation des ports de la Baltique Eurorégion baltique Villes jumelées à Gdańsk Au niveau européen, la stratégie de l’Union européenne pour la région de la mer Baltique adoptée par la Commission européenne en 2009 a pour objectif d’améliorer l’absorption des crédits communautaires au profit du développement économique et de la protection de l’environnement. Elle met en évidence une volonté partagée de coopération entre les deux rives et entre anciens et nouveaux États membres. Son succès a encouragé une initiative similaire dans le bassin du Danube et pourrait faire école dans d’autres régions du continent. Questions internationales Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 43 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Ò POUR ALLER PLUS LOIN L’adaptation de la politique d’emploi polonaise aux normes européennes L’adhésion de la Pologne à l’Union européenne en 2004 s’est inscrite dans un triple mouvement de rattrapage économique et social, d’européanisation des pratiques et de consolidation du système politique et institutionnel national. Dans ce processus, les fonds de préadhésion puis les fonds structurels ont joué, et jouent encore, un rôle déterminant. Le rôle central du Fonds social européen En matière sociale, le Fonds social européen (FSE) est ainsi devenu un élément essentiel de la politique polonaise de l’emploi. Pour la période de programmation qui vient de s’achever (2007-2013), la Pologne en a été le premier pays bénéficiaire. Sur les 67 milliards d’euros de fonds structurels perçus au titre de l’objectif de « Convergence », plus de 11 milliards sont à mettre au compte du FSE. Si l’on observe les statistiques récentes, la dynamique de rattrapage – généralement attribuée aux fonds européens – semble incontestable : la Pologne se porterait mieux que nombre de pays de l’Union européenne, notamment les pays du Sud. En 2012, elle a été l’un des seuls pays présentant une crois- sance positive de son PIB, tandis que la production moyenne de l’Union européenne était en recul de − 0,4 %. Même s’il demeure bien en deçà de la moyenne européenne, dont il ne représente que 66 %, le PIB par habitant polonais a malgré tout fortement augmenté depuis 2004 et le ratio entre PIB polonais par habitant et PIB de l’Union européenne par habitant a gagné 15 points. S’agissant des taux d’emploi, de chômage et de pauvreté 1 entre 2004 et 2012, le processus de rattrapage se vérifie également. Le taux d’emploi national s’est rapproché de la moyenne européenne, tandis que chômage et risque de pauvreté ont considérablement diminué. Des clivages territoriaux persistants Ce rattrapage apparent au niveau national masque toutefois la persistance de forts déséquilibres terri1 La hausse des taux d’emploi et la baisse des taux de pauvreté font partie des grands objectifs de la stratégie Europe 2020. Il s’agit de faire passer le taux d’emploi de la population âgée de 20 à 64 ans de 69 % en 2010 à 75 % au moins en 2020, et de réduire de 25 % le nombre d’Européens vivant en dessous des seuils de pauvreté nationaux. PIB par habitant et croissance du PIB en volume en Pologne et dans certains pays de l’Union européenne PIB par habitant Croissance du PIB réel en volume (UE 25 = 100) (en % de l’année précédente) 2004 2007 2012 2004 2007 2012 Union européenne 100 100 100 2,6 3,2 – 0,4 Irlande 143 146 130 4,2 5,0 0,2 Grèce 94 90 75 4,4 3,5 – 6,4 Espagne 101 105 97 3,3 3,5 – 1,6 Pologne 51 55 66 5,3 6,8 1,9 Portugal 78 79 75 1,6 2,4 – 3,2 Source : Eurostat, 2013. 44 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Fonds structurels en Pologne (2007-2013) Développement de la Pologne orientale 3,4 Economie innovante Capital humain MER Gdańsk Assistance technique 0,8 POMÉRANIE Autre 2,0 POMÉRANIE OCCIDENTALE 12,4 41,9 Ka l i n i n g ra d (RUSSIE) B A LT I Q U E VARMIEMAZURIE BIÉL. Olsztyn Białystok PODLACHIE CUJAVIEPOMÉRANIE Szczecin LITUANIE MAZOVIE Bydgoszcz 14,6 VARSOVIE Poznań 24,9 Programmes opérationnels régionaux LUBUSZ Infrastructures et environnement Łódź SAINTECROIX Wrocław BASSESILÉSIE Kielce OPOLE Opole Katowice SILÉSIE Fonds structurels par habitant (base 100 = moyenne nationale) 80 90 Lublin LUBLIN LODZ Zielona Góra Sources de financement : FEDER Fonds social européen Fonds de cohésion GRANDEPOLOGNE 100 110 130 140 175 RÉPUBLIQUE TCHÈQUE Cracovie PETITEPOLOGNE S L O VA Q U I E Rzeszów BASSESCARPATES U KR . Sources : Projekt Narodowej Strategii Rozwoju Regionalnego na lata 2007–2013 zaakceptowany przez Radę Ministrów w dniu 6 września 2005 r., Varsovie, septembre 2005, p. 86, et Ministère du Développement régional, Narodowe Strategiczne Ramy Odniesienia 2007-2013, wspierające wzrost gospodarczy i zatrudnienie, Varsovie, mai 2007, p. 116. toriaux 2. Ceux-ci sont directement hérités de la période des partages (1772-1918), qui a façonné les écarts traditionnellement défavorables à la Pologne orientale et qui s’expriment à travers le clivage entre la Pologne A et la Pologne B 3. Cette période a également façonné le profil agricole des régions – tant le poids relatif de l’agriculture dans l’économie locale que la configuration des exploitations – et 2 Voir Gilles Lepesant, « Pologne : vers un nouveau modèle de développement économique et territorial ? », Questions internationales, no 64, novembre-décembre 2013, p. 96-102. 3 Le territoire polonais est souvent considéré comme constitué de deux parties que séparait historiquement la Vistule. Aujourd’hui, on utilise encore cette distinction pour opposer les voïvodies de l’Ouest et du Centre, qui forment la Pologne A, perçue comme plus riche, industrialisée et développée, des cinq voïvodies orientales (BassesCarpates, région de Lublin, Podlachie, Sainte-Croix et VarmieMazurie), qui constituent la Pologne B, plus rurale, vue comme plus traditionnelle et moins bien lotie économiquement. Le clivage entre la Pologne A et la Pologne B s’est compliqué dans les années 1990 avec la chute du nombre d’exploitations agricoles d’État dans les régions de l’Ouest recouvrées en 1945. Cette mutation a entraîné l’explosion du chômage et de la pauvreté dans certaines zones rurales de la Pologne A, à des niveaux supérieurs à ceux des régions orientales. Autrement dit, la Pologne A est loin d’être elle-même homogène. Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014 Part des fonds reçus par programme opérationnel (PO) (en % du total des fonds structurels alloués) donc le rapport entre zones rurales et urbaines. Les politiques mises en œuvre depuis l’après-guerre n’ont pas plus corrigé ce déséquilibre historique que l’intervention des fonds européens jusqu’à présent. Les différences entre l’est et l’ouest du pays et entre les villes et les campagnes sont toujours perceptibles. S’y ajoutent en outre des inégalités infrarégionales. La plupart des indicateurs sociaux, en termes d’emploi mais aussi d’aide sociale ou de pauvreté, traduisent la persistance de ces clivages territoriaux. Depuis les années 1990, d’autres inégalités se sont en outre consolidées au sein de la population, déclinées selon l’âge, le sexe, le niveau d’éducation ou encore le handicap. Ainsi, malgré l’intervention du FSE qui véhicule le principe d’égalité entre les hommes et les femmes et qui cofinance des projets de formation ou d’aide à la création d’entreprise, parfois spécifiquement adressés aux femmes, celles-ci restent défavorisées dans l’accès à l’emploi par rapport aux hommes, et sont plus touchées par le chômage – notamment de longue durée – et l’inactivité. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 45 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Taux d’emploi, de chômage et risque de pauvreté ou d’exclusion sociale en Pologne et dans l’Union européenne (en %) Taux d’emploi Taux de chômage* Personnes en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale 2004 2007 2012 2004 2007 2012 2004 2007 2012 Union européenne 67,4 69,9 68,5 9,3 7,0 10,8 21,5 21,6 23,2 Pologne 57,3 62,7 64,7 19,4 8,6 10,2 45,3 34,4 26,7 * 2004 : taux de chômage au deuxième trimestre ; 2007 et 2012 : taux de chômage au quatrième trimestre. Source : Eurostat, 2013. Des politiques d’emploi contrastées Outre la résorption des clivages sur laquelle les effets du FSE sont encore mitigés, l’objectif de ce fonds est de promouvoir les normes européennes de politique d’emploi valorisées par les différentes stratégies élaborées depuis 1997 : stratégie européenne pour l’emploi (SEE), stratégie de Lisbonne (2000) et stratégie Europe 2020 (depuis 2010). Les enjeux sont la mise en place de politiques actives du marché du travail encourageant le retour à l’emploi des chômeurs et des inactifs, l’élaboration de politiques ciblées, la promotion de la formation tout au long de la vie ainsi que de la « flexicurité », combinaison entre flexibilité et sécurité de l’emploi. En Pologne, les résultats sont contrastés. Si le FSE introduit bien une logique de ciblage – soutien à la création d’emplois –, les logiques passives de politique d’emploi forment en revanche toujours l’essentiel de l’activité des administrations locales. Adoptée au début des années 1990 dans l’urgence pour faire face à l’explosion du chômage et de la pauvreté, cette approche n’a cessé de prévaloir sur les mesures actives. Ce n’est qu’à partir de 2007 que ces dernières ont pris le dessus, avec l’appui du FSE. Mais la tendance s’est inversée de nouveau depuis 2011, traduisant l’échec des politiques d’activation face à la crise. Localement, pourtant, la crise n’est pas vécue comme un phénomène récent, le chômage et la pénurie d’emplois remontant à la mue brutale du marché du travail dans les années 1990. Les grandes entreprises d’État ont alors laissé la place à des petites voire très 46 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 petites entreprises n’employant qu’un nombre limité de personnes, particulièrement en milieu rural. Leur essor a été encouragé dès le milieu des années 1990 afin de résoudre le problème du chômage, et il est depuis soutenu par le FSE. Cependant, ce tissu de petites et moyennes entreprises ne permet pas d’absorber l’ensemble de la population demandeuse d’emploi. Dès lors, une partie de celle-ci tire ses revenus du travail non déclaré qui, malgré une baisse générale depuis les années 2000, concerne encore près de 5 % des personnes exerçant une activité 4. En parallèle, les conditions de travail dans le secteur privé, légal ou informel, sont marquées par une flexibilisation à outrance des contrats et des temps de travail, pour un salaire mensuel minimum de 385 euros en 2013 5. Dans ce contexte, la sécurité de l’emploi est loin d’être assurée et l’intervention du FSE n’a pas d’impact sur ces pratiques. Une gouvernance diversifiée C’est essentiellement sur les rapports de gouvernance que l’influence du FSE est la plus notable, surtout 4 Estimation de 2010, sachant que pour plus de la moitié des personnes concernées (54 %), l’emploi informel est la source principale de revenu, alors que jusqu’en 1998 il n’en était qu’un complément. Les raisons poussant à travailler de manière non déclarée sont d’abord le manque d’emploi disponible dans la sphère légale, ensuite l’insuffisance de revenu. Ces constats n’ont pas évolué depuis 2004. Source : Główny Urzad Statystyczny [Office national des statistiques], Praca nierejestrowana w Polsce w 2010 r. [Le travail non déclaré en Pologne en 2010], Varsovie, 2011, p. 15, p. 20. 5 En France, au même moment, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) mensuel brut s’élevait à 1 430,22 euros (source : INSEE). depuis 2007. Le rôle des régions dans la gouvernance de l’emploi s’est trouvé renforcé, car celles-ci ont en effet acquis plus de responsabilités dans l’allocation et le contrôle de ressources aux montants plus conséquents. Le processus de régionalisation s’est incontestablement accru dans la mise en œuvre du FSE. Les régions ont géré 60 % des fonds alloués entre 2007 et 2013, contre 40 % pour le niveau central. Enfin, la gouvernance infrarégionale de l’emploi s’est également trouvée bouleversée. Les institutions publiques traditionnellement en charge de l’emploi et de l’aide sociale, créées durant la décennie de transformation à l’échelle des powiaty (districts) et des communes, se voient désormais concurren- cées par d’autres acteurs publics mais aussi privés ou associatifs, qui mettent en œuvre des projets financés par le FSE, entraînant une réorganisation des rapports de force. Amélie Bonnet * * Assistante de recherche au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po. Elle achève une thèse sur Le Fonds social européen et l’emploi des femmes vivant en milieu rural en Pologne à l’université Paris 2 Panthéon-Assas. Elle est responsable de la rubrique « Pologne » pour la revue en ligne Regard sur l’Est. Elle a contribué à l’ouvrage Accès à l’énergie en Europe. Les précaires invisibles, sous la direction de François Bafoil, Ferenc Fodor et Dominique Le Roux (Presses de Sciences Po, 2014). Entrez dans le vif des débats européens ! 9 € - Format poche ➥ En vente en librairie et sur www.ladocumentationfrancaise.fr La documentation Française Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 47 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Sécurité et politique de défense Stanisław Parzymies * * Stanisław Parzymies est professeur émérite à l’Institut des relations internationales de l’université de Varsovie. Depuis quelques années, la Pologne procède à la réévaluation de ses capacités de défense et des garanties qui résultent de ses coopérations internationales. Depuis la transition démocratique en 1989, le pays a en effet misé pour sa sécurité sur la coopération avec les structures occidentales, l’OTAN et l’Union européenne principalement. Dans un contexte de tensions renouvelées avec le voisin russe au sujet de l’Ukraine, la Pologne cherche désormais à convaincre l’Alliance atlantique, qu’elle considère comme le premier pilier de sa sécurité, d’accroître sa présence militaire sur son territoire. L’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie, le 18 mars 2014, a suscité l’inquiétude en Pologne et chez les autres États voisins de la Russie. Un quart de siècle après la fin de la guerre froide, on aurait pu espérer qu’aucune puissance européenne n’ose commettre une violation si flagrante des principes fondamentaux du droit international public. Pour le rédacteur en chef du quotidien polonais Gazeta Wyborcza, Adam Michnik, « le Kremlin de Poutine pousse la Russie vers la reconstitution d’un empire agressif [...] où vont gouverner la violence et le mensonge. […] Le feu vert pour Poutine ne s’arrêtera pas à la Crimée [...]. La passivité de l’Occident signifiera la victoire de l’esprit de Munich de 1938 et de Yalta de 1945 » 1. Sécurité internationale : entre défense et coopération Le budget de la défense russe a augmenté de 25 % en 2012 et dépasse désormais celui de la 1 Dans son éditorial intitulé « Il n’est plus permis de reculer », Gazeta Wyborcza, 17 avril 2014, p. 1. 48 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 France. D’ici à 2020, la Russie devrait dépenser l’équivalent de 515 milliards d’euros pour se doter d’équipements militaires modernes. Le président russe a fait de la modernisation de l’armée une priorité nationale 2. La doctrine de défense du pays continue de présenter l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) comme un adversaire potentiel. Moscou organise régulièrement des manœuvres Zapad (Occident) et militarise en outre le district de Kaliningrad. La menace d’y déployer des missiles Iskander, qui jusqu’à maintenant n’a pas été mise à exécution, constitue un élément de chantage récurrent. C’est dans ce contexte que la Pologne a entrepris depuis quelques années une réévaluation de ses capacités de défense et de celles qui résultent de ses coopérations internationales. La sécurité polonaise s’appuie en effet sur plusieurs piliers : ses capacités défensives, son adhésion à l’Alliance atlantique et à l’Union européenne et, 2 Reuters, « L’OTAN teste sa force de réaction rapide près de la Russie », 1 er novembre 2013 (http://lexpansion.lexpress. fr/actualites/2/actualite-economique/l-otan-teste-sa-forcede-reaction-rapide-pres-de-la-russie_1453448.html). © AFP / Viktor Drachev Le président biélorusse Alexandre Loukachenko passe en revue les troupes lors de l’exercice conjoint russobiélorusse Zapad 2009 auquel ont pris part plus de 12 000 soldats, 200 chars et 100 avions. enfin, la coopération bilatérale qu’elle entretient avec les États-Unis. Des capacités défensives renforcées Plus grand pays d’Europe centrale tant au niveau territorial (312 000 km2) que démographique (38,5 millions d’habitants), la Pologne dispose d’une armée de 96 000 hommes, soit la sixième de l’Union européenne et la huitième de l’Alliance atlantique en termes d’effectifs. Elle consacre 1,95 % de son produit intérieur brut (PIB) au budget de la défense, et se situe parmi les cinq premiers pays membres contributeurs de l’Union européenne et les six premiers de l’Alliance atlantique. Alors que la crise financière a entraîné dans les années 2008-2012 une baisse de 8 % en moyenne des dépenses militaires en Europe occidentale et de 10 % en Europe centrale, leur augmentation a été de 19 % en Pologne 3. 3 Mark Bromeley, « Arms transfers to Western and Central Europe », SIPRI Yearbook 2013, p. 264. Les Polonais sont conscients que la sécurité extérieure de leur pays dépend tout d’abord de ses capacités défensives. C’est pourquoi la modernisation et la restructuration des forces armées sont des priorités auxquelles le pays devrait consacrer 140 milliards de zlotys – soit l’équivalent de 30 milliards d’euros – pour la période 2013-2022. Le Plan technique de modernisation de 2012 contient douze programmes opérationnels principaux. Pour renforcer ses capacités de dissuasion, la Pologne a prévu de se doter de missiles, d’hélicoptères, de chars de combat, de sous-marins, de drones et d’un système de défense aérienne avec des missiles sol-air. Elle a également prévu de disposer d’un bouclier antimissile autonome qui, avec les éléments du bouclier antimissile américain devant être localisés sur le territoire polonais en 2018, constituera une composante du système de l’OTAN tout entier. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 49 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Le rôle primordial de l’OTAN L’Alliance atlantique étant le plus important garant extérieur de sa sécurité, la Pologne est très attachée à ce que la défense collective, sur la base de l’article 5 du traité de Washington, demeure la mission prioritaire de l’organisation. Cette préoccupation n’empêche pas le pays de participer aux opérations extérieures de l’OTAN, notamment en Afghanistan. En 2013, 1 800 soldats polonais s’y trouvaient encore, dont 1 000 devraient y rester déployés jusqu’au terme de la mission de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) prévu pour le dernier trimestre 2014. Du 2 au 7 novembre 2013 a eu lieu, pour la première fois en Pologne et en Lettonie, un exercice militaire de l’OTAN (Steadfast Jazz), auquel 7 000 hommes, pour la plupart américains et français, des chars, des avions et des navires de combat ont participé. Des observateurs russes ont assisté à l’exercice. Un détachement des forces aériennes américaines stationne en Pologne pour y assurer une rotation d’avions de combat F-16 et de transport C-130 4. Depuis mars 2014, ce détachement dispose de douze avions F-16 qui devraient y demeurer jusqu’à la fin de l’année 2014. En outre, en réponse à la crise en Ukraine, six chasseurs CF-18 des forces canadiennes et quatre chasseurs français Rafale sont arrivés en Pologne en avril 2014, pour quatre mois, dans le cadre de l’OTAN. Il s’agit, selon le ministre français de la Défense, de dissuader la Russie « de toute intervention néfaste » 5. Le ministre polonais de la Défense, Tomasz Siemoniak, a récemment déclaré que la Pologne souhaitait que les forces armées de l’OTAN stationnent sur son territoire de manière permanente 6 à l’instar du 4 « Informacja Ministra Spraw Zagranicznych o zadaniach polskiej polityki zagranicznej w 2013 roku » [Information du ministre des Affaires étrangères sur les tâches de la politique étrangère en 2013], Ministerstwo Spraw Zagranicznych (www. msz.gov.pl/pl/aktualnosci/wiadomosci/informacja_ministra_spraw_ zagranicznych_o_zadaniach_polskiej_polityki_zagranicznej_ w_2013_roku). 5 Le Figaro, 30 avril 2014, p. 6. 6 Tomasz Siemoniak, « Chcemy NATO na stałe w Polsce » [Nous voulons l’OTAN en permanence en Pologne], Gazeta Wyborcza, 28 avril 2014, p. 7. 50 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Centre de formation des forces interarmées de l’OTAN qui y est installé depuis 2006. Une défense européenne à construire L’Union européenne est considérée par la Pologne comme l’autre garant principal de sa sécurité. En décembre 2013, pas moins de 83 % des Polonais étaient favorables à l’appartenance de leur pays à l’Union européenne, 14 % étaient contre et 3 % n’avaient pas d’opinion à ce sujet 7. Les dirigeants polonais restent cependant conscients du fait que la Politique européenne de sécurité et de défense commune (PSDC), même renforcée, ne pourra pas remplacer l’OTAN à court ou moyen terme. La Pologne participe aux groupements tactiques de l’Union européenne et n’exclut pas leur emploi. Les militaires polonais sont présents, dans le cadre de missions européennes, au Kosovo, en BosnieHerzégovine et en Géorgie. Ils participent à la mission de formation des forces de sécurité au Mali, qui soutient les forces alliées engagées dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, et aident les troupes françaises en République centrafricaine. La Pologne a ainsi envoyé 50 soldats en République centrafricaine avec pour mandat d’apporter un soutien logistique et une assistance technique à l’opération de la France dans ce pays. Cette décision avait été prise en vertu du partenariat stratégique entre la France et la Pologne dans le domaine de la défense. Lors de sa présidence du Conseil de l’Union européenne au second semestre 2011, la Pologne avait d’ailleurs fait de la consolidation de la PSDC l’une de ses priorités. Cette posture était le fruit d’une réflexion engagée depuis plusieurs années par la classe politique polonaise sur le rôle que l’Union européenne devrait jouer en matière de sécurité. Cette réflexion s’appuie notamment sur l’idée qu’une contribution renforcée de l’Union européenne en matière de défense est nécessaire à l’équilibre des relations transatlantiques. Dans le cadre des préparatifs de 7 10.PL-UE. Polskie 10 lat w Unii Europejskiej. Raport. Ministerstwo Spraw Zagranicznych [10 ans de la Pologne à l’Union européenne. Rapport. Ministère des Affaires étrangères], Varsovie, 2014, p. 210. © AFP / Janek Skarżyński Les présidents américain et polonais, Barack Obama et Bronisław Komorowski, prononcent un discours le 3 juin 2014 sur une base aérienne de l’aéroport de Varsovie devant deux chasseurs F-16. Si la Pologne a augmenté son implication dans la défense européenne, son armée reste essentiellement équipée par du matériel américain. sa présidence du Conseil de l’Union européenne, la Pologne avait donc mis au point un ambitieux programme concernant la PSDC 8. L’année suivante, le ministre polonais des Affaires étrangères R. Sikorski, présentant le 29 mars 2012 devant la Diète ses orientations de politique étrangère, avait dû néanmoins constater qu’« il résulte des expériences de la présidence polonaise que la PSDC n’est pas, hélas, réalisable dans le cadre des 27 pays membres. Il faut donc entamer une coopération renforcée, prévue dans le traité de Lisbonne, des États volontaires ». L’implication dans les structures occidentales de sécurité Entre 1990 et 2014, les interventions des ministres des Affaires étrangères successifs devant la Diète ont témoigné de l’attachement continu de la Pologne à l’Alliance atlantique et à la construction européenne 9. Dans les années 1990-1991, la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie ont mené une offensive diplomatique concertée, couronnée de succès au milieu de l’année 1991, qui a mis fin aux activités du pacte de Varsovie. Au même moment, la Pologne exprimait l’espoir que l’Europe centrale ne devienne pas, du point de vue de la sécurité, une zone grise ou neutre, et qu’un jour l’Alliance atlantique et l’Union européenne s’élargissent à la partie centrale de l’Europe. La Fédération 8 S. Parzymies, « Relancer la politique de sécurité et de défense commune : un objectif prioritaire de la présidence polonaise de l’Union européenne », Questions internationales, no 52, novembre-décembre 2011, p. 89-90. 9 Exposé Ministrów Spraw Zagranicznych. Rzeczpospolita Polska, MSZ, Varsovie, 2011. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 51 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe de Russie s’était alors ouvertement opposée à l’adhésion de la Pologne à l’Alliance atlantique tandis que des réserves avaient également été émises par certains milieux politiques occidentaux. La Pologne a alors souligné que sa double adhésion à l’Alliance atlantique et à l’Union européenne renforcerait non seulement ces deux structures mais leur permettrait d’accroître leur influence en Europe centrale et orientale. Le 8 avril 1999, Bronisław Geremek, alors ministre polonais des Affaires étrangères, assurait devant la Diète que son pays, déjà membre de l’Alliance atlantique, avait l’ambition de contribuer à façonner la stratégie et la politique de l’Alliance, en particulier en Europe centrale et orientale. Qu’il s’agisse de l’élaboration de la stratégie de l’organisation ou de l’adaptation de ses propres forces armées aux normes de l’OTAN, la Pologne a ensuite activement participé aux structures politiques et militaires de l’Alliance tout en prenant part aux opérations alliées de gestion de crise. La question de l’éventuel élargissement de l’OTAN aux voisins orientaux de la Pologne, notamment à l’Ukraine, et celle de la collaboration entre l’OTAN et l’Union européenne sont depuis restées au cœur du débat politique polonais. Dans une intervention devant la Diète le 21 janvier 2005, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Adam D. Rotfeld, a ainsi déclaré que la Pologne soutiendrait le renforcement des relations entre l’Union européenne et l’Ukraine et, en ligne d’horizon, une éventuelle adhésion. S’agissant de l’OTAN, l’Ukraine devait également se voir proposer une feuille de route préparant l’adhésion. Les dirigeants polonais se sont aussi prononcés en faveur d’une collaboration plus étroite entre la Force de réaction rapide de l’OTAN et les groupements tactiques de l’Union européenne et pour la réalisation de projets communs dans le domaine de l’industrie d’armement, de la recherche et des hautes technologies. Depuis la chute du communisme, le pays poursuit en effet la modernisation de ses forces armées et s’attache à développer son industrie nationale de défense. 52 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 La Pologne souhaite que l’Alliance atlantique conserve un équilibre entre les missions de défense du territoire de ses États membres et ses activités en dehors de la zone (out-of-area) prévue par le traité de Washington. Le gouvernement polonais a encouragé à de nombreuses reprises l’OTAN à déployer sur son territoire certains éléments de l’infrastructure alliée et de ses installations militaires. Tout en cherchant à démontrer qu’elle constitue un maillon fort de l’Alliance atlantique, la Pologne a cependant exprimé son inquiétude après l’intervention russe en Géorgie durant l’été 2008. Soulignant que l’Europe centrale et orientale méritait le même niveau de sécurité que l’Europe occidentale, elle s’est opposée à la division entre anciens et nouveaux États membres de l’Alliance atlantique. Grâce à l’insistance de la Pologne à ce sujet, l’OTAN a admis enfin, pour la Pologne et les pays baltes, les plans d’éventuels déploiements de troupes 10. Ces plans, actualisés au sommet de l’OTAN à Lisbonne en novembre 2010, concernent la réaction de l’Alliance face à une menace contre l’un de ses membres 11. Jerzy M. Nowak, ancien représentant permanent de la Pologne auprès de l’OTAN, a ainsi écrit en 2013 : « Nous avons besoin que l’Alliance ait des capacités défensives suffisantes […], un système crédible de dissuasion et des plans d’éventuels déploiements qui fonctionnent correctement 12. » En présentant devant la Diète, le 8 mai 2014, les priorités de la politique étrangère polonaise, le ministre des Affaires étrangères R. Sikorski a déclaré qu’il est dans l’intérêt de la Pologne de voir l’Ukraine, la Biélorussie et les pays baltes comme des États forts, indépendants Radosław Sikorski, « Informacja ministra spraw zagranicznych o założeniach polskiej polityki zagranicznej w 2011 roku » [Radosław Sikorski, « Information du ministre des Affaires étrangères sur les principes de la politique étrangère polonaise en 2011 »], in Exposé Ministrów Spraw Zagranicznych. Rzeczpospolita Polska, Varsovie, 2011, p. 450. 11 À ce sujet, voir The Guardian du 6 décembre 2010 où l’on parle de tels plans pour la Pologne et les pays baltes. 12 Voir Jerzy M. Nowak, « Evolution of NATO and Poland’s Security », in Robert Czulda et Robert Łoś (dir.), NATO: Towards the Challenges of a Contemporary World, University of Lodz, 2013, p. 98. 10 Ò POUR ALLER PLUS LOIN Les États-Unis, garants « par défaut » de la sécurité polonaise ? Érigée grâce à une initiative privée, la statue de bronze de Ronald Reagan qui se dresse depuis 2011 en face de l’ambassade américaine à Varsovie illustre l’amitié et la reconnaissance que de nombreux Polonais continuent d’éprouver pour les États-Unis et leur détermination à libérer l’Europe de l’Est de la domination soviétique. Un quart de siècle après la chute du mur de Berlin, les relations polono-américaines s’inscrivent en effet toujours dans l’héritage de la guerre froide et sont dominées par les enjeux sécuritaires, en premier lieu vis-à-vis de la Russie. Cette préoccupation moins sensible à l’ouest du continent explique en partie la différence qui existe dans les rapports transatlantiques entre, d’un côté, la Pologne et, de l’autre, l’Allemagne et la France, pourtant ses principaux partenaires par ailleurs. On se souvient en particulier de l’engagement de Varsovie aux côtés des États-Unis dans l’invasion de l’Irak en 2003. Un atlantisme sous condition L’atlantisme prêté aux Polonais doit toutefois être nuancé par deux éléments. D’une part, le décalage entre la position du gouvernement et l’opinion publique est très sensible, puisqu’en 2004 cette dernière se déclarait à 73 % défavorable à l’intervention américaine en Irak comme à la participation de soldats polonais, soit le degré d’opposition le plus élevé parmi les pays européens membres de la coalition selon le German Marshall Fund 1. On remarquait aussi déjà une adhésion plus faible (52 %) que la moyenne européenne (61 %) à l’idée que l’Alliance atlantique apporte une contribution « essentielle » à la sécurité. D’autre part, cet atlantisme n’est pas inconditionnel. À l’aube de l’élection présidentielle américaine de 2008, tandis que les pays les plus hostiles à l’invasion de l’Irak succombaient à l’« obamania », la Pologne, qui redoutait de faire les frais d’un compromis avec la Russie au nom du German Marshall Fund of the United States, Transatlantic Trends 2004. Enquête réalisée en Allemagne, en France, en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Pologne, au Portugal, au Royaume-Uni, en Slovaquie et en Turquie (http://trends.gmfus. org/files/archived/doc/2004_english_key.pdf). 1 désarmement nucléaire et des dossiers du Moyen-Orient, a préféré la fermeté rhétorique du candidat républicain John McCain. De fait, un an plus tard, le président Obama a inauguré une « nouvelle approche » réduisant l’importance stratégique du bouclier antimissile sur lequel comptaient les autorités polonaises pour arrimer les forces américaines sur leur territoire et en accroître la valeur stratégique aux yeux des États-Unis en cas d’éventuel conflit avec la Russie. Aujourd’hui encore, la Pologne n’abrite en effet aucune base opérationnelle permanente des ÉtatsUnis ou de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) mais uniquement des centres de formation. Un hasard de calendrier a donné plus d’acuité encore à la mauvaise impression produite par cette décision tombée le 17 septembre 2009, soit soixante-dix ans, jour pour jour, après l’entrée des troupes soviétiques en Pologne. Une confiance plus forte des dirigeants que de la population Si le symbole a beaucoup frappé les esprits des éditorialistes, la perte de la confiance des Polonais en leur allié américain et en l’OTAN est antérieure. Toujours selon les Transatlantic Trends, la Pologne est le pays qui a connu au cours des années 2000 la chute la plus nette du pourcentage de personnes interrogées estimant « souhaitable » un leadership américain dans les affaires internationales (64 % en 2002, 34 % en 2008), tandis qu’ils n’étaient plus que 46 % en 2007 à juger l’OTAN « essentielle » à leur sécurité contre 64 % en 2002. C’est cette désillusion qu’aurait exprimée en des termes peu affables le ministre des Affaires étrangères Radosław Sikorski lors d’une conversation privée enregistrée à son insu et retranscrite en juin dans le magazine Wprost. Selon lui, « l’alliance polono-américaine ne vaut rien » et serait même « nuisible car elle crée un faux sentiment de sécurité » et génère des conflits avec l’Allemagne et la Russie. Pour autant, les principaux partis politiques continuent à soutenir que l’OTAN et les États-Unis offrent actuelle- Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 53 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe ment les meilleures garanties de sécurité disponibles. En mars 2014, dans le contexte de la crise ukrainienne et à la veille du 15e anniversaire de l’entrée de la Pologne dans l’Alliance atlantique, le président de la République Bronisław Komorowski a déclaré « vouloir voir le plus grand engagement possible de forces armées américaines sur le territoire polonais ». Cette coopération militaire s’est d’ores et déjà matérialisée par le déploiement de 12 chasseurs F-16 et de 300 soldats américains afin de multiplier les patrouilles aériennes au-dessus de la Pologne et des pays baltes. Toutefois, elle ne semble pas dépourvue d’arrièrepensées alors que le ministère polonais de la Défense mène actuellement un grand programme de modernisation des forces armées pour un montant d’environ 30 milliards d’euros sur la période 2013-2022. Garanties de sécurité à court ou à long terme ? Comme en 2002 lorsque Varsovie, au grand dam de Jacques Chirac, avait opté pour les avions F-16 au détriment des Rafale français, les industries militaires américaines et européennes sont en concurrence pour équiper l’armée polonaise. La proposition de groupes comme Airbus d’intégrer la Pologne dans leur appareil de production semble plus intéressante sur le long terme pour conserver la maîtrise des technologies et s’en servir comme levier de développement économique. Cependant, la situation en Ukraine fait dire à certains observateurs que les Polonais devraient acheter « sur étagère » du matériel que l’on peut rapidement déployer, malgré l’inconvénient de se placer sous la dépendance d’un fabricant étranger pour des dizaines d’années. Le montant des marchés en jeu, à comparer au reste des échanges commerciaux 2, justifie au moins autant que la crise ukrainienne l’intensification des visites américaines de haut niveau ces derniers mois. Barack Obama a fait le déplacement en personne au début du mois de juin 2014, à l’occasion du 25e anniversaire des premières élections libres du bloc communiste. Dans un discours particulièrement apprécié (voir Focus, p. 42), il a renouvelé les garanties apportées par les États-Unis et l’OTAN à la sécurité de la région et a dévoilé son « initiative pour 2,8 milliards d’euros d’exportations polonaises vers les États-Unis en 2012 et 3,9 milliards d’euros d’importations. rassurer l’Europe » (European Reassurance Initiative). Ce plan d’un milliard de dollars est destiné à renforcer la présence américaine sur le Vieux Continent et les capacités militaires de certains pays partenaires. Il ne prévoit toutefois pas l’installation de bases permanentes et doit d’abord être validé par le Congrès. Dans cette perspective sécuritaire, l’énergie figure également en bonne place parmi les thèmes de coopération entre Varsovie et Washington, car les Polonais, qui couvrent 55 % de leur consommation de gaz naturel et 93 % de leurs besoins en pétrole brut avec des importations russes, se sentent vulnérables face à l’arme énergétique de leur voisin. Contraints dans le même temps par les objectifs climatiques de l’Union européenne de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, ils espèrent profiter de la révolution des hydrocarbures de schiste. Celle-ci pourrait leur permettre soit d’en extraire de leur sous-sol à l’aide de technologies américaines, soit de diversifier leurs approvisionnements au profit notamment des États-Unis, en passe de devenir exportateurs nets de gaz et de pétrole. Enfin, les diplomates polonais ne manquent jamais une occasion de rappeler que leurs ressortissants comptent parmi les derniers en Europe à être soumis à une obligation de visa pour se rendre aux États-Unis. Cette contrainte est d’autant plus lourde que la communauté d’origine polonaise représenterait outre-Atlantique 10 millions de personnes et qu’il existe donc de nombreux liens familiaux ou amicaux entre les deux pays. Compte tenu du poids électoral de la Polonia 3, chaque candidat à la Maison-Blanche a pour habitude de promettre la suppression du régime de visa pour les citoyens polonais, jusqu’ici sans honorer sa promesse une fois élu. Sans relever de la « grande politique », ce sujet a probablement contribué à doucher les espoirs de la Pologne de devenir le meilleur allié des États-Unis en Europe. Néanmoins, faute d’alternative crédible, c’est sur Washington et sur eux-mêmes que les Polonais comptent avant tout pour assurer leur sécurité. Romain Su * * Rédacteur en chef du Courrier de Pologne (www. courrierpologne.fr) et contributeur régulier à la revue Regard sur l’Est (www.regard-est.com). 2 54 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 3 Nom donné aux communautés polonaises à l’étranger. et amicaux et d’entretenir avec la Russie des relations de partenariat et de bon voisinage 13. L’appartenance à l’OTAN : quel bilan ? Le 12 mars 2014, la Pologne a célébré le quinzième anniversaire de son adhésion à l’Alliance atlantique. À bien des égards, ce bilan est jugé positif par la population polonaise qui considère encore dans sa grande majorité l’OTAN comme le principal pilier de sa sécurité. Compte tenu des difficultés économiques de l’Union européenne, du rôle intermittent du Conseil de sécurité des Nations Unies, de l’érosion de l’influence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l’OTAN reste aussi considérée par les dirigeants polonais comme l’alliance politique et militaire la plus crédible. Ils ont soutenu son nouveau concept stratégique, formulé à Lisbonne en novembre 2010, et sa nouvelle vision de développement jusqu’à 2020, élaborée au sommet de Chicago en mai 2012. Depuis la transition démocratique en 1989, les questions de sécurité ont fait l’objet de nombreuses publications scientifiques en Pologne. Début 2014, le Bureau de la sécurité nationale auprès du président de la République 14 a ainsi consacré le premier numéro de sa revue trimestrielle Bezpieczeństwo Narodowe (sécurité nationale) à un bilan des quinze années de participation de la Pologne à l’OTAN. Dans l’une des contributions du numéro, Janusz Onyszkiewicz, qui était ministre de la Défense au moment de l’adhésion du pays à l’OTAN en 1999, souligne que cet événement a constitué un grand succès pour son pays, parce qu’il a définitivement effacé la division de l’Europe décrétée à Yalta. Robert Kupiecki, vice-ministre de la Défense, rappelle quant à lui que ce succès a été non seulement 13 Source : www.msz.gov.pl/pl/aktualnosci/msz_w_mediach/ sikorski_w_sejmie_glownie_o_sytuacji_na_ukrainie_i_roli_ rosji__depesza_pap_8_maja_2014_r_;jsessionid=38056300723 8784129F3173897F5BCC9.cmsap2p 14 Créé en janvier 1991, cet organisme assiste le président de la République dans ses fonctions de chef des Forces armées polonaises, en lui apportant aide et soutien pour les questions relevant de la sécurité nationale. la conséquence de la transition démocratique, d’une décision des forces politiques bénéficiant du soutien des citoyens, mais également d’une profonde évolution de l’attitude des pays occidentaux. De nos jours, les Polonais ne sont toutefois plus que 62 %, contre 85 % en 1998, à soutenir la participation de la Pologne à l’OTAN. Pour 4 % d’entre eux, elle est inacceptable, 8 % n’ont pas d’opinion à son sujet et 26 % sont indifférents à la question 15. Seuls 28 % des Polonais considèrent dorénavant que cette adhésion a constitué un événement décisif pour leur pays, contre 44 % en 1998. De même, 51 % estiment actuellement que l’appartenance de leur pays à l’OTAN leur garantit la paix et la sécurité, contre 55 % en 1998. À la question de savoir si l’OTAN représente un élément clé de l’indépendance de la Pologne, 50 % des personnes interrogées donnent une réponse positive, 26 % considèrent que l’OTAN marque une forme de subordination à une puissance étrangère et 24 % n’expriment pas d’opinion 16. Les défis à venir Menaces asymétriques et constantes stratégiques Le 24 mai 2013, le Bureau de la sécurité nationale a présenté Le Livre blanc sur la sécurité nationale de la République de Pologne. Fruit d’un travail collectif de la communauté académique et d’experts militaires, il présente une vision stratégique complète des enjeux de sécurité auxquels est confrontée la Pologne. Les auteurs y affirment que les facteurs clés qui façonnent l’environnement de sécurité sont, d’une part, la mondialisation et, d’autre part, la révolution du monde de l’information. Tout en favorisant le bien-être des populations, ces évolutions ont pour corollaire l’apparition de nouvelles menaces transnationales et asymétriques dans les sphères militaire et civile. Sont également pointées du doigt les insuffisances des organisations internationales, surtout celles de 15 Résultats d’un sondage effectué entre le 6 et le 12 février 2014 par le Centre d’investigation de l’opinion sociale (CBOS), 16 Gazeta Wyborcza, 11 mars 2014, p. 6. