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Questions
internationales
Questions
Un bilan de la présidence grecque de l’UE
Le Moyen-Orient après les printemps arabes
Zero Dark Thirty et la traque de Ben Laden
La Pologne
CANADA : 14.50 $ CAN
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N° 69 Septembre-octobre 2014
au cœur de l’Europe
Prochain numéro :
Les grands ports maritimes
Questions
internationales
Conseil scientifique
Gilles Andréani
Christian de Boissieu
Yves Boyer
Frédéric Bozo
Frédéric Charillon
Jean-Claude Chouraqui
Georges Couffignal
Alain Dieckhoff
Julian Fernandez
Robert Frank
Stella Ghervas
Nicole Gnesotto
Pierre Grosser
Pierre Jacquet
Christian Lequesne
Françoise Nicolas
Marc-Antoine Pérouse de Montclos
Fabrice Picod
Jean-Luc Racine
Frédéric Ramel
Philippe Ryfman
Ezra Suleiman
Serge Sur
Équipe de rédaction
Rédacteur en chef
Serge Sur
Rédacteur en chef adjoint
Jérôme Gallois
Rédactrices-analystes
Céline Bayou
Ninon Bruguière
Secrétaire de rédaction
Anne-Marie Barbey-Beresi
Traductrice
Isabel Ollivier
Secrétaire
Marie-France Raffiani
Stagiaire
Benoît Lerosey
Cartographie
Thomas Ansart
Patrice Mitrano
Antoine Rio
(Atelier de cartographie de Sciences Po)
Conception graphique
Studio des éditions de la DILA
Mise en page et impression
DILA
Contacter la rédaction :
[email protected]
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Questions internationales sur :
Questions internationales assume la responsabilité du choix des illustrations et de leurs
légendes, de même que celle des intitulés, chapeaux et intertitres des articles, ainsi que des
cartes et graphiques publiés.
Les encadrés figurant dans les articles sont rédigés par les auteurs de ceux-ci, sauf indication
contraire.
Éditorial
V
ingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin, quinze ans après son
entrée dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), dix
ans après son adhésion à l’Union européenne, où en est la Pologne ?
Elle est désormais au cœur de l’Europe, et de l’Europe entendue au-delà
même de l’Union. Les transformations qu’elle a connues et en large
part initiées depuis la dissolution du pacte de Varsovie puis la chute de l’URSS sont
considérables et, pour l’essentiel, positives. Dans son histoire multiséculaire et
tourmentée, le dernier quart de siècle apparaît comme une renaissance, qui lui rend
sa liberté, son identité, sa vitalité culturelle, sa souveraineté. Après avoir été tout
au long du xxe siècle partagée ou dominée, s’être vu imposer durant des décennies
un système soviétique qui la coupait de l’Europe occidentale et la soumettait à un
régime despotique, la Pologne a repris une place pleine et entière dans le concert
des nations, place qu’elle entend occuper activement.
Ce sont ces transformations et leur bilan qu’explore le présent dossier. La Pologne
est devenue l’un des grands de l’Union européenne, par sa taille, sa population, sa
dynamique politique, sa croissance économique. Elle n’est pas – pas encore ? –
membre de la zone euro, mais a vocation à s’y intégrer. Elle participe avec
l’Allemagne et la France au « triangle de Weimar » qui reconnaît sa nouvelle
influence. On peut donc considérer son appartenance à l’Union comme une réussite,
qui a enraciné démocratie et droits de l’homme en son sein, accéléré la libéralisation
de son marché et accru l’influence de sa diplomatie. C’est là cependant que les
interrogations commencent. La Pologne a en effet choisi, avant même l’Union
européenne, l’OTAN, le monde transatlantique, les États-Unis. Elle l’a fait pour des
raisons sécuritaires, mais sans doute aussi pour équilibrer par l’appui sur les ÉtatsUnis la prédominance, du moins à l’époque, du couple franco-allemand en Europe.
Ce faisant, elle contribuait à reconstituer la coupure entre l’Europe et la Russie,
au lieu de travailler à développer un mécanisme de sécurité paneuropéen et de
maintenir le climat de confiance qui a suivi la fin de la guerre froide. L’accord sur
le projet américain de système antimissile en partie installé sur son territoire, la
participation à la désastreuse guerre en Irak en 2003, la volonté d’intégrer l’Ukraine
dans l’Union européenne et dans l’OTAN, au-delà de ce que beaucoup d’autres
membres sont prêts à accepter, tout cela implique une logique de confrontation
avec la Russie que ne semble pas pouvoir justifier la présence de l’enclave russe
de Kaliningrad à sa frontière. La Pologne a même poussé le zèle pro-américain
jusqu’à tolérer sur son sol des prisons clandestines de la CIA, ce qui lui a valu
condamnation pour complicité de la part de la Cour européenne des droits de
l’homme. Pour l’Europe, n’aurait-elle pas pu mieux faire ?
Les rubriques récurrentes de Questions internationales ne quittent d’abord
pas l’Europe, avec une étude de la récente présidence grecque de l’Union. Les
« Regards sur le monde » se portent ensuite sur la problématique recomposition
du Moyen-Orient après les « printemps arabes ». Si le renouveau du cinéma
polonais est analysé dans le dossier, c’est un film américain, Zero Dark Thirty,
objet de controverses autour de l’exécution de Ben Laden, qui nourrit « Questions
internationales à l’écran ». Quant à la « Chronique d’actualité », elle traite
d’un sujet d’une durable actualité, celui du sport professionnel et de ses enjeux
économiques – thème international s’il en est.
Questions internationales
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
1
N 69 SOMMAIRE
o
DOSSIER…
La Pologne
au cœur de l’Europe
4
Ouverture – La Pologne
ou le phénix de l’Europe
Serge Sur
11
Retour dans le concert
des nations
Georges Mink
24
La Pologne au sein
de l’Union européenne
Ewa Kulesza et Christian Lequesne
35
Les contraintes géopolitiques
48
Sécurité
et politique de défense
David Cadier
Stanisław Parzymies
60
Les recompositions
de la scène politique
nationale
© Fotolia / Katatonia
Cédric Pellen
74
Vingt-cinq ans
de transformations
économiques
Éric Brunat et Jacques Fontanel
2
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Regards sur le MONDE
Regards sur la culture polonaise
87
La nouvelle scène artistique
90
Vers un renouveau
du cinéma
Et les contributions de
Amélie Bonnet (p. 44),
Lise Bourdeau-Lepage (p. 84),
Dorota Dakowska (p. 57),
Romain Su (p. 53),
Jean-Charles Szurek (p. 71),
et Amélie Zima (p. 33)
Chronique d’ACTUALITÉ
Le sport professionnel,
un enjeu politique
et économique
en « trompe-l’œil »
Jacques Fontanel
Questions EUROPÉENNES
98
après les printemps arabes
Anna Rochacka-Cherner
Dorota Szeligowska
96
recomposition
105 La
du Moyen-Orient
La présidence grecque
de l’Union européenne :
entre réhabilitation
et singularité
Renaud Dorlhiac
Xavier Hautcourt
Les questions internationales
à L’ÉCRAN
Dark Thirty :
111 Zero
polémiques autour du récit
de la mort de Ben Laden
Grégory Boutherin
Documents de RÉFÉRENCE
la Pologne martyre
118 De
à la Pologne messie
Adam Mickiewicz,
Jules Michelet,Czesław Miłosz
et Tadeusz Mazowiecki (extraits)
Les questions internationales
sur INTERNET
124
Liste des CARTES et ENCADRÉS
ABSTRACTS
125 et 126
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
3
Dossier
La Pologne au cœur de l’Europe
La Pologne
ou le phénix
de l’Europe
Vivre sa vie, l’un des premiers films de Jean-Luc
Godard, s’ouvre par une parabole : prenez une
poule, ôtez lui ses plumes, il reste la peau ;
enlevez la peau, il reste les os ; retirez les os,
il ne reste rien, il reste l’âme. La parabole peut
devenir métaphore pour la Pologne. Non parce
que Vivre sa vie conte l’histoire tragique d’une
prostituée victime de son souteneur et que, selon
le mot de Churchill, les petits États se conduisent
comme des prostituées et les grands comme des
gangsters, mais parce que cette grande nation a
connu au cours de sa longue histoire d’immenses
vicissitudes. Ne s’agit-il pas de l’un des seuls
États européens, à la formation très ancienne,
qui ait disparu pendant plus d’un siècle, avalé par
des voisins plus grands que lui ? Puis ressuscité
au début du xxe siècle, après la Première Guerre
mondiale, avant de subir de nouvelles tribulations, territoriales et politiques, à nouveau partagé
entre l’Allemagne nazie et l’URSS, déplacé et
assujetti au camp socialiste après 1945, enfin
appelé à redevenir lui-même à la suite de la Table
ronde entre le pouvoir communiste et l’opposition démocratique au printemps 1989, de la chute
du mur de Berlin et de la disparition du pacte de
Varsovie ?