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 55 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe l’ONU et de l’OSCE sur le plan régional, et celles de leurs mécanismes de coopération en matière de sécurité. Selon le Livre blanc, la sécurité de l’Europe dépend de quatre éléments : l’OTAN, l’Union européenne, l’appui stratégique des ÉtatsUnis et l’état des relations avec la Russie. Les défis de sécurité recensés pour la Pologne sont donc présentés comme essentiellement non militaires et liés à des menaces planant sur son développement économique, sa stabilité financière ou sa situation démographique. Pourtant, comme le montre l’actuelle crise ukrainienne, la menace militaire est toujours d’actualité et une intervention armée directe ne peut être exclue. Nouvelles priorités Le Livre blanc retient trois options stratégiques pour les vingt années à venir. La première consisterait à internationaliser au maximum la sécurité du pays, la deuxième prône a contrario une certaine forme d’autarcie stratégique et la troisième préconise de trouver un point d’équilibre entre une internationalisation et une autonomie dans le domaine de la sécurité, cette dernière option étant recommandée par les auteurs du Livre blanc. Selon cette option, les priorités stratégiques de la Pologne devront se concentrer autour des trois axes suivants : – le maintien d’une volonté et d’une capacité d’action dans tous les secteurs de la sécurité nationale, notamment ceux pour lesquels la participation alliée n’est pas assurée ; – le renforcement de la sécurité collective grâce à l’approfondissement de l’intégration de la zone euroatlantique sur la base de valeurs et d’intérêts communs dans le cadre du système de défense collective de l’OTAN, de la PSDC de l’Union 56 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 européenne et des partenariats stratégiques – surtout avec les États-Unis –, et dans le cadre du bon voisinage stratégique ; – le soutien et la participation sélective aux activités internationales en faveur de la prévention de nouvelles menaces ou de la prolifération des crises existantes hors zone OTAN, conformément à un mandat international précis. ●●● Dans son discours à la nation prononcé le 19 mars 2014 au lendemain de l’annexion de la Crimée par la Russie, le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a rappelé quels étaient les trois piliers de la sécurité du pays. Il a d’abord évoqué la stabilité financière, la nécessité d’avoir une économie dynamique dans la situation actuelle de crise générale en Europe et l’impératif de garantir les approvisionnements énergétiques du pays. Il a ensuite mentionné la position renforcée de la Pologne en Europe qui lui assure une certaine stabilité et lui permet d’observer les événements dramatiques se déroulant derrière sa frontière orientale avec le sentiment d’une certaine sécurité. Enfin, le Premier ministre a évoqué l’OTAN, la modernisation de l’armée polonaise et la coopération avec les États-Unis. Il a assuré que la Pologne continuerait de soutenir l’Ukraine. Cet appui pourrait même un jour devenir le quatrième pilier de la sécurité polonaise. Le Premier ministre a réaffirmé que la Pologne n’acceptait pas la politique agressive de Moscou à l’égard de l’Ukraine tout en rappelant que de bonnes relations avec le voisin russe constituaient, dans le même temps, l’un des fondements de la sécurité dans la région 17. ■ 17 Source : www.premier.gov.pl/wydarzenia/aktualnosci/oredziepremiera-tuska-polska-znaczy-wolnosc.html. Ò POUR ALLER PLUS LOIN Les relations germano-polonaises : vingt-cinq ans de nouveau voisinage Le terme de « réconciliation » revient souvent pour qualifier l’état des relations bilatérales germano-polonaises. Si les responsables politiques actuels se plaisent à souligner qu’elles n’ont jamais été aussi bonnes, la formule invite toutefois à quelques précautions. Les tentatives pour surmonter le passé conflictuel des deux États et développer des relations de confiance ont été soumises à des ruptures conjoncturelles et à des instrumentalisations politiques récurrentes. Loin de constituer un processus linéaire, elles se caractérisent par une double dimension politique et sociale, impliquant des acteurs intervenant à différents niveaux. Si la fin de la guerre froide et l’unification allemande ont fourni les conditions appropriées au rapprochement bilatéral, les prémices d’un rapprochement entre les élites des deux pays sont pour leur part bien antérieures. Il convient en particulier de rappeler certaines initiatives, comme la lettre ouverte des évêques polonais envoyée à leurs homologues allemands en 1965, ou encore l’Ostpolitik de Willy Brandt marquée par la signature du traité bilatéral de 1970 et par le célèbre geste du chancelier social-démocrate s’agenouillant devant le monument commémorant le soulèvement du ghetto de Varsovie, le 7 décembre 1970. Dynamiques de rapprochement sur fond de transformations systémiques La fin du régime communiste et la mise en place du premier gouvernement démocratique en Pologne, en 1989, suivies de l’unification allemande un an plus tard ont inauguré une période de rapprochement entre les deux pays, ponctuée par la signature d’un traité de bon voisinage le 17 juin 1991. Puis, en août 1991, la Pologne, l’Allemagne et la France signaient les accords de Weimar, qualifiés d’« instrument politique intelligent » par le ministre polonais des Affaires étrangères de l’époque, Bronisław Geremek. Cette proximité nouvelle a généré un afflux massif d’investissements allemands en Pologne, la croissance des échanges commerciaux mais aussi l’octroi de finan- cements et de crédits par le gouvernement fédéral à son voisin, dans le cadre de l’assistance technique et financière. Ce soutien a permis de financer de nombreux investissements dans les infrastructures ou de rénover des éléments de patrimoine architectural, en particulier dans les territoires anciennement allemands. Créé en 1993 par le gouvernement fédéral, le programme Transform a transféré, pendant une décennie, des crédits mais aussi du savoir-faire technique et juridique aux économies postcommunistes en transition, qui représentaient autant de nouveaux marchés. Le budget global de Transform, qui s’élevait à 300 millions de deutschemarks par an entre 1993 et 1995, a été ramené à 150 millions en 1998 puis à 70 en 2002 1. Lancée en 1991, la Fondation pour la coopération germano-polonaise a financé plus de 15 000 projets communs grâce aux intérêts remboursés par le gouvernement polonais sur un emprunt contracté auprès de la République fédérale d’Allemagne en 1975 2. Aux échanges académiques promus par le Deutscher Akademischer Austauschdienst (DAAD), l’Office allemand d’échanges universitaires, et aux flux touristiques facilités par l’ouverture des frontières s’est ajoutée l’activité des fondations politiques allemandes. Financées par le gouvernement fédéral, proches des partis politiques représentés au Bundestag, ces fondations contribuent au rapprochement entre les élites politiques et syndicales des deux pays 3. La Fondation Friedrich-Ebert, proche du SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, Parti social-démocrate d’Allemagne), qui avait été active en Pologne dans les années 1970 en promouvant le dialogue au sujet de la révision du contenu des manuels scolaires d’histoire et les échanges entre journalistes et entre chercheurs, a soutenu dès le début des années 1990 les 1 Elsa Tulmets « L’impact de l’élargissement de l’Union européenne sur la coopération française et allemande à l’Est : quelle gouvernance ? », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 34, n° 3, septembre 2003, p. 149. 2 Stiftung für Deutsch-Polnische Zusammenarbeit (http:// sdpz.org/die-stiftung/uber-uns). 3 Dorota Dakowska, Le Pouvoir des fondations. Des acteurs de la politique étrangère allemande, coll. « Res Publica », Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2014. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 57 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe partis prétendant au label social-démocrate ainsi que la coopération syndicale internationale. La Fondation Konrad-Adenauer, quant à elle, a œuvré au rapprochement entre les partis polonais du centre-droit et la CDU (Christlich Demokratische Union Deutschlands, Union chrétienne-démocrate d’Allemagne) et a fourni un soutien financier aux think tanks pro-européens. Des initiatives visant à promouvoir le rapprochement entre les deux sociétés ont été lancées, inspirées de l’expérience du partenariat franco-allemand. Un office bilatéral pour la jeunesse a par exemple été créé, pour soutenir les nombreuses initiatives locales d’échanges et de dialogue. Des partenariats variés ont été noués, reliant les collectivités territoriales des deux pays. Des tensions conjoncturelles Après cette première phase plutôt consensuelle, des tensions se sont fait jour, dès la fin des années 1990. Créée à Berlin en 1958, l’Union des expulsés allemands (BdV) tenta notamment d’utiliser le contexte d’adhésion de la Pologne à l’Union européenne pour se repositionner dans l’espace public. Revendiquant la reconnaissance matérielle et symbolique des souffrances des populations allemandes expulsées d’Europe centrale au lendemain de la guerre, les lobbies représentant ces groupes entamèrent une présentation concurrente des victimes qui fut jugée inacceptable du côté polonais au vu de l’étendue des crimes nazis commis pendant la guerre. Ces tensions se sont inscrites dans le contexte des négociations d’adhésion de la Pologne à l’Union européenne. En effet, si l’Allemagne a pu globalement être perçue comme un avocat de l’adhésion de sa voisine orientale, des craintes ont néanmoins été réactivées durant cette période. Une fois la Pologne devenue membre de l’Union, l’arrivée au pouvoir de partis conservateurs et radicaux de droite en Pologne (2005-2007) a ensuite posé problème, l’exécutif n’hésitant pas à se lancer dans des discours aux accents germanophobes. Le cadre européen à l’épreuve de nouvelles tensions géopolitiques La mise en place d’une coalition de centre-droit dirigée par Donald Tusk en 2007 a inauguré une nouvelle phase de relations bilatérales. La Pologne est de nos jours considérée comme un partenaire important pour l’Allemagne, du fait de sa proximité, de sa taille, de son poids géopo- 58 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 litique et de sa croissance économique. Ces relations ne sont toutefois pas exemptes de désaccords, tout particulièrement dans le domaine énergétique. La construction du gazoduc Nord Stream qui relie désormais directement la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique a ainsi été très critiquée par la partie polonaise, car jugée contraire à ses intérêts vitaux. Cependant, les questions relatives à la mémoire et à la gestion du passé alimentent moins le débat politique actuel. Le poids réduit des lobbies des expulsés a permis d’apaiser les tensions, tandis que la fondation « Fuite, expulsion, réconciliation » mandatée depuis 2008 par le gouvernement fédéral travaille activement sur des projets d’information et de documentation concernant les déplacements de populations. Les populations déplacées Une partie des populations allemandes d’Europe centrale et orientale avait fui vers l’ouest dès 1944, devant l’avancée de l’Armée rouge. Les accords de Potsdam, signés le 2 août 1945, en décidant de déplacer vers l’ouest la frontière orientale de l’Allemagne, ont cautionné le déplacement des populations. Des expulsions localisées avaient déjà eu lieu, elles sont alors devenues systématiques. Les chiffres font débat, mais plus de 12 millions d’Allemands ont été touchés par ces mesures (plus de 500 000 d’entre eux ont trouvé la mort pendant cette période) 1. La population polonaise a eu aussi à subir les expulsions lors de l’invasion allemande en septembre 1939. S’y ajoutent les déportations durant la guerre, en Sibérie orchestrées par les Soviétiques ou dans les camps de concentration nazis et, enfin, les déplacements de population liés à la modification des frontières en 1945. La création d’un centre commémorant les expulsions a été réclamée pendant des années par les lobbies des Allemands expulsés et de leurs descendants. Cette demande avait provoqué des réactions épidermiques en Pologne, où le discours présentant les Allemands comme des victimes de la guerre était, on s’en doute, mal reçu. 1 Voir Ray M. Douglas, Les Expulsés, Flammarion, Paris, 2012. La confiance établie entre Angela Merkel et Donald Tusk a permis de gérer la plupart de ces divergences au niveau politique, sans donner prise aux instrumentalisations médiatiques 4. Même si elle est difficilement comparable aux liens qui unissent le gouvernement allemand aux grandes puissances industrielles, cette relation donne périodiquement lieu à des gestes symboliques importants. Ainsi, la première visite à l’étranger du président allemand Joachim Gauck s’est déroulée en Pologne, en mars 2012. À ces visites occasionnelles de haut niveau s’ajoutent les consultations bilatérales entre les chefs d’État et les ministres. Le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier s’est par exemple rendu en décembre 2013 à Varsovie, où a été redit l’engagement des deux exécutifs en faveur d’une coopération plus étroite, tout particulièrement en direction des pays voisins de l’Union européenne. Cette promesse a d’ailleurs été immédiatement mise à l’épreuve, au début de 2014, dans le contexte de la crise ukrainienne. En promouvant une politique de voisinage ambitieuse, dont le Partenariat oriental est sans doute la meilleure illustration, le gouvernement polonais a réussi à marquer 4 Ryszarda Formuszewicz, « Polish-German relations: good, better, sidelined. Turning around a troubled relationship », IP Journal, DGAP, 31 janvier 2013 (https://ip-journal.dgap.org/en/ip-journal/topics/ polish-german-relations-good-better-sidelined). de son empreinte les initiatives européennes. La gestion de la crise ukrainienne a donné lieu à une concertation très étroite des chancelleries et services diplomatiques, ainsi qu’à des initiatives communes. Ainsi, la déclaration conjointe sur l’Ukraine des ministres du Triangle de Weimar le 31 mars 2014 ou le compromis négocié le 21 février 2014 par les mêmes ministres des Affaires étrangères ont eu un impact diplomatique certain. Ils ont montré qu’une action concertée était possible, même si la fuite du président ukrainien Viktor Ianoukovitch et la suite des événements n’ont pas permis de concrétiser ces propositions. Cela étant, l’annexion par la Russie de la Crimée au printemps 2014 et les violences dans l’est de l’Ukraine constituent une épreuve non seulement pour la diplomatie européenne mais aussi pour le dialogue germanopolonais. Nonobstant leurs bonnes relations officielles, les deux chancelleries ne partagent pas forcément la même lecture du conflit, le gouvernement polonais privilégiant une position plus exigeante vis-à-vis de la Russie, tandis que la chancellerie fédérale souhaite garder tous les canaux ouverts. L’évolution de cette crise sera donc aussi un test pour la robustesse des relations germano-polonaises. Dorota Dakowska * * Maître de conférences en science politique à l’IEP de Strasbourg, membre du laboratoire SAGE (Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe). Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 59 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Les recompositions de la scène politique nationale Cédric Pellen * * Cédric Pellen est chargé de recherche au Fonds de la recherche scientifique-FNRS, Centre Depuis une dizaine d’années, le paysage politique polonais est dominé par l’opposition entre deux formations de droite revendiquant l’héritage de l’ancien mouvement d’opposition démocratique Solidarnos'c', la Plateforme civique, d’une part, et Droit et Justice, de l’autre. Cette bipolarisation atypique de la compétition partisane trouve ses origines dans les modalités de sortie de la Pologne du communisme et dans l’épuisement progressif au début des années 2000 du clivage auparavant structurant entre les anciens communistes et les anciens de Solidarnos'c'. d’étude de la vie politique (CEVIPOL), Université Libre de Bruxelles. Dans les premières années qui ont suivi la chute du communisme et l’instauration d’un régime représentatif pluraliste en Pologne, la scène politique nationale s’est caractérisée par la fréquence des recompositions partisanes et des alternances gouvernementales. Si l’on observe une indéniable stabilisation depuis l’adhésion du pays à l’Union européenne en 2004, la durabilité de l’actuelle bipolarisation à droite de la compétition politique reste incertaine à un an d’une « super année électorale » combinant élections présidentielle et parlementaires. L’émergence du pluralisme dans le postcommunisme Une transition négociée La célèbre formule de l’historien britannique Timothy Garton Ash selon laquelle la sortie du communisme aurait pris « dix ans en 60 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Pologne, dix mois en Hongrie, dix semaines en République démocratique allemande (RDA) et dix jours en Tchécoslovaquie » a le mérite de souligner la durée exceptionnelle du processus de changement de régime en Pologne 1. La République populaire polonaise se distingue par la reconnaissance ancienne d’un pluralisme limité. Ses dirigeants ouvrent en effet dès le début des années 1980 un dialogue avec l’opposition incarnée par le syndicat « libre » Solidarność (Solidarité). Interrompue brutalement en décembre 1981 par le général Jaruzelski, cette politique d’ouverture est relancée en 1988, trois ans après l’introduction des politiques de glasnost et de perestroïka en URSS. Dans un contexte de grave crise économique et sociale, les négociations dites de la Table ronde sont alors engagées entre des repré1 Timothy Garton Ash, « The Revolution of the Magic Lantern », The New York Reviews of Books, 18 janvier 1990. © AFP / Joe Klamar Affiche de campagne du parti Droit et Justice (PiS) lors des élections législatives de 2007. Ce scrutin a marqué la défaite de la coalition conservatrice au pouvoir et l’avènement d’un bloc libéral mené par Donald Tusk. sentants du régime et de Solidarność. Elles aboutissent, en avril 1989, à trois mesures principales : la relégalisation du syndicat Solidarność, l’organisation d’élections parlementaires semilibres en juin – un tiers des sièges à la Diète et tous ceux du Sénat sont mis en compétition – et la création d’une fonction de président de la République, élu par le nouveau Parlement. Si ces mesures visaient à permettre au gouvernement de continuer à s’assurer la mainmise sur le pouvoir politique en cooptant partiellement l’opposition, la déroute des candidats officiels aux élections de juin 1989 bouleverse la donne. Les candidats « sans parti » raflent en effet la quasi-totalité des sièges pour lesquels ils avaient été autorisés à concourir. Cette déconvenue aussi nette qu’inattendue crée de vives tensions au sein du Parti ouvrier unifié de Pologne (POUP, Polska Zjednoczona Partia Robotnicza, PZPR), qui se déchire entre conservateurs et réformateurs. Alors que les premiers appellent à une reprise en main du pouvoir par le parti, les seconds prônent une poursuite de la stratégie d’ouverture et comptent sur les divisions de Solidarność pour en conserver la maîtrise. Il est vrai que des dissensions se font également jour au sein d’un mouvement d’opposition qui réunit des traditions politiques très variées, allant de l’extrême droite nationaliste à la gauche anticléricale. La stratégie à adopter pour la suite ne fait guère consensus. Faut-il entrer dans une logique d’affrontement avec le régime ou vaut-il mieux continuer les négociations en espérant obtenir de nouvelles concessions ? C’est la seconde option, soutenue par l’élite intellectuelle du mouvement, qui est finalement retenue. Après quelques semaines d’incertitude, un accord est trouvé au cours de l’été pour un nouveau partage du pouvoir entre communistes et opposants. Le général Jaruzelski est élu à la présidence de la République et Tadeusz Mazowiecki est nommé Premier ministre d’un gouvernement de grande coalition. Ce conseiller du président de Solidarność Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 61 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Lech Wałęsa devient ainsi, le 19 août 1989, le premier chef de gouvernement non communiste du bloc de l’Est. Il engage immédiatement une politique de libéralisation de l’économie et de rapprochement avec la Communauté économique européenne, et se pose en garant de l’unité nationale en prônant une politique du « gros trait » sur le passé, caractérisée par le refus de mener une décommunisation systématique de l’État. La fragmentation du paysage politique La nomination de T. Mazowiecki à la tête du gouvernement ouvre une période paradoxale durant laquelle, alors que les communistes continuent à occuper des postes clés au sein de l’appareil d’État et à être majoritaires au Parlement, les structures de la République populaire et de l’économie planifiée sont démantelées les unes après les autres. Dans un contexte général d’effondrement des régimes socialistes, les réformateurs prennent définitivement le dessus sur les conservateurs au sein du PZPR, qui est officiellement dissous en janvier 1990. Sur ses ruines se crée immédiatement la Social-démocratie de la République de Pologne (Socjaldemokracja Rzeczypospolitej Polskiej, SdRP) dont le jeune réformateur Aleksander Kwaśniewski prend la tête. De même, son allié, le Parti paysan unifié (Zjednoczone Stronnictwo Ludowe, ZSL), disparaît au profit d’une nouvelle formation agrarienne « démocratique », le Parti paysan polonais (Polskie Stronnictwo Ludowe, PSL). Cette configuration amène le général Jaruzelski à démissionner de la présidence, en septembre 1990. Une élection présidentielle au suffrage universel est prévue pour le 25 novembre, premier scrutin entièrement concurrentiel organisé dans le pays depuis l’entre-deux-guerres. La campagne présidentielle exacerbe les tensions au sein du mouvement Solidarność, entre la branche syndicale et l’élite intellectuelle du mouvement. Alors que la première soutient la candidature de l’ancien électricien et prix Nobel L. Wałęsa, la seconde se mobilise en faveur de celle du Premier ministre T. Mazowiecki. La « guerre au sommet » entre les deux symboles de 62 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 la lutte contre le communisme ne va cependant pas jusqu’à son terme. Lors du premier tour du scrutin, Stanisław Tymiński, un homme d’affaires canado-polonais totalement inconnu quelques semaines auparavant, s’intercale en effet à la surprise générale entre les deux frères ennemis 2. N’étant soutenu par aucun parti, S. Tymiński a essentiellement mené campagne sur la dénonciation d’une supposée collusion entre les élites politiques de Solidarność et celles de l’ancien régime communiste. En dépit de la violence de leur confrontation passée, T. Mazowiecki se résigne à apporter son soutien à L. Wałęsa, élu à une large majorité au second tour. Deux enseignements principaux peuvent être tirés de ce scrutin. D’abord, qu’en Pologne, plus qu’ailleurs, le débat politique s’est initialement structuré sur une opposition de personnes et de styles politiques plus que sur un débat politique de fond quant aux orientations de la transition. Ensuite, que les modalités de la transition polonaise – une négociation à huis clos entre élites – ont, par leur mystère même, rapidement constitué un enjeu mobilisable dans la compétition électorale. Après cette élection qui marque symboliquement la prise de pouvoir complète par l’ancienne opposition démocratique, la situation politique issue des accords de la Table ronde apparaît de plus en plus anachronique. Le Parlement est finalement dissous et les premières élections parlementaires libres depuis près de soixante-dix ans sont programmées pour le 27 octobre 1991. Dans les mois précédant le scrutin, on assiste à une fragmentation croissante du paysage politique polonais, sous l’effet combiné de la création de nouveaux partis et du morcellement de Solidarność. Finalement, plus de cent comités électoraux se présentent devant les électeurs. Du fait des très faibles seuils de représentation fixés par la loi électorale, près de trente d’entre eux parviennent à obtenir des mandats au Lech Wałęsa arrive nettement en tête du premier tour avec 40 % des voix. Il devance Stanisław Tymiński (23 %) qui se qualifie pour le second tour. Tadeusz Mazowiecki (18 %) est éliminé tout comme les candidats du SdRP et du PSL, Włodzimierz Cimoszewicz (9,21 %) et Roman Bartoszcze (7,15 %). 2 Les partis représentés à la Diète de 1989 à 2014 GAUCHE Année Président DROITE 2014 Mouvement Palikot 2013 Bronisław 2012 Komorowski Ruch Palikota 2011 2010 Droit et Justice 2009 2008 Lech Kaczyński 2007 2006 2005 Alliance de la gauche démocratique Sojusz Lewicy Demokratycznej SLD 2004 Prawo i Sprawiedliwość Platforma Obywatelska PiS PO PiS Parti paysan polonais 2003 Polskie Stronnictwo Ludowe 2002 PSL 2001 Plateforme civique Aleksander Autodéfense Liga Polskich Samoobrona Rodzin LPR Union de la liberté Action électorale Solidarité 1999 Unia Wolności Akcja Wyborcza « Solidarność » 1998 UW AWS 2000 Kwaśniewski Ligue des familles polonaises SO 1997 Social-démocratie de la République de Pologne 1996 1995 Socjaldemokracja Rzeczypospolitej Polskiej 1994 Lech Wałęsa 1992 1991 1990 1989 Wojciech Jaruzelski Confédération des Indépendants Unia Konfederacja Demokratyczna Polski . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..Niepodległej . . .. .. .. .. ..SdRP . . . . . . . . . . . . . . . . . . ...................................................................................................................................................................................................................................................... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..............................PC ......(c) ............. . . . . .ZChN . . . . . .(d). . . . . . . . . . . . KPN ......... ..........(b) ...........................UD . .. .. .. .. .. ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... .................................................................................................................................................................................................................................KLD . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ...................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... Parti ouvrier unifié de Pologne Polska Zjednoczona Partia Robotnicza PZPR ZSL (a) Solidarité Solidarność . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . . . . . . . . . . . . gouvernementale .................................................... Coalition gouvernementale . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..Instabilité 1991 Date d’élection législative . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. Seuls les partis ayant obtenu plus de 7 % sont représentés . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .du . . . .centre . . . . . . .-. Porozumienie . . . . . . . . . . . . . . . Centrum . . . . . . . . . .(PC) ..................................... (a) Parti paysan unifié - Zjednoczone Stronnictwo Ludowe (ZSL) (c) Alliance . .. .. .. .. .. .. ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... (b) Congrès libéral-démocratique - Kongres Liberalno-Demokratyczny (KLD) (d) Union . .. .. .. .chrétienne . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..nationale .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..-.. ..Zjednoczenie .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..Chrześcijańsko-Narodowe .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..(ZChN) .......... . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. ..internationales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .n. .o. 69 . . . . .–. . .Septembre-octobre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .2014 . . . . . . . . . . . . . . 63 .. Questions . .. .. .. .. .. ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ................................................................................ Source : www.europe-politique.eu:elections-pologne.htm 1993 Union démocratique DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe ➜ FOCUS Les institutions de la IIIe République Libérée par l’Armée rouge, la Pologne est progressivement intégrée à la sphère d’influence soviétique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’emprise des forces communistes sur l’appareil d’État est entérinée en 1952 avec l’adoption d’une nouvelle Constitution. Inspirée de la Constitution soviétique de 1936, le texte instaure une République populaire de Pologne dominée par le Parti ouvrier unifié de Pologne (Polska Zjednoczona Partia Robotnicza, PZPR) et organisée autour de trois institutions clés : la Diète, le Conseil des ministres et le Conseil d’État. Amendée à de nombreuses reprises, la Constitution de 1952 est redéfinie en profondeur en 1989. Les négociations de la Table ronde entre les représentants du régime et du syndicat Solidarność aboutissent tout d’abord, en avril, à la création d’un Sénat et au remplacement du Conseil d’État par un président de la République. Puis, suite à la nomination de Tadeusz Mazowiecki au poste de Premier ministre, le rôle dirigeant du PZPR est aboli et la République de Pologne perd officiellement sa qualification de « populaire » en décembre. Afin de marquer une rupture symbolique avec la période communiste, le régime pluraliste issu des réformes de l’année 1989 est rapidement qualifié de iiie République 1. Il faut cependant attendre la fin de la décennie 1990 pour que le pays se dote formellement d’une nouvelle Constitution. Incapables de s’entendre sur l’organisation des pouvoirs, les parlementaires se contentent en effet, dans un premier temps, d’adopter une série d’amendements visant à démocratiser le texte de 1952. Après plus de cinq années de débats, une nouvelle Loi fondamentale est finalement adoptée par le Parlement et ratifiée par référendum au printemps 1997. Définissant la République de Pologne comme « un État démocratique de droit mettant en œuvre les principes de la justice sociale », elle instaure un régime parlementaire présentant certaines similitudes avec la Ve République française. Alors que le pouvoir législatif est confié à un Parlement bicaméral, composé d’une Diète de 460 députés et d’un Sénat de 100 sénateurs, le pouvoir exécutif est partagé entre un Conseil des ministres, responsable devant la Diète, et un président de la République, élu au suffrage universel direct pour une durée de cinq ans. Chef des armées et garant de la continuité des pouvoirs publics, le président de la République dispose d’un veto législatif – qui peut être rejeté par un vote des trois Parlement. Aucun ne peut cependant revendiquer une victoire nette. Certes, l’Union démocratique (Unia Demokratyczna, UD) de T. Mazowiecki arrive en tête du scrutin et devance ainsi ses « rivaux » issus de Solidarność, notamment l’Alliance du centre (Porozumienie Centrum, PC), l’Union chrétienne nationale (Zjednoczenie Chrześcijańsko-Narodowe, ZChN) et le Congrès libéral-démocratique (Kongres LiberalnoDemokratyczny, KLD) du Premier ministre Jan Krzysztof Bielecki. Néanmoins, avec moins 64 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 cinquièmes de la Diète – et nomme le Premier ministre. Ce dernier préside le Conseil des ministres qui « conduit la politique intérieure et étrangère de la République », dirige l’administration gouvernementale et assure l’application des lois. Quant au pouvoir judiciaire, il est exercé de manière formellement indépendante par les cours et tribunaux. Bien que clarifiant l’organisation des pouvoirs, la Constitution de 1997 n’a cependant pas mis totalement fin aux polémiques sur la nature du régime. La question de la répartition exacte des compétences entre le président de la République et le Premier ministre reste ainsi l’objet de polémiques régulières, qui ont été particulièrement vives de 2007 à 2010 pendant la cohabitation entre Lech Kaczyński et Donald Tusk. Certains partis, au premier rang desquels le principal parti d’opposition actuel Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS), plaident en outre depuis quelques années pour une nouvelle réforme en profondeur du système institutionnel et l’instauration d’une ive République. 1 Les appellations de Ire et de IIe République renvoient respectivement à la république aristocratique des Deux Nations (1569-1795) et au régime parlementaire, puis autoritaire, de l’entre-deux-guerres. de 12,5 % des voix, l’UD n’obtient que 62 sièges de députés à la Diète sur 460 et est talonnée par l’Alliance de la gauche démocratique (Sojusz Lewicy Demokratycznej, SLD) lancée par les anciens communistes du SdRP. Malgré la défaite relative de ses proches, L. Wałęsa charge l’un de ses fidèles, Jan Olszewski (Alliance du centre), de former le nouveau gouvernement. Celui-ci revient sur la politique du « gros trait » de T. Mazowiecki et lance une campagne de « lustration » qui vise à purger la Pologne : régions rurales et régions urbaines, 2014 Région rurale (population rurale de plus de 50% de la population totale) Région intermédiaire (population rurale entre 20% et 50% de la population totale) Région urbaine (population rurale de moins de 20% de la population totale) Gdańsk Elbląg Olsztyn Szczecin Białystok Bydgoszcz Poznań Zielona Góra Varsovie Łódź Wrocław Kielce Opole Katowice Cracovie Vers une bipolarisation post-Solidarnos'c'/postcommuniste Afin de limiter la fragmentation parlementaire, la nouvelle loi électorale adoptée dans l’urgence après le renversement du gouvernement Suchocka introduit des seuils de représentation de 5 %. Cette mesure s’avère particulièrement favorable aux successeurs des partis officiels de la République populaire. Désormais dirigés par de jeunes réformateurs, le SLD et le PSL parviennent en effet à tirer avantage des divisions du camp Solidarność et de l’impopularité croissante de politiques de libéralisation de l’économie mises en œuvre depuis 1989 pour s’imposer comme les grands vainqueurs du scrutin de septembre 1993. En réunissant respectivement 20 % et 15 % des votes, ils s’assurent les deux tiers des sièges au Parlement et s’entendent rapidement pour former un gouvernement de coalition. À peine quatre ans après la nomination de T. Mazowiecki, le camp Solidarność est brutalement renvoyé dans l’opposition. Cette défaite provoque un sursaut, plus vif encore après l’élection présidentielle de 1995 au cours de laquelle Lech Wałęsa est battu par le président du SLD, Aleksander Kwaśniewski. Les nombreux groupements revendiquant leur filiation avec Solidarność s’efforcent dès lors de réduire leur morcellement et, si Lublin Entités géographiques : régions européennes (NUTS 3) Source : Eurostat, http://epp.eurostat.ec.europa.eu Rzeszów 100 km Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie, © Dila, Paris, 2014 sphère publique des anciens collaborateurs du régime communiste. En créant un climat de suspicion généralisée, cette politique mine progressivement la fragile base de soutien du gouvernement et conduit à son renversement par la Diète en mai 1992. Nommée pour succéder à J. Olszewski après plusieurs semaines d’âpres négociations, Hanna Suchocka (KLD) renonce ensuite à la lustration et replace l’économie au cœur de l’action gouvernementale. Le gouvernement de coalition à sept partis qu’elle dirige est cependant à son tour victime d’une motion de censure en mai 1993. Lech Wałęsa décide alors de dissoudre le Parlement. Les anciens alliés de Solidarność se sont avérés incapables de s’entendre pour doter la toute jeune démocratie polonaise d’un gouvernement stable, et c’est plus divisés que jamais qu’ils se présentent devant les électeurs. les négociations s’avèrent souvent délicates, elles aboutissent toutefois à la constitution de deux grandes alliances « post-Solidarność » : l’Union de la liberté (Unia Wolności, UW), issue d’une fusion des partis libéraux UD et KLD, et l’Action électorale Solidarité (Akcja Wyborcza Solidarność, AWS), associant autour de la branche syndicale du mouvement une trentaine de formations conservatrices, dont l’Alliance du centre et le ZChN. La réunification des anciens de Solidarność en un nombre réduit de formations a pour conséquence une réorganisation progressive du jeu politique autour d’un clivage opposant les anciens protagonistes des négociations de la Table ronde, héritiers de l’ancien régime, d’une part, et ceux du mouvement d’opposition, de l’autre. Cette représentation bipolaire, qui s’accompagne d’une marginalisation des partis refusant de se positionner dans l’un ou l’autre des deux camps, est confortée par les résultats des élections parlementaires de 1997. Étant parvenu à devancer le SLD et le PSL dans un scrutin plus serré qu’attendu, l’AWS noue en effet rapidement un accord avec l’UW Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 65 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe pour constituer un gouvernement de coalition se revendiquant explicitement de l’héritage du mouvement Solidarność. En dépit de l’alternance, le nouveau Premier ministre Jerzy Buzek (AWS) place au cœur de son action, comme tous ses prédécesseurs depuis 1989 – à l’exception de J. Olszewski –, la question de la modernisation économique, notamment dans la perspective d’une adhésion à l’Union européenne. Les reconfigurations partisanes des années 2000 Le bouleversement des élections de 2001 Au début des années 2000, la mouvance post-Solidarność au pouvoir depuis 1997 connaît une profonde recomposition. Alors que les principaux indicateurs économiques sont au rouge et que le gouvernement de Jerzy Buzek bat des records d’impopularité, l’AWS et l’UW semblent condamnés à la débâcle électorale lors des élections parlementaires de septembre 2001. Dans ce contexte, les équilibres ayant présidé à la création de ces deux alliances sont fragilisés, et certains de leurs membres cherchent à s’en émanciper afin de pouvoir se désolidariser du bilan gouvernemental. Deux principales entreprises de ce type se développent au début de l’année 2001. La première est issue d’une scission au sein de l’UW et aboutit à la création d’une nouvelle formation revendiquant son identité « conservatrice-libérale », la Plateforme civique (Platforma Obywatelska, PO). La seconde se structure autour de la personne de Lech Kaczyński, alors ministre de la Justice. Avec le soutien de son frère jumeau Jarosław, l’ancien président de l’Alliance du centre, il prend la tête d’une fronde contre la direction de l’AWS qui aboutit à la création d’un nouveau parti « conservateur » baptisé Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS). Les tractations de la dernière chance pour reconstituer un front électoral uni ayant échoué, c’est une nouvelle fois en ordre dispersé que les anciens de Solidarność se présentent au scrutin. Dans ces conditions, et sans surprise compte tenu 66 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 de l’impopularité du gouvernement en place, le scrutin se solde par une nouvelle alternance. Alors que le SLD obtient une large victoire avec plus de 40 % des suffrages, les deux anciens partenaires de la coalition sortante sont balayés et ne conservent pas le moindre député. En insistant sur leur nouveauté, la PO et le PiS parviennent quant à eux à s’assurer une modeste représentation parlementaire 3. Ils s’imposent ainsi quelques mois après leur création comme les principales composantes d’une mouvance post-Solidarność qui obtient ses plus mauvais résultats électoraux depuis le changement de régime. Outre cette spectaculaire alternance, les élections législatives de 2001 consacrent également l’entrée surprise au Parlement de deux organisations politiques prétendant transcender le clivage post-Solidarność/postcommuniste jusqu’ici dominant. La première de ces organisations est le mouvement Autodéfense (Samoobrona) qui mobilise près de 10 % des électeurs, devenant ainsi la troisième force parlementaire nationale. Né d’une mobilisation d’exploitants agricoles surendettés, ce groupement critique avec virulence l’orientation libérale des politiques économiques mises en œuvre sans discontinuer depuis 1989 et revendique son statut de représentant des « perdants de la transition ». La seconde formation réalisant une percée électorale inattendue, avec 8 % des voix, est la Ligue des familles polonaises (Liga Polskich Rodzin, LPR). Soutenu par la frange conservatrice du clergé polonais, ce parti est le produit de l’unification de groupements nationalistes d’origines variées et est porteur d’une dénonciation virulente à la fois de l’ordre politique établi après 1989 et du projet d’intégration de la Pologne à l’Union européenne. Le divorce entre la PO et le PiS Même s’ils sont sortis vainqueurs de ce scrutin, le SLD et le PSL voient leur popularité 3 Avec 12,7 % des voix, la PO se classe en deuxième position et obtient 65 députés, loin derrière le SLD et ses 216 mandats. Quant au PiS, il arrive en quatrième position, derrière Samoobrona (Samoobrona Rzeczpospolitej Polskiej, Autodéfense de la République de Pologne), mais juste devant le PSL, avec 9,5 % des voix et 44 députés. ➜ FOCUS La catastrophe aérienne de Smolensk Le 10 avril 2010, l’avion présidentiel polonais transportant une délégation venue participer aux cérémonies du 70e anniversaire du massacre de Katyń manque son atterrissage et s’écrase près de l’aéroport de Smolensk, en Russie. Il n’y aucun survivant parmi les 96 passagers. Outre le président Lech Kaczyński et sa femme, plusieurs personnalités de premier plan perdent alors la vie, parmi lesquelles 18 parlementaires, les principaux chefs de l’état-major militaire ou encore le président de la Banque nationale de Pologne. Dans le pays, le choc est immense. Un deuil national d’une semaine est décrété et plusieurs centaines de milliers de personnes participent aux différentes cérémonies d’hommage aux victimes. Bien que l’émotion soit unanime, la catastrophe de Smolensk est rapidement l’objet d’investissements politiques contradictoires. Elle intervient en effet dans un contexte de cohabitation extrêmement tendue entre la PO du Premier ministre D. Tusk et le PiS du défunt président, et à quelques mois de l’élection présidentielle initialement prévue pour le mois d’octobre. s’effriter rapidement au cours de la législature. Certes, leur gouvernement de coalition peut se targuer d’avoir mené à bien les réformes structurelles nécessaires à l’intégration de la Pologne à l’Union européenne, mais il ne parvient pas à enrayer la grave crise économique et sociale qui touche le pays depuis la fin des années 1990. Par ailleurs, plusieurs de ses membres, dont le Premier ministre Leszek Miller (SLD) lui-même, sont impliqués dans des scandales politico-financiers qui choquent l’opinion. Appréhendées par l’ensemble des formations politiques comme une répétition générale des élections parlementaires de 2005, les premières élections européennes polonaises de juin 2004 donnent à voir l’ampleur du déclin des deux partis. Alors que leurs listes ne parviennent même pas à réunir 10 % des voix, le scrutin confirme à l’inverse l’affirmation des quatre nouveaux partis ayant fait leur entrée au Parlement en 2001, la PO, le PiS, la LPR et Samoobrona. Malgré la démission de L. Miller, la majorité sortante continue à s’enfoncer dans la crise dans les mois qui précèdent les élections législatives. Alors que l’hypothèse d’une nouvelle alternance s’impose comme une évidence et que les sondages donnent à voir une stagnation des intentions de vote pour la Alors que le scrutin est avancé au mois de juin et que l’intérim à la tête de l’État est assuré par le maréchal de la Diète Bronisław Komorowski, par ailleurs candidat déjà désigné de la Plateforme civique, plusieurs controverses se développent entre les deux rivaux. La principale a trait aux causes du crash et perdure jusqu’à nos jours. Si le rapport d’enquête du gouvernement a conclu à un accident dû aux mauvaises conditions météo et à l’imprudence des pilotes, les responsables du PiS privilégient quant à eux la thèse de l’attentat fomenté par la Russie. LPR et Samoobrona, la question de savoir qui, de la PO ou du PiS, réunira le plus de votes devient rapidement le véritable enjeu du scrutin. Dès lors, et bien que les deux formations aient annoncé qu’elles entendaient s’allier au sein d’un nouveau gouvernement de coalition post-Solidarność, la campagne électorale tourne au duel fratricide. Celui-ci est d’autant plus vif que se profile l’élection présidentielle, pour laquelle les candidats de la PO et du PiS, respectivement Donald Tusk et Lech Kaczyński, font également figure de favoris. À mesure que la campagne avance, les deux formations aux offres politiques initialement très proches insistent sur leurs divergences pour se démarquer l’une de l’autre. Au nom du PiS, les frères Kaczyński durcissent ainsi leurs critiques à l’égard du consensus économique libéral dont la PO se fait à l’inverse la garante. De même, insistant sur leur volonté d’« assainir » la Pologne 4, ils relancent l’idée d’une politique de lustration, très controversée depuis la chute du gouvernement Olszewski. 4 Cette idée d’« assainissement » (Sanacja) est une référence explicite à la politique anti-parlementaire et anti-corruption du même nom menée durant l’entre-deux-guerres par le maréchal Józef Piłsudski, héros de l’indépendance nationale puis chef de l’État suite à un coup d’État en 1926. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 67 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe La stratégie électorale des frères Kaczyński se révèle payante puisque, déjouant les sondages, le PiS devance la PO aux élections parlementaires ainsi qu’à l’élection présidentielle 5. Dans les semaines suivant cette double victoire inattendue, des négociations sont ouvertes comme prévu entre les deux formations pour former un gouvernement de coalition. Leur confrontation électorale a cependant laissé de profondes séquelles et elles s’avèrent incapables de s’entendre. Afin de s’assurer malgré tout une majorité au Parlement, les dirigeants du PiS font alors le choix de se tourner vers Samoobrona et la LPR, partis qui ont tous deux confirmé dans les urnes leurs scores de 2001. Après plusieurs mois de discussions, un accord de coalition est donc scellé entre les trois formations au printemps 2006. Très controversé, il sanctionne le divorce entre les formations héritières de Solidarność et conduit à une réorganisation en profondeur du paysage partisan polonais. Alors que la Plateforme civique est reléguée dans l’opposition parlementaire, le PiS et ses alliés de circonstance affirment leur volonté de rompre avec les équilibres politiques et économiques dominant depuis les accords de la Table ronde, à travers notamment un changement de régime politique, un contrôle étatique accru de l’économie et une relance active de la lustration. Ce que les éditorialistes appellent avec ironie la première « république monozygote » – les frères jumeaux Kaczyński occupant les positions de président de la République et de Premier ministre – ne dure cependant pas. Fragilisée par les dissensions permanentes entre ses membres, la coalition est rompue en juillet 2007 et des élections anticipées sont convoquées. Comme en 2005, la campagne tourne rapidement au duel entre la PO et le PiS, dans un climat plus délétère encore. Dénonçant la dérive autoritaire des frères Kaczyński et de leurs partenaires, la Plateforme civique 5 Aux élections parlementaires, le PiS réunit 27 % des voix et devance ainsi la PO (24 %), Samoobrona (11,4 %), le SLD (11,3 %), la LPR (8 %) et le PSL (7 %). À l’élection présidentielle, L. Kaczyński bat D. Tusk au second tour en ralliant 54 % des voix. 68 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 se positionne à son tour comme la garante de la stabilité économique et de la « normalité démocratique » issue des accords de la Table ronde. Le PiS, quant à lui, réitère ses appels à la mise en œuvre d’un nouveau régime « décommunisé » et critique le passéisme d’une PO accusée par ailleurs d’entretenir des rapports incestueux avec le monde des affaires. Le bras de fer tourne finalement en faveur de la Plateforme. En dramatisant l’enjeu du scrutin et en se positionnant en unique recours contre les Kaczyński, le parti de D. Tusk parvient à mobiliser plus de 40 % des suffrages. Il devance ainsi le PiS qui a pourtant amélioré son score de 2005 en siphonnant les voix de ses anciens alliés de Samoobrona et de la LPR, évincés du Parlement. Alors que les formations postcommunistes ont peiné à exister au cours de la campagne, les frères ennemis de la PO et du PiS obtiennent à eux deux plus de 80 % des mandats de parlementaires et imposent ainsi leur domination sur la scène politique. Toute réconciliation entre les deux semblant désormais impossible, la PO se tourne vers le PSL pour s’assurer une majorité stable. Un accord de coalition est rapidement trouvé et Donald Tusk est nommé Premier ministre en novembre 2007. Le virage est radical puisque, pour la première fois depuis le changement de régime, des formations issues des deux camps auparavant antagoniques s’unissent pour gouverner la Pologne. L’épuisement du clivage entre les anciens communistes et les anciens de Solidarność est ainsi entériné et, depuis lors, c’est l’opposition entre ceux qui doivent leur légitimité à la Table ronde et ceux qui fondent leur identité politique sur sa contestation qui domine la compétition politique polonaise. Une bipolarisation durable ? Depuis 2007, le duel entre le PiS et la PO a structuré toutes les élections et a systématiquement tourné en faveur de la seconde, qui contrôle désormais les principales institutions politiques du pays 6. Déjà exécrables, les relations entre 6 D. Tusk est Premier ministre depuis 2007 et B. Komorowski a succédé à L. Kaczyński à la présidence de la République en 2010. Résultats des partis (en % des suffrages valides) 0 5 10 15 20 25 30 35 Autodéfense Démocratie directe Parti des Verts Mouvement national Pologne ensemble Europe Plus – Ton Mouvement 5% des suffrages valides. C’est le seuil pour être représenté au Parlement européen Pologne solidaire Circonscriptions dans lesquelles le PO ou le PiS est arrivé en tête (2009 et 2014) : PO Nouvelle Droite 4 Parti paysan polonais Alliance gauche démocratique union du travail 4 PiS 5 Plateforme citoyenne (PO) 19 Droit et Justice (PiS) 19 Source : Commission électorale polonaise, http://pe2014.pkw.gov.pl/pl/ les dirigeants des deux formations se sont encore détériorées après la catastrophe aérienne de Smolensk qui a coûté la vie au président L. Kaczyński en 2010. À un an d’une année électorale chargée, combinant élections présidentielle et parlementaires, l’opposition entre les deux formations « conservatrices » héritières de Solidarność semble loin de s’épuiser. D’autant qu’aucune alternative crédible n’est parvenue à émerger ces dernières années. À gauche, le SLD peine à se remettre de sa débâcle de 2005. L’entreprise de renouvellement du parti lancée à la fin de la décennie 2000, qui passait notamment par le rajeunissement de ses dirigeants et la formalisation de nouveaux partenariats au centre, a fait long feu. Tandis que la jeune garde du parti échouait à renouer avec les performances électorales passées, ses cadres historiques sont parvenus à en reprendre progressivement le contrôle. À nouveau dirigé par l’ancien Premier ministre L. Miller depuis 2011, le parti social-démocrate est crédité de moins de 10 % des voix dans les différents sondages d’opinion. Plus au centre, le Mouvement Palikot (Ruch Palikota), créé en 2010 par l’ancien député de la PO, Janusz Palikot, est en pleine déliquescence. Lors des élections parlementaires de 2010, la nouvelle formation était parvenue à se hisser à la troisième place en développant une offre politique originale, combinant libéralisme économique, progressisme sociétal et anticléri- Nombre total d’eurodéputés polonais : 51 Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014 Élections européennes en Pologne 25 mai 2014 calisme 7. Cependant, alors même qu’elle visait à élargir encore davantage sa base de soutien, sa fusion ultérieure avec différents groupements de centre-gauche, pour la plupart issus de scissions au sein du SLD, l’a profondément fragilisée. Miné par les conflits entre ses dirigeants, le groupement Ton Mouvement (Twój Ruch) ainsi constitué en octobre 2013 s’est effondré lors des élections européennes de 2014 et n’apparaît plus désormais comme un prétendant sérieux à l’exercice du pouvoir. Enfin, à la droite et à l’extrême droite, plusieurs personnalités se sont efforcées, jusqu’ici sans grand succès, de constituer des mouvements politiques leur permettant de s’inviter dans le duel entre la PO et le PiS. Lors des élections européennes de 2014, trois d’entre elles se sont présentées devant les électeurs : Pologne solidaire (Solidarna Polska) de l’ancien ministre du PiS Zbigniew Ziobro, Pologne ensemble (Polska Razem) de l’ancien ministre de la PO Jarosław Gowin, et le Congrès de la nouvelle droite (Kongres Nowej Prawicy, KNP) du libertaire conservateur 8 Janusz KorwinMikke. Alors que les deux premières n’ont pas atteint le seuil nécessaire à l’obtention d’élus, 7 Sur ce thème, voir notamment Sébastien Gobert, « La Pologne de Palikot. Entre anticléricalisme et marijuana », P@ges Europe, 20 février 2012 (www.ladocumentationfrancaise.fr/pageseurope/d000447-la-pologne-de-palikot.-entre-anticlericalisme-etmarijuana-par-sebastien-gobert). 8 Le KNP se veut libertaire en économie et conservateur s’agissant des valeurs morales. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 69 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe la dernière a partiellement réussi à occuper le créneau anti-européen laissé vacant par la LPR, en ralliant 7 % des voix. Confirmer lors des prochains scrutins ce résultat obtenu dans une élection ayant mobilisé moins de 25 % des électeurs constituera cependant un défi de taille pour ce parti aux structures encore très fragiles. En définitive, c’est certainement au sein même de la PO et du PiS que les facteurs d’une potentielle reconfiguration du paysage politique polonais sont à rechercher. Lorsqu’elle s’ouvrira, la question de la succession des « meilleurs ennemis » Donald Tusk et Jarosław Kaczyński, à la tête de leurs partis respectifs, pourrait en effet conduire à une profonde redéfinition des rapports de force constitutifs de formations aux offres politiques plus voisines qu’elles ne veulent bien le reconnaître. ■ Géopolitique, le débat une émission présentée par Marie-France Chatin samedi à 17h, dimanche à 18h (TU, antenne africaine) rfi.fr Aurélia Blanc samedi et dimanche à 20h (heure de Paris, antenne monde) CS 5 Pub RFI Géopolitique Questions Inter 150x110.indd 1 70 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 06/05/13 17:27 Ò POUR ALLER PLUS LOIN Les relations judéo-polonaises à l’aune des enjeux de mémoire La place qu’occupent les relations judéo-polonaises dans le débat public en Pologne est toujours sans commune mesure avec la présence effective d’une toute petite communauté résiduelle, religieuse, dont le grand rabbin est de surcroît américain. Ce monde juif polonais est également laïc. De nouvelles structures organisées et laïques – écoles maternelles et élémentaires, camps de jeunes, centre communautaire financé par l’organisation humanitaire américaine Joint Distribution Committee, etc. – sont nées après 1989, sans parler des individus « inorganisés » sans attaches particulières, actifs ici ou là dans la cité et qui forment probablement la majorité des Juifs polonais. Rappelons que la Pologne a constitué le berceau du judaïsme européen. En 1939, 3,4 millions de Juifs y habitaient, comptant pour environ 10 % de la population du pays. La Pologne fut en effet au Moyen Âge une terre d’accueil pour les Juifs qui fuyaient les États dont ils étaient expulsés, ce qui explique leur nombre élevé dans cette partie de l’Europe centrale. Cette politique tolérante des rois de Pologne n’a pas empêché que se développât simultanément, et de façon croissante, l’antijudaïsme chrétien puis, à la fin du xixe siècle, l’antisémitisme moderne. Dans les années 1930, s’inspirant de l’Allemagne hitlérienne, les gouvernants polonais prônaient ouvertement une solution au « problème juif » – selon le vocabulaire antisémite – hors de Pologne. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, 90 % des Juifs polonais y périrent, les pertes polonaises (non juives) pouvant être évaluées, à la suite des agressions allemande et soviétique, à environ 2 millions d’habitants. La Pologne a ainsi perdu près de 5,4 millions de ses citoyens, sans parler des immenses pertes matérielles et de la destruction de Varsovie, seule capitale européenne à avoir connu un tel sort. Les nouvelles autorités polonaises ne voyant dans l’assassinat des Juifs qu’une différence de degré © AFP / Janek Skarżyński Un passé longtemps occulté Le chantre juif new-yorkais Joseph Malowany prie devant le monument aux victimes du ghetto de Varsovie en présence de prélats catholiques à l’occasion du 70e anniversaire du soulèvement du ghetto. et non de nature par rapport aux crimes commis contre les Polonais, ce désastre eut pour conséquence que le génocide des Juifs ne fut pas perçu dans sa spécificité. Elles ont ainsi été amenées, pour légitimer un pouvoir illégitime, à exposer avant tout les souffrances de la nation polonaise. Dans le contexte de l’édification socialiste, d’un antifascisme instrumentalisé, le sort des Juifs fut occulté, oublié, à l'exception de quelques publications historiques spécialisées. Jamais durant la période communiste les relations judéo-polonaises sous l’Occupation – allemande, a fortiori soviétique – ne furent Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 71 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe évoquées, sauf, déjà, sous l’angle de l’aide prodiguée aux Juifs par les Polonais. Cette question de l’aide fut tout particulièrement mise en avant en 1968, lors d’une campagne antisémite déclenchée par les dirigeants du Parti et de l’État qui, sous couvert d’une campagne antisioniste, provoquèrent le départ de Pologne de quelque 13 000 Juifs vers Israël, les États-Unis ou certains pays européens. Pour contrebalancer les effets désastreux de cette politique face aux opinions occidentales, les autorités polonaises publièrent alors de nombreux textes qui soulignaient l’aide des Polonais aux Juifs sous l’Occupation. Une prise de conscience tardive Cette page blanche sur les relations judéo-polonaises pendant la guerre commence à se remplir dans les années 1980, sous le communisme finissant, avec un débat public – mené dans la presse tant officielle que clandestine – sur la responsabilité des Polonais à l’égard de leurs concitoyens juifs pendant la guerre. La diffusion d’extraits du film Shoah de Claude Lanzmann à la télévision polonaise, en 1985, n’est pas étrangère à l’émergence de ce débat. Deux ans plus tard, un article intitulé « Les pauvres Polonais regardent le ghetto », publié dans l’hebdomadaire de l’intelligentsia catholique Tygodnik Powszechny [l’hebdomadaire universel] par l’intellectuel de Cracovie Jan Blonski, posait également la question de la coresponsabilité polonaise dans le génocide. Il suscita des réactions indignées chez une partie des lecteurs. À la fin des années 1980, la présence de croix sur le site d’Auschwitz, volonté de l’Église de Pologne de s’approprier le sacrum inhérent à ce lieu, suscitait une désapprobation internationale et amenait l’opinion polonaise à interroger à nouveau les raisons d’un conflit politique et symbolique dont le passé de la Seconde Guerre mondiale était l’objet. Mais c’est la parution, en 2001, de l’ouvrage de l’historien américain d’origine polonaise Jan T. Gross, Les Voisins. Un pogrom en Pologne, 10 juillet 1941 1, décrivant le massacre de la quasi-totalité des Juifs d’une bourgade de Pologne orientale par leurs voisins polonais, qui ébranla en profondeur la société. Le débat national qui s’ensuivit mit fin au mythe d’une 1 72 Le livre est paru en français chez Fayard en 2002. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 « Pologne innocente ». Le président de la République, Aleksander Kwasńiewski, fut l’acteur principal d’un acte de repentance officiel qui eut lieu le 10 juillet 2001 sur le lieu du drame. Au même moment, l’Église fit de son côté célébrer une messe à Varsovie. Depuis, le thème juif occupe une place essentielle dans le débat public. L’un des traits les plus marquants de ce phénomène est l’intérêt que lui portent les historiens, notamment une équipe réunie autour de la professeure Barbara Engelking. À travers la revue Zagłada Żydów [extermination des Juifs], elle met au jour les aspects les plus sombres, et les plus cachés, des relations judéo-polonaises sous l’Occupation. En quelques années, cette épaisse publication, soutenue par un centre de recherche de l’Académie des sciences 2, est devenue la revue de référence sur la Shoah en Pologne. Ces intenses activités d’investigation scientifique — signalons que de nombreux autres centres de recherche universitaires sur l’histoire des Juifs et de l’antisémitisme sont nés depuis une quinzaine d’années — s’accompagnent d’un déploiement mémoriel multiforme où se mêlent commémorations diverses, quêtes de traces, nettoyages des cimetières juifs abandonnés, voyages en Israël, etc. Le nouveau musée d’Histoire des Juifs de Pologne érigé au cœur même de la ville, sur le site symbolique du ghetto, en face du célèbre monument de Nathan Rapoport inauguré en 1948 à la mémoire des combattants et des martyrs du ghetto, symbolise par excellence cette volonté de souvenir du monde juif englouti 3. Concurrences mémorielles On peut même constater une étonnante concurrence de politiques mémorielles liées à cet emplacement qui, il y a quelques années encore, était un espace quasi vide, entouré d’immeubles uniformes, caractéristiques de la première période socialiste. Centre de recherche sur la Shoah (Centrum Badan nad Zagłada Żydów), de l’Institut de philosophie et de sociologie de l’Académie de sciences de Varsovie (www.holocaustresearch.pl/). 3 Muzeum Historii Żydów Polskich (www.jewishmuseum.org.pl/). Sur la prolifération de musées à visée mémorielle, voir notamment Jean-Yves Potel, « Pologne. Une nouvelle génération de musées », P@ges Europe, 3 décembre 2013 (www.ladocumentationfrancaise. fr/pages-europe/d000702-pologne.-une-nouvelle-generation-demusees-par-jean-yves-potel). 2 Récemment, les autorités polonaises, comme pour inverser les enseignements des travaux historiques susmentionnés, ont décidé d’honorer la mémoire des Justes de leur pays en multipliant les lieux de mémoire en ce lieu. Jouxtant le musée, une statue de Jan Karski, ce fameux courrier polonais qui s’était introduit dans le ghetto en 1942 et qui avait alerté le monde sur le sort des Juifs, y a été érigée. Juste à côté, une « allée Irène-Sendler », du nom de cette infirmière qui réussit à extraire près de 2 500 enfants juifs des griffes de l’occupant, a été aménagée. Un projet visant à y ajouter un nouveau mémorial dédié aux Justes, financé cette fois par des milieux juifs, suscite une vaste polémique. Pour les opposants à ce projet, l’emplacement du ghetto exige le silence. Sous ce périmètre, entièrement détruit en 1943 par les nazis, reposent en effet les insurgés, notamment Mordehai Anielewicz, le commandant du ghetto, qui avait choisi de ne pas se rendre. Ce lieu est celui de la mort des Juifs, avancent-ils, non celui des Polonais, si absents lors de l’insurrection des Juifs. Précisons que si personne ne s’oppose au principe de monuments dédiés aux Justes, c’est leur abondance dans un espace déjà saturé qui pose problème. De nouveaux projets sont aussi envisagés. La ville de Varsovie a entériné le financement d’une sorte de mur autour de l’église, qui se trouve en face de la communauté juive et du rabbinat, sur lequel figureront les noms de 10 000 Justes – alors que le mémorial israélien de Yad Vashem n’en reconnaît jusqu’à présent que 6 500 environ pour la Pologne. Un parc des Justes, toujours situé sur ce périmètre, est également à l’étude. L’emplacement du ghetto, longtemps désert – si l’on excepte le monument de Rapoport – est désormais l’objet de surinvestissements matériels et symboliques qui visent à orienter le message historique. Cette glorification d’une Pologne aidante, visiblement utile à la bonne renommée d’un pays souvent accusé d’antisémitisme, traverse tout le spectre partisan : des formations de la droite nationaliste et catholique d’abord 4 – qui sont à l’origine du projet de monument des 10 000 Justes – jusqu’à la gauche. Les milieux juifs sont pour leur part divisés. Pour les uns, le silence doit prévaloir, pour les autres, c’est la réconciliation nationale qui prime. À cette désunion mémorielle, il faut ajouter le succès du film Ida de Paweł Pawlikowski, sorti en 2014. Au-delà du jugement que l’on porte sur ses qualités esthétiques, ce « film de l’année en Pologne » véhicule, selon certains, le message d’une symétrie de souffrances : certes, les Polonais ont tué des Juifs sous l’Occupation, mais « les Juifs » ont introduit le communisme dans le pays et conduit des résistants à l’échafaud. Cette optique est traditionnellement celle de la droite nationaliste. La symétrie est fausse tant dans la comparaison des crimes que dans l’appréciation de l’identité juive des communistes juifs : dans leur gouvernance, ils étaient avant tout communistes 5. Jean-Charles Szurek * * Directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Il a dirigé l’Institut des sciences sociales du politique (ISP), laboratoire CNRS-Paris Ouest-ENS Cachan de 2003 à 2010. Bibliographie Elzbieta Janicka, Festung Warschau, éd. Wydawnictwo Krytyki Politycznej, 2011 ● 4 Même le père Rydzyk, fondateur de Radio Maryja (radio catholique intégriste qui répand des propos antieuropéens, antisémites et homophobes), évoque les Justes polonais. 5 Voir Jean-Charles Szurek, « Témoin du stalinisme : l’Institut historique juif de Varsovie », in Jean-Charles Szurek, La Pologne, les Juifs et le communisme, ouvrage cité en bibliographie. ● Jean-Charles Szurek, La Pologne, les Juifs et le communisme, éd. Michel Houdiard, Paris, 2010 Jean-Charles Szurek et Annette Wieviorka (dir.), Juifs et Polonais 1939-2008, Albin Michel, Paris, 2009 ● Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 73 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Vingt-cinq ans de transformations économiques Éric Brunat * et Jacques Fontanel ** * Éric Brunat est économiste – habilité à diriger des recherches –, université Savoie Grâce à la mise en œuvre d’une politique d’austérité résolue, la Pologne a parcouru en un quart de siècle un chemin senior economist au Programme des impressionnant. Il lui a permis de passer en un temps record Nations Unies pour le développement d’une économie centralement planifiée à une économie (PNUD) en Russie, Biélorussie et Moldavie. de marché performante et conforme aux critères de l’Union ** Jacques Fontanel européenne. La facilité avec laquelle le pays a semblé traverser est économiste, professeur émérite, université Pierre-Mendès-France la violente crise financière mondiale à partir de 2008 témoigne de Grenoble. ainsi de la capacité de résilience de l’économie polonaise. Si des réformes supplémentaires demeurent nécessaires, les performances annoncées pour 2014 confirment la solidité de sa trajectoire. Mont-Blanc, Institut de recherche en gestion et en économie (IREGE) ; ancien Pendant la période de planification instaurée après 1945, l’économie de la Pologne a connu de graves difficultés de fonctionnement. Les monopoles et les entreprises d’État étaient particulièrement mal gérés, les procédures d’administration des entreprises demeuraient inadaptées au monde moderne, les technologies mises en place étaient dépassées, voire obsolètes. En l’absence d’un chômage apparent significatif, les salaires réels stagnaient à un niveau très faible et les produits de consommation courante n’étaient pas toujours disponibles pour l’ensemble de la population. L’endettement de l’État à l’égard des banques ou des gouvernements étrangers atteignait les deux tiers du produit intérieur brut (PIB). À la fin des années 1980, une inflation à trois chiffres s’était installée, révélant 74 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 les conflits internes d’un système économicopolitique dépassé, caractérisé par des pénuries chroniques et la perte de confiance des citoyens et des consommateurs, à la fois dans le système et dans l’avenir proche. La « thérapie de choc » et ses conséquences Les élections de juin 1989 changèrent la donne. Sous la présidence de Leszek Balcerowicz, une commission d’experts – comprenant notamment George Soros et Jeffrey Sachs – fut mise en place pour proposer un projet de réforme favorable à la transition d’une planification centrale à une économie de marché. Fin 1989, plusieurs décisions furent prises. Elles portaient sur le droit bancaire, l’interdiction de financer © AFP / Janek Skarżyński Des paysans polonais labourent un champ devant un puits de forage de gaz de schiste. La Pologne, qui disposerait de réserves de gaz de schiste parmi les plus importantes d’Europe, entend diminuer sa dépendance énergétique par ce biais. le déficit budgétaire, la réduction drastique des subventions publiques, la taxation des hausses de salaires excessives, la dévaluation et la convertibilité de la monnaie nationale, la fin du monopole étatique sur le commerce international, l’ouverture à l’investissement étranger, la déclaration de faillite des entreprises publiques mal gérées, la mise en place des règles de licenciement et des indemnités de chômage ou encore la fixation libre des prix de certains produits. Approuvée par le Fonds monétaire international (FMI), cette « thérapie de choc » avait pour but la mise en place rapide de l’économie de marché dans un contexte d’hyperinflation et de crise économique et sociale. Il s’agissait d’appliquer de nouveaux textes législatifs concernant le secteur privé ainsi que le droit du travail et des affaires, de réduire le poids de l’État dans la distribution des richesses et d’organiser de nouvelles libertés économiques. Dans un environnement productif concentré et à caractère monopoliste, cette régulation par le marché n’a pas été acceptée spontanément. Les directeurs d’unités de production ont souvent adopté une attitude de résistance à la thérapie de choc, qui s’est traduite par un comportement attentiste de « survie », avec comme espoir un assouplissement de la politique budgétaire 1. Pendant la première année de la rupture, les revenus réels des citoyens se sont effondrés, rognés par une inflation courant encore au rythme de 30 % par mois. La politique monétariste très stricte, renforcée par des taux d’intérêt mensuels supérieurs à 30 %, a conduit à une baisse de la production. Elle a en outre pénalisé la consommation et favorisé un taux de chômage élevé – il est passé de 12,2 % de la population active en 1990 à 16,4 % en 1993. Face aux conditions dégradées de l’économie et désireux de rompre avec la logique économique d’un système dans lequel les priorités étaient définies d’en haut, le gouvernement polonais a mis en œuvre une politique libérale, sans aucun 1 Éric Brunat, « Transformation économique en Pologne : éléments d’analyse des dynamiques régionales et territoriales », Cahiers franco-polonais, n° 18, juin-septembre 1996, p. 5-24. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 75 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Pologne : quelques indicateurs statistiques Superficie : 312 685 km2 Population : 38 533 299 habitants (2013) (38 190 608 en 2004) Densité : 123,2 habitants/km2 (2013) Langue officielle : polonais Langue reconnue au titre de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires : cachoube Monnaie : zloty (PLN) Croissance démographique : − 0,1 % (2012) Taux de fécondité : 1,3 enfant par femme (2012) Taux de natalité : 10 ‰ (2012) Mortalité infantile : 4,6 ‰ (2012) Espérance de vie à la naissance : 76,9 ans (2012) Solde migratoire : − 58 000 habitants par an (2012) Religion : 87 % de catholiques romains (2012) PIB : 389,6 milliards d’euros (2013) PIB par habitant en SPA * (indice 100, UE-28) : 68 (2013) Taux de croissance : 1,6 % (2013) Taux d’inflation : 0,8 % (2013) Dépenses de protection sociale : 19,2 % du PIB (2011) Indice de GINI : 30,9 (2012) Personnes en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale : 26,7 % (2012) Salaire minimum : 392,73 euros par mois (2013) Taux de chômage : 9,7 % (2014) Taux d’emploi : 64,7 % (2013) Solde public : − 4,3 % du PIB (2013) Dette publique : 57 % du PIB (2013) Solde extérieur : − 11,06 milliards d’euros (2013) Part de l’agriculture dans le PIB : 3,5 % (2010) Part de l’industrie dans le PIB : 24,5 % (2010) Part des services et du commerce dans le PIB : 64,6 % (2010) Dépenses militaires : 1,8 % du PIB (2013) Fonds structurels et d’investissement de l’UE : 77,6 milliards d’euros programmés pour 2014-2020 Nombre de sièges au Parlement européen : 51 (2014) * Le standard de pouvoir d’achat (SPA) est un indice s’apparentant à une monnaie et permettant la comparaison des pays sans qu’interviennent les différences de prix. Sources : Eurostat, Ministère des Affaires étrangères, CIA, The World Factbook, Union européenne. 76 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 accompagnement social, laissant ainsi libre cours au fonctionnement souvent violent du marché. Son coût économique a été très élevé, avec une grande vague de faillites d’entreprises d’État et l’apparition immédiate de plus d’un million de chômeurs mais aussi, dès 1992, la création de plus de 600 000 entreprises privées et de 1 500 000 emplois. Le vide en matière de stratégie industrielle, de réinsertion professionnelle et de politique de sécurité sociale a toutefois érodé le soutien populaire et relancé le débat sur la place et le rôle de l’État pendant la période de transformation. En engageant simultanément une transformation du système politique – avec l’introduction du pluralisme, du multipartisme et de la démocratie – et du système économique – avec une politique monétaire stricte et un changement progressif du régime de propriété –, tous les curseurs n’ont pas évolué à la même vitesse. Cependant, la libération des prix, le dynamisme du nouveau secteur privé, l’imposition de conditions favorables pour l’investissement mais aussi les compromis trouvés concernant les dettes du pays au sein des Clubs de Londres et de Paris ont garanti le succès de cette vaste rupture systémique. De ce fait, la Pologne a été le premier pays de l’Est à renouer avec la croissance, dès 1991 2. Elle a rapidement su combattre les tensions inflationnistes et a vu ses échanges commerciaux internes et externes augmenter. Elle a bénéficié d’un afflux d’investissements directs étrangers et a pu améliorer le niveau de vie de ses citoyens. Pour autant, les résultats se sont avérés nettement moins favorables dans le secteur de l’agriculture, dans les entreprises relevant de secteurs sensibles – comme le charbon – mais aussi pour les couches les plus fragiles de la population qui ont supporté des coûts sociaux considérables. Selon les statistiques officielles de la Pologne (Główny Urząd Statystyczny, GUS), la croissance du PIB redémarre à partir de 1991, en glissement et par habitant. Toutefois, pour d’autres publications, le PIB réel ne dépasse pas le niveau observé à la fin des années 1980 avant l’année 1994. Voir Tomasz Michalowicz et Maria Stolarska, « Pologne 2000. Dix ans de démocratie pluraliste et d’économie de marché », in Claude Martin (dir.), Pologne 1989-2004. La longue marche. D’un système centralisé à l’intégration dans l’UE, L’Harmattan, Paris, 2005. 2 1. Indicateurs économiques de la Pologne 1995-2003 Indicateurs Taux de croissance du PIB annuel (moyenne sur deux ans) Indice des prix 1995 1997 1999 2001 2003 7,0 6,4 4,5 1,5 2,6 21,6 15,9 9,2 6,1 1,8 Taux de chômage (en % de la population active) 14,9 11,8 11,8 17,2 20,0 Déficit budgétaire (en % du PIB) – 2,4 – 1,8 – 2,2 – 3,7 – 4,8 0,7 – 3,1 – 6,2 – 4,5 – 2,3 Balance des comptes courants (en % du PIB) Source : ministère de l’Économie et du Travail, Poland 2004. Report Economy, Varsovie, 2004, p. 27-28. Une préparation active à l’intégration dans l’Union européenne Les négociations d’adhésion à l’Union européenne commencèrent en mars 1998, après une demande de préadhésion formulée officiellement le 5 avril 1994. Pendant la période de 1994 à 1999, le retour à la croissance économique a été soutenu, avec certes des tensions inflationnistes persistantes mais une réduction significative du chômage et un déficit budgétaire contrôlé. Même le déficit de la balance des comptes courants, bien que croissant, était alors plutôt vertueux puisqu’il était provoqué par l’importation de biens d’équipement plus que par celle de produits de consommation finale (tableau 1). Au début des années 2000, les résultats se sont un peu détériorés, avec une baisse des taux de croissance – pourtant encore supérieurs à ceux obtenus par la plupart des pays européens –, un taux de chômage en expansion et un déficit budgétaire accru en vue de réduire les tensions sociales. Toutefois, c’est pendant cette période que la lutte contre l’inflation a commencé à produire des effets, favorisant ainsi une amélioration de la balance des comptes courants. À la veille de l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne, un rapport du ministère de l’Économie et du Travail 3 mettait en avant les insuffisances de son économie, notamment en termes de compétitivité, trop faible encore et insuffisamment ouverte aux innovations. 3 Ministère de l’Économie et du Travail, Poland 2004. Report Economy, Varsovie, 2004. Les résultats étaient jugés moins bons que ceux de l’Europe des Quinze. Quelques mois après l’ouverture des négociations d’adhésion à l’Union européenne, le rythme d’avancée de la Pologne demeurait encore trop lent par comparaison à celui plus rapide de certains pays non officiellement autorisés à ouvrir ces négociations. Ce décalage a ainsi conduit Bruxelles à renoncer à la méthode des « vagues » successives d’adhésion et à inviter chaque candidat à lancer sa procédure d’examen de l’acquis communautaire. La Pologne s’était pourtant engagée dans la voie d’une croissance économique solide, soutenue par les exportations et la demande intérieure, avec une augmentation sensible de l’efficacité des moyens de production et une amélioration de la qualité de la force de travail. Cependant, le taux de chômage restait élevé du fait d’une croissance molle, des effets pervers d’une productivité du travail accrue, de l’arrivée sur le marché de l’emploi d’une population active en forte augmentation, des conséquences de la globalisation croissante et de la restructuration des programmes dans les secteurs de l’acier et du charbon. En outre, le déficit du budget public ne cessait de croître. Les réformes concernant les retraites et le régime de la sécurité sociale ont fait l’objet de fortes contestations et négociations politiques et syndicales 4. L’adhésion à l’Union européenne avait pour objectif de relever plusieurs défis, parmi lesquels 4 William Tompson, L’Économie politique de la réforme. Retraites, emplois et déréglementation dans dix pays de l’OCDE, OCDE, Paris, 2010. Voir en particulier le chapitre 6, « Pologne : la réforme du régime général des retraites (1996-1999) », et le chapitre 7, « Pologne : la réforme du régime de Sécurité sociale des agriculteurs (2003-2005) ». Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 77 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Taux de chômage, 2012 Tallinn ESTONIE LETTONIE Riga LITUANIE ,8 19 12 6 10 3, ,1 (en % de la population active) 1 Prague Taux de chômage 7, Varsovie POLOGNE R É P. T C H È Q U E S L O VA Q U I E Bratislava Budapest HONGRIE ROUMANIE SLOVÉNIE Ljubljana Entités géographiques : régions européennes (NUTS 2) Bucarest BULGARIE Sofia Source : Eurostat, http://epp.eurostat.ec.europa.eu la réalisation d’un taux de croissance soutenu – estimé entre 0,8 et 1,2 % supplémentaire par an – grâce à l’essor des petites et moyennes entreprises, à l’amélioration du niveau d’emploi et au renversement de la logique du développement plus favorable aux processus de décentralisation. La promotion de l’entreprenariat, la suppression des contraintes administratives excessives, la réduction durable des déficits publics, la restructuration des dépenses publiques, la lutte contre l’inflation, la recherche de la compétitivité sur les marchés globaux, l’amélioration de la qualité de la main-d’œuvre et l’obtention de fonds structurels de l’Union européenne constituaient les moyens et objectifs prioritaires 5. L’essor économique d’un nouvel État membre La Pologne dispose, notamment en Silésie, de ressources fossiles importantes 5 78 Ministère de l’Économie et du Travail, ibid. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014 Vilnius – charbon et lignite principalement, mais aussi gaz de schiste –, son sol contient de l’argent, du cuivre, du zinc, du nickel, du plomb, du soufre, de la potasse et du sel gemme. Les centrales thermiques fournissent 95 % de la production nationale d’électricité, ce qui ne manque pas d’ailleurs de poser le problème de l’émission excessive de dioxyde de carbone. La sidérurgie et la chimie dominent le secteur secondaire. Depuis que la Pologne est membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC, 1995) et de l’Union européenne (2004), ses échanges se sont développés, avec une forte demande d’importation de biens d’équipement. Les résultats économiques globaux ont été parmi les meilleurs de l’Union européenne pendant cette décennie 2003-2013. Sans que cela constitue évidemment une garantie de croissance à moyen terme, l’octroi massif de fonds structurels a permis au pays de remettre en état ses infrastructures. Une convergence 6 des niveaux de vie s’est ainsi réalisée, permettant à la Pologne de s’approcher de la moyenne de l’ensemble des pays de l’Union européenne. Le PIB par habitant de la Pologne est passé de 50 % de celui de l’Union européenne en 2003 à 68 % en 2013 (tableau 2). ● La crise financière de 2008 n’a pourtant pas épargné la plupart des pays d’Europe centrale. Les capitaux étrangers ont largement reflué en Europe. Toutefois, la Pologne a démontré ses capacités de résilience, en obtenant des taux de croissance supérieurs à ceux de l’Union européenne à 27, grâce en particulier aux mesures budgétaires adoptées et à l’octroi de fonds européens. Si l’économie a connu un ralentissement brutal en 2012-2013, les résultats pour 2014 s’engagent à nouveau à la hausse. ● La part de l’industrie est restée stable, se maintenant à 24,6 % du PIB en 2005 comme en 2012 alors que, dans le même temps, l’agriculture continue son déclin – elle est passée de 4,6 % en 2005 à 3,4 % en 2013, mais elle continue d’occuper 12,4 % de la main-d’œuvre. 6 Marjorie Jouen, « UE27. Disparités interrégionales : la réduction est-elle un objectif inatteignable en période de crise ? », La Revue géopolitique on line, Diploweb.com, 9 septembre 2012 (www.diploweb.com/UE-27-Disparites-interregionales.html). 2. Les principaux indicateurs économiques de la Pologne depuis son adhésion à l’Union européenne 2013 Indicateurs 2005 2007 2008 2009 2011 2012 PIB (en milliards de dollars) (b) 303,91 425,32 529,43 430,92 515,67 489,80 519,93 PIB par habitant (en dollars PPA courants) 13 786 16 750 18 025 18 796 21 138 22 167 22 523 3,6 6,8 5,1 1,6 4,5 1,9 1,6 50,7 (2004) 54,4 56,0 57,1 65,0 67,0 68,0 Croissance FBCF(en %) 6,5 17,6 9,6 − 1,2 8,5 − 1,7 − 0,4 Chômage (en %) 17,9 9,6 7,0 8,1 9,7 10,1 9,7 Inflation (en %) 2,2 2,4 4,2 3,8 4,2 3,3 0,7 Déficits publics (en %) − 4,1 − 1,9 − 3,7 − 7,5 − 5,0 − 3,9 − 3,1 Dette publique (en %) 54,1 50,4 55,5 57,6 61,6 63,0 56,2 37,8 43,6 43,9 39,4 46,2 46,4 47,6 37,1 40,8 39,9 39,4 45,1 46,7 48,4 6 307 21 318 24 092 29 304 52 849 57 367 nd 90 869 178 418 164 290 185 182 203 111 235 113 nd PIB réel (en %) PIB par habitant/PIB de l’UE27 par habitant (en %) Importations de biens et services (en % du PIB) Exportations de biens et services (en % du PIB) Stocks des IDE sortants (en milliers de dollars) Stocks des IDE entrants (en milliers de dollars) (a) (a) Les chiffres de 2013 sont obtenus à partir de OECD, Stats Extracts 2014 (http://stats.oecd.org/index. aspx?queryid=26646&lang=fr) ; MOCI, Indicateurs économiques. Pologne. 2014 (www.lemoci.com/Pologne/Indicateurseconomiques/011-47864-Pologne.html) et quelques estimations fondées sur les chiffres ne disposant pas d’années de base comparables. (b) MOCI, Indicateurs économiques. Pologne, 2014. Source : OECDiLibrary, Profils statistiques par pays. Pologne, OCDE, 2013 (www.oecd-ilibrary.org/economics/profil-statistiquepar-pays-pologne_2075227x-table-pol). La Pologne pâtit encore de nombreuses faiblesses économiques, au rang desquelles il faut citer le nombre trop élevé d’exploitations agricoles peu modernisées. La moitié des exploitations sont de subsistance et 92 % comptent moins de 20 hectares. Quant aux agriculteurs, ils bénéficient d’un système de sécurité sociale et d’avantages fiscaux jugés excessifs. ● La parité de pouvoir d’achat est restée constante pendant toute cette période (1,87 zloty pour 1 dollar), alors que le taux de change moyen a fluctué de 3,24 zlotys pour 1 dollar en 2005 à 2,41 en 2008, pour revenir à 3,26 en 2012. ● L’expression d’une concurrence sur les marchés des produits et le fonctionnement plus fluide du marché du travail ont contribué à l’amélioration de la compétitivité des entreprises. Les coûts du travail n’ont pas augmenté de manière excessive même si, au regard de son PIB par habitant, le coût du salarié polonais est plus élevé que celui des pays de niveau économique comparable hors de l’espace européen. ● L’inflation a été dans les années récentes et jusqu’en 2012 assez nettement supérieure à celle des grands pays européens. Depuis 2013, elle est jugulée, avec un résultat inférieur à 1 %. ● L’évolution démographique est plutôt défavorable au marché de l’emploi, avec un nombre accru d’offres d’emploi (au sens économique) et de personnes oisives (retraités et chômeurs structurels). Alors que la durée du travail est élevée, l’allocation des ressources Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 79 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe PIB par habitant, 2011 Tallinn ESTONIE LETTONIE Riga LITUANIE Varsovie POLOGNE PIB par habitant ,5 31 8 14 9, 2 3, 6, Prague 8 (en milliers de dollars) R É P. T C H È Q U E S L O VA Q U I E Bratislava Budapest HONGRIE ROUMANIE SLOVÉNIE Ljubljana Bucarest BULGARIE Entités géographiques : régions européennes (NUTS 2) Sofia Source : Eurostat, http://epp.eurostat.ec.europa.eu humaines est loin d’être optimale en raison de la segmentation du marché du travail. Le taux d’emploi des femmes reste particulièrement faible et appelle à la mise en œuvre d’une véritable politique familiale qui, par des mesures fiscales et structurelles combinées, rende le travail plus attractif. ● Les ménages comme les entreprises font preuve de prudence et sont relativement peu endettés. En outre, le système bancaire est correctement capitalisé et sera bientôt encore mieux contrôlé, avec la création d’un Conseil du risque systémique. ● Alors que les marchés restent partiellement réglementés, il s’agit maintenant de renforcer la concurrence dans certains secteurs abrités qui ne font pas nécessairement les efforts pour se mettre au diapason d’une économie de marché concurrentielle. L’État intervient souvent pour modifier les résultats exprimés du marché. Il existe encore des restrictions à la concurrence, des procédures lourdes pour la faillite des 80 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie, © Dila, Paris, 2014 Vilnius entreprises, et inadaptées ou fastidieuses pour la création des entreprises. ● Les déficits publics ont tendance à augmenter, du fait notamment des moins-values fiscales. L’État doit faire un effort pour éviter d’être engagé dans un endettement susceptible de faire vaciller le potentiel de développement économique du pays. Compte tenu de la croissance attendue du PIB réel, un déficit de l’ordre de 3 % du PIB en 2015 est susceptible d’engager le ratio dette/ PIB vers une trajectoire en baisse. ● L’Allemagne est le premier partenaire commercial de la Pologne, représentant 21 % de ses importations et 25 % de ses exportations. La Pologne vend et achète plutôt dans l’Union européenne. Une diversification notable est en cours : la Russie, deuxième fournisseur de la Pologne, vend du pétrole et du gaz, mais en retour le marché russe est redevenu attractif pour les entreprises polonaises, au même titre que celui d’Asie. À noter que la Chine est le troisième fournisseur d’électronique ou de biens d’habillement de la Pologne. La Pologne est classée parmi les 50 pays à indice de développement humain (IDH) très élevé. En 2004, elle était 37e avec 0,862. En 2012, elle est 39e avec un indice inférieur de 0,821 7. Au regard de ces performances, l’indice de développement humain de la Pologne tarde à refléter la croissance économique observée dans les années récentes 8. En outre, les inégalités demeurent, comme en témoigne l’indice de développement ajusté aux inégalités. Concernant le niveau démocratique, sans grande modification depuis dix ans, la Pologne se situait au 45e rang en 2011, avec un indice de démocratie 9 de 7,12 – à égalité avec le Brésil. Si, en 2004, on constatait un véritable problème de corruption, avec un classement au 67e rang, en 2013 le pays était passé au 38e rang. Enfin, le progrès social peut aussi être mesuré en termes démographiques. 7 UNDP, Human Development Index and Its Components (https://data.undp.org/dataset/Table-1-Human-DevelopmentIndex-and-its-components/wxub-qc5k). 8 UNDP, HDI (http://hdr.undp.org/fr/content/l’indicedu-développement-humain-idh). 9 La notation se fait selon une échelle allant de 0 à 10. À partir de cette note les pays sont classifiés selon quatre régimes : démocratique (8 à 10), démocratique imparfait (6 à 8), hybride (4 à 6) ou autoritaire (inférieur à 4). Principaux partenaires commerciaux de la Pologne, 2012 Exportations États-Unis Norvège Suède Russie RoyaumeUni en milliards de dollars Pays-Bas Belgique Danemark Lituanie Allemagne Ukraine France 45 Autriche 17 Italie Rép. tchèque Espagne 3 Turquie Importations Japon Norvège Corée du Sud Suède États-Unis Russie RoyaumeUni Pays-Bas Belgique Total (en milliards de dollars) France Chine Allemagne Rép. tchèque Autriche 180 Italie Roumanie Slovaquie Hongrie Espagne 191 Source : Nations Unies, UN Comtrade, http://comtrade.un.org L’espérance de vie à la naissance est passée de 75 à 77 ans (71 à 73 pour les hommes, 79 à 81 pour les femmes) au cours de la dernière décennie. Des objectifs économiques soutenus par la Pologne En 2013, le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne sont parvenus à un compromis relatif au cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020 de l’Union. Les montants des plafonds d’engagements représentent 1 % du revenu national brut (RNB) de l’Union européenne contre Seules les valeurs supérieures à 2,5 milliards de dollars sont représentées (soit 85% des exportations et 84% des importations) Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014 10 Roumanie Slovaquie Hongrie 1,12 % pour la période 2007-2013. De 2014 à 2020, la Pologne devrait recevoir environ 77,6 milliards d’euros, soit près d’un neuvième des aides accordées par Bruxelles, et davantage en valeur absolue que pendant la période 2007-2013. La Pologne reste donc l’un des principaux bénéficiaires nets de l’Union. 70 % de la somme globale de l’aide concerne les fonds structurels et vise à soutenir les projets pour les infrastructures du pays – construction, communications routières et ferroviaires. Au nom de la préservation des aides liées à la transition économique et sociale et au rattrapage en termes d’infrastructure, l’agriculture polonaise, pourtant encore Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 81 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Indice de développement humain, 2012 Allemagne Rép. tchèque Estonie Hongrie Pologne Lituanie Lettonie U. européenne 0,92 0,873 0,846 0,831 0,821 0,818 0,814 0,804 Source : Banque mondiale, www.banquemondiale.org Dépenses totales de santé par habitant, 2011 (publiques et privées en parité de pouvoir d’achat (dollars constants) Allemagne U. européenne Rép. tchèque Hongrie Pologne Lituanie Estonie Lettonie 4 371 2 905 1 923 1 669 1 423 1 337 1 334 1 179 Source : PNUD, www.undp.org Dépenses des administrations publiques consacrées à l’éducation, 2010 (en part du PIB) Estonie Lituanie Pologne Allemagne Lettonie Hongrie U. européenne Rép. tchèque 5,7 5,4 5,2 5,1 5,0 4,9 4,8 4,2 Source : UNESCO, www.unesco.org Dépenses en R&D, 2011 (en part du PIB) 2,8 2,4 1,8 1,6 1,2 0,9 0,8 0,7 Source : UNESCO, www.unesco.org Part de la population ayant accès à Internet, 2011 Allemagne Estonie Rép. tchèque U. européenne Lettonie Hongrie Pologne Lituanie 82,7 78,0 73,0 71,0 69,9 65,3 62,0 59,5 Source : Internet World Stats , www.internetworldstats.com 82 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014 Allemagne Estonie Rép. tchèque U. européenne Hongrie Lituanie Pologne Lettonie insuffisamment compétitive, devrait également continuer à recevoir un soutien stable. Le secteur agricole est d’ailleurs le grand bénéficiaire de l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne. Il a reçu 40 milliards d’euros dans le cadre du CFP 2007-2013 et en recevra 42,4 milliards d’ici 2020 10. Les conséquences de ce soutien communautaire actif sont toutefois à double tranchant puisqu’il a rendu moins urgente la réforme d’un secteur encore archaïque sous bien des aspects. Des efforts restent à fournir également en matière de recherche et d’économie de la connaissance 11. Selon la Banque mondiale, en 2012, la Pologne était classée au 38e rang mondial (35e en 2000) pour l’indice d’économie de la connaissance (Knowledge Economy Index, KEI), soit la plus mauvaise performance parmi les pays d’Europe centrale et orientale ayant rejoint l’Union européenne en 2004 – la Bulgarie et la Roumanie, entrées en 2007, et la Croatie, en 2013, étant encore un peu moins bien classées 12. Mais, là aussi, l’Union européenne joue un rôle important puisque, selon la Banque mondiale 13, la Pologne recevra 10 milliards d’euros sur la période 2014-2020 au titre des fonds structurels afin de stimuler la recherche appliquée et finalisée à visée commerciale, spécifiquement en direction du secteur privé. L’ensemble est accompagné par les initiatives présentées dans le plan de stratégie Europe 2020 de l’Union européenne. Outre un objectif ambitieux de 3 % du PIB consacrés à la recherche et développement, ce plan vise à améliorer le contenu qualitatif de la croissance économique et sociale, en développant des spécialisations dites « intelligentes » (smart specialisations) dans les régions et secteurs adaptés 14. 10 Dépassant la Chine, la Pologne est ainsi devenue en 2013 le premier exportateur de pommes au monde – 57 % de ces exportations vont vers la Russie. Elle a doublé en dix ans sa production de volaille et elle occupe le premier rang au sein de l’Union européenne comme producteur de fruits rouges et de champignons. 11 Éric Brunat, Valeriia Lobasenko et Michel Zigone, L’Innovation en Russie, AUEG, Grenoble, à paraître en 2014. 12 http://info.worldbank.org/etools/kam2/KAM_page5.asp 13 www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2013/08/14/ innovation-in-poland. 14 http://ec.europa.eu/regional_policy/sources/docgener/ informat/2014/smart_specialisation_fr.pdf. proche de la croissance potentielle, stimulé par de meilleurs fondamentaux macroéconomiques, avec notamment une amélioration du solde des finances publiques revenu à 2,5 % du PIB. Le taux d’inflation devrait connaître une légère hausse de l’ordre de 2 %, mais si la simplification des réglementations restrictives sur le marché des produits se poursuit, stimulant ainsi la concurrence, il devrait être maîtrisé. Les mesures structurelles en faveur de l’emploi devraient être maintenues, en vue de favoriser une mobilité aujourd’hui encore trop faible et d’ouvrir un marché du travail relativement segmenté 16. Enfin, la balance des transactions courantes devrait conserver un déficit de l’ordre de 3,2 % du PIB. Ainsi, au regard des épreuves économiques et sociales passées, l’avenir semble plutôt prometteur. ■ ●●● Depuis la chute du mur de Berlin, la Pologne a réussi à doubler le revenu réel de ses habitants. Après avoir traversé plutôt convenablement les tourments de la crise financière, elle a semblé marquer le pas en 2013, année au cours de laquelle la croissance, inférieure à 2 %, s’est révélée trop faible pour financer les contraintes spécifiques d’une économie pleinement émergente et encore en transformation systémique. Le sursaut prévu pour 2014 témoigne toutefois de la résilience du pays face aux crises et de sa capacité à les surmonter. Selon les estimations données par le Moniteur du commerce international 15 et qui reprennent les chiffres du FMI, le PIB polonais devrait augmenter de 2,4 % en 2014 et être 16 15 N° 3085 problèmes économiques Brésil, le moment de vérité Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l’actualité Problèmes économiques économiques M 02299 - 3092 - F: 4,80 E dF 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@k@t@c@a"; dF LE CAPITALISME dF problèmes &:DANNNC=UXU^UX: M 02299 - 3089 - F: 4,80 E 4,80 € 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@k@s@j@a"; Imprimé en France par la DILA Dépôt légal 75059, mai 2014 DF 2PE30900 ISSN 0032-9304 CPPAP n° 0518B05932 Problèmes économiques Problèmes économiques invite les spécialistes à faire le point MARS 2014 NUMÉRO 5 HORS-SÉRIE NUMÉRO 5 HORS-SÉRIE NUMÉRO 4 Si les années 1990 et 2000 ont été celles du triomphe planétaire du capitalisme, la crise dans laquelle sont restées embourbées les économies avancées pendant plusieurs années montre qu’il ne fonctionne pas sans heurts. La crise a jeté un nouveau regard sur les politiques économiques. Elle a notamment remis en question le consensus d’inspiration libérale qui guidait l’action publique depuis une trentaine d’années. Une réorientation est-elle à l’œuvre depuis 2008 ? Bulles financières, endettement public, menace écologique, inégalités et tensions sociales croissantes… Autant de dysfonctionnements qui nourrissent la question d’un « changement de modèle » pour nos économies. Ce numéro hors-série de Problèmes économiques rappelle les fondements des politiques économiques et passe en revue les différents instruments et objectifs, en insistant sur les évolutions les plus récentes. Après un détour par les origines du capitalisme, ce numéro hors-série de Problèmes économiques en décrypte les rouages, en insistant plus particulièrement sur les spécificités du capitalisme contemporain. Comprendre le capitalisme N° 5 DOM : 7,10 € - MAROC : 76 MAD - TUN 11 DT - CFA 4500 75344 Paris cedex 07 Comprendre l’économie mondiale HORS-SÉRIE comprendre -:HSMBLA=U^[V]U: HORS-SÉRIE économiques 9€ dF M 01975 - 5H - F: 9,00 E - RD Dépôt légal 75059, mars 2014 DF 2PE36210 ISSN 0032-9304 CPPAP n° 0513B05932 3’:HIKLTH=ZU^UUV:?k@k@a@f@f"; BRÉSIL Direction de l’information légale et administrative Tél. : 01 40 15 70 00 www.ladocumentationfrancaise.fr N° 3083 DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF + DÉBAT AUTOUR DU CAPITAL AU XXIE SIÈCLE DE THOMAS PIKETTY Direction de l’information légale et administrative Tél. : 01 40 15 70 00 www.ladocumentationfrancaise.fr LE CAPITALISME Dépôt légal 75059, septembre 2013 DF 2PE32760 ISSN 0032-9304 CPPAP n° 0513B05932 6,80 € -:HSMBLA=U^W[XW: problèmes + LES HAWALAS À L’ÈRE DES NOUVELLES TECHNOLOGIES + DÉLOCALISATION, L’HYDRE FISCALE ? + PUBLICITÉ : LE CHOC INTERNETMOBILE dF dF M 02299 - 3083 - F: 4,80 E , CHANGER DE MODÈLE ? ’:HIKMMJ=^UY]UY:?n@k@i@d@a" N° 3089 3092 FRANCE dF problèmes économiques Problèmes économiques invite les spécialistes à faire le point SEPTEMBRE 2013 NUMÉRO 4 N° 3091 N° + REPENSER LA FISCALITÉ INTERNATIONALE 4,80 € HORS-SÉRIE comprendre LES POLITIQUES ÉCONOMIQUES et 2 fois par an les spécialistes font le point dans les Hors-séries DOM : 7,10 € - MAROC : 76 MAD - TUN 11 DT - CFA 4500 + L’ESSOR ÉCONOMIQUE DE L’AFRIQUE Directeur de la publication Didier François Direction de l’information légale et administrative Tél. : 01 40 15 70 00 www.ladocumentationfrancaise.fr Imprimé en France par la DILA Dépôt légal 75059, juin 2014 DF 2PE30910 ISSN 0032-9304 CPPAP n° 0518B05932 le meilleur de la presse et des revues économiques M 01975 - 4H - F: 6,80 E - RD dF Tous les 15 jours 3’:HIKLTH=ZU[]UW:?k@a@k@e@f"; dF DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF dF M 02299 - 3082 - F: 4,80 E ET ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR PRIVÉ + ’:HIKMMJ=^UY]UY:?n@a@s@c@a" • L’AUSTÉRITÉ ÉTAITELLE INÉVITABLE ? • LE PRIX DES MÉDICAMENTS • FONDS D’INVESTISSEMENT + + COMMENT RÉINVENTER L’HÔPITAL N° LE JAPON PEUTIL REBONDIR ? VICE OU VERTU? LES POLITIQUES ÉCONOMIQUES QUINZAINE + L’ÉPARGNE + COMMENT MONTER EN GAMME POUR UNE PMI + MESURER LE DÉVELOPPEMENT + L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES DOCTEURS N° 4 économiques LA MONDIALISATION EN QUESTION économiques Le meilleur de la presse et des revues DEUXIÈME 04.2014 VICE OU VERTU? économiques Femmes #Internet SES CHOIX, SES DÉFIS HORS-SÉRIE N° L’ÉPARGNE Derniers numéros parus Directeur de la publication Xavier Patier Direction de l’information légale et administrative Tél. : 01 40 15 70 00 www.ladocumentationfrancaise.fr Imprimé en France par la DILA Dépôt légal 75059, avril 2014 DF 2PE30840 ISSN 0032-9304 CPPAP n° 0518B05932 4,80 € L’innovation aujourd’hui + ENGAGER LES FRANÇAIS AU-DELÀ DES ÉCOGESTES les nouveaux enjeux N° ALLEMAGNE économiques Le meilleur de la presse et des revues n° 3088 Le Japon peut-il rebondir ? également dans ce numéro • L’ austérité était-elle inévitable ? • Le prix des médicaments • Fonds d’investissement et enseignement supérieur privé Prochains numéros à paraître : N° 3089 - La mondialisation en question N° 3090 - Économie : le culte des chiffres dF problèmes économiques Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l’actualité QUINZAINE économiques Femmes DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF QUINZAINE économiques problèmes économiques PREMIÈRE 04.2014 économiques BRÉSIL + M 02299 - 3081 - F: 4,80 E PREMIÈRE 05.2014 Prochains numéros à paraître : Prochains numéros à paraître : + ’:HIKMMJ=^UY]UY:?n@a@i@l@a" DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF N° 3089 économiques Le meilleur de la presse et des revues n° 3089 également dans ce numéro + + + Derniers numéros parus économiques Le meilleur de la presse et des revues n° 3087 également dans ce numéro + + + Derniers numéros parus DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF N° 3087 Le meilleur de la presse et des revues N° + REPENSER LA FISCALITÉ INTERNATIONALE problèmes + L’ESSOR ÉCONOMIQUE DE L’AFRIQUE Le culte des chiffres + CORÉE DU SUD : TEMPS DE TRAVAIL ET PRÉCARITÉ QUINZAINE 01.2014 + + BANQUES : LA CRISE ET LES BUSINESS MODELS &:DANNNC=UXU^W\: + SITUATION FINANCIÈRE DES en ENTREPRISES :économiques Vente kiosque, économiques problèmes économiques chez votre libraire, sur LA FRANCE DÉCROCHE www.ladocumentationfrancaise.fr + LA CRISE DES : etLE par correspondance : SUBPRIMES CAPITALISME LES POLITIQUES ÉCONOMIQUES DILA -UNE 29 quaiCRISE VoltaireDU - CAPITALISME Directeur de la publication Didier François Direction de l’information légale et administrative Tél. : 01 40 15 70 00 www.ladocumentationfrancaise.fr + INÉGALITÉS : UNE CRISE POUR RIEN ? DEUXIÈME QUINZAINE + PLANÈTE FOOTBALL : L’EUROPE EXCELLE 3083 02.2014 économiques Le meilleur de la presse et des revues N° DEUXIÈME N° 06.2014 M 02299 - 3089 - F: 4,80 E dF N° 3087 N° 3088 N° 3089 + COMMENT RÉINVENTER L’HÔPITAL LA MONDIALISATION EN QUESTION ET ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR PRIVÉ N° 3088 N° 3087 N° 3088 dF L’e japon peut-il rebondir ? L’e japon peut-il rebondir ? économiques QUINZAINE 05.2014 • L’AUSTÉRITÉ ÉTAITELLE INÉVITABLE ? • LE PRIX DES MÉDICAMENTS • FONDS D’INVESTISSEMENT ET ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR PRIVÉ + F: 4,80 E N° LE JAPON PEUTIL REBONDIR ? • L’AUSTÉRITÉ ÉTAITELLE INÉVITABLE ? • LE PRIX DES MÉDICAMENTS • FONDS D’INVESTISSEMENT + &:DANNNC=UXU^UX: F: 4,80 E QUINZAINE + VICE OU VERTU? 4,80 € problèmes économiques économiques L’ÉPARGNE F: 4,80 E N° 3086 économiques Le meilleur de la presse et des revues DEUXIÈME 04.2014 VICE OU VERTU? Imprimé en France par la DILA Dépôt légal 75059, avril 2014 DF 2PE30840 ISSN 0032-9304 CPPAP n° 0518B05932 4,80 € Directeur de la publication Didier François Direction de l’information légale et administrative Tél. : 01 40 15 70 00 www.ladocumentationfrancaise.fr Imprimé en France par la DILA Dépôt légal 75059, mai 2014 DF 2PE30900 ISSN 0032-9304 CPPAP n° 0518B05932 problèmes L’ÉPARGNE économiques Femmes F: 4,80 E économiques F: 4,80 E F: 4,80 E N° n° 3088 Le Japon peut-il rebondir ? également dans ce numéro • L’ austérité était-elle inévitable ? • Le prix des médicaments • Fonds d’investissement et enseignement supérieur privé Prochains numéros à paraître : N° 3089 - La mondialisation en question N° 3090 - Économie : le culte des chiffres Derniers numéros parus Directeur de la publication Xavier Patier Direction de l’information légale et administrative Tél. : 01 40 15 70 00 www.ladocumentationfrancaise.fr dF problèmes économiques problèmes dF problèmes Femmes M 02299 économiques BRÉSIL + L’e japon peut-il rebondir ? Le meilleur de la presse et des revues Prochains numéros à paraître : économiques + M 02299 M 02299 Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l’actualité QUINZAINE également dans ce numéro + + + Derniers numéros parus + 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@i@r@k"; VICE OU VERTU? LA FAIM : VERS LA TRANSITION AGRICOLE ET ALIMENTAIRE dF Le meilleur de la presse et des revues PREMIÈRE économiques problèmes économiques PREMIÈRE 04.2014 L’ÉPARGNE + LA MARQUE DANS LES INDUSTRIES CULTURELLES + L’ÉCONOMIE DE LA MODE dans l’économie ? N° LE JAPON PEUTIL REBONDIR ? également dans ce numéro + + + économiques Le meilleur de la presse et des revues n° 3087 QUINZAINE économiques Femmes + LUTTE CONTRE Femmes Quelle place Directeur de la publication Xavier Patier Direction de l’information légale et administrative Tél. : 01 40 15 70 00 www.ladocumentationfrancaise.fr Imprimé en France par la DILA Dépôt légal 75059, avril 2014 DF 2PE30840 ISSN 0032-9304 CPPAP n° 0518B05932 4,80 € M 02299 Le meilleur de la presse et des revues QUINZAINE Prochains numéros à paraître : N° PREMIÈRE 04.2014 économiques BRÉSIL dF Chine économiques Le meilleur de la presse et des revues N° QUINZAINE Géant aux pieds d’argile ? Prochains numéros à paraître : M 02299 Le meilleur de la presse et des revues n° 3089 DEUXIÈME 04.2014 Derniers numéros parus économiques Le meilleur de la presse et des revues N° Prochains numéros à paraître : économiques BRÉSIL M 02299 Le meilleur de la presse et des revues n° 3087 également dans ce numéro + + + Derniers numéros parus économiques L’ÉCONOMIE BLEUE 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@s@s@a"; économiques économiques Le meilleur de la presse et des revues DEUXIÈME QUINZAINE 03.2014 Prochains numéros à paraître : France, changer de modèle ? N° 3090 Le culte des chiffres également dans ce numéro + Les hawalas à l’ère des nouvelles technologies + Délocalisation, l’hydre fiscale ? + Publicité : le choc Internet-mobile Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l’actualité PREMIÈRE Derniers numéros parus économiques Le meilleur de la presse et des revues problèmes économiques 3092 Prochains numéros à paraître : 3092 : Chine 3093 : Villes mondiales 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@s@s@a"; Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l’actualité n° 3088 Le Japon peut-il rebondir ? également dans ce numéro • L’ austérité était-elle inévitable ? • Le prix des médicaments • Fonds d’investissement et enseignement supérieur privé Prochains numéros à paraître : N° 3089 - La mondialisation en question N° 3090 - Économie : le culte des chiffres Derniers numéros parus économiques Le meilleur de la presse et des revues n° 3086 également dans ce numéro + + + Derniers numéros parus 3090 N° également dans ce numéro Derniers numéros parus économiques 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@i@r@k"; économiques économiques N° + LES JEUX D’ARGENT EN FRANCE + LA FED APRÈS BERNANKE + NUITS PARISIENNES : UNE ANALYSE ÉCONOMIQUE M 02299 - 3091 - F: 4,80 E dF Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l’actualité 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@t@l@a"; problèmes économiques Imprimé en France par la DILA Dépôt légal 75059, avril 2014 DF 2PE30840 ISSN 0032-9304 CPPAP n° 0518B05932 4,80 € Le meilleur de la presse et des revues n° 3091 France, changer de modèle ? N° 3091 - France : comment changer de modèle ? N° 3092 - Chine Derniers numéros parus problèmes économiques 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@k@i@q@a"; + Directeur de la publication Xavier Patier Direction de l’information légale et administrative Tél. : 01 40 15 70 00 www.ladocumentationfrancaise.fr également dans ce numéro problèmes économiques QUINZAINE + Les jeux d’argent en France + La Fed après Bernanke + Nuits parisiennes : une analyse économique Prochains numéros à paraître : ET ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR PRIVÉ 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@i@r@k"; dF + + DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF dans l’économie ? problèmes Femmes Quelle place + DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF économiques LA FAIM : VERS LA TRANSITION AGRICOLE ET ALIMENTAIRE problèmes économiques économiques dans l’économie ? problèmes CULTURELLES + L’ÉCONOMIE DE LA MODE + LUTTE CONTRE LA FAIM : VERS LA TRANSITION AGRICOLE ET ALIMENTAIRE Femmes Quelle place + LUTTE CONTRE M 02299 - 3088 - F: 4,80 E DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF + LA MARQUE DANS LES INDUSTRIES dF M 02299 - 3087 - F: 4,80 E QUINZAINE économiques 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@i@r@k"; Brésil, le moment de vérité + N° + LA MARQUE DANS LES INDUSTRIES CULTURELLES + L’ÉCONOMIE DE LA MODE DEUXIÈME 03.2014 économiques L’ÉCONOMIE BLEUE M 02299 - 3089 - F: 4,80 E N° 3088 DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF VICE OU VERTU? Le meilleur de la presse et des revues N° + BANQUES : LA CRISE ET LES BUSINESS MODELS + SITUATION FINANCIÈRE DES ENTREPRISES : LA FRANCE DÉCROCHE + LA CRISE DES SUBPRIMES : ProchainsUNE numéros à paraître : CRISE DU CAPITALISME LE MOMENT DEBRÉSIL VÉRITÉ problèmes économiques DEUXIÈME 05.2014 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@k@s@j@a"; • L’AUSTÉRITÉ ÉTAITELLE INÉVITABLE ? • LE PRIX DES MÉDICAMENTS • FONDS D’INVESTISSEMENT + L’ÉPARGNE économiques N° 3086 N° 3085 dF Le meilleur de la presse et des revues n° 3086 également dans ce numéro + + + Derniers numéros parus BRÉSIL dF 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@s@s@a"; N° 3087 QUINZAINE économiques économiques Le meilleur de la presse et des revues PREMIÈRE QUINZAINE 03.2014 F: 4,80 E économiques L’ÉCONOMIE BLEUE 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@k@s@j@a"; N° PREMIÈRE 04.2014 Prochains numéros à paraître : économiques #Internet les nouveaux enjeux DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l’actualité n° 3090 Le culte des chiffres M 02299 - 3088 - F: 4,80 E N° 3086 économiques Le meilleur de la presse et des revues N° n° 3087 également dans ce numéro + + + Derniers numéros parus économiques Le meilleur de la presse et des revues n° 3085 Brésil, le moment de vérité également dans ce numéro + Banques : la crise et les business models + Situation financière des entreprises : la France décroche + La crise des subprimes : une crise du capitalisme Prochains numéros à paraître : N° 3086 - Inégalités hommes - femmes N° 3087 - L’ épargne Derniers numéros parus Directeur de la publication Xavier Patier Direction de l’information légale et administrative Tél. : 01 40 15 70 00 www.ladocumentationfrancaise.fr Imprimé en France par la DILA Dépôt légal 75059, mars 2014 DF 2PE30850 ISSN 0032-9304 CPPAP n° 0518B05932 4,80 € F: 4,80 E N° 3085 Brésil, le moment de vérité problèmes économiques 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@s@s@a"; dF N° M 02299 LE MOMENT DE VÉRITÉ dF M 02299 + BANQUES : LA CRISE ET LES BUSINESS MODELS + SITUATION FINANCIÈRE DES ENTREPRISES : LA FRANCE DÉCROCHE + LA CRISE DES SUBPRIMES : UNE CRISE DU CAPITALISME BRÉSIL + LES ENJEUX ÉCONOMIQUES DU PARTENARIAT TRANSATLANTIQUE + SIX QUESTIONS À MICHEL AGLIETTA + FORMATION PROFESSIONNELLE INITIALE : COMPARAISON FRANCEALLEMAGNE 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@k@i@q@a"; économiques Le meilleur de la presse et des revues PREMIÈRE QUINZAINE 03.2014 économiques L’ÉCONOMIE BLEUE 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@k@i@f@k"; économiques #Internet les nouveaux enjeux Imprimé en France par la DILA Dépôt légal 75059, mars 2014 DF 2PE30850 ISSN 0032-9304 CPPAP n° 0518B05932 4,80 € DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF L’ÉCONOMIE BLEUE Directeur de la publication Xavier Patier Direction de l’information légale et administrative Tél. : 01 40 15 70 00 www.ladocumentationfrancaise.fr dF économiques N° n° 3085 Brésil, le moment de vérité également dans ce numéro + Banques : la crise et les business models + Situation financière des entreprises : la France décroche + La crise des subprimes : une crise du capitalisme Prochains numéros à paraître : Derniers numéros parus économiques #Internet les nouveaux enjeux M 02299 - 3086 - F: 4,80 E N° 3084 Le meilleur de la presse et des revues QUINZAINE N° 3086 - Inégalités hommes - femmes N° 3087 - L’ épargne SES CHOIX, SES DÉFIS 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@k@i@q@a"; dans l’économie ? QUINZAINE économiques économiques Le meilleur de la presse et des revues DEUXIÈME 02.2014 économiques ALLEMAGNE DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF Femmes Quelle place Le meilleur de la presse et des revues DEUXIÈME 03.2014 Prochains numéros à paraître : Prochains numéros à paraître : problèmes dF VICE OU VERTU? économiques économiques Le meilleur de la presse et des revues n° 3086 également dans ce numéro + + + Derniers numéros parus économiques Le meilleur de la presse et des revues n° 3084 également dans ce numéro + + + Derniers numéros parus n° 3083 06.2014 Derniers numéros parus LE JAPON PEUTIL REBONDIR ? Derniers numéros parus économiques Le meilleur de la presse et des revues N° N° 3085 + LA MARQUE DANS LES INDUSTRIES CULTURELLES + L’ÉCONOMIE DE LA MODE + LUTTE CONTRE LA FAIM : VERS LA TRANSITION AGRICOLE ET ALIMENTAIRE M 02299 - 3087 - F: 4,80 E dF Brésil, le moment de vérité N° 3086 LE MOMENT DE VÉRITÉ + LES ENJEUX ÉCONOMIQUES DU PARTENARIAT TRANSATLANTIQUE + SIX QUESTIONS À MICHEL AGLIETTA + FORMATION PROFESSIONNELLE INITIALE : COMPARAISON FRANCEALLEMAGNE économiques N° + BANQUES : LA CRISE ET LES BUSINESS MODELS + SITUATION FINANCIÈRE DES ENTREPRISES : LA FRANCE DÉCROCHE + LA CRISE DES SUBPRIMES : UNE CRISE DU CAPITALISME économiques L’ÉCONOMIE BLEUE F: 4,80 E économiques #Internet les nouveaux enjeux F: 4,80 E économiques Le meilleur de la presse et des revues PREMIÈRE QUINZAINE 03.2014 BLEUE Imprimé en France par la DILA Dépôt légal 75059, mars 2014 DF 2PE30850 ISSN 0032-9304 CPPAP n° 0518B05932 4,80 € problèmes N° 3084 L’ÉCONOMIE N° 3085 N° 3084 dF N° n° 3085 Brésil, le moment de vérité également dans ce numéro + Banques : la crise et les business models + Situation financière des entreprises : la France décroche + La crise des subprimes : une crise du capitalisme Prochains numéros à paraître : N° 3086 - Inégalités hommes - femmes N° 3087 - L’ épargne Derniers numéros parus Directeur de la publication Xavier Patier Direction de l’information légale et administrative Tél. : 01 40 15 70 00 www.ladocumentationfrancaise.fr dF M 02299 QUINZAINE Le meilleur de la presse et des revues QUINZAINE Brésil, le moment de vérité N° 3083 Imprimé en France par la DILA Dépôt légal 75059, mars 2014 DF 2PE30850 ISSN 0032-9304 CPPAP n° 0518B05932 4,80 € DEUXIÈME 03.2014 économiques économiques Le meilleur de la presse et des revues DEUXIÈME 02.2014 LE MOMENT DEBRÉSIL VÉRITÉ QUINZAINE Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l’actualité Chine Géant aux pieds d’argile ? N° DEUXIÈME 04.2014 N° 3089 - La mondialisation en question N° 3090 - Économie : le culte des chiffres économiques Le meilleur de la presse et des revues N° BRÉSIL M 02299 F: 4,80 E F: 4,80 E problèmes problèmes M 02299 économiques #Internet les nouveaux enjeux M 02299 ’:HIKMMJ=^UY]UY:?n@k@i@d@a" 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@s@e@k"; SES CHOIX, SES DÉFIS économiques économiques ALLEMAGNE F: 4,80 E Prochains numéros à paraître : F: 4,80 E économiques Le meilleur de la presse et des revues n° 3084 également dans ce numéro + + + Derniers numéros parus + LES ENJEUX ÉCONOMIQUES DU PARTENARIAT TRANSATLANTIQUE + SIX QUESTIONS À MICHEL AGLIETTA + FORMATION PROFESSIONNELLE INITIALE : COMPARAISON FRANCEALLEMAGNE problèmes L’ÉCONOMIE BLEUE dF M 02299 + ENGAGER LES FRANÇAIS AU-DELÀ DES ÉCOGESTES #Internet les nouveaux enjeux M 02299 SES CHOIX, SES DÉFIS + SITUATION FINANCIÈRE DES ENTREPRISES : LA FRANCE DÉCROCHE + LA CRISE DES SUBPRIMES : ProchainsUNE numéros à paraître : CRISE DU CAPITALISME Derniers numéros parus QUINZAINE + CORÉE DU SUD : TEMPS DE TRAVAIL ET PRÉCARITÉ #Internet les nouveaux enjeux économiques économiques ALLEMAGNE Directeur de la publication Xavier Patier Direction de l’information légale et administrative Tél. : 01 40 15 70 00 www.ladocumentationfrancaise.fr 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@k@i@f@k"; Le meilleur de la presse et des revues + BANQUES : LA CRISE ET LES BUSINESS MODELS également dans ce numéro + + + N° DEUXIÈME 02.2014 + INÉGALITÉS : UNE CRISE POUR RIEN ? Prochains numéros à paraître : dF 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@s@e@k"; économiques économiques Le meilleur de la presse et des revues n° 3086 PREMIÈRE QUINZAINE 03.2014 économiques Le meilleur de la presse et des revues N° n° 3084 également dans ce numéro + + + Derniers numéros parus SES CHOIX, SES DÉFIS 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@k@i@f@k"; Le meilleur de la presse et des revues QUINZAINE économiques ALLEMAGNE L’innovation aujourd’hui 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@s@e@k"; économiques économiques Le meilleur de la presse et des revues PREMIÈRE 02.2014 économiques L’ÉPARGNE L’e japon peut-il rebondir ? N° 3087 Le Japon peut-il rebondir ? également dans ce numéro • L’ austérité était-elle inévitable ? • Le prix des médicaments • Fonds d’investissement et enseignement supérieur privé économiques Le meilleur de la presse et des revues QUINZAINE Prochains numéros à paraître : économiques Le meilleur de la presse et des revues problèmes économiques 3089 + REPENSER LA FISCALITÉ INTERNATIONALE + + Prochains numéros à paraître : 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@i@r@k"; dF Derniers numéros parus économiques Le meilleur de la presse et des revues n° 3085 Brésil, le moment de vérité également dans ce numéro + Banques : la crise et les business models + Situation financière des entreprises : la France décroche + La crise des subprimes : une crise du capitalisme Prochains numéros à paraître : N° 3086 - Inégalités hommes - femmes N° 3087 - L’ épargne Derniers numéros parus économiques Le meilleur de la presse et des revues n° 3083 également dans ce numéro Prochains numéros à paraître : Derniers numéros parus DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF ET ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR PRIVÉ N° + L’ESSOR ÉCONOMIQUE DE L’AFRIQUE également dans ce numéro 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@j@k@k"; dF • L’AUSTÉRITÉ ÉTAITELLE INÉVITABLE ? • LE PRIX DES MÉDICAMENTS • FONDS D’INVESTISSEMENT ET ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR PRIVÉ DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF Imprimé en France par la DILA Dépôt légal 75059, avril 2014 DF 2PE30840 ISSN 0032-9304 CPPAP n° 0518B05932 4,80 € • L’AUSTÉRITÉ ÉTAITELLE INÉVITABLE ? • LE PRIX DES MÉDICAMENTS • FONDS D’INVESTISSEMENT économiques N° LE JAPON PEUTIL REBONDIR ? QUINZAINE Prochains numéros à paraître : économiques + n° 3088 PREMIÈRE 04.2014 également dans ce numéro + + + économiques N° 3085 N° 3086 N° 3086 économiques F: 4,80 E problèmes F: 4,80 E + + dF Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l’actualité n° 3087 + REPENSER LA FISCALITÉ INTERNATIONALE M 02299 - 3086 - F: 4,80 E + LA FAIM : VERS LA TRANSITION AGRICOLE ET ALIMENTAIRE M 02299 Brésil, le moment de vérité N° 3087 + + LA MARQUE DANS LES INDUSTRIES CULTURELLES + L’ÉCONOMIE DE LA MODE dans l’économie ? M 02299 économiques VICE OU VERTU? économiques Femmes + LUTTE CONTRE 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@k@i@q@a"; économiques QUINZAINE + L’ÉPARGNE économiques BRÉSIL 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@i@r@k"; F: 4,80 E QUINZAINE DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF F: 4,80 E N° PREMIÈRE 04.2014 Prochains numéros à paraître : Femmes Quelle place Directeur de la publication Xavier Patier Direction de l’information légale et administrative Tél. : 01 40 15 70 00 www.ladocumentationfrancaise.fr DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF dF DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF M 02299 économiques Le meilleur de la presse et des revues N° n° 3087 également dans ce numéro + + + Derniers numéros parus dF problèmes économiques problèmes M 02299 Le meilleur de la presse et des revues QUINZAINE économiques BRÉSIL M 02299 - 3088 - F: 4,80 E 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@k@i@f@k"; économiques Le meilleur de la presse et des revues DEUXIÈME 04.2014 VICE OU VERTU? économiques économiques Le meilleur de la presse et des revues DEUXIÈME 03.2014 économiques L’ÉCONOMIE BLEUE M 02299 - 3087 - F: 4,80 E 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@k@i@q@a"; L’ÉPARGNE Derniers numéros parus Prochains numéros à paraître : + L’ESSOR ÉCONOMIQUE DE L’AFRIQUE MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF dF N° n° 3088 Le Japon peut-il rebondir ? également dans ce numéro • L’ austérité était-elle inévitable ? • Le prix des médicaments • Fonds d’investissement et enseignement supérieur privé Prochains numéros à paraître : N° 3089 - La mondialisation en question N° 3090 - Économie : le culte des chiffres économiques Le meilleur de la presse et des revues n° 3086 également dans ce numéro + + + Derniers numéros parus problèmes problèmes économiques dans l’économie ? 