Tribulations polonaises
Au fond, l’histoire de la Pologne est celle d’un
empire avorté qui s’est régénéré en devenant
nation. Durant ses décennies, voire ses siècles
de gloire sous la dynastie des Jagellon, aux xve
et xvie siècles, l’ensemble polonais incorporait des nationalités, des cultures et des religions
différentes, de la Baltique jusqu’à proximité de
4
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
la mer Noire, sous des monarchies guerrières.
Mais les empires périssent, et la Pologne a péri
plus vite que ses grands rivaux, Autriche, Prusse,
Russie qui pour un siècle l’avaient partagée. La
vocation dominatrice de l’ensemble, qui n’avait
pas de frontières naturelles dans une Europe
centrale ouverte à toutes les invasions, circulations, mélanges de populations, avait débouché
sur la réalité de sa division et de son absorption.
À la fragilité extérieure s’ajoutait l’instabilité
intérieure, et le système de monarchie élective
et féodale conduisait à l’anarchie polonaise.
Jean-Jacques Rousseau pouvait bien écrire un
projet de Constitution pour la Pologne, cherchant à
concrétiser ses théories démocratiques, l’anarchie
polonaise n’était pas un vain mot. Elle entraînait
trois partages successifs et la disparition complète
de la Pologne, d’abord au nom de sa sauvegarde,
suivant la rhétorique classique des interventions,
mélange d’hypocrisie et de cynisme.
La disparition
On lit, en effet, dans le préambule du premier traité
de partage, signé à Saint-Pétersbourg le 25 juillet
1772 : « Au nom de la très Sainte Trinité, l’esprit
de faction qui maintenait l’anarchie en Pologne y
faisant craindre la décomposition totale de l’État,
qui pourrait troubler les intérêts des voisins de
cette république, altérer la bonne harmonie qui
existe entre eux, et allumer une guerre générale,
l’Autriche, la Prusse et la Russie […] avaient
décidé […] de rétablir l’ordre dans l’intérieur de
la Pologne, et de donner à cet État une existence
politique plus conforme aux intérêts de leur voisinage. » On pourra adapter ce langage à certaines
interventions contemporaines et, derrière des
Saint-Pétersbourg
Le Royaume de Pologne-Lituanie (vers 1400)
Royaume de
Pologne-Lituanie
Source : G. Duby, Grand Atlas historique, Larousse, Paris, 1997
et F. W. Putzger, Historischer Weltatlas, Cornelsen, Berlin, 1995.
Mer
Baltique
Territoire vassal
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ORDRE
TEUTONIQUE
Zone d’influence de
la Pologne-Lituanie
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Saint-PétersbourgConstantinople
L’Europe centrale et orientale (1740)
Source : G. Duby, Grand Atlas historique, Larousse, Paris, 1997
et F. W. Putzger, Historischer Weltatlas, Cornelsen, Berlin, 1995.
Possessions des
Habsbourg d’Autriche
SUÈDE
Royaume de Prusse
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Limites du Saint Empire
romain germanique
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Baltique
Limite entre la Russie et l’Empire ottoman
La Pologne aujourd’hui
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Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014
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Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014
La Pologne aujourd’hui
Constantinople
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
5
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
références surannées, on trouvera des réalités
modernes. En l’occurrence, derrière les modalités
du partage, le principe de l’équilibre qui imposait
des compensations que s’accordaient chacun des
bénéficiaires, mais qui les renforçait par rapport
à l’extérieur, dans l’impuissance ou l’indifférence de l’Angleterre ou de la France, pourtant
intéressées à des degrés divers. Ce prétendu
rétablissement de l’ordre conduisait la Pologne à
son dépeçage. Alors, dans Ubu roi, au début du
xxe siècle, Alfred Jarry notait : « L’action se
déroule en Pologne, c’est-à-dire nulle part. »
Reconstitué à la fin de 1918, l’État polonais était
à nouveau un champ d’affrontements diplomatiques et militaires en Europe jusqu’à la fin de la
Seconde Guerre mondiale, et son sort devenait
l’un des points centraux de la conférence de Yalta.
Mollement défendue par Roosevelt et Churchill,
divisée entre deux gouvernements extérieurs et
rivaux, d’obédience occidentale et communiste, la
Pologne tombait dans le camp socialiste lorsque
Staline l’obligeait à refuser le plan Marshall,
source pour elle d’une frustration dont les conséquences sont sensibles jusqu’à nos jours. Le
communisme soviétique pouvait bien lui imposer
sa domination politique et militaire, collectiviser son économie, disposer d’une bureaucratie
acquise à son idéologie ou servant ses intérêts,
la société civile demeurait sourdement hostile, et
l’Église catholique, si puissante sur les esprits,
attendait son heure. Elle est venue avec un pape
polonais, Jean-Paul II, exploitant avec une grande
habilité l’épuisement du système soviétique et
les mécontentements ouvriers incarnés par Lech
Wałęsa. Est alors née la nouvelle Pologne, qui
entend redevenir un acteur en Europe.
L’acteur, le sujet, l’objet, le champ
Dans les relations internationales, les États
peuvent être des acteurs, des sujets, des objets ou
enfin se réduire à des champs. Ce répertoire est
aussi une hiérarchie fondée sur leurs capacités
respectives. Les acteurs sont autonomes, ils
jouent leur partition, formulent leurs règles,
définissent leurs intérêts et les servent. Les sujets
existent, on doit en tenir compte, ils doivent
consentir, mais enfin ils sont soumis, ils obéissent
à des normes, ils s’en font même une vertu – et
6
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
parfois il leur faut accepter que ces normes soient
violentées par les acteurs, qui ont tendance à les
plier à leur interprétation souveraine, voire à
exporter les leurs. Les objets sont inertes, on ne
les écoute pas, on ne tient pas compte de leurs
avis, soit qu’on les récuse comme illégitimes, soit
que leurs voix ne soient pas audibles. Lorsque les
États deviennent champs, leur démembrement
est en cours, ils sont au minimum défaillants.
Leurs autorités publiques internes sont ou bien
impuissantes ou bien rejetées, souvent les deux.
Il leur faut se métamorphoser sous la pression
extérieure ou disparaître. On trouve aujourd’hui
nombre d’exemples de ces diverses positions.
Positions, en effet, et non statuts, parce qu’elles
sont évolutives et que leurs ressorts sont
multiples aussi bien que précaires, comme ceux
de la puissance qui les fonde. La Pologne ainsi a
connu ces différentes situations. Acteur européen
au début de son histoire, elle a progressivement
été assujettie avant d’être l’objet des partages
qui en ont fait un champ d’affrontements et de
batailles, un espace que parcouraient les conquérants du moment. Lors même qu’on l’a rétablie
comme sujet, en 1919 ou en 1945, son sort a été
au départ celui d’un objet dont des vainqueurs
réglaient le sort. Elle a été durant l’entre-deuxguerres un acteur instable, flottant comme son
territoire, par exemple plutôt pro-allemand au
moment de Munich, et surtout très anti-tchèque.
Le jeu de l’homme fort de l’époque, le colonel
Beck, a été d’un machiavélisme voué à l’échec,
comme l’est généralement le machiavélisme.
Sous domination soviétique, la Pologne a été
sujet et a par exemple participé à l’invasion de
la Tchécoslovaquie en 1968 au nom du pacte de
Varsovie, aux côtés de l’URSS et d’autres séides.
C’est dire que l’on ne peut imputer les tribulations polonaises à la seule avidité de ses voisins.