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@s@s@a"; Femmes Quelle place 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@i@r@k"; + LA MARQUE DANS LES INDUSTRIES CULTURELLES + L’ÉCONOMIE DE LA MODE + LUTTE CONTRE LA FAIM : VERS LA TRANSITION AGRICOLE ET ALIMENTAIRE dF M 02299 - 3088 - F: 4,80 E QUINZAINE économiques 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@a@s@s@a"; N° DEUXIÈME 03.2014 économiques L’ÉCONOMIE BLEUE DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF économiques Le meilleur de la presse et des revues N° + BANQUES : LA CRISE ET LES BUSINESS MODELS + SITUATION FINANCIÈRE DES ENTREPRISES : LA FRANCE DÉCROCHE + LA CRISE DES SUBPRIMES : ProchainsUNE numéros à paraître : CRISE DU CAPITALISME LE MOMENT DEBRÉSIL VÉRITÉ M 02299 - 3089 - F: 4,80 E Le meilleur de la presse et des revues Le meilleur de la presse et des revues n° 3086 également dans ce numéro + + + Derniers numéros parus BRÉSIL dF N° 3088 N° 3087 Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l’actualité QUINZAINE économiques économiques Le meilleur de la presse et des revues PREMIÈRE QUINZAINE 03.2014 économiques L’ÉCONOMIE BLEUE L’e japon peut-il rebondir ? économiques problèmes économiques PREMIÈRE 04.2014 Prochains numéros à paraître : économiques #Internet les nouveaux enjeux 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@k@s@j@a"; Derniers numéros parus économiques Le meilleur de la presse et des revues n° 3087 également dans ce numéro + + + Derniers numéros parus économiques Le meilleur de la presse et des revues n° 3085 Brésil, le moment de vérité également dans ce numéro + Banques : la crise et les business models + Situation financière des entreprises : la France décroche + La crise des subprimes : une crise du capitalisme Prochains numéros à paraître : N° 3086 - Inégalités hommes - femmes N° 3087 - L’ épargne Derniers numéros parus Directeur de la publication Xavier Patier Direction de l’information légale et administrative Tél. : 01 40 15 70 00 www.ladocumentationfrancaise.fr Imprimé en France par la DILA Dépôt légal 75059, mars 2014 DF 2PE30850 ISSN 0032-9304 CPPAP n° 0518B05932 4,80 € + COMMENT RÉINVENTER L’HÔPITAL LA MONDIALISATION EN QUESTION M 02299 - 3085 - F: 4,80 E QUINZAINE Prochains numéros à paraître : 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@k@i@q@a"; PREMIÈRE 05.2014 LE JAPON PEUTIL REBONDIR ? également dans ce numéro + + + économiques problèmes économiques Le meilleur de la presse et des revues 3’:HIKMMJ=^UY]UY:?d@k@i@f@k"; QUINZAINE économiques Le meilleur de la presse et des revues N° N° DEUXIÈME + COMMENT RÉINVENTER L’HÔPITAL LA MONDIALISATION EN QUESTION Le culte des chiffres Derniers numéros parus DOM : 5 € - LUX : 4,90 € - MAROC : 54 MAD - TUN 7,500 TNM CFA 3500 - NC 810 XPF - POLYN 890 XPF n° 3089 DEUXIÈME 04.2014 Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l’actualité QUINZAINE Prochains numéros à paraître : économiques Le meilleur de la presse et des revues N° économiques Le meilleur de la presse et des revues PREMIÈRE 05.2014 M 02299 - 3090 - F: 4,80 E N° 3088 L’e japon peut-il rebondir ? Le meilleur de la presse et des revues N° 3089 économiques économiques Le meilleur de la presse et des revues problèmes économiques 3090 également dans ce numéro + + + N° 3091 - France : comment changer de modèle ? 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LE MOMENT DE VÉRITÉ Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 83 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Ò POUR ALLER PLUS LOIN Varsovie, une capitale singulière La première pensée qui vient à l’esprit lorsque l’on évoque Varsovie, c’est celle du ghetto. Indéniablement, la ville reste associée à cette période tragique de l’histoire européenne, celle de la Seconde Guerre mondiale et du nazisme. Image évidemment réductrice, alors que Varsovie devrait incarner bien d’autres aspects. Un théâtre de la résistance en Europe La ville a été la scène de mouvements de résistance importants au cours de son histoire. Rappelons que c’est à Varsovie que la première Constitution polonaise a été promulguée en 1791. C’est également à Varsovie que le plus grand ghetto d’Europe s’est soulevé, en 1943, avant d’être rasé, et que le peuple s’est insurgé face aux nazis, notamment d’août à octobre 1944. La ville a payé le prix fort pour sa résistance. Bombardée à plusieurs reprises, assiégée, objet de destructions systématiques, elle est sortie anéantie de la Seconde Guerre mondiale, détruite à environ 85 %. Les Varsoviens reconstruisent alors rapidement une petite partie de la vieille ville, symbole de leur identité. Puis, dans les années 1950, c’est le style « socialiste national », empreinte architecturale du réalisme socialiste, qui marque la reconstruction. C’est le cas du quartier d’habitation de Marszałkowska 1, construit sur des parcelles du ghetto, ou encore de l’emblématique palais de la Culture et de la Science, cadeau de Staline aux Polonais, visible en tous points de la ville. Varsovie change alors de silhouette. Après la chute du Mur, elle entre peu à peu dans une nouvelle ère, celle de son insertion dans le réseau des villes qui comptent en Europe. Une capitale verticale De nombreux projets architecturaux de grande hauteur voient le jour. Plusieurs bâtiments de plus de 100 mètres sortent de terre, comme le Złota 44 avec sa flèche qui culmine à presque 200 mètres. En 2015, deux nouveaux bâtiments, le Q22 (155 mètres) et le Warsaw Spire (220 mètres), devraient être inaugurés. La ligne d’horizon de Varsovie s’est modifiée et la ville se distingue dorénavant de ses consœurs polonaises par la hauteur de ses bâtiments et Marszałkowska Dzielnica Mieszkaniowa (MDM). Cet ensemble résidentiel monumental est typique de l’architecture et de l’urbanisme de l’après-guerre. 1 84 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 par ses prouesses architecturales. Dans la région centre et est-européenne, seule Moscou la dépasse désormais. La skyline de la capitale polonaise est devenue le symbole de sa modernité, la manifestation physique de la volonté des décideurs varsoviens de montrer leur capacité à prendre une place dans le concert des métropoles européennes, puisque les tours sont dorénavant perçues comme l’un des signes de la puissance d’une ville dans la mondialisation 2. Toutefois, s’il est vrai que le patrimoine architectural et la ligne d’horizon d’une ville participent de l’imaginaire qu’elle alimente, ces éléments ne suffisent pas à la rendre véritablement attractive. Un centre de services avancés peu attractif Avec un peu plus de 1,7 million d’habitants, la capitale polonaise est 2,3 fois plus peuplée que sa rivale Cracovie. Elle concentre environ 4,5 % de la population du pays et 9 % des entreprises. Au cours des années 1990 et 2000, elle a su devenir le centre des affaires de la Pologne, attirant et accueillant la majeure partie des services spécialisés de haut niveau du pays – tels que la finance et les services aux entreprises 3. Faisant preuve d’une réelle capacité d’adaptation aux nouvelles conditions nées de son ouverture à l’économie de marché, elle a trouvé sa place dans le réseau des villes européennes influentes. Preuve en est l’intensité de ses échanges avec les autres villes. Un classement 4 permet d’en juger en évaluant les relations qu’entretiennent 175 firmes de services avancés aux producteurs dans les secteurs de la publicité, de la comptabilité, de la banque et de la finance, de l’assurance, du conseil de gestion et du conseil juridique. En 2010, 2 Voir le dossier « Les villes mondiales », Questions internationales, no 60, mars-avril 2013, et notamment l’article de Céline Bayou, « La ville debout : le gratte-ciel au xxie siècle », p. 30-38. 3 Lise Bourdeau-Lepage, « Advanced services and city globalization on the Eastern fringe of Europe », Belgéo, n o 1, 2007, p. 133-146. 4 Ce classement prend en considération 525 villes et en distribue 237 en fonction de leur score en cinq grandes catégories par ordre décroissant : les alpha world cities, les beta world cities, les gamma world cities, les evidence of world city formation et les high efficiency and sufficiency. Source : GaWC Research Bulletin, no 300, 2 mars 2009 et no 369, 21 décembre 2010 (www.lboro.ac.uk/ gawc/rb/rb369.html). © AFP / Saul Loeb La tour Złota 44 et le palais de la Culture et de la Science, les deux bâtiments les plus hauts de Varsovie. L’une, achevée en 2014, est le symbole du renouveau architectural de la Pologne contemporaine, tandis que l’autre, offert par l’Union soviétique en 1952, est un pur produit de l’architecture stalinienne. Varsovie y occupe la 37e place dans le monde 5 et la 13e place en Europe, devant Vienne, Barcelone ou Lisbonne. Elle se range ainsi dans la catégorie des alpha world cities, loin devant les autres villes polonaises comme Wrocław, Cracovie ou Poznań qui appartiennent à la catégorie des high efficiency and sufficiency cities et occupent respectivement les 60e, 65e et 67e places en Europe. Cependant, malgré ses efforts pour participer à la globalisation et sa volonté de changer d’apparence, la capitale polonaise ne jouit toujours pas d’une image attrayante auprès des décideurs européens. En effet, en 2011, l’European Cities Monitor plaçait Varsovie au 21e rang des 36 villes européennes désignées comme ayant une attractivité significative, loin derrière Londres, Paris, Francfort, Amsterdam ou Berlin (voir 5 L’étude prend en considération 525 villes et en classe 237 en fonction de leur score en 5 grandes catégories par ordre décroissant : les alpha world cities, les beta world cities, les gamma world cities, les evidence of world city formation et les high efficiency and sufficiency. Source : Peter J. Taylor, Michael Hoyler, Kathy Pain et Sandra Vinciguerra, « Extensive and Intensive Globalizations: Explicating the Low Connectivity Puzzle of US Cities Using a City-dyad Analysis », GaWC Research Bulletin, n° 369, 21 décembre 2010 (www.lboro.ac.uk/gawc/rb/rb369.html) et Peter J. Taylor, et alii, « Measuring the World City Network: New Results and Developments », GaWC Research Bulletin, n° 300, 2 mars 2009. tableau). La ville reste en fait mal connue. Seulement 21 % des dirigeants interrogés connaissent bien Varsovie, contre 81 % pour Londres, 76 % pour Paris, 68 % et 62 % pour Barcelone et Bruxelles. Les résultats détaillés par critère d’attractivité 6 révèlent que la capitale polonaise attire par le coût de la main-d’œuvre (2e place européenne la plus attractive), le prix et la disponibilité des surfaces de bureau (1re place européenne) et le climat des affaires (5e place). Mais elle obtient un piètre résultat concernant le niveau de pollution (34e place), la qualité de vie des employés (32e place), la qualité des télécommunications, de même que les liaisons internationales et intra-urbaines. Cette réputation très mitigée n’empêche pas les entreprises interrogées de citer Varsovie en troisième position sur les 46 villes européennes susceptibles d’accueillir leurs projets d’expansion dans les cinq années à venir. Ainsi, avec 26 plans d’expansion, elle se place derrière Moscou et 6 Les questions sont en général du type « Quelle est, selon vous, la meilleure ville pour le critère X ? Donnez vos premier, deuxième et troisième choix ». Les 36 villes sont classées selon leur score, calculé à partir du nombre de réponses qui les retiennent, pondéré par le rang du choix. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 85 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe Les villes attractives en Europe Attractivité globale pour une entreprise Rang Réputation Varsovie Londres Paris 21 1 2 Francfort Amsterdam 3 4 Berlin 5 31 Londres Paris Barcelone Amsterdam Bruxelles Promotion 7 Londres Barcelone Paris Berlin Madrid Accès aux marchés 19 Londres Paris Francfort Bruxelles Madrid Disponibilité en personnel qualifié 14 Londres Paris Francfort Munich Madrid Qualité des télécommunications 29 Londres Paris Francfort Stockholm Munich Liaisons internationales 28 Londres Paris Francfort Amsterdam Bruxelles Prix et disponibilité des surfaces de bureaux 1 Varsovie Berlin Leeds Bucarest Bratislava Coût de la main-d’œuvre 2 Bucarest Varsovie Bratislava Lisbonne Istanbul Disponibilité de bureaux 18 Berlin Bucarest Madrid Leeds Birmingham 5 ex aequo Dublin Bratislava Londres Bucarest Amsterdam Varsovie Zurich Langues parlées 11 Londres Bruxelles Amsterdam Stockholm Genève Transports urbains 29 Londres Paris Berlin Stockholm Madrid Qualité de vie des employés 32 Barcelone Stockholm Zurich Genève Madrid Pollution 34 Stockholm Helsinki Oslo Genève Zurich Climat des affaires Note : l’accès aux marchés est le facteur le plus important dans le choix de localisation d’une firme, devant la disponibilité en personnel qualifié, la qualité des télécommunications, les liaisons internationales, le prix et la qualité des bureaux ainsi que le coût de la main-d’œuvre. Source : tableau de l’auteur réalisé à partir de Cushman & Wakefield, European Cities Monitor 2011, octobre 2011 (www.cushmanwakefield.co.uk/en-gb/research-and-insight/2012/european-cities-monitor-2011/). Londres mais devant Berlin et Paris 7. En outre, en 2012, elle a été l’une des 25 villes globales retenues par la société de conseil KPMG pour y étudier les investissements internationaux dits « greenfields » 8 réalisés à travers le monde. Sur la période 2011-2012, elle a accueilli 65 projets d’investissement, se plaçant en 20e position ex aequo avec Francfort, mais loin derrière Paris (108 projets) ou Londres (351, numéro un dans le monde) 9. Varsovie jouit donc d’une position particulière. Son attractivité en Europe repose davantage sur de faibles coûts que sur la qualité de la vie et des infrastructures qu’elle propose. Pour ses habitants, elle n’apparaît pas tant comme un lieu où il fait particulièrement bon vivre que comme une ville offrant des opportunités de travail 10. Capitale singulière, Varsovie est aujourd’hui une ville dont les caractéristiques d’ensemble restent difficiles à saisir. Celles-ci n’en font toutefois pas une ville incontournable ou qui pourrait prétendre à rejoindre le cercle restreint des métropoles globales qui dominent l’Europe et le monde. 7 * Professeure de géographie à l’université Jean-Moulin – Lyon 3 et chercheure au sein de l’unité mixte de recherche « Environnement, Ville, Société ». Cushman & Wakefield, 2011, op. cit. Il s’agit d’investissements ayant pour objectif de développer ou d’étendre un site. Les sociétés à capital mixte sont incluses, à la différence des fusions et acquisitions et des privatisations et alliances qui ne sont pas prises en compte. Source : Greater Paris Investment Agency & KPMG, Global Cities Investment Monitor 2013: New Rankings, Trends and Criteria, Paris, 2013 (www.greater-paris-investment-agency.com/wp-content/ uploads/2013/02/GPIA-KPMG-GCIM-2013.pdf). 9 Greater Paris Investment Agency & KPMG, 2013, op. cit. 8 86 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Lise Bourdeau-Lepage * 10 Voir Commission européenne (Urban Audit), Enquête d’opinion sur la qualité de la vie dans 75 villes européennes, mars 2010, Bruxelles (http://ec.europa.eu/regional_policy/ sources/docgener/studies/pdf/urban/survey2009_fr.pdf). X Regards sur la culture polonaise La nouvelle scène artistique polonaise La scène artistique polonaise est marquée d’une dichotomie entre le renouveau d’une culture que le communisme avait « normalisée » dans le but de forger l’homme socialiste et la continuation d’une culture d’avant-garde. En Pologne, comme dans d’autres pays du bloc de l’Est, la littérature, le théâtre, le cinéma, l’art abstrait s’étaient perfectionnés dans un double langage qui échappait aux censeurs. À la chute du régime communiste, la place de cette culture contestataire dans la réalité qui s’installait a été remise en question. L’émergence d’une nouvelle génération d’artistes, de nouvelles infrastructures et de nouveaux cadres juridiques favorise désormais la régénérescence de la création artistique et perpétue la fonction première de la culture, « habiter le monde [et] rendre le monde habitable » 1. À l’heure où les Polonais manifestent leur désenchantement à l’égard de l’activisme politique, la scène culturelle devient le lieu privilégié des débats d’idées, de l’ouverture aux autres cultures et de la résurgence de mémoires oubliées. Le contexte de transition démocratique, parachevée par l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne, pèse encore sur ces débats, où l’équilibre entre oubli et mémoire demeure difficile à trouver. Toutefois, les libertés de circulation, de contestation et de mœurs procurent aux metteurs en scène, écrivains, poètes, plasticiens polonais un matériau stimulant, leur permettant de penser une société moins homogène qu’auparavant. La place de la culture dans la nouvelle réalité La réflexion sur les limites de l’intervention de l’État dans le domaine de la culture revêt une actualité particulière en Pologne. Après le rejet du modèle étatique dans les années 1990 – privatisa- tions, décentralisations, Anna Rochacka-Cherner, déconcentrations –, le fonctionnaire de l’administration nombre de cinémas centrale française, diplômée de Sciences et de bibliothèques a Po Paris (Affaires internationales), elle décliné, beaucoup de a travaillé, en 2005, avec le ministère studios de production polonais des Affaires étrangères et, de films d’animation en 2004, avec l’Institut culturel ont fermé. polonais de Budapest. Plusieurs facteurs ont alors contribué à la renaissance de la culture polonaise. Parmi eux, la diffusion du numérique et l’émergence de jeunes créateurs et de nouvelles structures de soutien à la création. Un rapport de 2009 sur le financement et la gestion des institutions culturelles souligne ainsi la hausse du nombre de musées, de théâtres, d’institutions musicales et de maisons de la culture 2. Afin de faciliter l’accès à la culture ont été lancées des initiatives telles que l’entrée à 1 zloty dans les musées pour les jeunes de moins de 16 ans ou le projet de prix unique du livre, élaboré par des éditeurs polonais sur le modèle des lois française et allemande 3. Par ailleurs, en 2009, la création artistique est mentionnée pour la première fois comme vecteur de développement de la société polonaise, et des recommandations sont formulées pour promouvoir davantage l’architecture et les arts visuels 4. 1 Jean Clair, « Grandeur et décadence dans l’art aujourd’hui », Commentaire, no 128, hiver 2009-2010. 2 Jakub Głowacki, Jerzy Hausner et alii, Finansowanie kultury i zarządzanie instytucjami kultury, Uniwersytet Ekonomiczny w Krakowie, Małopolska Szkoła Administracji Publicznej, 2009 (www.kongreskultury.pl/library/File/RoSK%20finansowanie/ finansowanie_w.pelna.pdf). 3 Entretien avec la directrice de l’Institut français à Varsovie et le responsable de la médiathèque de l’Institut français à Varsovie. 4 Polska 2030. Wyzwania rozwojowe [Pologne 2030. Les enjeux du développement], rapport des conseillers stratégiques du Premier ministre, juin 2009 (www.mir.gov.pl/aktualnosci/ ministerstwo/Documents/polska_2030_raport_0609.pdf). Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 87 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe L’afflux des fonds européens permet de rénover et de construire de nombreuses infrastructures culturelles, principalement musicales – philharmonies, salles de concert, écoles de musique –, mais aussi des théâtres – ouverture du théâtre Shakespeare de Gdańsk en septembre 2014, modernisation du Nowy Teatr dirigé à Varsovie par le metteur en scène Krzysztof Warlikowski – ou des musées – rénovation du Musée national de Varsovie. De nouveaux types de financements se développent, comme les partenariats entre le public et le privé. Le musée d’Histoire des Juifs de Pologne 5, ouvert en 2013, à Varsovie est l’un des premiers exemples de ce type de partenariat. Il a bénéficié à la fois de fonds publics – émanant de la ville de Varsovie et du ministère polonais de la Culture et du Patrimoine national – et de fonds privés – provenant de donateurs et d’institutions internationales soutenant l’Institut historique juif de Pologne. Enfin, la culture demeure un outil de diplomatie publique, grâce à l’action de l’Institut Adam-Mickiewicz et du ministère polonais des Affaires étrangères. En 2014, la célébration des « 25 ans de liberté » vise ainsi à partager l’expérience polonaise de transition démocratique avec des pays voisins de l’Union européenne comme l’Algérie ou l’Ukraine 6. La culture, témoignage tangible d’une réalité en mouvement Le retour à la liberté en 1989 a renouvelé les attentes des critiques et du public polonais à l’égard de la culture. Après avoir pratiqué pendant des décennies une culture de l’allusion, ils demandent maintenant des œuvres donnant un vrai portrait des Polonais et témoignant des changements politiques et sociaux en cours. Les jeunes créateurs s’inspirent de l’avant-garde des années 1960 pour s’opposer à la culture de masse, incarnée notamment par la télévision ou les spots publicitaires. Au théâtre, en particulier, la nouvelle génération de metteurs en scène, comme Warlikowski ou Jarzyna, perpétue un discours de révolte, dans la veine de Wyspiański, Mrożek ou Kantor, qui construisaient ainsi le lien entre les spectateurs et le théâtre de leur époque. Le théâtre polonais traite dorénavant des problèmes du quotidien – la crise des valeurs, les inégalités, le consumérisme, la place des femmes, le rapport à l’histoire –, ce qui expliquerait l’engouement des Polonais pour le théâtre, avec un nombre de représentations en hausse, un public de plus en plus jeune, fait d’étudiants et de jeunes professionnels 7, à Cracovie ou à Varsovie mais aussi à Wałbrzych, à Legnica ou à Bydgoszcz. Pour transposer cette réalité au théâtre, dans la littérature ou dans les arts visuels, les artistes inventent de nouveaux langages. Ils multiplient les spectacles hors les murs – la pièce Hamlet mise en scène par Krystian Lupa aux chantiers navals de Gdańsk en 2004 –, mettent au point de nouvelles techniques littéraires – poèmes en rap de Dorota Masłowska, l’enfant terrible des lettres polonaises 8 –, jouent sur de nouveaux supports – le livre, objet de l’art de la « Liberatura », mouvement littéraire fondé en 1999 – en repoussant parfois à l’extrême l’innovation artistique – installations d’Artur Żmijewski, performances de Paweł Althamer. Outre le théâtre, le reportage et le roman policier donnent le meilleur aperçu de la société actuelle 9. Ce sont les catégories littéraires les plus populaires en Pologne et les reportages de Ryszard Kapuściński ou d’Andrzej Stasiuk s’exportent bien. Si le nombre de librairies généralistes décroît, en revanche des librairies spécialisées apparaissent et ne désemplissent pas, à l’instar de celle consacrée au reportage, Wrzenie Świata (Le bouillonnement du monde), créée en 2010 à Varsovie par le journaliste Mariusz Szczygieł. Fondateur d’un institut et d’une école du reportage situés à Varsovie, M. Szczygieł s’est démarqué Roman Pawłowski, « 25 lat teatru w wolnej Polsce. Czy jest wspólnota ? », Gazeta Wyborcza, 17 avril 2014. Auteur de Polococktail Party et de Tchatche ou crève, parus respectivement en 2002 et en 2008 aux Éditions Noir sur Blanc, Paris. 9 Entretien avec le gérant de la Librairie polonaise à Paris, 13 mai 2014. 7 5 Le musée dispose d’un site Internet (www.jewishmuseum.org. pl/). Sur ce sujet, voir également la contribution de Jean-Charles Szurek, p. 72. 6 Entretien avec la directrice de l’Institut polonais à Paris, Joanna Karasek, le 26 février 2014. 88 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 8 © AFP / Boris Horvat Une scène de la pièce Kabaret warszawski de Krzysztof Warlikowski jouée au cours du 67e Festival d’Avignon en 2013. dans les années 1980 par la réalisation des premiers travaux sur la jeunesse gay et lesbienne en Pologne. Il a remporté un vif succès pour sa série de reportages sur la République tchèque, Gottland (2006). L’art, élément de redéfinition de l’identité polonaise L’engouement des Polonais pour le théâtre s’explique aussi par la capacité de cet art à poser des questions difficiles et à proposer une réflexion sur les éléments constitutifs de la nation polonaise actuelle. Essayer de définir à nouveau l’identité culturelle polonaise conduit à redécouvrir le passé multiculturel de la Pologne, rendu tabou par le régime communiste. Vers 1890, dans certaines villes comme Poznań, les Polonais ne représentaient que 38 % de la population, contre 49 % d’Allemands et 15 % de Juifs. Le metteur en scène Krzysztof Warlikowski estime ainsi que le chaînon manquant de l’identité culturelle d’un Polonais aujourd’hui est la prise de conscience de la vie et de l’anéantissement des Juifs en Pologne 10. L’ambition d’une réconciliation avec le passé communiste stimule aussi la créativité, notamment en architecture. Les jeunes intervenants du groupe de recherche architecturale et artistique Centrala 11 de Varsovie travaillent ainsi à la réinterprétation et à la réactivation de l’architecture de l’ère soviétique. Un ancien kiosque de gare devient un café branché – café Warszawa Powiśle, toujours propriété des chemins de fer polonais –, une brèche entre deux immeubles devient une résidence d’écrivains – la maison Keret, la plus étroite du monde. Des campagnes de sensibilisation sont également menées pour préserver de la destruction des édifices comme le monumental palais de la Culture et de la Science (Pałac Kultury i Nauki, PKiN) de Varsovie, au nom de leur importance dans la construction de l’identité moderne polonaise. Cet ensemble de facteurs contribue à la spécificité de la culture polonaise contemporaine. Son renouveau se fait dans la continuité de la culture d’avant-garde des années 1960, à la différence près que la création s’appuie maintenant sur une nouvelle forme de publicité. Son dynamisme pourrait se mesurer à l’aune de la multiplication des cafés librairies, des festivals, des expositions et autres rassemblements propices à stimuler des débats, désormais publics. ■ 10 K. Warlikowski, Théâtre écorché, Actes Sud, Arles, 2007. Peter Kelly, « New Polish Architecture », Blueprint, no 284, novembre 2009. 11 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 89 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe X Regards sur la culture polonaise Vers un renouveau du cinéma polonais Plusieurs éléments contribuent à expliquer l’intérêt renouvelé que suscite actuellement le cinéma polonais, comme l’existence d’un riche patrimoine d’œuvres cinématographiques connues à l’échelle européenne et mondiale ou la notoriété de réalisateurs qui ont exercé une influence bien au-delà des frontières de la Pologne. Joue également le fait que l’une des écoles de cinéma les plus réputées d’Europe se trouve en Pologne, plus précisément à Łódź 1, où elle vient de fêter son 65e anniversaire et continue d’accueillir les professionnels et futurs professionnels du septième art venus du monde entier. L’histoire du cinéma polonais débute vers la fin du xixe siècle. Avant même la Première Guerre mondiale, des cinémas existaient déjà dans plusieurs villes de Pologne – la première salle fut ouverte à Łódź en 1899 – alors que le pays était occupé par l’Empire russe, l’Empire austrohongrois et l’Empire allemand. Plusieurs films, essentiellement documentaires, sont tournés à cette époque dont certains sont projetés dans les grandes capitales européennes dès la fin de la Grande Guerre. La période de l’entre-deuxguerres, avec la libération de la Pologne, voit ensuite le développement de l’industrie cinématographique à proprement parler. Un patrimoine retrouvé Parmi les mouvements les plus connus du cinéma polonais, la Polska szkoła filmowa (École polonaise de cinéma) est apparue entre 1955 et 1961. Ce courant s’est focalisé sur l’analyse des conséquences de la Seconde Guerre mondiale et celle des mythes et des valeurs qui structurent 1 La fameuse « Filmówka », l’École nationale de cinéma de Łódź (www.filmschool.lodz.pl/en/), propose des formations aux métiers du cinéma. 90 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 l’identité natioDorota Szeligowska, nale polonaise. doctorante en théorie politique Parmi les réalià l’université d’Europe centrale sateurs les plus de Budapest. connus, citons Andrzej Wajda – avec Kanał (Ils aimaient la vie) en 1956, Popiół i diament (Cendres et diamant) en 1958 –, Andrzej Munk – avec Eroica en 1957, Zezowate szczęście (De la veine à revendre) en 1959 –, Tadeusz Konwicki – Ostatni dzień lata [Le dernier jour de l’été] en 1958 – ou Kazimierz Kutz – Ludzie z pociągu (Panique dans un train) en 1961. Nés dans les années 1920, les réalisateurs de cette école ont développé des approches psychologiques et existentielles, en s’éloignant des principes du réalisme socialiste pour s’inspirer du néoréalisme italien. Né entre 1976 et 1981, le Kino moralnego niepokoju (le Cinéma de l’inquiétude morale) a quant à lui proposé des films qui analysaient les problèmes sociaux et politiques de l’époque. On peut citer parmi les réalisateurs de ce courant Feliks Falk – Wodzirej [Meneur de jeu] en 1978 –, Agnieszka Holland – Kobieta samotna (Une femme seule) en 1981 –, Krzysztof Kieślowski – Przypadek (Le Hasard) en 1981 –, de nouveau Andrzej Wajda – Człowiek z marmuru (L’Homme de marbre) en 1977 – ou Krzysztof Zanussi – Barwy ochronne (Camouflage) en 1976). Les réalisateurs de ces deux courants ont eu en commun de chercher de nouveaux moyens d’expression pour contourner la censure alors en vigueur. Ils ont tenté de rendre compte de la grande diversité des attitudes adoptées par les individus face à la réalité communiste, certains la contestant, d’autres y adhérant Un cinéma populaire Extrêmement populaire pendant la période communiste, le cinéma polonais a vu le nombre de ses spectateurs considérablement fluctuer durant la dernière décennie. En 2013, 36 millions d’entrées ont été recensées dans un pays comptant 38,5 millions d’habitants, soit moins d’une sortie au cinéma par an et par habitant, le chiffre le plus bas depuis 2008. Pour autant, la première partie de la décennie avait vu © AFP / Janek Skarzynski sans réserve. Parmi les représentants de ces écoles, plusieurs sont devenus célèbres de l’autre côté du Rideau de fer, notamment en France, un pays avec lequel certains ont entretenu des liens très étroits : Roman Polański (né en 1933), Agnieszka Holland (née en 1948), Krzysztof Kieślowski (19411996), Jerzy Skolimowski (né en 1938), Andrzej Żuławski (né en 1940) ou Andrzej Wajda (né en 1926). La restauration et la diffusion des films de cette période doivent beaucoup à Filmoteka Narodowa (les Archives nationales du film), et son programme KinoRP. Créé en 2008, ce programme a contribué à la restauration de plus de 140 longs métrages, films d’animation ou documentaires. Le fruit de ce travail est dorénavant non seulement présenté dans des cinémas d’art et d’essai en Pologne, tels que Kino Kultura ou Iluzjon à Varsovie, mais aussi à l’étranger. Un festival de cinéma polonais, Martin Scorsese Presents : Masterpieces of Polish Cinema, a notamment été lancé aux ÉtatsUnis et au Canada en février 2014. Vingt et un films récemment restaurés y ont été présentés dans plus de 30 salles. Les films à l’affiche incluent des œuvres d’Andrzej Wajda, de Jerzy Kawalerowicz, d’Aleksander Ford, de Krzysztof Kieślowski, de Krzysztof Zanussi, d’Andrzej Munk, de Wojciech Has, de Tadeusz Konwicki et de Janusz Morgenstern. De nombreux événements ont accompagné l’ouverture de ce festival à New York – exposition d’affiches originales, conférences à l’université de New York, etc. Un spectateur contemple l’affiche du film L’Insurrection de Varsovie de Jan Komasa (2014). Restaurées et colorisées, les images de ce longmétrage proviennent de films d’actualités tournés en 1944 pour le compte de l’Armée polonaise intérieure. des chiffres encore plus faibles, avec 24 millions d’entrées en 2005 notamment 2. La proportion de spectateurs qui vont voir des films polonais augmente néanmoins. En 2012, sur les 38 millions d’entrées, 6,2 millions concernaient un film polonais, dont la moitié concentrée sur deux films : Jesteś Bogiem [Tu es Dieu] 3 de Leszek Dawid consacré aux rappeurs du groupe Paktofonika (1,5 million de spectateurs) et W ciemności (Sous la ville) d’Agnieszka Holland (1,2 million). En 2013, sur les 36 millions d’entrées, 7,3 concernaient un film polonais. Le film Drogówka [Police routière] de Wojciech Smarzowski est arrivé en tête avec 1,1 million de spectateurs, suivi par Wałęsa, człowiek z nadziei (L’Homme du peuple) d’Andrzej Wajda, avec près d’un million de spectateurs également. L’époque où les comédies romantiques, de qualité très variable, généraient le plus de profit au box-office semble donc désormais révolue. Le nombre de produc2 Polski Instytut Sztuki Filmowej (www.pisf.pl/pl/ kinematografia/rynek-filmowy/widzowie). 3 On trouvera plus d’informations sur ces différents films en consultant des portails Internet spécialisés, le plus souvent uniquement en polonais, comme www.stopklatka.pl et www.filmpolski.pl. Ce dernier site, géré par l’École nationale de cinéma de Łódź, offre également un accès libre à une centaine d’études réalisées par des étudiants. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 91 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe tions polonaises croît également : 36 en 2012 et 43 en 2013 4. Plusieurs festivals structurent l’année cinématographique en Pologne. Le plus important d’entre eux est le Gdynia Film Festival, organisé chaque année depuis 1974 en septembre. Un public plus spécialisé s’intéresse également au festival annuel de l’art de la photographie de cinéma, Camerimage, créé en 1993 et établi actuellement à Bydgoszcz, après avoir été précédemment organisé à Toruń ou à Łódź. D’autres événements ont également acquis une bonne renommée : le OFF Plus Camera Festival organisé à Cracovie en mai, le Krakowski Festiwal Filmowy [Festival du film de Cracovie] qui se déroule fin mai et est consacré aux courts métrages, aux documentaires et aux films d’animation, le T-Mobile Nowe Horyzonty, organisé à Wrocław en juillet et axé sur la promotion des coopérations et des échanges avec les distributeurs internationaux, ou le Warsaw Film Festival, qui se tient en octobre à Varsovie et fait la promotion de films qui ne sont pas sortis en salle en Pologne. Enfin, le festival Młodzi i film [Les jeunes et le cinéma] est organisé à Koszalin en juin pour promouvoir les films de la génération émergente des cinéastes polonais. Un miroir des évolutions de la société polonaise Le renouveau cinématographique polonais est évident si l’on s’intéresse aux thèmes abordés depuis quelques années. Les films récents proposent dorénavant une réflexion approfondie sur de nombreuses thématiques historiques, politiques, culturelles ou sociales qui reflètent les préoccupations de la société postcommuniste en transition. Récemment on a pu observer une vague de reflux des grandes fresques historiques 5, mais le cru 2014 pourrait toutefois temporairement inverser cette tendance du fait des commémorations du 75e anniversaire 4 Chiffres de Magazyn Filmowy SPF, 2012-2014 (www.sfp.pl/ magazyn_filmowy_sfp). 5 Tels que Quo vadis de Jerzy Kawalerowicz (2001) ou Katyń d’Andrzej Wajda (2007). 92 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 du début de la Seconde Guerre mondiale et du 70e anniversaire de l’insurrection de Varsovie 6. La sélection des films du Gdynia Film Festival 2013 illustre bien ces évolutions. Les œuvres présentées ont montré qu’un changement générationnel était en train de s’opérer. Une grande partie des films ayant suscité l’intérêt et l’adhésion de la critique a été le fait de réalisateurs quadragénaires ou débutants, pour certains dotés de petits budgets. De plus en plus de ces films d’art et d’essai traitent de « l’Autre » ou des fléaux sociaux auxquels la jeune société démocratique polonaise se voit confrontée. Cet « Autre » peut prendre différents visages, que ce soit celui de la communauté Rom au début du xxe siècle – Papusza de Joanna Kos-Krauze et Krzysztof Krauze –, ou du prêtre qui tombe amoureux d’un jeune clerc – W imię… (Aime et fais ce que tu veux) de Małgorzata Szumowska –, en passant par celui d’un jeune homme qui découvre son homosexualité et est confronté à la discrimination – Płynące wieżowce (Ligne d’eau) de Tomasz Wasilewski –, ou encore des handicapés qui se battent pour une vie plus digne – Chce się żyć (La Vie est belle) de Maciej Pieprzyca ou Imagine d’Andrzej Jakimowski. La situation des mères adolescentes – Bejbi blues de Katarzyna Rosłaniec –, la corruption dans la police – Drogówka – ou le harcèlement sexuel qui détruit la vie d’un jeune couple – Miłość [Amour] de Sławomir Fabicki – figurent parmi les sujets désormais abordés par le cinéma polonais. Le plus souvent, les nouveaux réalisateurs rejettent l’étiquette de cinéma socialement « engagé » que l’on tente de leur attribuer. Pour Tomasz Wasilewski, réalisateur de Płynące wieżowce (Ligne d’eau), le cinéma engagé impose un type de message normatif à éviter 7. Paweł Pawlikowski, le réalisateur du très apprécié Ida, a également suggéré que les 6 De nombreux films historiques sont annoncés en salles en 2014, dont Kamienie na szaniec [Des pierres sur le rempart] de Robert Gliński (adaptation d’un roman d’Aleksander Kamiński), ou Powstanie Warszawskie [L’insurrection de Varsovie] de Jan Komasa. 7 Interview avec Tomasz Wasilewski, publiée dans Magazyn Filmowy SFP, no 28, 2013, p. 58 (www.sfp.pl/magazyn,75,8c563 5a8fa30329e7136cdd50b556f49,pdf.html). films engagés s’accompagnaient de l’utilisation de stéréotypes qui affadissent la réflexion 8. Il estime qu’une expression artistique doit être plus complexe et plus universelle, qu’elle ne doit pas succomber aux modes. Ida : un débat polonais contemporain Sorti en 2013, le film Ida de Paweł Pawlikowski traite des difficiles relations polono-juives pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Bien qu’il ait reçu plusieurs prix Orły décernés par l’Académie polonaise de cinéma, il n’a pas séduit un public très large en Pologne au moment de sa sortie. Suite à sa sélection dans plusieurs festivals internationaux et grâce à la renommée de son réalisateur à l’étranger, le film a toutefois rencontré un certain succès dans de nombreux pays européens, notamment en France et en Belgique, et même aux États-Unis. Alors que son esthétique « rétro » – le film est en noir et blanc – a reçu un accueil unanime, sa lecture des relations judéo-polonaises et l’utilisation du thème des « bons » et des « mauvais », tant Polonais que Juifs, ont divisé non seulement la critique mais aussi les intellectuels polonais. Bon nombre de critiques ont vanté l’équilibre avec lequel l’auteur avait traité son sujet, mais plusieurs intellectuels, surtout au sein de la presse libérale et de gauche, lui ont reproché d’être trop modéré dans son traitement de ce sujet épineux et de faire un pas en arrière dans la discussion. C’était le cas des articles publiés sur le site de gauche Krytyka Polityczna par l’historien Piotr Forecki ou l’écrivaine Agnieszka Graff. Effectivement, depuis une bonne dizaine d’années, la question des relations entre les Interview avec Paweł Pawlikowski, publiée dans Magazyn Filmowy SFP, no 28, 2013, p. 62. 8 Juifs et les Polonais pendant et après la Seconde Guerre mondiale constitue l’un des thèmes les plus sensibles du débat public 9. La publication de plusieurs ouvrages de l’historien Jan Tomasz Gross s’est notamment accompagnée de violentes polémiques. Paru en 2000, Les Voisins (Sąsiedzi) 10 fait le récit du massacre par les Polonais de leurs voisins juifs dans le village de Jedwabne, en juillet 1941, juste après le retrait des Soviétiques et avant que le village ne tombe aux mains de l’armée allemande. L’ouvrage a mis au défi l’auto-perception des Polonais, qui se voyaient jusque-là comme victimes de la guerre et non comme bourreaux de leurs voisins juifs. De virulents débats ont aussi eu lieu autour du pogrom de Kielce en 1946 et de la spoliation des biens des Juifs par les Polonais pendant et après la guerre, au cœur des ouvrages Strach (La Peur) et Złote żniwa (Moisson d’or) publiés en 2008 et en 2011. Parce que le film Ida n’offre pas d’interprétation unique et que le réalisateur laisse au spectateur la possibilité de se faire sa propre opinion, le débat qu’il suscite s’inscrit dans les nouveaux conflits de mémoire qui structurent l’espace public polonais. ●●● Même si le cinéma polonais n'occupe pas le devant de la scène internationale, les dernières années donnent des raisons de cultiver un certain optimisme quant à son avenir. Le nombre de films produits augmente, et des liens avec les distributeurs internationaux commencent à se développer comme le montre la présence croissante de films polonais sur les grands écrans d’autres pays européens. Pour autant, proclamer la naissance d’une nouvelle école polonaise de cinéma reste encore prématuré. ■ 9 Sur ce sujet, voir les contributions de Georges Mink et de Jean-Charles Szurek dans le présent dossier. 10 Jan T. Gross, Les Voisins. 10 juillet 1941. Un massacre de Juifs en Pologne, Fayard, Paris, 2002. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 93 DOSSIER La Pologne au cœur de l’Europe ➜ FOCUS © Wikicommons / Mohylek La place de l’Église catholique en Pologne Haut de 36 mètres, le Christ-Roi de Swiebodzin dans l’ouest de la Pologne, achevé en 2010, est la plus haute statue de Jésus-Christ au monde. Avec près de 87 % de catholiques déclarés et un taux de pratique supérieur à 40 %, la Pologne est l’un des pays les plus religieux d’Europe. L’Église a joué un rôle considérable dans la chute du régime communiste en Pologne. Cependant, la transition démocratique a remis en cause sa place, tant à l’égard de l’État que de la société. Tourné jusqu’alors vers la libération de la nation polonaise, le discours de l’Église s’est désormais en partie transformé en un discours d’exclusion et de repli. L’écrivain Witold Gombrowicz mettait déjà en garde dans les années 1960 contre le recours à la tradition religieuse catholique dans la lutte contre le communisme, en soulignant qu’il était vain de remplacer une utopie par une autre. 94 Aujourd’hui, les rapports entre l’Église catholique polonaise et l’État se fondent sur le Concordat du 28 juillet 1993. Ratifié en 1998, cet accord a fait l’objet en Pologne d’intenses débats portant tant sur son opportunité que sur son contenu. Il s’agit du premier concordat de ce type conclu entre un État postcommuniste d’Europe centrale et le Saint-Siège. Il établit l’autonomie et l’indépendance de l’Église et de l’État. Le clergé polonais a néanmoins plusieurs fois outrepassé ce principe d’indépendance, n’hésitant pas par exemple à intervenir directement auprès du Conseil des ministres Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 pour insérer dans le droit primaire de l’Union européenne des références à Dieu et aux racines chrétiennes de l’Europe. L’engagement politique des prêtres polonais suscite également la controverse. En 2006, le pape Benoît XVI avait ainsi dénoncé les dérives de certains médias comme la radio catholique intégriste Radio Maryja. Le primat de Pologne, le cardinal Józef Glemp (1929-2013), avait alors condamné de manière virulente cette radio pour ses dérapages antisémites et xénophobes. Face au renforcement du courant catholique ultraconservateur en Pologne depuis les années 1990, certains appellent au renouveau du courant du « catholicisme ouvert » de Tadeusz Mazowiecki (1927-2013) et de Jerzy Turowicz (1912-1999) – rédacteur en chef de la revue Tygodnik Powszechny [l’hebdomadaire universel] – qui soulignaient l’importance de l’ouverture de l’Église catholique au monde. Cette demande d’ouverture s’accompagne d’une certaine baisse de l’influence sociale de l’Église, constatable en particulier auprès des jeunes et dans les zones urbaines. Si 90 % des jeunes s’affirmaient croyants dans les années 1980, ils n’étaient plus que 60 % au début des années 2000. Certains attribuent cette diminution à une prise de distance de la société à l’égard de la sphère publique et de l’autorité en général. D’autres voient dans le rejet du modèle culturel catholique une « crise d’adolescence » mêlant refus des anciens modèles et recherche tâtonnante de nouveaux cadres. En tout état de cause, la société a considérablement évolué entre les années 1990 et 2010 : alors qu’aucune critique de l’Église n’était auparavant admise, l’idée d’une laïcisation de l’espace public s’impose désormais. Anna Rochacka-Cherner * * Fonctionnaire de l’administration centrale française. Diplômée de Sciences Po Paris (Affaires internationales), elle a travaillé avec le ministère polonais des Affaires étrangères (en 2005) et l’Institut culturel polonais de Budapest (en 2004). Pour en savoir plus sur la Pologne Ouvrages ● François Bafoil (dir.), La Pologne, CERI, Fayard, Paris, 2007 François Bafoil, Europe centrale et orientale. Mondialisation, européanisation et changement social, Presses de Sciences Po, Paris, 2006 ● Daniel Beauvois, La Pologne. Histoire, société, culture, La Martinière, Paris, 2004 ● ● Adam Michnik, La Deuxième Révolution, La Découverte, Paris, 1990 Czeslaw Milosz : – Une autre Europe, Gallimard, Paris, 1964 – La Pensée captive. 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Questions internationales espère ainsi accroître son intérêt et rester fidèle à son objectif : contribuer à la connaissance comme à l’intelligence des relations internationales par le public francophone. Les opinions exprimées par les auteurs relèvent de leur seule appréciation. > Le sport professionnel, un enjeu politique et économique en « trompe-l’œil » De nos jours, le sport professionnel occupe une place professeur émérite. d’avant-garde dans le processus de la mondialisation économique. Il est un outil de communication puissant utilisé par le couple État-marché en même temps que l’expression « impressionniste » d’une collectivité imaginaire de millions d’êtres, apparentée à une équipe d’individus solidaires dans un combat pour la victoire. Jacques Fontanel, Le primat des intérêts économiques et financiers ? Les équipes sportives représentent des collectivités publiques ou des entreprises auxquelles elles apportent une image magnifiée en cas de succès. Les résultats produisent des scènes de liesse et de fraternité, couplées à l’expression de violences nationalistes ou régionalistes ainsi qu’à des situations d’hystérie collective parfois difficilement contrôlables par les pouvoirs publics. Pourtant, la composition effective des équipes n’est plus fondée sur les valeurs éducatives locales ou nationales, elle dépend d’abord de la capacité d’attraction, notamment financière, des meilleurs joueurs par les équipes. 96 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Celles-ci sont désormais constituées sur la base de compétences réunies sans aucune référence aux nationalités des joueurs, comme pourrait l’être une entreprise idéale capable d’attirer les meilleurs talents quelles que soient leurs origines éducatives, nationales, confessionnelles ou politiques. La victoire est plus importante que la rentabilité, preuve s’il en est que le sport est d’abord une vitrine et un vecteur de communication, en trompe-l’œil, des acteurs principaux de la mondialisation. Le sport comprend sept acteurs hétérogènes : les organismes sportifs – Fédération internationale de football association (FIFA), Comité international olympique (CIO), etc. –, les collectivités publiques – organisations internationales, États, collectivités locales –, le marché – ouvert aux capitaux et aux compétences internationales –, les médias, les spectateurs, les sponsors et les sportifs 1. Échappant en grande partie aux interventions des pouvoirs publics nationaux, les équipes obéissent désormais aux lois du marché. Les grandes compétitions de sport, comme la Coupe du monde de football et les Jeux olympiques, ont une portée universelle. Leur rayonnement s’appuie sur les messages publicitaires des grandes marques qui parrainent ces événements. De ce fait, ces derniers Voir le dossier spécial de Questions internationales, « Le sport dans la mondialisation », no 44, juillet-août 2010. 1 L e spo r t p r of es s ion n el, un en jeu p o l i t i q u e e t é c o n o m i q u e e n « t ro m p e - l ’ œ i l » sont devenus les otages des intérêts des firmes multinationales et des médias. Ils valorisent l’idée de la mondialisation économique couplée, contradictoirement, avec certains relents rentables du nationalisme. Les valeurs de solidarité et de tolérance traditionnellement véhiculées par le sport sont dorénavant supplantées par les intérêts financiers et médiatiques qui exigent du spectacle et des records. Ce faisant, les grandes compétitions de sport favorisent le recours, officiellement combattu, au dopage organisé, à certaines formes de corruption, mais aussi aux recherches poussées dans les domaines technologiques et biomécaniques. Comme pour toutes les activités économiques, les investisseurs doivent minimiser les risques et maximiser les profits. Un instrument de puissance et de légitimation des États Prétendre que le sport a perdu une part de ses objectifs politiques au détriment des seuls intérêts économiques et financiers est pourtant réducteur. Pour les États, l’importance politique de ces grandes manifestations reste essentielle. Les pays émergents membres du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont ainsi validé leur statut de nouvelles puissances en organisant de grands événements à portée mondiale : les Jeux olympiques de Pékin (2008), Sotchi (2014) et Rio de Janeiro (2016), la Coupe du monde de football en Afrique du Sud (2010), au Brésil (2014) puis en Russie (2018). La désignation de ces États pour abriter ces compétitions s’apparente pour eux à une forme de consécration. Aujourd’hui, le monde du sport est agité par plusieurs débats qui soulignent l’ambivalence des valeurs qui l’animent. ● Le choix du Qatar pour organiser la Coupe du monde de football en 2022 ne peut, d’un point de vue sportif, qu’étonner. Avec moins de deux millions d’habitants et une superficie équivalant à un grand département français, le Qatar ne dispose pas de la population d’une ville olympique. Il ne peut en outre se prévaloir d’aucune tradition sportive significative. Le pays s’est engagé à construire dix stades, montés et démontés spécialement pour l’occasion, qui seront ensuite offerts aux pays en développement en manque d’infrastructures sportives. La chaleur accablante qui règne au Qatar n’a pas été un élément pris en compte au moment de la décision. De même, un certain nombre de questions – notamment la place des femmes et des étrangers dans la société qatarie, les possibles incursions terroristes dans cette région conflictuelle ou le respect des règles démocratiques – ont été soigneusement évitées au moment des négociations. Toutes ces interrogations n’empêcheront pas la FIFA d’empocher des revenus substantiels, notamment en vendant les droits de retransmission télévisuels des matchs. Pourtant, dès le départ, la compétition est financée à perte par le Qatar, ce qui n’est pas conforme aux règles de fair play imposées aux clubs. ● Autre sujet de polémique, le président de l’Union des associations européennes de football (UEFA), Michel Platini, a appelé à ce que les contestations sociales cessent au Brésil avant et pendant la durée de la Coupe du monde afin que la fête ne soit pas gâchée. Des sommes importantes ont été dépensées pour son organisation, dans un pays aux revenus encore très inégalitaires et où la violence collective est le fruit de la pauvreté et de la misère. Pour M. Platini, le football n’a que faire de ces contingences sociales, il s’agit d’un événement planétaire qui permet de témoigner de la passion qu’engendre ce sport, de montrer la beauté du Brésil et de rendre hommage à une Coupe du monde organisée pour faire plaisir aux Brésiliens. Les habitants des bidonvilles ne pourront certes pas assister aux matchs, mais il leur est dénié le droit de manifester face à l’importance planétaire que représente la Coupe du monde. C’est oublier un peu vite que, en termes de coûts d’opportunité, les dépenses engagées pour l’organisation de cette manifestation sportive auraient pu être utilisées à d’autres fins, en particulier au renforcement de la démocratie ou à la lutte contre la pauvreté. ● Enfin, les clubs les plus en vue appartiennent souvent à des détenteurs de fortunes dont l’origine est discutable, notamment en Russie, en Chine ou dans les pétromonarchies. Le sport professionnel sert désormais incontestablement à blanchir certains revenus. En outre, le montant des transferts de joueurs et les revenus des stars du football – plus de 36 millions d’euros chacun pour Lionel Messi et Cristiano Ronaldo – permettent de justifier les salaires élevés des dirigeants d’entreprise dans le contexte de la compétition internationale, a fortiori en situation de crise. ■ Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 97 Questions EUROPÉENNES La présidence grecque de l’Union européenne : entre réhabilitation et singularité Renaud Dorlhiac * * Renaud Dorlhiac est responsable « Balkans » à la Délégation aux affaires stratégiques La présidence de l’Union européenne assurée par la Grèce durant le premier semestre 2014 est intervenue dans associé du pôle « Balkans » de l’École des hautes études en sciences sociales un contexte très différent de sa précédente expérience (EHESS). en 2003. L’essoufflement de l’élargissement depuis la vague de 2004-2007 et l’impact de la crise économique et financière de 2008 ont fragilisé un modèle qui jouissait d’un soutien fervent dans le pays. Jusqu’alors, la Grèce était présentée, tant d’un point de vue mythologique que culturel 1, comme le fondement de cette Europe dont l’essence et les contours sont désormais remis en cause. Cette conviction fortement ancrée dans la société grecque explique la violence du choc ressenti depuis 2008 face à l’intervention des bailleurs de fonds internationaux et au retour, en Europe, des stéréotypes vivaces et vexatoires sur les particularismes du Nord et du Sud. du ministère de la Défense et membre Au-delà de la dimension économique et financière de la crise dont elle entend gommer les effets les plus brutaux, la Grèce a conçu sa présidence de l’Union européenne comme une réelle chance de réhabilitation, alors que les premiers signaux économiques encourageants se dessinent après six années particulièrement rudes. L’exercice a été d’autant moins aisé qu’il s’est déroulé dans un calendrier électoral chargé – échéances européennes et municiLa démocratie politique a vu le jour à Athènes à la fin du VIe siècle av. J.-C., tandis que Zeus aurait ramené dans nos contrées la princesse phénicienne Europe. 1 98 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 pales –, peu propice à la prise de décisions importantes – renouvellement de la Commission européenne –, et dans un contexte international qui en fragilisait certains des objectifs. Une réhabilitation à mots couverts Le sursaut économique et financier Le succès du retour de la Grèce sur les marchés financiers, le 10 avril 2014, quatre ans après en avoir été écartée, a montré le regain L a présiden c e g r ec q ue d e l’U n ion eur op é e n n e : e n t re ré h a b i l i t a t i o n e t s i n g u l a ri t é de confiance des investisseurs internationaux à l’égard du pays. Un tel engouement aurait été inconcevable sans l’appui, dès mai 2010, des autorités grecques au vaste programme d’assainissement budgétaire et de réformes structurelles élaboré avec le soutien technique et financier d’une troïka réunissant l’Union européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) 2. Les mesures préconisées pour assurer la pérennité des finances publiques – réforme profonde des systèmes de retraite et de santé, renforcement de l’efficacité de l’administration fiscale… – et l’amélioration de la compétitivité du pays ont permis à la Grèce d’enregistrer des progrès et de modifier son image en profondeur. L’effet combiné des différentes mesures a notamment permis de réduire drastiquement le déficit budgétaire et de ramener à l’équilibre le déficit extérieur 3. Pour autant, la situation reste fragile, essentiellement en raison d’une dette publique exorbitante qui rend négligeable l’excédent budgétaire dégagé par le pays en 2013. Alors que depuis l’entrée en récession à la fin de l’année 2008 le PIB s’est contracté d’un quart, la dette publique n’a cessé de croître pour atteindre 175 % de celui-ci en 2013. Les réformes structurelles ont également eu un coût social élevé, avec un taux de chômage officiel estimé à 28 % et une pauvreté qui frappe dorénavant un cinquième de la population. Dans ces conditions, le retour de la Grèce sur les marchés financiers a été avant tout perçu par de nombreux observateurs comme une opération de communication publique entreprise à l’approche des élections européennes et de nouvelles élections législatives anticipées. La manne énergétique Les dirigeants grecs sont bien conscients du fait que l’empressement de l’Union européenne au chevet du pays aurait sans doute été plus Une Task Force internationale a été constituée en 2011 pour aider le gouvernement grec à mettre en œuvre des mesures aussi ambitieuses que complexes. 3 Entre 2009 et 2012, le déficit budgétaire est passé de 15 % à 9 % du PIB, tandis que le déficit extérieur a été réduit de 10 % à près de 0 % du PIB. spontané si la Grèce avait davantage pesé dans les questions stratégiques européennes. De fait, la solidarité péniblement acquise le fut davantage par crainte des conséquences en chaîne de la crise grecque sur d’autres États membres fragiles (Espagne, Italie…) que par compassion pour le pays lui-même. Les efforts déployés par la Grèce pour s’affirmer en tant que nœud d’approvisionnement énergétique vers l’Europe occidentale obéissent donc à une volonté de renforcer le positionnement stratégique du pays, même s’ils répondent aussi à des enjeux intérieurs. Depuis les importantes découvertes de gisements gaziers en Méditerranée orientale, les autorités grecques fondent de sérieux espoirs dans les prospections sismiques menées au large de l’Épire ou de la Crète. Les premiers résultats sont prometteurs. En août 2013, la Grèce a signé avec la république de Chypre et Israël un protocole d’accord trilatéral de coopération dans les domaines de l’eau et de l’énergie qui prévoit des exportations vers l’Europe 4. Les efforts déployés par Athènes pour rallier Bruxelles au concept de zone économique exclusive européenne et convaincre l’Union européenne de soutenir sa revendication de procéder à la délimitation des eaux territoriales en Méditerranée orientale, au motif qu’elle bénéficiera à l’approvisionnement énergétique communautaire, semble montrer que la Grèce entend devenir un acteur énergétique européen à part entière. Cette stratégie a trouvé une première traduction concrète avec la signature, en juin 2013, de l’accord de participation au Trans Adriatic Pipeline (TAP). Destiné à évacuer le gaz azerbaïdjanais de la mer Caspienne vers l’Europe occidentale en traversant la Turquie, le nord de la Grèce et l’Albanie, ce projet a été préféré par le consortium Shah Deniz (réunissant notamment BP, StatoilHydro, Total) au projet Nabucco qui aurait dû relier l’Iran et les pays de la Transcaucasie à l’Europe centrale. La Grèce ne peut voir que d’un bon œil l’enlisement de ce projet dont elle ne faisait pas partie, alors que le 2 En mars 2014, la Grèce a lancé un appel d’offres international sur la faisabilité et la viabilité d’un gazoduc sous-marin dénommé Eastmed reliant les champs gaziers au Péloponnèse en passant par la Crète. 4 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 99 Questions EUROPÉENNES projet TAP est entré dans une phase de réalisation concrète depuis plusieurs mois. Athènes semble ne plus accorder non plus beaucoup de crédit au projet russe de construction d’un oléoduc reliant le port bulgare de Burgas sur la mer Noire à celui d’Alexandroupolis en mer Égée, en contournant les détroits. Si le sujet est encore évoqué dans les rencontres bilatérales, il reste à l’état de projet, à l’instar du projet de raccordement de la Grèce au gazoduc South Stream, auquel Bruxelles s’oppose, tout particulièrement depuis que la crise ukrainienne s’est envenimée 5. Dans ce contexte, les Balkans, la Méditerranée orientale et la Turquie continuent de jouer un rôle majeur dans la définition des priorités stratégiques du pays. Une stratégie à découvert Le viatique méditerranéen Ainsi qu’en témoigne son engouement initial en faveur de l’Union pour la Méditerranée (UpM), la Grèce met un point d’honneur à penser globalement l’espace méditerranéen 6. Ses réticences à l’égard des forums opérant un cloisonnement strict de cet espace s’expliquent avant tout par sa crainte d’y être marginalisée. Plusieurs formes de régionalisation trouvent néanmoins grâce aux yeux d’Athènes dès lors qu’elles associent le pays à leurs projets – ainsi de l’Initiative adriatique ionienne et de l’Organisation de la coopération économique de la mer Noire. Dans l’esprit des autorités grecques, l’élaboration de la stratégie de sûreté maritime de l’Union européenne (SSMUE) durant la présidence grecque de l’Union représente une chance d’empêcher le fractionnement des espaces 5 Au début du mois de juin 2014, la Commission a proposé de suspendre South Stream tant qu’il ne sera pas conforme au droit communautaire (la société russe Gazprom, maître d’œuvre du projet, étant en situation monopolistique). Sur cette question, voir Céline Bayou, « Le gazoduc South Stream. Pari de la Russie pour éviter l’Ukraine », P@ges Europe, 6 mai 2014 (www.ladocumentationfrancaise. fr/pages-europe/d000725-le-gazoduc-south-stream.-pari-de-larussie-pour-eviter-l-ukraine-par-celine-bayou/article). 6 Voir le dossier « La Méditerranée. Un avenir en question », Questions internationales, no 36, mars-avril 2009. 100 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 maritimes. Son adoption lors du Conseil européen de la fin du mois de juin fut même élevée au rang de priorité. Athènes s’est également réengagé au sein de l’opération Atalanta, active au large des côtes somaliennes 7, et a indiqué sa disponibilité pour prendre part à l’éventuel lancement d’une opération dans le golfe de Guinée. Le poids des armateurs grecs dans le commerce maritime mondial explique cette approche décloisonnée, renforcée par l’essor des enjeux migratoires. En effet, l’afflux de réfugiés en provenance du Proche et du MoyenOrient, joint à la porosité des frontières, fait de la Grèce le principal point d’entrée de l’immigration clandestine dans l’espace Schengen. Malgré ce constat, les efforts déployés par Athènes pour sensibiliser ses partenaires européens souffrent de la forte médiatisation des flux migratoires vers Lampedusa en Italie. Ces dernières années, Athènes n’en a pas moins effectué des gestes forts, obtenant le renforcement de l’action de l’Agence Frontex 8, ou le déclenchement d’une mission d’intervention rapide 9 à sa frontière terrestre avec la Turquie. Elle a en outre entrepris la construction d’une clôture sur la portion non délimitée par le fleuve Evros. De même, Athènes espère que la signature d’un accord de réadmission 10 entre Bruxelles et Ankara, au mois de décembre 2013, renforcera l’accord bilatéral conclu précédemment entre les deux pays. Cette stratégie offensive de mobilisation des partenaires européens s’accompagne d’une amélioration du traitement de la question migratoire par la Grèce. La révision de son plan d’action pour l’asile et la migration s’est récemDeux années durant, vu sa situation financière, la Grèce avait été contrainte par la troïka de se retirer de cette première opération maritime de la PSDC, dont elle avait assuré le premier commandement opérationnel, et qui jouit d’un fort soutien public et institutionnel dans le pays. 8 Un centre opérationnel régional a été ouvert dans le port du Pirée en 2011. 9 Déployé pour la première fois de novembre 2010 à mars 2011, ce dispositif intitulé Rabit est conçu pour réagir à des situations d’urgence requérant un renforcement de l’assistance technique et opérationnelle aux frontières extérieures de l’État membre à l’origine de la demande. 10 Ces accords imposent aux États d’où sont originaires les immigrés clandestins (ou par lesquels ils ont transité) de les accueillir de nouveau après qu’ils ont fait l’objet d’une procédure d’expulsion dans les États européens où ils ont été interpellés. 7 L a présiden c e g r ec q ue d e l’U n ion eur op é e n n e : e n t re ré h a b i l i t a t i o n e t s i n g u l a ri t é © Flickr / Ministère des Affaires étrangères de Grèce Entretien du ministre des Affaires étrangères grec Evángelos Venizélos avec le Président iranien Hassan Rohani le 16 mars 2014. ment traduite par l’ouverture de nouveaux centres de premier accueil dans les îles et en Attique, ainsi que par le raccourcissement des délais d’examen des dossiers. Un étranger proche si lointain La présidence grecque a également entrepris de sensibiliser de nouveau les États membres à l’intégration de la Turquie dans l’Union européenne, sujet qui ne passionne plus guère en Europe. Si, sur le fond, la société grecque y est récalcitrante, les autorités du pays font un calcul différent. À tort ou à raison, elles estiment que cette perspective constitue le seul levier efficace pour obtenir d’Ankara des concessions sur leurs multiples différends bilatéraux – délimitations territoriales en mer Égée, minorités, avenir du séminaire théologique orthodoxe de Chalki à Istanbul… – et, de ce fait, rééquilibrer des relations délicates avec la Turquie. Telle est la raison pour laquelle, depuis 1999, la Grèce soutient le principe d’une adhésion turque à l’Union, notamment à travers l’ouverture de nouveaux chapitres de négociation. Pourtant, ni l’évolution de la situation politique en Turquie depuis la répression du mouvement de contestation interne en mai 2013, ni la rivalité croissante entre les deux pays, notamment depuis la confirmation du potentiel gazier en Méditerranée orientale, ne sont de nature à faire coïncider le calcul des élites grecques avec la sensibilité de la population. À la vérité, la Grèce a toujours moins cherché à capitaliser sur un rapprochement avec la Turquie qu’à exploiter les faiblesses de cette dernière. Alors que depuis la guerre froide les questions chypriotes et kurdes avaient grandement structuré les liens étroits noués entre la Grèce et le monde arabe, la dégradation des Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 101 Questions EUROPÉENNES relations entre Tel-Aviv et Ankara, en 2010 11, a contribué à accélérer le rapprochement avec Israël 12. L’accent mis sur les questions énergétiques et sécuritaires constitue une habile façon de donner à ce rapprochement une substance concrète et durable. Il permet aussi de minorer une dimension politique nécessairement mal perçue dans les capitales arabes et à Téhéran, alors qu’Athènes ne fait pas mystère de sa volonté de reprendre ses relations avec l’Iran à la faveur de la détente orchestrée par l’accord intérimaire conclu à Genève en novembre 2013. La Grèce a aussi tenté de mettre à profit sa présidence de l’Union européenne pour relancer le processus de rapprochement entre l’Union et les Balkans – dans la lignée du sommet organisé à Thessalonique en juin 2003. Même si les ambitions initialement contenues dans l’« Agenda 2014 » 13 ont été revues à la baisse, la tenue d’un nouveau sommet, dans la même ville, le 8 mai 2014, a montré un intérêt bien réel. Le soutien apporté à la poursuite du processus d’élargissement s’appuie sur le climat favorable créé par la normalisation des relations entre la Serbie et le Kosovo depuis le printemps 2013. Il repose aussi sur la prise de conscience du poids à venir des Balkans dans l’approvisionnement énergétique de l’Union européenne. Mais, à l’image de la posture affichée envers la Turquie, celle manifestée par Athènes vis-àvis de ses voisins balkaniques n’est que faussement encourageante. Elle a essentiellement pour objectif de s’appuyer sur l’Union européenne pour régler à son avantage les différends bilatéraux qui perdurent. L’Albanie l’a bien compris, qui s’efforce surtout de ne pas froisser son partenaire en esquivant les sujets qui fâchent ou en les ravalant à de simples questions techniques. L’État macédonien l’ignore, qui refuse de céder aux exigences grecques relatives à sa dénomination officielle. Même si les torts peuvent être partagés, ces deux États ne sont pas dupes des intentions de la Grèce vis-à-vis de son entourage. Depuis le veto opposé par la Grèce à l’entrée de l’État macédonien dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), lors du sommet de Bucarest au printemps 2008, en dépit des engagements pris 14, ils ne se font pas d’illusions sur sa détermination à user de tous les moyens pour obtenir satisfaction. Une présidence à nu Au-delà des cas évoqués ci-dessus, l’exemplarité attendue d’un pays exerçant la présidence de l’Union européenne peut apparaître comme un exercice malaisé du moment où elle contrevient à ses axes stratégiques forts. L’aggravation de la crise en Ukraine en constitue un exemple éloquent, alors qu’Athènes et Moscou entendaient capitaliser sur la présidence grecque pour engager un resserrement des liens entre la Russie et les pays occidentaux. Athènes et Moscou La Grèce comptait notamment s’appuyer sur sa double culture « européenne » et « chrétienne orthodoxe » pour plaider auprès de Bruxelles la question sensible de la suppression du régime des visas entre la Russie et l’Union européenne. Très attachée à cette position intermédiaire, elle avait déjà exprimé en fin d’année 2013 son inconfort vis-à-vis du modèle de Partenariat oriental promu par Bruxelles, jugeant qu’il conduisait les pays concernés à devoir opérer un choix impossible entre l’Union européenne et la Russie. Cette vision prémonitoire à l’aune des évolutions du premier semestre 2014 se doublait d’un appel à une Lassée du peu de résultats enregistrés par la médiation onusienne pour trouver une issue sur la question du nom de « Macédoine », la Grèce n’a pas hésité à enfreindre l’accord conclu en 1995, aux termes duquel elle s’engageait à ne pas faire obstacle à l’admission de l’État macédonien dans des organes collectifs, sous son nom transitoire agréé à l’ONU (Ancienne République yougoslave de Macédoine – ARYM). La Cour internationale de justice a rendu un avis favorable à l’État macédonien, le 5 décembre 2011, sans que cela n’influe d’une quelconque façon sur la position de la Grèce ou de l’OTAN. 14 L’arraisonnement du navire turc Mavi Marmara au large de Gaza par les forces de sécurité israéliennes avait entraîné le décès de neuf ressortissants turcs. 12 La première réunion du Haut-Conseil de coopération israélogrec s’est tenue en octobre 2013. 13 Arguant de l’objectif de réconciliation promu à l’occasion des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, la Grèce défendait l’idée d’une intégration de l’ensemble des Balkans. 11 102 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 L a présiden c e g r ec q ue d e l’U n ion eur op é e n n e : e n t re ré h a b i l i t a t i o n e t s i n g u l a ri t é réévaluation de ce Partenariat, tenant davantage compte des préoccupations de la Russie. Cette position à l’égard de Moscou s’explique par des intérêts bilatéraux forts. La visite du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov à Athènes, en octobre 2013 – la première en Grèce d’un ministre russe des Affaires étrangères depuis plus de dix ans –, avait été marquée par une volonté affirmée d’intensifier les échanges économiques, touristiques et énergétiques. De même, la visite du ministre russe de la Défense, au mois de décembre suivant, avait été l’occasion d’annoncer la conclusion d’un nouvel accord bilatéral ainsi que la réalisation d’une campagne de tirs des missiles S-300 installés en Crète 15. L’Ukraine La politique suivie par Moscou en Ukraine a toutefois rendu difficile pour Athènes de continuer à afficher son empathie avec Moscou. Réveillant le spectre d’un partage définitif de Chypre, l’annexion de la Crimée par la Russie a poussé la Grèce – certes en des termes mesurés et au nom de l’Union européenne –, au début du mois de mars 2014, à rappeler le principe du respect de l’intégrité territoriale et des frontières existantes. Elle l’a également conduite à apporter son soutien à des sanctions ciblées, tout en appelant à une solution politique – une formule diplomatique qui marque en fait un consentement face au fait accompli. Dans le même temps, Athènes a suggéré la reprise des négociations en vue de signer un accord d’association avec Kiev, un processus au cours duquel les autorités ukrainiennes se verront rappeler le respect des minorités nationales et linguistiques du pays 16. La Syrie L’embarras grec a également été manifeste à propos du dossier syrien. La proximité d’Athènes 15 Les forces armées grecques ont effectué le 13 décembre 2013 les premiers tests de missiles russes S-300 dans le cadre de l’exercice Aigle blanc 2013. Les missiles n’avaient jamais été employés depuis leur acquisition en 1997-1998, suite à la crise diplomatique ayant opposé Nicosie à Ankara. 16 La diaspora grecque d’Ukraine, relevant des « Pontiques », est évaluée par Athènes à 100 000 personnes. avec les positions russes repose autant sur la préservation d’intérêts économiques forts 17 que sur la sécurisation de la situation de la population gréco-orthodoxe vivant dans ce pays 18. Sous cet angle, le radicalisme islamique promu par certaines composantes de l’opposition syrienne n’est pas de nature à rassurer les autorités grecques. Celles-ci escomptaient une perpétuation du régime de Bachar al-Assad, avant-même la conclusion au mois de septembre 2013 d’un accord américano-russe sur la destruction de l’arsenal chimique détenu par Damas. Une société à vif L’ampleur de la crise économique et sociale depuis 2008 a contribué à mettre en évidence un certain nombre de pratiques connues, mais tolérées avec beaucoup de désinvolture. Bien qu’inhérents à tout système politique et économique, le clientélisme, la corruption, la fraude fiscale ou l’économie souterraine atteignent en Grèce des proportions rarement égalées dans le reste de l’Union européenne 19. Ces pratiques interrogent en profondeur la société grecque. L’étalage des innombrables privilèges détenus par l’Église orthodoxe grecque, son peu d’empressement à fournir sa part de l’effort collectif, à l’instar des riches armateurs plus attachés à préserver leur situation dans un univers mondialisé qu’à s’acquitter d’impôts et redevances dans leur propre pays, trahissent une société plus individualiste qu’il n’y paraît et dans laquelle l’État ne jouit que d’un faible crédit. Là est tout le paradoxe d’un pays qui, dans sa période moderne, s’est longtemps glorifié de sa capacité à mobiliser l’ensemble de la population hellénique (dont l’importante diaspora) autour d’un idéal et d’une identité commune, gommant les aspérités, les épisodes douloureux, les échecs. La Grèce s’était difficilement ralliée à l’embargo européen sur les phosphates qui a un impact direct sur son agriculture. À laquelle s’ajoutent les 1 000 ressortissants grecs présents en Syrie (contre 4 000 avant le début du conflit). 19 Le pays est classé à l’avant-dernier rang des États membres les plus corrompus et au 26e rang (sur 28) de ceux où l’économie informelle, estimée à un quart du PIB, est la plus développée. 17 18 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 103 Questions EUROPÉENNES Pourtant, les divisions actuelles révélées par la crise ne sont qu’une énième manifestation de fractures toujours vivaces qui ont jalonné la construction mouvementée du pays 20. Alors que le radicalisme des mouvances d’extrême gauche relève de pratiques ordinaires dans le pays, celui de l’extrême droite, plus récent, capitalise à l’envi sur un terreau déliquescent. Le succès du parti fascisant Aube dorée aux élections législatives de mai et de juin 2012 – où il a obtenu près de 7 % des voix et 18 sièges de députés –, sa popularité grandissante, les soutiens dont il bénéficie auprès de certaines catégories socioprofessionnelles suggèrent qu’il s’agit d’un phénomène ancré dans la durée 21. Certes, la campagne de « harcèlement légal » menée par les autorités contre ce parti, depuis l’assassinat d’un militant antifasciste par ses sympathisants, le 17 septembre 2013, traduit une capacité de réaction salutaire. De même, le recentrage progressif du principal parti d’opposition (Syriza), les efforts de renouvellement des cadres du Parti socialiste grec (PASOK) et de la Nouvelle Démocratie (ND), leur capacité à œuvrer aux réformes du pays au sein d’un gouvernement de coalition témoignent d’une faculté d’adaptation certaine dans un pays habitué au bipartisme jusqu’aux élections de 2012. Pour autant, l’érosion – même ralentie – des partis traditionnels lors des élections européennes du 25 mai 2014, la victoire en demi-teinte de la coalition de la gauche radicale Syriza 22 et, surtout, la percée réalisée par le parti politique néonazi Aube dorée (qui disposera de 3 sièges au Parlement) reflètent une société grecque de plus en plus partagée vis-à-vis du projet européen. ●●● Les autorités grecques doivent dorénavant convaincre les bailleurs de fonds internationaux et les électeurs de la profondeur du changement opéré et de la nécessité de poursuivre les efforts. Encore faut-il que les Grecs soient convaincus de la nécessité de changer, ce qui est particulièrement malaisé lorsque la complaisance et le déni sont des modes de fonctionnement ordinaires. Cette adaptation à un environnement changeant n’en est pas moins nécessaire dans le concert international. La Grèce y rechigne souvent, préférant généralement jouer sur tous les tableaux, quitte à rendre sa stratégie d’ensemble illisible. Même partiellement entravée, sa présidence de l’Union européenne lui a permis à coup sûr d’amorcer un mouvement marquant la fin de son déclassement. Celle de l’Italie, au second semestre 2014, devrait garantir le suivi de priorités qui leur sont communes : la bonne gouvernance financière, la lutte contre l’immigration clandestine, le développement d’une stratégie énergétique, les Balkans, les espaces maritimes… Autant d’horizons à redécouvrir. ■ Bibliographie Maximos Aligisakis, ● Claude Giorno, « La Grèce « Les raisons et les conséquences est-elle bientôt sortie de la de la crise grecque », Diplomatie, crise ? », Diplomatie, no 66, no 66, janvier-février 2014, janvier-février 2014, p. 85-89 p. 80-84 ● La Grèce est le pays d’Europe ayant connu le plus d’années de guerre – y compris civiles – durant le siècle passé. 21 Voir Amélie Poinssot, « Aube dorée, une ombre menaçante sur la société grecque », P@ges Europe, 5 novembre 2012. 22 Le leader de ce parti, Alexis Tsipras, était aussi le candidat de la Gauche unitaire européenne à la présidence de la Commission européenne. 20 104 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Olivier Delorme, La Grèce et les Balkans. Du Ve siècle à nos jours, 3 tomes, Gallimard, Paris, 2013 ● Regards sur le MONDE La recomposition du Moyen-Orient après les printemps arabes * Xavier Hautcourt Xavier Hautcourt * est diplômé de Sciences Po Paris. Chercheur et consultant, ses travaux Ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler les « printemps arabes » a créé un bouleversement enjeux politiques et militaires au Moyen-Orient depuis 2006. majeur dans les régions du Maghreb et du Moyen-Orient. La complexité de ces événements rappelle à l’observateur la multiplicité des facettes de la révolution aussi bien que la capacité des acteurs à la réinventer en fonction des époques et des lieux. Si l’avenir du cycle révolutionnaire qui s’est ouvert avec les révolutions de 2011 est encore incertain, un premier bilan peut toutefois être tenté. portent sur le renouvellement des Avec les printemps arabes est réapparu le « monde arabe » comme espace géopolitique et sous-ensemble régional cohérent. Depuis le déclin du panarabisme, et les accords de Camp David, le concept de « monde arabe » avait laissé la place à celui de Moyen-Orient et de « monde musulman ». La normalisation des relations entre Israël et l’Égypte, puis l’effondrement de l’Irak, avaient consacré un vide de puissance au sein de cette région, favorisant l’émergence des puissances périphériques, non arabes. L’Orient arabe, ce « géant somnolent », s’est soudain réveillé, surprenant la majorité des acteurs et des observateurs de la région, et obligeant chacun à se repositionner en fonction de cette nouvelle vague révolutionnaire. Après trois ans, ce nouveau cycle n’a pas encore atteint son terme, mais, en dépit des différences propres à chaque pays, certaines caractéristiques communes aux différentes situations révolutionnaires peuvent déjà être recensées. Réapparition des « sociétés arabes » Les printemps arabes ont remis, paradoxalement, au centre de la région les sociétés arabes, démontrant l’existence d’une conscience collective et d’une solidarité arabes, enracinées dans des pratiques militantes et des référents idéologiques communs. Cette conscience collective arabe, révélée par les révolutions du printemps 2011, s’est exprimée par des pratiques similaires d’un pays à un autre : des manifestations massives, non contrôlées par les formations politiques, qui prirent le plus souvent la forme de sit-in dans des lieux fortement symboliques. Ces mouvements populaires ont transcendé les classes sociales aussi bien que les générations, en donnant un rôle de premier plan aux jeunes (les chebab) et aux femmes. Les mêmes mots d’ordre furent scandés par les manifestants pour appeler à la fin Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 105 Regards sur le MONDE de régimes autoritaires, corrompus et se maintenant au pouvoir grâce à leurs appareils sécuritaires. Les réseaux sociaux sur Internet ainsi que les chaînes d’information arabes jouèrent un rôle incontournable dans la mobilisation des manifestants et donnèrent une dimension transnationale à ces mouvements 1. Les médias arabes contribuèrent à diffuser les événements d’un pays vers un autre, à créer des formes d’identification et de solidarité entre les acteurs. La fièvre révolutionnaire s’étendit rapidement à l’ensemble des pays de la région. Un soulèvement national en encourageant un autre, l’admiration suscitée par les sacrifices des uns galvanisant la révolte des autres. Le tabou de la peur face à la répression des services de sécurité fut peu à peu brisé, ce qui n’empêcha pas ceux-ci de réagir, avec plus ou moins de force selon la nature des régimes en place. La Syrie constitue certainement le cas le plus dramatique. Les sociétés arabes s’étaient au fil des années effacées derrière les surenchères déclamatoires autour du thème de l’arabité et les différentes mythologies nationales, au point de devenir des entités mythifiées, justifiant le maintien au pouvoir de régimes autoritaires. Coupés des réalités socioéconomiques vécues par les populations, ces régimes avaient fini par perdre une grande part de leur légitimité. C’est précisément cette perte de légitimité qui fut le moteur des mobilisations populaires de l’année 2011. Partout, les thèmes de la dignité, de la liberté et de la justice furent au cœur de la mobilisation populaire, démontrant une forte aspiration de ces sociétés à reprendre en main leur destin en tant que communautés nationales et comme parties d’un même ensemble identitaire, le monde arabe. La dénonciation des régimes en place a également porté sur les relations clientélistes qu’entretenaient ces derniers avec des puissances étrangères au monde arabe, perçues comme impérialistes. La question des acteurs extérieurs Sur le sujet, voir le dossier « Internet à la conquête du monde », Questions internationales, n° 47, janvier-février 2011, et notamment l’article de Youssef El Chazli, « De quelques usages politiques d’Internet sur les bords du Nil », qui prédisait la chute du régime de Hosni Moubarak à partir d’une mobilisation des Égyptiens sur les réseaux sociaux. 