Elles tiennent à un ensemble de raisons de nature
diverse. Géopolitiques avec un territoire ouvert,
sans frontières naturelles et longtemps humainement mélangé, en toute hypothèse très difficile
à défendre. Situation qui n’ôte rien à la valeur
militaire des Polonais, qui se sont illustrés dans de
nombreux conflits. Soldats fidèles de la Grande
Armée sous Napoléon, combattants courageux de la Première Guerre mondiale, aviateurs
Les trois partages de Lelas troPologne
(1772, 1793 et 1795)
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Saint-Pétersbourg
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Source : G. Duby, Grand Atlas historique, Larousse, Paris, 1997
et F. W. Putzger, Historischer Weltatlas, Cornelsen, Berlin, 1995.
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La Pologne après
le deuxième partage
(1793)
La Pologne aujourd’hui
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Saint-Pétersbourg
La disparition de la Pologne (XIXe siècle)
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Duché de Varsovie
(1807-1814)
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Congrès de Vienne (1815) :
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Royaume de Pologne
attribué au Tsar
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Posnanie restituée
au roi de Prusse
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Ville libre,
annexée par l’Autriche
(1846)
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La Pologne aujourd’hui
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Source : G. Duby, Grand Atlas historique, Larousse, Paris, 1997
et F. W. Putzger, Historischer Weltatlas, Cornelsen, Berlin, 1995.
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500 km
Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014
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Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014
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Constantinople
Questions internationales n 69 – Septembre-octobre 2014
o
7
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
défendant Londres lors de la bataille d’Angleterre en 1940, participant au débarquement en
Normandie le 6 juin 1944, ils ont souvent servi
les intérêts d’autres puissances au nom des leurs,
sans en tirer la reconnaissance qu’ils pouvaient
attendre. Raisons intérieures également, qui
tiennent aux divisions de la société polonaise.
Envahie en 1939, la Pologne est devenue pour
l’Allemagne nazie un champ d’extermination,
notamment de la plus nombreuse et de la plus
brillante communauté juive d’Europe. Mais
un certain antisémitisme polonais s’est aussi
manifesté sous le communisme.
L’âme
Même au plus profond de son démembrement, de
son inexistence étatique, l’âme de la Pologne n’a
jamais disparu. C’est ce qui a permis sa renaissance. Cette âme nationale s’est manifestée de
diverses manières. Des insurrections épisodiques. La culture, et les intellectuels polonais,
littéraires, scientifiques, ont toujours occupé en
Europe une place de choix, comme les artistes.
L’Église catholique, religion majoritaire qui a
protégé l’identité polonaise, un peu à l’instar de
ce qu’elle a réalisé en Irlande, nation elle aussi
durablement assujettie. Ses soldats, comme on
vient de le rappeler, et la résistance polonaise
à l’occupation allemande durant la Seconde
Guerre mondiale n’a pas été symbolique. Sa
diaspora, répandue en Europe et aux États-Unis,
où elle demeure consciente et active. Les liens
avec la France sont les plus ambigus, parce que
les Polonais d’origine, nombreux et divers, intellectuels, guerriers ou mineurs, juifs, catholiques
ou agnostiques, se sont fondus dans le creuset
national et y ont rempli des fonctions illustres,
sans esprit communautaire, sans devenir un
lobby particulier. Pas de meilleur symbole de
cette survivance de l’âme polonaise et de ces
liens avec la France que Frédéric Chopin, fils
d’un Français et musicien polonais, mais compositeur parisien, ou Marie Sklodowska-Curie,
double prix Nobel en physique et en chimie.
C’est que la cause polonaise a suscité au
xix e siècle une sympathie particulière en
France. On se souvient de l’interjection à la fois
nationale et républicaine, « Vive la Pologne,
8
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Monsieur ! », jetée à Paris, en 1867, au tsar
Alexandre II par Charles Floquet, futur dignitaire de la iiie République. Sous la monarchie,
des alliances matrimoniales avaient rapproché de
façon intermittente les deux royaumes, mais sans
lendemains durables. Napoléon avait recréé un
grand-duché de Varsovie, sans aller jusqu’à une
véritable restauration étatique. La France s’est en
revanche fait l’avocat de la Pologne lors du traité
de Versailles, puis l’a accompagnée dans sa lutte
contre les assauts bolcheviques dans les années
qui ont suivi, campagne durant laquelle s’est
illustré le capitaine Charles de Gaulle, instructeur et théoricien. En 1939, c’est pour répondre à
l’agression de l’Allemagne contre la Pologne que
la France entre dans le second conflit mondial
aux côtés du Royaume-Uni, premier à déclarer
la guerre. La défaite et quatre ans d’occupation
en sont le produit, mais la France n’en a pas tiré
de bénéfice moral auprès de la Pologne, qui lui
a longuement reproché son inaction militaire
initiale face à la débâcle du pays doublement
envahi, par l’Allemagne et l’URSS.
La Pologne entre ambitions
et frustrations
Il est nécessaire de garder présentes à l’esprit
ces blessures de l’histoire et leurs perceptions
contemporaines dans la nouvelle Pologne.
Elle est membre de l’Organisation du traité
de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis 1999 et
de l’Union européenne depuis 2004. Elle a su
tirer profit de cette double appartenance, qui lui
permet d’aspirer à la fois à la sécurité otanienne
et à la prospérité de l’Union. Elle est devenue
acteur des deux organisations, et un acteur qui
veut pleinement jouer son rôle, à la fois périphérique, puisqu’elle est à la frontière actuelle des
deux organisations, et central, parce qu’elle
entend bien exercer son influence au-delà, être
l’avocat, le mentor, voire le protecteur, des
nations d’Europe orientale qui voudraient les
rejoindre. Ce pays de 38 millions d’habitants
et de plus de 300 000 km² aspire à être considéré comme un des grands de l’Europe et mène
une diplomatie entreprenante et active, comme
s’il avait du temps à rattraper. Le Triangle de
Weimar avec l’Allemagne et la France en porte
témoignage. Au fond, derrière la renaissance
d’une nation et d’un État polonais autonomes
et vigoureux apparaît le fantôme de la puissance
qui un temps domina l’Europe centrale, orientale, voire baltique.
L’Occident, l’OTAN, l’Union européenne
Il est intéressant de noter que l’appartenance à
l’OTAN a précédé l’entrée dans l’Union, voire
qu’elle l’a accélérée. Au départ, cette entrée dans
l’OTAN de la Pologne, et des pays baltes notamment, n’était pas prévue parce qu’aucune grande
puissance ne souhaitait humilier une Russie affaiblie et qui ne représentait pas une menace. Elle a
résulté d’un lobbying efficace de la Pologne ellemême, qui entendait obtenir la garantie d’une
protection américaine en même temps que rentrer
dans la grande alliance occidentale, marque d’un
choix passionné pour l’Occident. Ainsi, le pays
hôte du pacte de Varsovie, organisation directement anti-OTAN, passait avec armes et bagages
de l’autre côté. Il est vrai que les conséquences en
étaient plus diplomatiques et stratégiques qu’internes, ce qui n’est pas le cas de la participation
à l’Union européenne, longtemps attendue et
préparée par étapes. Cette participation implique,
en effet, une transformation profonde du pays,
qui a dû en quelques années organiser une transition politique – du communisme au pluralisme –,
économique – du collectivisme à l’économie de
marché – et juridique – absorber un demi-siècle
de droit de l’Union, alors que les anciens membres
ont pu le faire de façon très étalée.
La Pologne a vécu ces choix comme complémentaires, ce qui peut être discuté. Les principes de
l’Union européenne sont ceux de la réconciliation,
elle a vocation à accueillir en son sein des pays en
paix avec eux-mêmes et en paix avec leurs voisins.