1 106 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 et de leurs agendas visant à reconfigurer la région selon leurs intérêts stratégiques, aussi bien politiques qu’économiques ou militaires, alimenta largement les multiples rhétoriques du complot qui se sont emparées de la région. La peur de complots ourdis par des puissances extérieures contribua à rapprocher les populations et à raviver le sentiment d’une commune appartenance culturelle et d’un destin partagé. Les mouvements populaires, s’ils ont exprimé une aspiration claire à plus de libertés politiques et de justice sociale, ont aussi révélé l’ampleur des frustrations, notamment parmi les jeunes générations, privées de perspectives d’avenir du fait du chômage de masse et des privilèges accordés aux bourgeoisies d’État. Les mobilisations populaires de 2011 exprimèrent donc l’exaspération des sociétés arabes face à des systèmes verrouillés et l’envie de bâtir un nouveau cadre dans lequel la vie quotidienne ne se limiterait pas à une lutte pour assurer une simple subsistance aux siens. Au printemps 2011, les sociétés arabes se prirent littéralement à rêver d’une vie meilleure, d’une vie décente. Des mythologies révolutionnaires conflictuelles Jusqu’à 2011, ce sentiment de commune appartenance au monde arabe, cette solidarité « arabe », s’était surtout exprimée lors des manifestations de soutien à la cause palestinienne, lors de l’invasion de l’Irak ou encore lors des différents épisodes du conflit israélo-libanais. Au moment de ces manifestations, peu ou prou instrumentalisées par les régimes en place, les populations avaient exprimé leur révolte face aux injustices et aux malheurs vécus par leurs coreligionnaires aussi bien que leur admiration pour le courage de ces « résistants » qui osaient tenir tête aux puissances militaires américaine et israélienne. Lors de la « guerre de Juillet » 2, des manifestations avaient eu lieu dans toutes les grandes capitales arabes, faisant du leader 2 Il s’agit de la guerre qui, en juillet 2006, a opposé Israël au Hezbollah à la frontière israélo-libanaise. L a r ec om p os it ion d u M oye n - Ori e n t a p rè s l e s p ri n t e m p s a ra b e s de l’organisation chiite Hezbollah, Hassan Nasrallah, le nouveau Gamal Abdel Nasser. À la faveur des soulèvements de 2011, ces références aux grandes figures du nationalisme arabe et à l’Intifada palestinienne ressurgirent, mais cette fois pour exprimer un refus des régimes politiques existants. Les mouvements populaires, apolitiques dans leur très grande majorité, reflétant la dépolitisation forcée des dernières décennies, se sont alors tournés vers le passé pour trouver des éléments de réponse aux interrogations soulevées par le renversement des régimes en place : quel modèle d’État mettre en place avec quel régime politique ? quel modèle de société ou de « vivreensemble » construire ? quel sens donner à ces nouveaux soulèvements révolutionnaires au regard des expériences du passé ? Autant de questions dont se sont emparées les forces politiques laïques de gauche, nationalistes ou islamistes qui se sont empressées d’essayer de combler le vide politique et idéologique créé par le vacillement des régimes politiques au pouvoir. Chacun, selon son expérience de vie ou son univers politico-culturel et religieux, chercha des réponses dans les épisodes révolutionnaires du passé, se référant à des mythes et à des théologies révolutionnaires différentes et parfois conflictuelles. Pour les uns, ce furent les luttes de l’entre-deux-guerres et le mouvement de la « renaissance arabe » ; pour d’autres, les révolutions des années 1950 et la figure de Nasser ; pour les derniers, il s’agit des luttes islamistes du tournant des années 1970 et 1980. La bipolarisation des sociétés arabes et l’« effet Al-Jazeera » Très vite, à mesure que la bipolarisation des espaces publics a crû, un malentendu s’est donc installé sur le sens à donner à ces épisodes révolutionnaires, aggravé par une couverture médiatique fortement partisane des événements. Comme la station de radio d’État la Voix des Arabes dans les années 1950 avait permis de mobiliser de larges pans de la société égyptienne autour du projet nassérien, Al-Jazeera a eu, dès les premiers moments des mobilisations populaires, un effet catalyseur sur les populations, n’hésitant pas à encourager les soulèvements, au prix parfois de grossières manipulations médiatiques. Les acteurs ont vite dû se déterminer en fonction d’un clivage « mou’ayed/moua’red » (loyaliste/opposant), chacun prétendant incarner les aspirations du peuple et accusant l’autre de traîtrise envers la nation. Un autre clivage « madani-‘ilmani/ikhwani » (civil-laïc/frériste, en référence aux Frères musulmans) s’est par la suite superposé au premier clivage « loyaliste/ opposant ». Ces clivages ont été accentués par les médias, qui sont vite devenus le relais de ces positions partisanes et souvent caricaturales, car faisant fi des spécificités locales. Presque partout le rapport de force a tourné à l’avantage des mouvements islamistes, et aux promesses de liberté et de changement de la révolution a succédé une « réaction » qui se proposait de ré-islamiser, parfois manu militari, la société ; quand ce n’étaient pas les régimes conspués qui se lançaient dans des campagnes de répression de grande ampleur ayant ensuite dégénéré en guerres civiles. Les dénominations de « terroriste » ou de « collaborateur », qui font écho à celles de « résistant » ou de « patriote », se sont développées à mesure que la confrontation entre les deux parties de la société se militarisait. Les terminologies ont été reprises d’un pays à un autre, reflétant la manière dont les acteurs se positionnaient en fonction d’enjeux nationaux, mais également en fonction d’enjeux liés aux autres scènes politiques de la région. Ainsi, les opposants « laïcs » égyptiens, par opposition au pouvoir islamique en place dans leur pays, étaient plutôt favorables au régime baasiste de Damas et opposés à l’armée libre syrienne, perçue comme « islamiste ». La « vague verte » et l’« effet Tamarod » La « vague verte » qui a succédé aux révolutions de 2011 s’explique aussi bien par des facteurs internes qu’externes aux pays de la région. Au plan interne, les mouvements islamistes, liés en majorité aux Frères musulmans, largement réprimés dans les années 1970 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 107 Regards sur le MONDE et 1980, ont délaissé le champ politique pour lentement, mais sûrement, mailler les sociétés en investissant le champ social et, dans une moindre mesure, le champ économique, face à des États ayant délaissé de larges pans de la société au nom d’une ouverture économique ne profitant qu’à une classe d’affaires proche du pouvoir. Au plan externe, la remise en cause des régimes en place a créé de nouvelles fenêtres d’opportunité pour des États comme le Qatar, la Turquie ou encore l’Iran, cherchant à s’affirmer comme puissances régionales. Le Qatar, la Turquie et, dans une moindre mesure, l’Arabie saoudite ont largement contribué, avec le soutien de certaines puissances occidentales, à renforcer l’influence de la confrérie des Frères musulmans dans la région. En deux ans, l’échec des mouvements islamistes à diriger les pays où ils ont pris le pouvoir, à la suite d’une élection ou d’une contestation armée, est pourtant devenu patent. Cette situation a conduit au développement d’une deuxième vague révolutionnaire, qui se veut moins une contre-révolution que la volonté de poursuivre la révolution et de concrétiser les objectifs initiaux de celle-ci. La révolution aurait été usurpée par les mouvements islamistes, qui n’ont pas réalisé leurs demandes et les objectifs initiaux des mouvements révolutionnaires du début de l’année 2011 ; c’est le sens du mouvement égyptien Tamarod (« rébellion » en arabe) et de ses avatars tunisien ou palestinien. Cet « effet Tamarod » a exprimé aussi bien les désillusions de ces sociétés face à un processus révolutionnaire « usurpé » par les forces islamistes nouvellement au pouvoir que la volonté de clore le cycle révolutionnaire commencé au printemps 2011 pour transformer les idéaux révolutionnaires en véritable révolution politique. Tamarod incarne tous les questionnements identitaires et politiques de ces sociétés confrontées à la problématique, symbolique de la modernité politique, du passage d’une société « polémique » à une société « politique », où les conflits sociaux sont réglés par la négociation et le dialogue. La société polémique est caractérisée par une gestion par la force des conflits sociaux et 108 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 une conception du politique essentiellement appuyée sur un clivage ami-ennemi. Ce critère fondamental du politique explique aussi bien la bipolarisation qui existe au sein des sociétés et au niveau régional que la dualité qui émaille l’ensemble des discours et des perceptions des acteurs (loyaliste/opposant, terroriste/partisan, laïc/religieux, etc.). Ainsi, avec la contestation révolutionnaire, c’est aussi le rôle des forces armées au sein de l’État et de la société qui est contesté, posant la question de savoir qui détient l’usage légitime de la force et pour quoi faire. Contestation populaire et guérillas révolutionnaires Un premier bilan des révolutions du printemps 2011 serait incomplet s’il n’abordait pas les dimensions militaires du « printemps arabe », car la guerre révolutionnaire est une des multiples facettes de la révolution. Ignorer les aspects « combattants » des printemps arabes, c’est également faire abstraction d’une partie de l’univers de compréhension politique des sociétés de la région. La région est basée avant tout sur des régimes « polémiques » et non « politiques », au sens où le mode normal de gestion des rapports sociaux passe par la violence et non par le débat démocratique. Une grande partie des référents politiques et idéologiques des sociétés arabes sont liés aux luttes d’indépendance et aux multiples épisodes du conflit israélo-palestinien. Au cours des trois dernières années, des similitudes ont pu être notées dans la manière dont certains mouvements contestataires, au départ pacifiques, ont fait le choix de la militarisation, à l’image des oppositions libyenne, yéménite ou encore syrienne. Ces similitudes s’expliquent par plusieurs facteurs, au premier rang desquels le fait que les missions des forces armées des régimes en place étaient surtout orientées vers la sécurité intérieure et la répression. Selon la nature plus ou moins autoritaire des régimes, la dureté de la répression a grandement différé d’un pays à l’autre, la Libye et la Syrie apparaissant comme les cas les plus dramatiques. L a r ec om p os it ion d u M oye n - Ori e n t a p rè s l e s p ri n t e m p s a ra b e s Ensuite, les faits d’armes de groupes « résistants » comme le Hezbollah ou le Hamas inspirèrent sans nul doute les mouvements contestataires qui basculèrent dans la lutte armée. On vit ainsi les oppositions armées reprendre à leur compte des techniques de guérilla utilisées par le Hezbollah et le Hamas – recours aux armes antichars, construction de roquettes artisanales, etc. –, quand ces derniers n’intervinrent pas directement sur les théâtres d’opérations pour appuyer un camp ou aider à la formation des combattants. L’influence des puissances étrangères sur les mouvements contestataires, aussi bien en termes politiques que financiers ou encore logistiques, contribua largement à la militarisation de certaines oppositions. Les combattants de la Brigade libyenne, après la fin de l’opération en Libye, arrivèrent ainsi en Turquie pour aider à la formation de l’Armée syrienne libre, alors que des combattants palestiniens liés au Hamas venaient de Gaza combattre en Libye. Le nouveau pouvoir libyen transféra d’ailleurs de nombreuses armes, fournies par les puissances occidentales, aux combattants du Hamas à la suite de la guerre. Le déplacement des combattants et des armements d’un théâtre d’opérations vers un autre, au nom d’une solidarité « arabe » ou au nom d’un jihad transnational pour les formations liées à Al-Qaida, a contribué à la complication des conflits, en créant des multiples guerres dans la guerre au fur et mesure que se formaient de nouvelles milices armées où affluaient les combattants étrangers. La fragmentation des oppositions armées a atteint un tel niveau qu’elle pose désormais la question du risque d’éclatement de certaines entités nationales en différentes sous-entités autonomes, plus ou moins homogènes au plan confessionnel et ethnique. Les groupes armés se sont également dotés de moyens de communication et ont appris à médiatiser leurs opérations, en suivant le modèle pionnier d’Al-Manar, la chaîne du Hezbollah. La couverture médiatique des conflits a connu un véritable tournant au printemps 2011 en faisant de Skype et de YouTube les relais privilégiés de l’information. Des images et des témoignages sortis d’un contexte très local, difficilement vérifiables, furent propulsés instantanément à un niveau global. Le visage du correspondant de guerre devint celui d’un anonyme racontant sa part de vérité du conflit, sans aucune prise de distance, objectivité ou analyse. Les médias devinrent peu à peu les relais de la propagande des différentes parties, ce qui leur a valu la dénomination de « bouq » (trompette). Al-Jazeera et Al-Arabiya furent les porte-voix des oppositions, alors que les médias nationaux ou liés à la sphère d’influence russo-iranienne continuèrent de soutenir les thèses des régimes en place. De médias de guerre, on passa rapidement aux médias en guerre, suivant ainsi la voie lancée par les médias du Hezbollah ou du Hamas. Vers une décomposition étatique au Moyen-Orient ? Les différentes facettes, politiques et militaro-sécuritaires, des printemps arabes ont eu un impact certain sur les rapports de force dans la région. On a ainsi vu certaines alliances se rompre et de nouveaux rapprochements s’opérer. La Turquie a définitivement rompu ses liens avec le régime de Damas, ce dernier a mis fin à sa relation avec le Hamas. La Turquie et le Qatar se sont rapprochés, la Russie et l’Iran aussi. L’axe turco-qatari, favorable aux Frères musulmans, appuyé par certaines puissances occidentales, s’oppose à un axe irano-russe, qui prétend à un rôle de contrepoids aux influences américanoisraéliennes dans la région. L’Arabie saoudite, depuis le début de l’année 2013, mais surtout à la faveur du changement de pouvoir en Égypte, tente d’incarner une troisième voie. Or, la série d’offensives lancées à partir du début du mois de juin 2014 par la mouvance sunnite radicale l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) en Irak et en Syrie est venue compliquer une situation régionale déjà très tendue. Le soutien apporté par certaines franges de la population sunnite irakienne aux combattants de l’EIIL exprime moins une conjonction idéologique qu’un fort ressentiment à l’égard du pouvoir fédéral de Bagdad, accusé de favoriser les chiites et de servir les intérêts du puissant voisin iranien. Cette réaction armée qui Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 109 Regards sur le MONDE émane des régions à majorité sunnite sert aussi bien les intérêts de l’Arabie saoudite que ceux des Kurdes irakiens. La rapidité avec laquelle les combattants de l’EIIL se sont emparés de Mossoul, puis ont progressé le long de l’Euphrate en direction de Bagdad, a mis en lumière la fragilité de l’unité de l’armée irakienne. À l’inverse, les unités militaires kurdes (Peshmerga), qui sont très vite apparues comme la seule force locale capable d’affronter l’EIIL, pourraient profiter du vide laissé par la débandade de l’armée irakienne dans les provinces du Nord pour tenter de regrouper au sein d’un même espace géographique contigu des Kurdistans irakien et syrien. Désormais, l’EIIL menace de prendre Bagdad ainsi que certains territoires sur la frontière jordanienne. L’EIIL, qui a profité du début de la période du ramadan pour prendre le nom d’« État islamique » et proclamer son chef, l’émir Abou Bakr al-Baghdadi, nouveau « calife », constitue un défi aussi bien pour les intérêts américains qu’iraniens et pourrait paradoxalement favoriser un rapprochement, au moins ponctuel, entre les deux puissances. Les « révolutions » arabes, et les conflits qu’elles ont suscités, ont indéniablement contribué à compliquer l’équation régionale. Les mécanismes conflictuels liés au conflit israéloarabe, qui avaient dessiné les rapports de force de la région depuis le milieu du xxe siècle, ont été relégués au second plan pour laisser place à un affrontement, plus ou moins ouvert, entre deux systèmes d’alliances aux projets radicalement antagonistes. Au clivage entre les sunnites et les chiites, qui avait émergé à la faveur de la crise irakienne au milieu des années 2000, est venu se superposer un duel entre les États-Unis et la Russie dont la crise syrienne a révélé toute l’ampleur. La crise ukrainienne a démontré l’ambition de la Russie de retrouver le rôle de puissance mondiale qu’avait l’Union soviétique. Toutefois, il ne faudrait pas conclure trop vite à un retour de la guerre froide. L’activisme russe à l’égard des dossiers syrien et ukrainien expriment, au-delà des rodomontades sur la « Nouvelle Russie », le refus de Moscou d’abandonner, sans contrepartie, ce qui reste du dispositif stratégique soviétique au MoyenOrient et de la zone d’influence traditionnelle de la Russie en Europe centrale et orientale. 110 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Les nouvelles tensions régionales cachent en réalité un enjeu plus important, celui de la remise en cause des États-nations « à l’européenne » nés du démembrement progressif à partir du xixe siècle de l’Empire ottoman. Les conflits des Balkans des années 1990 et 2000 avaient déjà mis en évidence les risques issus de l’implosion de ces entités géographiques « arbitraires ». Le démantèlement de l’État irakien après 2003 et les affrontements confessionnels qui en ont résulté ont étendu le phénomène au Levant et à la Mésopotamie. En fragilisant les États-nations issus des accords Sykes-Picot (1916), les printemps arabes ont libéré des revendications nationalistes et confessionnelles qui avaient été étouffées par les régimes après les indépendances. Les soulèvements révolutionnaires de 2011 ont réveillé la mosaïque ottomane des « nations ». Le conflit syrien et ses répercussions irakiennes démontrent que la matérialité des frontières des États-nations dans cette partie de la région s’estompe. Ce sont les bases de la souveraineté nationale qui risquent dorénavant de s’effondrer pour laisser place à des nations ou à des États considérés comme « naturels ». Le risque d’implosion de certaines entités nationales n’est donc pas à écarter, notamment dans le cas de la Syrie, de l’Irak, de la Libye ou encore du Yémen. Or, l’éclatement d’un pays bénéficiant d’une position centrale au ProcheOrient, tel que la Syrie, déstabiliserait gravement ses voisins et donnerait un nouvel élan à des luttes indépendantistes que les États de la région se sont ingéniés à étouffer depuis plusieurs décennies. Le risque est d’autant plus important que les mouvements révolutionnaires de 2011 ont fait la preuve de l’influence déterminante que pouvaient exercer les acteurs non étatiques tant au niveau national que régional. Les printemps arabes ont sans aucun doute constitué un événement politique majeur pour les sociétés arabes. Ils vont certainement donner lieu à de nouveaux soubresauts révolutionnaires, la révolution se déroulant le plus souvent sous la forme d’un cycle au cours duquel se succèdent révolutions et contre-révolutions. ■ Les questions internationales à L’ÉCRAN > Zero Dark Thirty : polémiques autour du récit de la mort de Ben Laden Grégory Boutherin * Ayant toujours su faire de l’histoire l’une de ses matières premières, c’est fort logiquement que le cinéma – mais est docteur en droit public, chargé de également la télévision avec des séries comme Over mission au Centre d’études stratégiques There, 24 heures chrono ou Homeland – a fait sienne aérospatiales de l’armée de l’air . l’ère post-11 Septembre en portant à l’écran quelques scénarios sur fond de lutte contre le terrorisme, de guerre en Afghanistan ou en Irak. Réalisé par la réalisatrice et scénariste américaine Kathryn Bigelow, Zero Dark Thirty (2013) retrace la longue traque d’Oussama Ben Laden par la CIA, finalement conclue par son exécution au Pakistan en mai 2011. Acclamé par la critique, surtout dans les pays anglophones, le film n’en a pas moins donné lieu à une série de controverses. * Grégory Boutherin 1 Nombre des productions cinématographiques ou télévisuelles consacrées à l’après-11 Septembre ont largement été saluées par les critiques et primées par les académies, y compris par la plus prestigieuse d’entre elles qui, en 2010, a remis pas moins de six Oscars à Démineurs (The Hurt Locker) de Kathryn Bigelow, faisant d’elle la première femme oscarisée dans les catégories « meilleur film » et « meilleur réalisateur ». Il est alors un récit qui se devait d’être porté à l’écran, celui de la chasse à l’homme qui s’intensifia au lendemain du 11 septembre 2001 pour s’achever, une décennie plus tard, avec l’élimination d’Oussama Ben Laden. Un peu plus de trois ans après le succès de Démineurs, Kathryn Bigelow refit équipe avec le scénariste Mark Boal pour porter à l’écran cet épisode de l’histoire immédiate. Zero Dark Thirty se veut toutefois bien plus qu’une œuvre fictionnelle « inspirée d’une Les propos et réflexions exprimés dans ce texte n’engagent que leur auteur. histoire vraie », ses auteurs annonçant un récit « basé sur des comptes rendus de faits réels ». Cette simple annonce affichée en ouverture du film crée alors une attente de vérité. Mais ce qui fait la force de cette production est aussi à la source de controverses à propos de la véracité des faits rapportés, en particulier la question de savoir si les techniques d’interrogatoire renforcées (Enhanced Interrogation Techniques, EIT) utilisées par la CIA, autrement dit la torture, avaient ou non directement permis de remonter la piste jusqu’à Ben Laden comme le laissaient entendre K. Bigelow et M. Boal. Comment faut-il alors comprendre et regarder ce film ? S’agit-il d’un récit méticuleux de cette traque, d’un travail de journaliste porté sur grand écran ? Est-il cette « première ébauche historique consacrée à la mort de Ben Laden », comme l’affirme sa réalisatrice 2, ou n’est-ce qu’un tableau peint à grands traits, une fictionnalisation, des principaux événements ayant conduit 1 2 Interview réalisée par Olivier Delcroix, Le Figaro, 22 janvier 2013. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 111 Les questions internationales à L’ÉCRAN jusqu’à cette nuit de mai 2011 au cours de laquelle les Navy Seals 3 élimineront Oussama Ben Laden ? Un récit sous tension Comme tout film relatant un événement historique majeur, Zero Dark Thirty a ceci de particulier que son intrigue et son dénouement sont connus de tous les spectateurs avant même la projection. A priori, point n’est alors question de suspense. Pourtant, son intensité n’est en rien écornée. Aussi bien intrinsèque que contextuelle, la tension est peut-être d’ailleurs ce qui caractérise le mieux cette production. Elle l’entoura tout d’abord, diffuse, dès la phase d’écriture, puisqu’il s’agissait initialement de raconter la bataille de Tora Bora (décembre 2001), au cours de laquelle Ben Laden avait réussi à fuir, en adaptant le récit de Dalton Fury (Kill Ben Laden). Mais voilà que le 1er mai 2011 une opération permit de tuer Oussama Ben Laden. Un chapitre de l’histoire se clôt avec succès et Hollywood ne pouvait passer à côté. Changement de plan dans les bureaux de la production. Si K. Bigelow décide alors de raconter de l’intérieur le long chemin jusqu’à ce raid, elle se heurte toutefois à nombre de difficultés : « Je pensais que le film qui deviendrait Zero Dark Thirty ne verrait jamais le jour. Le but, qui était de faire un film moderne, rigoureux sur le contre-terrorisme autour de l’une des missions les plus importantes et classifiées de l’histoire américaine, était suffisamment exaltant et valable, ou du moins le semblait. Mais il y avait trop d’obstacles, trop de secrets et de dirigeants politiques qui semaient des embûches sur le chemin 4 ». La tension est ensuite intrinsèque, voire constitutive du film qui débute sur fond noir, avec, en extraits sonores, de brefs échanges téléphoniques que des occupants du World Trade Center eurent en ce matin du 11 Septembre quelques instants avant que les tours ne s’effondrent. Passé cet écran, la première scène ouvre sur une séance 3 Les Seals (acronyme de Sea, Air, Land : « mer, air et terre ») sont la principale force spéciale de la marine de guerre des États-Unis (US Navy). 4 « Kathryn Bigelow addresses Zero Dark Thirty torture criticism », Los Angeles Times, 15 janvier 2013. 112 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 d’interrogatoire, de torture, d’un terroriste par un officier de la CIA. Si l’entrée en matière est intense et marque les esprits, le film se déroule ensuite dans une esthétique de sourdine, avec un ralentissement du rythme témoignant de l’attente et du temps long de cette décennie faite de pistes, de désillusions, d’espoirs et de fausses routes, le tout cadencé par les attentats qui se poursuivent à Khobar (2004), Londres (2005), Islamabad (2008), Khost (2012)... Ce faux rythme, qui contribue à entretenir la tension, se poursuit jusqu’à la scène de l’assaut, filmée en angles subjectifs à travers les lunettes de vision nocturne des opérateurs américains, d’une durée sensiblement équivalente à la réalité. Kathryn Bigelow filme alors de manière tendue, coupée, alerte, intense, avec une manifeste intention de reconstitution. Là est justement la raison pour laquelle les tensions accompagneront également la sortie du film qui a vu naître nombre de polémiques. Alors que l’accueil général du public avait été plutôt positif, que de nombreuses nominations ont suivi – dont quatre aux Golden Globes et cinq aux Oscars –, que le film a reçu de très nombreux prix, les controverses ne se sont pas fait attendre – certains y verront même la principale raison expliquant que Zero Dark Thirty soit passé à côté du succès annoncé aux Oscars 2013. Il n’y obtiendra que la statuette récompensant le meilleur montage son (partagée avec Skyfall). Si, d’un point de vue esthétique, les critiques semblent s’accorder sur les mérites du film, ce sont les libertés que le scénario aurait prises à l’égard de la réalité qui ont posé problème et conduit à de virulentes réactions. Point névralgique et récurrent de ces dernières, le rôle crucial que le film attribuerait aux techniques d’interrogatoire renforcées dans l’obtention du renseignement ayant permis de remonter jusqu’à Ben Laden. Au-delà de l’esthétique, un film controversé L’efficacité des techniques d’interrogatoire renforcées en débat Le film s’ouvre brutalement sur Ammar, détenu dans un black site de la CIA. Exténué, Z e ro D ar k Thir ty : p olém iq ue s a u t o u r d u ré c i t d e l a m o r t d e B e n L a d e n affamé, et déjà visiblement brutalisé, il refuse toute collaboration, voire fait preuve de mépris à l’égard de Dan, l’officier chargé de l’interroger. Celui-ci aura alors recours, à trois reprises, à diverses techniques de torture : privation de sommeil, mise à nu, enfermement dans une boîte, waterboarding. Ammar finira par révéler le nom de celui qui s’avérera être le courrier de Ben Laden, son seul contact avec le monde extérieur. Les deux principaux reproches formulés à l’encontre du film tiennent à l’absence de regard critique sur ces méthodes et au fait de laisser entendre qu’elles auraient été efficaces pour remonter jusqu’à Ben Laden. Les journalistes ne furent pas peu nombreux à s’insurger et Kathryn Bigelow elle-même ne fut pas épargnée. Dans une lettre ouverte à l’intention de la réalisatrice, la journaliste Naomi Wolf ira jusqu’à la comparer à Leni Riefenstahl 5. D’autres, à l’image de la journaliste d’investigation Jane Mayer qui évoquera une « publicité mensongère pour la simulation de noyade », regretteront que le film ne s’interroge à aucune reprise sur ces techniques, qu’il ne reflète à aucun moment les débats qu’elles ont soulevés 6. S’il est vrai que Zero Dark Thirty adopte une approche froide, distante à l’égard de ces méthodes, laissant le spectateur gérer lui-même ses sentiments, de la même manière que l’officier de la CIA Maya (Jessica Chastain) dont on perçoit le malaise dans les premières scènes, reste qu’allusion est faite aux commissions d’enquête et à l’évolution du climat politique. Un plan passe d’ailleurs sur la diffusion de l’interview accordée par le président Obama, nouvellement élu, le 16 novembre 2008 à Steve Kroft dans l’émission 60 minutes de CBS, y affirmant clairement que les États-Unis ne torturent pas et qu’« il en va du redressement de la réputation morale de l’Amérique ». Si les réactions ne furent pas moins marquées dans le monde du cinéma, elles ont également été le fait de responsables politiques et en particulier des sénateurs Dianne Feinstein (présidente de la Naomi Wolf, « A letter to Kathryn Bigelow on Zero Dark Thirty’s apology for torture », The Guardian, 4 janvier 2013. 6 Jane Mayer, « Zero Conscience in Zero Dark Thirty », The New Yorker, 14 décembre 2012. commission du Sénat sur le renseignement), Carl Levin (président de la commission sur les forces armées) et John McCain. Les trois sénateurs ont ainsi adressé une lettre au PDG de Sony Pictures, distributeur du film, dans laquelle ils lui ont fait savoir que Zero Dark Thirty est « largement inexact et induit en erreur en laissant penser que la torture a permis d’obtenir des informations ayant conduit à la localisation d’Oussama Ben Laden ». Ils y soulignent que la torture doit être bannie parce qu’elle est inefficace pour obtenir du renseignement mais aussi parce qu’elle est – et à fort juste titre – interdite par les conventions de Genève, parce que c’est un « affront à l’honneur national de l’Amérique », et d’ailleurs de toute démocratie, et « parce que c’est mal ». Elle est finalement ni plus ni moins qu’une inacceptable perte de valeurs. La commission présidée par D. Feinstein a en outre récemment achevé un rapport (classifié) de 6 300 pages attestant que ces programmes n’ont pas permis à la CIA d’apprendre l’existence ou le nom du courrier d’Oussama Ben Laden 7. Michael Morell, ancien directeur de 5 7 Greg Miller, Adam Goldman, Ellen Nakashima, « CIA misled on interrogation program, Senate report says », The Washington Post, 31 mars 2014. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 113 Les questions internationales à L’ÉCRAN la CIA, fut de son côté un peu moins catégorique : « Le film crée la fausse impression que les techniques d’interrogatoire renforcées qui faisaient partie intégrante de notre ancien programme de détention et d’interrogatoire étaient la clé pour trouver Ben Laden. Cette impression est fausse […]. La vérité est que de nombreux flots de renseignement ont conduit les analystes de la CIA à conclure que Ben Laden était caché à Abbottabad. Certains provenaient de détenus soumis aux techniques renforcées, mais il y avait également de nombreuses autres sources 8. » On peut bien sûr rappeler que ce n’est pas pour mettre fin aux souffrances, physiques ou psychologiques qu’Ammar coopérera mais parce qu’il sera piégé par la ruse de Maya. La tête recouverte d’un hijab (témoignage de respect à son égard) elle lui fera croire autour d’un repas convivial, qu’il avait déjà commencé à trahir, bien qu’il l’ait oublié du fait de 96 heures de veille forcée. De même, le film montre l’inutilité de ces méthodes pour prévenir les attentats de Khobar et de Londres. Peut-on dès lors considérer que Zero Dark Thirty est un plaidoyer pour la torture ? Le scénariste Mark Boal se défendra en expliquant que « ce qu’oublient les détracteurs du film c’est que ces événements se sont déroulés. Les gens s’empoignent sur un plan théorique sur l’utilisation de la torture, mais ils oublient que ça s’est passé comme ça » 9. Kathryn Bigelow rappela pour sa part avoir « toujours été une pacifiste » qui « [s’]associe à toutes les manifestations contre l’usage de la torture et, plus simplement, contre toute forme de traitement inhumain ». Elle se demanda également si ces critiques ne devraient pas plutôt viser « ceux qui ont institué et ordonné ces politiques » et expliqua que « la torture était, comme nous le savons tous, employée durant les premières années de la traque. Cela « Statement to Employees from Acting Director Michael Morell », 21 décembre 2012 (https://www.cia.gov/news-information/press-releases-statements/2012-press-releasese-statements/message-from-adcia-zero-dark-thirty.html). 9 « Zero Dark Thirty, Mark Boal juge les critiques déloyales », Le Figaro, 22 janvier 2013. ne signifie pas qu’elle ait été la clé pour trouver Ben Laden. Cela signifie que c’est une partie de l’histoire que l’on ne peut ignorer » 10. À ceci près, comme l’explique le journaliste Peter Bergen, que « Zero Dark Thirty ne porte pas sur la guerre contre le terrorisme, il porte sur la traque de Ben Laden » 11. L’accès aux sources : les polémiques se poursuivent Comme si cela ne suffisait pas, le film a fait l’objet d’enquêtes de la part de l’administration américaine. L’une d’elle fut déclenchée suite à une lettre qu’adressa aux inspecteurs généraux de la CIA et du département de la Défense Peter King, député républicain de New York et président de la commission sur la sécurité nationale de la Chambre des représentants. Peter King y fit notamment part de ses inquiétudes sur les fuites dont aurait bénéficié l’équipe du film. Comme le releva en effet un rapport préliminaire de l’inspection générale du département de la Défense, publié en juin 2013 par le Project on Government Oversight, Mark Boal aurait participé à une réception au cours de laquelle le directeur de la CIA, Léon Panetta, aurait divulgué le nom de l’unité qui a conduit le raid et de son commandant ainsi que des informations classifiées, n’ayant pas eu connaissance a priori de la présence du scénariste dans la salle. Une autre enquête, conduite par la commission du Sénat sur le renseignement, s’est intéressée aux contacts que l’équipe du film avait pu avoir avec des responsables de la CIA. Il s’agissait de savoir si ces derniers avaient ou non transmis des informations sensibles mais également s’ils avaient contribué à donner un sentiment d’efficacité aux techniques d’interrogatoire renforcées. Hasard des calendriers, c’est au lendemain de la cérémonie des Oscars 2013, une déception pour l’équipe du film, que la sénatrice Dianne Feinstein a annoncé la fin de l’enquête au motif que la commission n’avait « pas besoin de demander de plus amples infor- 8 114 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Kathryn Bigelow, op. cit. Peter Bergen, « Washington is overreacting to Zero Dark Thirty », Time, 24 janvier 2013. 10 11 Z e ro D ar k Thir ty : p olém iq ue s a u t o u r d u ré c i t d e l a m o r t d e B e n L a d e n mations » puisque la CIA avait répondu aux différentes requêtes. 2 heures 30 pour une décennie : réalité versus fiction La question de l’accès aux sources renvoie évidemment à celle de l’exactitude des faits rapportés. Avec pour scénariste un journaliste d’investigation 12, Zero Dark Thirty se situe à mi-chemin entre fiction et réalité. C’est d’ailleurs ce flou, cette difficile qualification, ce chevauchement des genres qui ouvrent la porte aux controverses. S’il s’inspire de faits réels, et nombre d’événements et de détails présentés le sont, s’il s’appuie sur une véritable enquête journalistique, s’il se veut un premier témoignage d’un fait historique, le film n’en reste pourtant pas moins une œuvre cinématographique. Les personnages et leurs modèles Tous portent en eux une part de réel. Certains font directement référence à de véritables individus, comme Leon Panetta (directeur de la CIA), Jonathan Banks (chef de poste de la CIA à Islamabad), Jennifer L. Matthews qui fut tuée dans l’attentat de Khost, ou Roger, dit « Le Loup » (chef du National Counterterrorism Center) 13. D’autres personnages en revanche sont moins identifiables, comme Ammar (Reda Kateb) qui serait inspiré d’Ammar al-Baluchi, véritable neveu de Khalid Sheikh Mohammed, qui aurait effectivement contribué à remonter la piste du courrier sans avoir pour autant été soumis au waterboarding 14, et/ou de Mohammed al-Qahtani ainsi que le suppose Peter Bergen 15. C’est également le cas du personnage de Stephen Dillane qui s’inspirerait tout autant de John Brennan (qui fut Jordan Michael Smith, « The Many Faces of Mark Boal », The Nation, 14 juin 2013. Greg Miller, « At CIA, a convert to Islam leads the terrorism hunt », The Washington Post, 24 mars 2012. 14 Matthew Kaminski, « The Art and Politics of Zero Dark Thirty », Wall Street Journal, 15 février 2013. 15 Peter Bergen, « Zero Dark Thirty: Did torture really net bin Laden? », CNN.com, 11 décembre 2012. 12 directeur du National Counterterrorism Center puis conseiller du président Obama pour le contre-terrorisme et actuel directeur de la CIA) que de Tom Donilon, qui fut conseiller pour la sécurité nationale. Si le film ne se construit pas autour d’un super-héros 16, un personnage se détache toutefois, K. Bigelow et M. Boal ayant fait le choix non d’un regard panoramique ou d’angles multiples mais d’une perspective personnelle, du vécu, de la perception et de la quête, choix qui sont également ceux de Maya. Si le personnage de Jessica Chastain – inspiré d’un officier de la CIA – porte en quelque sorte le film, il n’en demeure pas moins mystérieux. Peu d’informations nous sont livrées sur Maya, seules de rares allusions nous restituent sa vie. Elle semble même n’en avoir aucune en dehors de l’Agence. Elle s’est donnée une mission et la poursuit avec ténacité, voire en fait une affaire personnelle, affirmant après l’attentat de Khost « je vais tuer Ben Laden ». Hésitante au début, en retrait et presque frêle dans son tailleur noir lorsqu’elle assiste pour la première fois à l’interrogatoire d’Ammar, Maya se fond rapidement dans cet univers âpre, s’endurcit tout au long du film. Si pour certains ce personnage désencombré de tout questionnement personnel, dont la dimension intérieure est à peine esquissée, sert parfaitement les besoins du film – car ce ne sont pas les ressorts émotionnels qui intéressent K. Bigelow, mais bien le récit de la traque –, d’autres y ont vu « une machine froide, sans passé ni famille, ni ami, ni amant, peut-être sans principe. Rien n’explique son implication féroce, maniaque, dans la recherche de Ben Laden » 17. Lorsque le chef d’Al-Qaida est tué, le vide affectif de cette Maya sans attache se fait plus profond. La suite de l’histoire – dans la vraie vie – est encore plus complexe, comme le raconte un article du Washington Post revenant en particulier sur l’ego démesuré de la véritable Maya 18. 13 Kathryn Bigelow, op. cit. Didier Péron, « Star traque », Liberation.fr, 22 janvier 2013. 18 Greg Miller, « In Zero Dark Thirty, she’s the hero; in real life, CIA agent’s career is more complicated », The Washington Post, 10 décembre 1012. 