La Pologne n’a sans doute pas de griefs à l’égard
des autres membres de l’Union, ce qui n’est pas le
cas à l’égard de la Russie. L’Union européenne a
toujours cherché à entretenir avec l’URSS, puis la
Russie, des relations apaisées, à la fois en raison de
ses valeurs et de son inexistence militaire. Nombre
de ses membres participent certes à l’OTAN,
mais leur participation remonte à l’époque de la
guerre froide, et l’OTAN est une organisation de
guerre froide. On aurait donc pu escompter que les
ruptures déchirantes de la décennie 1990 allaient
permettre une reconstruction paneuropéenne de
la sécurité européenne, dépassant les antagonismes du passé au profit d’un système consensuel sur le modèle de la Conférence sur la sécurité
et la coopération en Europe (CSCE), dont le rôle
dans la fin de l’affrontement Est-Ouest avait
été considérable. Choisir l’OTAN plutôt que la
CSCE, devenue Organisation pour la sécurité et
la coopération en Europe (OSCE), était accepter
le risque de la confrontation au lieu de la réconciliation, choix fondateur de l’Union européenne
avec la coopération franco-allemande, voire, dans
le cas de certains milieux en Pologne, souhaiter
la confrontation.
La confrontation, c’est la méfiance à l’égard de
la Russie, dont l’objet n’apparaît pas clairement
aux observateurs extérieurs. C’est aussi risquer
de se mettre en porte-à-faux par rapport à l’Union
européenne. On l’a mesuré, par exemple, lorsque,
pourtant fortement subventionnée par l’Union,
la Pologne a choisi des avions F-16 américains
plutôt que des avions européens. On l’a surtout
constaté lorsque, avant même son entrée dans
l’Union européenne, mais alors que celle-ci était
décidée, le pays a choisi de soutenir l’intervention
armée des États-Unis en Irak et de la coalition qui
la suivait, contre la position fortement affirmée
de l’Allemagne et de la France. Le secrétaire à
la défense américain, Donald Rumsfeld, pouvait
alors ironiser sur « la Vieille Europe », celle des
membres fondateurs, opposée à la « Nouvelle
Europe », celle des nouveaux membres. Bref,
le choix polonais était un choix transatlantique,
et même un choix américain. La Pologne se vit
comme la pointe avancée d’un Occident dont
les États-Unis seraient le leader naturel, et non
comme un membre de l’Union pouvant contribuer à l’organisation d’un nouveau pôle international ayant ses intérêts et valeurs propres. La
vitalité intellectuelle et culturelle de la Pologne
est indéniable. Mais son développement rapide, sa
stabilité politique, la modernisation de sa société,
sa laïcisation sont surtout le produit de son appartenance à l’Union. Une démographie déclinante
obère, en outre, sa dynamique, comme celle de
nombreux pays européens.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
9
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Le syndrome de l’enfant battu
Pourquoi ces choix, qui peuvent sembler à contrecourant des intérêts de l’Union et de ceux mêmes
de la Pologne, au moins à long terme ? À première
vue, trois hypothèses peuvent être envisagées.
Dans la première, le pays serait un objet, un
instrument d’un grand jeu défini ailleurs, c’està-dire aux États-Unis. L’ouvrage de Zbigniew
Brzezinski, Le Grand Échiquier 1, oriente en ce
sens : dans une logique géopolitique et géostratégique, il pose que la maîtrise de l’Europe passe
par l’ensemble polono-ukrainien, et donc que
pousser la Pologne à développer son influence
en Ukraine est une clef pour une durable domination américaine, avec le mérite accessoire de
préempter l’autonomie stratégique de l’Union à
l’égard de la Russie. La deuxième hypothèse voit
une Pologne offensive par elle-même, attachée
à réparer ce qu’elle considère comme les injustices de l’histoire, à rétablir son ancienne prédominance dans l’espace de l’Europe orientale et
baltique, à repousser la Russie le plus loin possible
à l’Est. La troisième est plus défensive : c’est le
syndrome de l’enfant battu, qui redoute un retour
d’une Russie frustrée, qui craint qu’une Ukraine
incertaine et flottante ne le facilite, qui estime que
sans le développement concomitant de ses voisins
le sien propre est menacé.