16 17 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 115 Les questions internationales à L’ÉCRAN Si, contrairement à ses précédents films, K. Bigelow accorde ici une place centrale aux femmes, cela ne relève pas du hasard. L’explication tient au fait qu’elles ont véritablement joué un rôle central dans cette traque 19. En revanche, le fait que les personnages soient finalement peu nombreux pourrait laisser penser que seuls quelques individus y ont été impliqués. Or cela n’est que le fait d’une nécessité cinématographique. Jose Rodriguez, ancien responsable des Counterterrorism Center et National Clandestine Service de la CIA, explique ainsi que si le mérite revient en effet « à une poignée d’officiers, principalement des femmes […], les succès et les échecs de cette mission furent le fait de nombreux individus » 20. Les forces comme les échecs : une approche globale Dès lors que l’on regarde au-delà des trois scènes de torture, on peut constater que Zero Dark Thirty repose sur une approche globale du renseignement. On y voit par exemple le rôle central des drones pour des missions d’observation dans la durée, celui du renseignement d’origine électromagnétique, à travers notamment les écoutes téléphoniques, et bien évidemment celui du renseignement humain, à travers de longues filatures, des repérages, de la surveillance d’axes routiers, etc. Le film expose en outre toutes les difficultés liées à l’analyse du renseignement, expliquant à quel point cela peut être complexe de l’exploiter, de distinguer renseignement utile, des « bruits » et fausses pistes. Il est également frappant de remarquer que les échecs qu’ont connus les États-Unis au cours de cette décennie sont exposés sans retenue. De ce point de vue, Zero Dark Thirty ne saurait apparaître comme un énième plaidoyer pro-américain dont Hollywood a le secret. Certes il témoigne de l’étendue des moyens, humains, matériels, financiers, dont le pays dispose. Certes le raid des Seals est efficace, bref, brutal, sans 19 Jean-Dominique Merchet, « Cette “bande de nanas” qui a coincé Ben Laden », Marianne, 29 janvier 2013. 20 Jose A. Rodriguez Jr., « A CIA veteran on what Zero Dark Thirty gets wrong about the bin Laden manhunt », The Washington Post, 4 janvier 2013. 116 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 appel. Certes la technologie mise en œuvre est avancée. Mais le film n’est pas un étalage à la gloire d’une Amérique toute-puissante. Bien loin de cela, il n’hésite pas à montrer toutes les difficultés qu’ont eues les États-Unis, ni même les faiblesses, la lenteur de l’administration, l’inertie du processus décisionnel, voire l’incapacité à prévenir certains attentats. Lorsqu’il réunit son équipe au lendemain de l’attentat de Khost qui coûta la vie à sept officiers de la CIA, George (Mark Strong) a cette phrase qui résonne comme un aveu de faiblesse : « On dépense des milliards de dollars. Il y a des morts. Et on n’est toujours pas près de vaincre notre ennemi. Ils nous ont attaqués, au sol en 1998, par la mer en 2000, par les airs en 2001. Ils ont assassiné 3 000 de nos concitoyens de sang froid. Ils ont massacré nos éléments avancés. » Plus qu’une fiction, moins qu’un documentaire Zero Dark Thirty est donc très ambigu. Si les critiques furent nombreuses, c’est bien parce qu’il leur a ouvert la porte. D’emblée ses auteurs l’ont présenté comme une œuvre dépassant la fiction, appelant un traitement brut des faits, dépourvu de tout sentimentalisme. Ce seul fait crée une attente de vérité. Qui plus est, K. Bigelow et M. Boal n’ont eu de cesse durant la promotion du film d’insister sur son réalisme le qualifiant l’une de « reported film », l’autre de « docu-drama » 21. Or, certaines libertés prises avec les faits l’éloignent de la réalité, de sorte que les premiers acteurs le perçoivent comme « une dramatisation, et non une représentation réaliste des faits » 22. Mark Boal expliquera alors que « sauf si on réalise un documentaire, à un moment donné, il faut retirer le costume de journaliste et passer celui de scénariste […]. C’est bien d’un film qu’il s’agit, et pour rendre compte d’une chasse à l’homme qui a duré dix ans en 2 heures 30, il faut être efficace » 23. Ann Hornaday, « Zero Dark Thirty and the new reality of reported filmmaking », The Washington Post, 13 décembre 2012. 22 Statement to Employees, op. cit. 23 Clara Beaudoux, « Zero Dark Thirty : quand la réalité devient fiction », France Info, 22 janvier 2013. 21 Z e ro D ar k Thir ty : p olém iq ue s a u t o u r d u ré c i t d e l a m o r t d e B e n L a d e n Le manque de cohérence est assez frappant : M. Boal et K. Bigelow conservent une marge d’ambiguïté considérable, n’assumant pleinement aucune des positions. Ni totalement fictionnel ni rigoureusement documentaire, Zero Dark Thirty baigne entre deux eaux. C’est précisément là que réside le principal danger selon Graham Allison, professeur à la Harvard’s John F. Kennedy School of Government : « Ce film, affirme-t-il, façonnera plus largement la vision qu’ont les Américains de la guerre contre Al-Qaida que les montagnes de livres et d’articles de référence 24. » ●●● Que Zero Dark Thirty ait suscité autant de débats n’est en rien étonnant. Mais quelle 24 Graham Allison, « Zero Dark Thirty has the facts wrong – and that’s a problem, not just for the Oscars », Christian Science Monitor, 22 février 2013. que soit la position à laquelle chacun se rallie, on ne devrait toutefois pas perdre de vue ce simple fait : tout cela tourne autour d’une œuvre cinématographique, avec son lot de libertés et de dramatisation. Si elle se veut, comme sa réalisatrice l’affirme, une « première ébauche historique consacrée à la mort de Ben Laden », là n’est pas son unique vocation. Un film, aussi historique que soit son propos, vise notamment et surtout à divertir et séduire son public. À cet égard, nous avons là une réussite, aussi bien d’un point de vue narratif que d’une approche purement cinématographique. Prenons finalement Zero Dark Thirty pour ce qu’il est, à savoir un film – « le théâtre est le théâtre, pas une scrupuleuse présentation des faits » 25. Mark Bowden, « Zero Dark Thirty Is Not Pro-Torture », The Atlantic, 3 janvier 2013. 25 COMPRENDRE LES ENJEUX DU MONDE ARABO-MUSULMAN Tous les trois mois, découvrez les meilleures analyses sur le Moyen-Orient accompagnées de cartes et illustrations. 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Alors que le grand poète Adam Mickiewicz proclame, dans sa première leçon au Collège de France, les apports éminents de l’âme polonaise à la pensée européenne et à la défense du continent, son collègue Jules Michelet dresse un portrait teinté de romantisme d’une Pologne foulée aux pieds par les trois empires qui se partagèrent sa dépouille. Dans cet affront fait à l’existence d’une nation qui se veut intrinsèquement européenne, la Russie porte d’après lui une lourde responsabilité, dont témoigne encore Czesław Miłosz, le poète et essayiste dissident polonais, prix Nobel de littérature en 1980, lorsque, aux débuts de la guerre froide, le rapprochement avec le communisme russe entraîna la ruine d’une indépendance nationale récemment recouvrée. À cet égard, le Premier ministre Tadeusz Mazowiecki, à l’heure de la souveraineté reconquise, présente l’Europe comme un espoir, sans rien cacher de l’amertume d’un peuple qui s’est senti trahi par les siens. Un destin slave et européen Adam Mickiewicz (1840) « […] Le désir de se rapprocher du reste de l’Europe, de former des liens étroits avec les nations de l’Occident, n’est nulle part aussi vif, aussi général que chez les peuples slaves. Parmi ces peuples, les uns ont obéi au droit des capitulaires, d’autres suivent encore aujourd’hui le Code Napoléon ; tous, ils ont reçu de l’Europe la religion, l’organisation militaire, les arts et les métiers, et ont réagi matériellement sur l’Occident. Cependant, ils sont encore aujourd’hui presque inconnus sous le rapport moral et intellectuel. L’esprit européen semble les tenir au seuil et les écarter de la communion chrétienne. N’ont-ils donc aucun élément de civilisation qui leur soit propre ? N’ont-ils 118 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 donc rien rapporté au trésor commun des richesses intellectuelles, des biens moraux de la chrétienté ? Le doute, à cet égard, serait pour les Slaves une grande injustice. Afin de prouver le droit qu’ils ont d’appartenir à la communauté chrétienne, les Slaves essaient depuis quelque temps de prendre eux-mêmes la parole, de parler votre langue, de pousser leurs œuvres dans le courant de votre littérature. Mais cet essai, jusqu’ici entrepris dans l’intérêt d’une personne, d’une opinion ou d’un parti, n’ayant pas réussi, on commence à comprendre que, pour fixer l’attention des peuples de l’Occident, distraits par tant de secousses, si diversement préoccupés, il ne suffit De l a Po l o g n e m a r t y re à l a Po l o g n e m e s s i e pas de leur montrer çà et là quelques points lumineux ; mais qu’il faut leur découvrir tout le champ de la littérature slave. […] […] L’histoire moderne des Slaves est étroitement liée à celle des nations de l’Occident. Dans les temps peu éloignés, on a vu une armée slave (l’armée russe) sur tous les champs de bataille, dans toutes les capitales de l’Europe. Cette armée, partout où elle mettait le pied, était sûre de rencontrer une autre armée slave (les légions polonaises) qui, sortant de dessous terre comme une ombre vengeresse, se dressait devant elle en Italie, la suivait du Niémen à Moscou, puis revenait lui barrer le passage à la Bérésina et sous les murs de Paris. Et après la chute du héros du siècle, quand toute l’Europe fut tranquille, on la vit de nouveau surgir tout à coup, frapper l’armée russe dans ses cantonnements, engager avec elle une lutte terrible, remplir le monde de bruit, ébranler les peuples de sa race ; et les autres, amis ou ennemis, les enflammer d’une brûlante inimitié ou d’une sympathie plus brûlante encore ; disparaître, enfin, en laissant derrière elle un long retentissement de douleur et de gloire. Partout l’aigle de Russie s’est rencontré avec l’aigle de Pologne ; toujours derrière le hurra russe s’est fait entendre le cri de guerre des Polonais. Si nous tournons nos regards vers le passé, qu’entendons-nous encore ? sinon l’écho répété de cette lutte où les deux armées combattent souvent pour une cause en apparence étrangère, où elles ne portent point leurs propres couleurs, où elles se reconnaissent seulement, a dit un poète, à la vigueur des coups ; de cette lutte qu’un Russe, le prince Wiazemski, a appelée “Une Thébaïde sans fin”. […] L’Occident croit que le Nord lui doit tout ce qu’il possède de lumière ; il peut y avoir, en effet, beaucoup de ses semences dans un état de végétation et d’épanouissement conforme à la nature du sol. Mais il y pourrait reconnaître aussi la préexistence de plusieurs découvertes, qu’il regarde comme exclusivement siennes. Notre naturaliste Zaluzianski, cent cinquante ans avant Linné, avait observé le sexe des plantes. Çiolek, surnommé Vitellio, a trouvé, dès le xiii e siècle, une théorie de l’optique, appuyée sur les mathématiques. Je passe sous silence d’autres illustrations, pour arriver à celui de nos savants qui est le plus généralement connu, à Nicolas Kopernik, qui a saisi les lois du monde solaire. Nous chercherons à nous expliquer comment, dans un pays peu avancé en civilisation, des penseurs ont pu s’élever à cette tension d’intelligence ; comment ce qui est partout le résultat d’un long travail, et ne se rencontre qu’après des recherche scientifiques sans nombre, semble, là, le produit d’une divination, et a pu apparaître à l’aurore même de la science. Nos pays étant agricoles, nous verrons que la botanique a dû naturellement occuper les méditations des hommes et s’enrichir des observations qui circulaient dans le domaine public. Vitellio dit, dans la préface de ses œuvres, que c’est en regardant briller les vagues de la petite rivière qui passe devant sa maison, qu’il a conçu, pendant les heures de repos champêtre, les premières idées de son système. Un grand écrivain français a dit que Kopernik, lisant la Bible, est arrivé à la haute pensée du vrai système solaire : cette conjecture peut ne pas être sans fondement. Mais un de nos compatriotes a deviné le vrai mobile, la vraie analogie de ces découvertes ; il a eu raison de dire que Kopernik a trouvé les lois du monde physique comme la nation polonaise a pressenti celles du mouvement du monde moral. Kopernik a détruit les anciens préjugés en montrant que le soleil est le foyer central des planètes ; la nation polonaise a lancé sa patrie autour d’une grande unité ; la même inspiration qui a fait de Kopernik un grand philosophe a fait de la nation polonaise le Kopernik du monde moral. » ■ Extraits de la « Première leçon d’Adam Mickiewicz au Collège de France le 22 décembre 1840 », parue dans Les Slaves. Cours professé au Collège de France par Adam Mickiewicz. Tome premier. Les pays slaves et la Pologne. Histoire et littérature, Au comptoir des imprimeurs unis, Paris, 1849, pages 4 et 11 à 13. [Nota bene : la graphie des noms propres du document d’origine a été respectée.] Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 119 Documents de RÉFÉRENCE On ne tue pas une nation Jules Michelet (1863) « Nous l’avons dit ailleurs, l’Europe n’est point un assemblage fortuit, une simple juxtaposition de peuples, c’est un grand instrument harmonique, une lyre, dont chaque nationalité est une corde et représente un ton. Il n’y a rien là d’arbitraire ; chacune est nécessaire en ellemême, nécessaire par rapport aux autres. En ôter une seule, c’est altérer tout l’ensemble, rendre impossible, dissonante ou muette, cette gamme des nations. Il n’y a que des fous furieux, des enfants destructeurs qui puissent oser mettre la main sur l’instrument sacré, œuvre du temps, de Dieu, de la nécessité des choses, attenter à ces cordes vives, concevoir la pensée impie d’en détruire une, de briser à jamais la sublime harmonie calculée par la Providence. […] L’ignorance, la préoccupation excessive de ce qui est près de nous, la profonde attention qu’on donne à des objets minimes, en négligeant toute grande chose, ont seules empêché, jusqu’ici, d’observer les conséquences effroyables qu’a eues le meurtre de la Pologne, la suppression de la France du Nord. On en a caché une partie à force de mensonges. C’est un fait prodigieux, et pour humilier à jamais l’esprit humain, que le monde des lumières et de la civilisation ait pu, depuis un demi-siècle, se laisser tromper là-dessus. […] En ces profondes ténèbres qu’ils avaient faites, les meurtriers sont venus et ils ont bravement juré sur le corps de la victime : “Il n’y a pas eu de Pologne : elle n’existait pas… Nous n’avons tué que le néant.” Puis, voyant la stupéfaction de l’Europe, son silence, et que plusieurs semblaient les croire, ils ont ajouté froidement : “Du reste, existât-elle, elle a mérité de périr… S’il y a eu une Pologne, c’était une puissance du moyen âge, un État rétrograde, voué (c’est là ce qui nous blesse) aux institutions aristocratiques. 120 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 – Moi, dit la Prusse, je suis la civilisation. – Et moi, dit la Russie (ou du moins ses amis le disent pour elle), moi, je suis une puissance amie du progrès, sous forme absolutiste, une puissance révolutionnaire.” Il n’est pas de mensonges hardis par lesquels les amis des Russes n’aient insulté, depuis vingt ans surtout, au bon sens de l’Europe. […] Phénomène terrible pour le monde, mais surtout pour la Russie elle-même. L’idée russe a faibli en elle, et elle n’a pas pris l’idée de l’Europe ; elle a perdu son rêve, qui était une autorité paternelle, et elle ignore la loi, cette mère des nations. Que serait-ce si elle n’avait encore, pour la tirer de ce néant où elle descend, une sœur qui comprend les deux autorités (la paternité et la loi) ; cette sœur, l’aînée des Slaves, dans laquelle est leur vie la plus intense ; cette sœur dont le génie a grandi, s’est approfondi sous la verge de la Providence et dans l’épreuve du destin ? Sans elle, sans cette infortunée Pologne qu’on croit morte, la Russie n’aurait aucune chance de résurrection. Elle pourrait troubler l’Europe, l’ensanglanter encore, mais cela ne l’empêcherait pas de s’enfoncer elle-même dans le néant et dans le rien, dans les profondes boues d’une dissolution définitive. Au reste, la Russie le sent. Malgré son atroce gouvernement, malgré le maître fou qui l’enfonce aux abîmes, elle sent bien que tout son espoir est dans cette pauvre Pologne. Elle le sent ; elle se souvient de la fraternité. Ce souvenir et ce sentiment sont à elle, Russie, sa légitimité, et c’est pourquoi Dieu la sauvera. Vivez, Pologne, vivez ! Le monde vous en prie, toutes les nations ; nul n’en a plus besoin que l’infortuné peuple russe. Le salut de ce peuple et sa rénovation sont pour vous De l a Po l o g n e m a r t y re à l a Po l o g n e m e s s i e une glorieuse raison d’être. Plus il descend, ce peuple, plus votre droit de vivre augmente, plus vous devenez sacrée, nécessaire et fatale. » ■ Extraits de Jules Michelet, La Pologne martyr, É. Dentu, Libraire-éditeur, Paris, 1863, chap. « Kosciusko », pages 9-10, 12-13 et 15-16. La nation polonaise à l’épreuve du communisme Czesław Miłosz (1953) « Peut-on s’étonner de ce que nous ayons considéré la Russie comme le pays où l’on avait trouvé la solution de tous les problèmes qui nous obsédaient, l’unique pays qui pût nous sauver de malheurs aisément imaginables lorsqu’on écoutait à la radio les discours de Hitler ? Il n’était tout de même pas facile de se décider pour le communisme. Cela signifiait un renversement complet de la notion même de nationalité ; les Polonais, pendant des siècles, étaient restés en état de guerre permanent avec Moscou. Il y avait eu une époque où les rois de Pologne avaient poussé leurs expéditions jusque dans la “Rome de l’Est”. Plus tard, la balance pencha vers Moscou et enfin, pendant tout le xixe siècle, la Pologne fut une province de l’empire des tsars. Pour accepter le communisme, il fallait réduire ces conflits à la seule rivalité des classes possédantes des deux nations et oublier les antagonismes séculaires : la nation des rois, de la noblesse et de la bourgeoisie devait être reléguée au musée. Il fallait admettre que la Pologne, après une courte période d’indépendance consécutive au traité de Versailles, redeviendrait inévitablement une province russe en cas de victoire du communisme. Les régions polonaises de l’Est, ainsi que la ville où nous habitions, seraient directement incorporées à l’Union, car Moscou les considérait comme partie intégrante des républiques biélorussiennes et ukrainiennes. Quant au reste du territoire, il deviendrait une nouvelle république soviétique. Tel était le programme auquel les communistes se ralliaient franchement. Renoncer à la fidélité envers notre propre pays et faire table rase des sentiments patriotiques inculqués à l’école et à l’université, tel était le prix de l’accès au chemin du progrès. » ■ Extrait de Czesław Miłosz, La Pensée captive. Essai sur les logocraties populaires, © Éditions Gallimard, Paris, 1953, pages 190-191. Le retour à l’Europe Tadeusz Mazowiecki (1990) « Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l’Europe traverse une période exceptionnelle. Voilà qu’une partie du continent, arrachée de sa souche il y a près d’un demisiècle, souhaite y revenir. Le retour à l’Europe ! Cette phrase fait ces temps-ci de plus en plus carrière dans les pays d’Europe centrale et orientale. Les hommes politiques et les économistes parlent de ce retour, de même, les gens de la culture, quoiqu’il leur soit plus facile de rester dans l’Europe : une Europe de l’esprit, une Europe comprise comme une communauté de valeurs et de traditions. Peut-être que le terme de retour à l’Europe est trop faible pour définir le processus que nous vivons ? Il faut parler plutôt de la renaissance de l’Europe qui, en fait, a cessé d’exister depuis Yalta. Ma présence parmi vous est le signe de cette renaissance. Elle est le signe de la renaissance d’un sentiment de communauté et de solidarité européennes qui, par trop souvent, furent oubliées dans le passé. Par ces propos, je voudrais rappeler aussi tous ceux chez qui le sentiment de communauté et de solidarité européennes est resté vivant. Je pense à ceux qui, à haute voix, avaient protesté publiquement contre les coups de force tels que l’invasion de la Hongrie en 1956 et de la Tchécoslovaquie en 1968. Je pense aussi à tous nos amis occidentaux qui, après l’instauration de l’état de siège Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 121 Documents de RÉFÉRENCE en 1981, nous apportaient une aide morale et matérielle. À diverses périodes, dans les années difficiles pour nous, les liens personnels ainsi noués ont contribué à former un tissu des plus précieux, qui est toujours là, et qui offre une base inestimable pour rebâtir les éléments politiques et économiques d’une authentique communauté avec les autres pays de notre continent. Les Polonais sont un peuple conscient de leur appartenance à l’Europe, de leur “européanité”. Ils en sont conscients, à l’instar d’autres peuples européens vivant au croisement des cultures, à proximité des grandes puissances, traversant des périodes d’existence politique alternées de non-existence et de ce fait ayant besoin de se renforcer dans leur identité. Dans toutes ces réponses, l’Europe a toujours constitué un point de référence. Une Europe que les Polonais aimaient, et dont ils se sentaient les défenseurs. L’idée d’être les “remparts de la chrétienté”, et donc les remparts de l’Europe, était restée vivante en Pologne pendant trois cents ans. L’Europe est donc présente dans la conscience polonaise en tant que valeur pour laquelle cela vaut la peine de vivre, mais pour laquelle il faut parfois mourir. Cette Europe, on lui en voulait également, on lui faisait des reproches et ceci est resté gravé jusqu’à ce jour dans notre conscience collective. Nous continuons à voir en l’Europe une valeur, la patrie de la liberté et de la loi, et nous continuons à nous identifier fortement à elle. Nous continuons à lui en vouloir pour Yalta, pour la division de l’Europe, pour nous avoir laissés de l’autre côté du rideau de fer. Pourtant aujourd’hui, alors que le retour à l’Europe, plus exactement la renaissance de l’Europe en tant qu’entité, devient de plus en plus réelle, nous nous demandons, de plus en plus fréquemment, ce que nous avons à lui offrir, quelle est aujourd’hui notre contribution au trésor européen. Or, je pense que nous avons pas mal à lui offrir. Notre contribution à l’Europe, c’est à la fois notre force et notre faiblesse. Nous sommes comme cet homme qui se relève d’une grave maladie. Des années durant, nous étions sous l’effet de la terrible pression du totalitarisme, et nous avons tenu bon. Mais nous sommes toujours en convalescence. Notre 122 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 économie est en crise et nous tâchons de la relever, les institutions démocratiques de l’État sont seulement en cours de reconstruction, rendues à la vie. Mais nous avons des expériences que nous n’oublierons pas et que nous allons transmettre aux autres. Si nous avons réussi à perdurer en tant qu’entité, nous le devons, entre autres, à notre profond attachement à certaines institutions et à certaines valeurs relevant de la norme européenne. Nous le devons à la religion et à l’Église, à notre attachement à la démocratie et au pluralisme, aux droits de l’homme et aux libertés civiques, à l’idée de solidarité. Même lorsque nous ne pouvions donner libre cours à ces valeurs, lorsque nous ne pouvions les mettre en application dans notre vie collective – nous les appréciions, nous les aimions, nous luttions pour elles – nous les connaissons, nous connaissons leur prix. Nous connaissons le prix de l’“européanité”, de la norme européenne que les Occidentaux d’aujourd’hui héritent sans même payer de droits successoraux. Nous pouvons leur rappeler ce prix. Nous apportons donc à l’Europe notre foi en l’Europe. […] Mais les processus se déroulant en Europe centrale et orientale, tout porteurs de risques qu’ils soient, constituent avant tout un incroyable défi historique. Bien qu’il soit évident que ces défis sont avant tout pour nous, pour les habitants de l’Europe centrale, ils constituent également un défi historique et une tâche pour l’ensemble de l’Europe. Le champ d’action est vaste. Il y a une place pour les Occidentaux qui voient le sens de notre action et croient en notre objectif. Avec eux – avec vous – il nous sera plus facile de réduire la distance qui nous sépare. Le mur qui séparait l’Europe libre de l’Europe inféodée a déjà été abattu. Maintenant, il faut remblayer le fossé qui existe entre l’Europe pauvre et l’Europe nantie. Si l’Europe doit être notre “maison commune” dans laquelle les uns ne vont pas fermer la porte aux autres, des écarts aussi grands ne peuvent se maintenir. Un grand travail nous attend tous. Nous avons besoin aujourd’hui de nouveaux indicateurs de direction qui sauraient orienter nos De l a Po l o g n e m a r t y re à l a Po l o g n e m e s s i e efforts vers une perspective européenne commune qui n’exclurait personne et dans laquelle tous retrouveraient leur intérêt. Il n’est pas facile de tracer une telle direction car celle-ci doit se dégager d’une réflexion et d’un travail collectifs. Mais puisque, sous nos yeux, naît dans votre partie du continent l’Europe de l’après 1992, alors pourquoi ne pas penser à un ensemble européen de l’an 2000, à une Europe de l’an 2000. Quelle Europe pourrions-nous imaginer de façon réaliste, si nous unissions nos efforts ? Ce ne sera certainement pas encore un espace européen où circuleraient librement les marchandises, les capitaux et les hommes, mais cela pourrait être une Europe où les frontières et les obstacles tarifaires seraient notablement abaissés, une Europe entièrement ouverte aux jeunes. Le sort de notre continent sera ce que seront les jeunes Européens que nous aurons élevés. Ce pourra être une Europe dans laquelle les contacts entre créateurs et scientifiques favorisant la perméabilité des cultures nationales et, en conséquence, leur rapprochement seront plus riches qu’aujourd’hui. Ce ne sera pas une Europe disposant d’une monnaie commune, mais ce pourra être une Europe où les économies seraient complémentaires, où la différence de niveau de vie serait moins grande et les échanges économiques internationaux plus riches. Ce pourrait être aussi une Europe dans laquelle le climat serait sain, l’eau salubre et le sol non pollué. Une Europe écologiquement propre. Mais avant toute chose, ce doit être une Europe qui aura nettement progressé dans le domaine du désarmement, une Europe qui exercera sur l’ensemble du monde un impact en tant que facteur de paix et de coexistence internationale. À y réfléchir, on pourra y trouver beaucoup d’autres domaines de la vie sociale pouvant être mieux arrangés par nous dans cette dernière décennie du vingtième siècle. Il faut seulement commencer le travail. Il y a sur notre continent des structures dans lesquelles un tel travail peut durer, car il dure déjà, et ce depuis longtemps. L’une de ces structures, c’est précisément le Conseil de l’Europe, dont l’un des objectifs est l’aspiration à une plus grande unité des pays membres, dans le but de la défense et de la réalisation des idéaux et des principes qui sont leur héritage commun, et la promotion du développement économique et social. Pourtant aujourd’hui, alors qu’une telle accélération a précisément eu lieu en Europe, que les conditions se font jour pour que nous puissions réfléchir sur ces questions en commun, entre États, groupements et organisations, on voit se dessiner la possibilité et le besoin de créer des structures paneuropéennes qui prendraient ces tâches en charge. Je pense que le temps est venu de concrétiser l’idée de la “maison commune” et de la “confédération européenne” lancée dernièrement par d’éminents hommes d’État. Il est temps que soient créées des institutions englobant réellement toute l’Europe. » ■ Extraits du discours de Tadeusz Mazowiecki [19272013], alors Premier ministre de la Pologne, au Conseil de l’Europe le 30 janvier 1990. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 123 > Les questions internationales sur Internet Os’rodek Studiów Wschodnich www.osw.waw.pl/en Fondé en 1990, le Centre d’études orientales (Ośrodek Studiów Wschodnich, OSW) est un institut de recherche polonais à financement public qui se consacre à l’étude du voisinage oriental de la Pologne. Principal think tank polonais consacré à l’environnement oriental du continent, il entend présenter les spécificités du regard que pose la Pologne sur cette région. Fort d’une quarantaine de chercheurs et d’un conseil de direction composé de diplomates et d’universitaires, le Centre est un organisme gouvernemental qui joue un rôle central dans la définition des positions de politique étrangère de la Pologne. L’OSW publie en polonais et en anglais des notes et des études consacrées aux pays de sa zone de compé- tence ou aux enjeux transversaux auxquels est confrontée la région. Les principaux thèmes abordés sont la politique de voisinage de l’Union européenne, les stratégies énergétiques et l’évolution politique des républiques de l’ex-URSS. On y trouvera notamment un nombre conséquent d’analyses publiées depuis le début de l’année 2014 reflétant la lecture polonaise de la crise ukrainienne, de la politique étrangère de la Russie ou des conflits gaziers. monde et constituait l’un des principaux centres de la vie intellectuelle, politique et religieuse de la diaspora juive. Les collections conservées par le YIVO sont à ce titre l’un des témoignages les plus conséquents sur cette réalité qui ait survécu à la Shoah et à l’occupation nazie. Le site se présente à la fois comme un projet éducatif et comme un outil de recherche s’adressant aussi bien aux amateurs désireux de s’informer sur l’histoire de l’Europe centrale et orientale et du judaïsme qu’aux chercheurs habitués à déchiffrer des manuscrits en yiddish, en polonais ou en russe. YIVO Digital Archive on Jewish Life in Poland www.polishjews.yivoarchives.org/ Créé en 1925 à Wilno (Vilnius) comme Institut scientifique juif et installé depuis 1940 à New York sous le nom d’Institute for Jewish Research, le YIVO, qui demeure connu sous son acronyme yiddish d’origine, est un centre d’étude de la langue, de la culture et de l’histoire des Juifs d’Europe de l’Est. Lancé en mai 2014, le Digital Archive on Jewish Life in Poland est un projet matérialisé par un site Internet qui rassemble plusieurs milliers de pièces d’archives manuscrites, photographiques, cinématographiques et artistiques sur la vie de la communauté juive de Pologne avant la Seconde Guerre mondiale. La Pologne abritait alors la plus importante communauté juive au 124 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Liste des CARTES et GRAPHIQUES Le Royaume de Pologne-Lituanie (vers 1400) L’Europe centrale et orientale (1740) Les trois partages de la Pologne (1772, 1793 et 1795) La disparition de la Pologne (XIXe siècle) La Pologne (1918-1945) Densité de population (2012) Référendum relatif à l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne (2003) La Pologne dans son environnement stratégique (juillet 2014) Les coopérations autour de la mer Baltique (2014) Fonds structurels en Pologne (2007-2013) Les partis représentés à la Diète de 1989 à 2014 Pologne : régions rurales et régions urbaines (2014) Élections européennes en Pologne (25 mai 2014) Taux de chômage (2012) PIB par habitant (2011) Principaux partenaires commerciaux de la Pologne (2012) Indice de développement humain (2012) Dépenses totales de santé par habitant (2011) Dépenses des administrations publiques consacrées à l’éducation (2010) Dépenses en R&D (2011) Part de la population ayant accès à Internet (2011) p. 5 p. 5 p. 7 p. 7 p. 13 p. 26 p. 29 p. 39 p. 43 p. 45 p. 63 p. 65 p. 69 p. 78 p. 80 p. 81 p. 82 p. 82 p. 82 p. 82 p. 82 Liste des principaux ENCADRÉS Pologne : quelques éléments chronologiques (Questions internationales) Quelques personnalités polonaises (Questions internationales) Pourquoi l’OTAN ? L’argumentaire polonais en faveur de l’intégration atlantique (Amélie Zima) La Baltique : un espace de coopérations (Questions internationales) L’adaptation de la politique d’emploi polonaise aux normes européennes (Amélie Bonnet) Les États-Unis, garants « par défaut » de la sécurité polonaise ? (Romain Su) Les relations germano-polonaises : vingt-cinq ans de nouveau voisinage (Dorota Dakowska) Les relations judéo-polonaises à l’aune des enjeux de mémoire (Jean-Charles Szurek) Pologne : quelques indicateurs statistiques Varsovie, une capitale singulière (Lise Bourdeau-Lepage) La place de l’Église catholique en Pologne (Anna Rochacka-Cherner) p. 21 p. 27 p. 33 p. 43 p. 44 p. 53 p. 57 p. 71 p. 76 p. 84 p. 94 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 125 ABSTRACTS Return to the Concert of Nations Georges Mink Fifteen years have gone by since Poland joined NATO – on 12 March 1999 – and ten, since it joined the European Union – 1 May 2004. The liberal elites now in power wanted to make these anniversaries one great celebration of the success of Poland and the Poles, their return to the European scene and, more broadly, to the concert of nations. But these two dates are far from the only ones to interest the authorities, well aware that the weight of the past influences political decisions, both internally and externally; especially in dealings with neighbouring states. Poland in the European Union Ewa Kulesza and Christian Lequesne One of the policy priorities for Donald Tusk’s government since 2007 has been to make Poland an actor that counts within the European Union. This aim is rooted in an old historical model, now being strongly reasserted. There is no doubt that Poland’s European commitment is stronger than it was when it joined the EU in 2004. This qualitative jump has contributed to Poland’s success story, which is blatant if the country’s situation is compared to that of the other new member states. However this choice, intrinsically linked to the Civic Platform’s presence in the government, is not irreversible. Geopolitical Constraints David Cadier More than anywhere else in Europe, geopolitical data determine Poland’s foreign policy decisions. Historically, rivalries linked to protecting or conquering territory have always shaped Poland’s perception of the environment and the formulation of the country’s diplomatic choices. These characteristics are still evident as much in the current definition of the national interest as in sensitivity to changes in the regional context. tees derived from international cooperation. Indeed, since its transition to democracy in 1989, the country has relied on cooperation with Western structures for its security, mainly NATO and the European Union. In a context of rising tension with Russia over Ukraine, Poland is now trying to convince the Atlantic Alliance, which it sees as the first pillar in its security, to increase its military presence on Polish soil. Reshuffling the National Political Scene Cédric Pellen For the last ten years or so, Polish politics have been dominated by the opposition between two right-wing parties claiming the inheritance of the former democratic opposition movement, Solidarność: Civic Platform, on the one hand, and Law and Justice, on the other. This atypical bipolarisation of the political scene originated in the way Poland emerged from Communism and the gradual exhaustion of the previously structuring split between former Communists and former members of Solidarność. Twenty-five Years of Economic Change Éric Brunat and Jacques Fontanel Thanks to the implementation of a determined austerity policy, Poland has covered an impressive amount of ground in a quarter of a century, going in record time from a centrally planned economy to an efficient market economy meeting the criteria of the European Union. The apparent ease with which the country weathered the violent world financial crisis that started in 2008 shows just how resilient the Polish economy is. Although extra reforms are needed, its forecasted performances for 2014 confirm the solidity of its progress. The Greek Presidency of the European Union: between Rehabilitation and Singularity Renaud Dorlhiac Security and Defence Policy Stanisław Parzymies For the last few years, Poland has been reassessing its defence capacity and the guaran126 Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 Greece’s presidency of the European Union in the first semester of 2014 came in a very different context from its previous experience in 2003. The loss of momentum in the enlargement of the union since the wave of new members in 2004-2007 and the impact of the economic and financial crisis of 2008 have weakened a model which once enjoyed fervent support in the country. Before then, Greece had been presented in cultural and mythological terms as the foundation of the very Europe whose essence and outlines are now challenged. This belief, deeply rooted in Greek society, explains the violence of the shock felt by the Greek population in 2008 with the intervention of international monetary institutions and the upsurge of infuriating, persistent stereotypes about the character traits of Northern and Southern Europeans. Piecing Together the Middle East after the Arab Spring Xavier Hautcourt What is now conventionally called the “Arab Spring” created a major upheaval in North Africa and the Middle East. The complexity of these events reminds observers that revolution has multiple facets and can be reinvented to suit different times and places. Although the future of the revolutionary cycle triggered by the 2011 revolutions is still uncertain, an initial assessment can be attempted. Zero Dark Thirty: Polemics over the Story of the Death of Bin Laden Grégory Boutherin The cinema has always used history as raw material so it is quite logical that the film industry – and television, with series like Over There, 24: Live Another Day or Homeland – have appropriated the post-September 11 era, bringing to the screen scenarios with the fight against terrorism, the war in Afghanistan or Iraq as a background. American film director and screenwriter Kathryn Bigelow’s film, Zero Dark Thirty (2013), traces the CIA’s long hunt of Osama Bin Laden, which ended with his execution in Pakistan in May 2011. The film met with critical acclaim, especially in English-speaking countries, but has stirred up a series of controversies. Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014 127 Vous avez rendez-vous … avec le monde Déjà parus no 68 no 67 no 66 no 65 no 64 no 63 nos 61-62 no 60 no 59 no 58 no 57 no 56 no 55 no 54 no 53 no 52 no 51 no 50 L’Été 14 : d’un monde à l’autre L’espace : un enjeu terrestre Pakistan : un État sous tension Énergie : les nouvelles frontières États-Unis : vers une hégémonie discrète Ils dirigent le monde La France dans le monde Les villes mondiales L’Italie : un destin européen Le Sahel en crises La Russie L’humanitaire Brésil : l’autre géant américain Allemagne : les défis de la puissance Printemps arabe et démocratie Un bilan du XXe siècle À la recherche des Européens AfPak (Afghanistan-Pakistan) no 49 no 48 no 47 no 46 no 45 no 44 no 43 no 42 no 41 no 40 no 39 no 38 no 37 no 36 no 35 no 34 no 33 no 32 no 31 no 30 no 29 no 28 no 27 no 26 no 25 no 24 no 23 no 22 no 21 À quoi sert le droit international La Chine et la nouvelle Asie Internet à la conquête du monde Les États du Golfe L’Europe en zone de turbulences Le sport dans la mondialisation Mondialisation : une gouvernance introuvable L’art dans la mondialisation L’Occident en débat Mondialisation et criminalité Les défis de la présidence Obama Le climat : risques et débats Le Caucase La Méditerranée Renseignement et services secrets La mondialisation financière L’Afrique en mouvement La Chine dans la mondialisation L’avenir de l’Europe Le Japon Le christianisme dans le monde Israël La Russie Les empires L’Iran La bataille de l’énergie Les Balkans et l’Europe Mondialisation et inégalités Islam, islams A retourner à la Direction de l’information légale et administrative (DILA) – 29-31 quai Voltaire 75007 Paris BULLETIN D’ABONNEMENT ET BON DE COMMANDE Comment s’abonner ? 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Avertissement au lecteur : Les opinions exprimées dans les contributions n’engagent que les auteurs. © Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2014. «En application de la loi du 11 mars 1957 (art. 41) et du Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre.» Questions internationales Septembre-octobre 2014 Dossier La Pologne au cœur de l’Europe Ouverture. La Pologne ou le phénix de l’Europe Serge Sur Retour dans le concert des nations Georges Mink La Pologne au sein de l’Union européenne Ewa Kulesza et Christian Lequesne Les contraintes géopolitiques David Cadier Sécurité et politique de défense Stanisław Parzymies Les recompositions de la scène politique nationale Cédric Pellen Vingt-cinq ans de transformations économiques Éric Brunat et Jacques Fontanel Regards sur la culture polonaise – La nouvelle scène artistique polonaise Anna Rochacka-Cherner – Vers un renouveau du cinéma polonais Dorota Szeligowska Et les contributions de Amélie Bonnet, Lise Bourdeau-Lepage, Dorota Dakowska, Romain Su, Jean-Charles Szurek et Amélie Zima Chronique d’actualité Le sport professionnel, un enjeu politique et économique en « trompe-l’œil » Jacques Fontanel Questions européennes Imprimé en France Dépôt légal : 3e trimestre 2014 ISSN : 1761-7146 N° CPPAP : 0416B06518 DF 2QI00690 10 € Printed in France CANADA : 14.50 $ CAN La présidence grecque de l’Union européenne : entre réhabilitation et singularité Renaud Dorlhiac Regards sur le monde La recomposition du Moyen-Orient après les printemps arabes Xavier Hautcourt Les questions internationales à l’écran Zero Dark Thirty : polémiques autour du récit de la mort de Ben Laden Grégory Boutherin &:DANNNB=[UU[^Z: Documents de référence Les questions internationales sur Internet Abstracts N° 69