Ces trois hypothèses sont plus cumulatives qu’alternatives, et la politique étrangère
polonaise peut emprunter aux trois en fonction
des domaines et des circonstances. Il est entre
les trois un point commun, qui est la méfiance
à l’égard de la Russie, alors qu’historiquement
la Pologne n’a pas moins souffert de l’agressivité allemande, même si le massacre de Katyń
demeure dans toutes les mémoires. Staline
– encore un mauvais calcul de sa part – aurait
déclaré en 1945 qu’il fallait gaver l’oie polonaise
de terre allemande, afin de prévenir tout rapprochement entre les deux pays. Il a favorisé le déplacement vers l’ouest des frontières polonaises, au
prix d’une épuration ethnique qui alors ne disait
pas son nom. En réalité, c’est aujourd’hui avec
l’Allemagne réunifiée que la Pologne a les liens
1
Le Grand Échiquier. L’Amérique et le reste du monde
[traduction de The Grand Chessboard: American Primacy and Its
Geostrategic Imperatives], Bayard, Paris, 1997.
10
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
les plus étroits en Europe. Quant à la Russie,
la présence de la Biélorussie qui en reste très
proche, de l’enclave de Kaliningrad fortement
militarisée, la réaffirmation de sa puissance par la
présidence Poutine peuvent objectivement justifier l’inquiétude polonaise. N’oublions pas non
plus le jeu de certains milieux américains très
actifs dans les mouvements récents en Ukraine,
sans considération pour l’Union européenne, ses
positions et ses intérêts, comme l’ont illustré les
propos méprisants, voire orduriers, de Victoria
Nuland, secrétaire d’État adjointe chargée de
l’Europe et de l’Eurasie.
La crise ukrainienne et ses développements en
cours sont une pierre de touche des ambitions
polonaises, et peuvent renouveler ses frustrations.
Cette crise est au demeurant à somme négative
pour tous, un gâchis pour l’Europe dans son
ensemble. L’accord d’association entre l’Ukraine
et l’Union a été négocié de façon discrète sans que
ses conséquences soient mesurées, sans que la
Russie soit impliquée alors que ses intérêts dans
la région sont légitimes, et qu’il est clair qu’il était
conçu par ses promoteurs comme un chaussepied pour l’entrée dans l’Union et peut-être dans
l’OTAN. Là ne sont évidemment pas les intérêts
de l’Union, qui n’a pas vocation à accueillir un
pays aux élites mafieuses et corrompues, pas
davantage à se confronter à la Russie, revenant
à une guerre froide d’un nouveau style. Enfant
battu de l’Europe, la Pologne peut estimer n’avoir
de comptes à rendre à personne et mener son
propre jeu en mettant les autres devant des faits
accomplis, car elle n’a guère bénéficié de solidarités historiques effectives. Elle fait fond sur le
soutien américain : là est sans doute son erreur, car
les États-Unis ne se sont pas mobilisés pour elle
en 1939, ne l’ont guère soutenue à Yalta et l’ont
négligée lors des mouvements anticommunistes
de 1956. Déjà face à la crise ukrainienne ils ont
pris leurs distances, et il est clair que le dialogue
avec la Russie leur importe avant tout. L’OTAN
n’est pas au surplus une garantie automatique.
L’isolement n’a jamais été une posture favorable
à la Pologne. Elle semble en prendre conscience
désormais, quoique tardivement. ■
Serge Sur
Retour dans le concert
des nations
Georges Mink *
* Georges Mink
est directeur de recherche émérite
à l’Institut des sciences sociales
Quinze ans se sont écoulés depuis l’adhésion
de la Pologne à l’OTAN – le 12 mars 1999 – et dix ans
permanent au Collège d’Europe
(campus de Natolin). Il a codirigé
depuis celle à l’Union européenne – le 1er mai 2004.
(avec Laure Neumayer), History,
Les élites libérales actuellement au pouvoir ont souhaité
Memory and Politics in Central and
faire de ces anniversaires une grande fête célébrant
Eastern Europe, (Palgrave Macmillan,
la réussite des Polonais et de la Pologne, leur retour
2013) et prépare la publication
de Pologne au cœur de l’Europe
sur la scène européenne et, plus largement,
(1914-2014).
dans le concert des nations. Mais ces deux dates sont
loin d’être les seules à retenir l’attention des autorités,
bien conscientes que le poids du passé, tant à l’intérieur du pays qu’à
l’extérieur et notamment vis-à-vis des États voisins, n’est pas sans
incidence sur les décisions politiques.
du politique au CNRS, professeur
En septembre 1989, au sortir du régime
communiste, les Polonais s’engageaient sur un
chemin inconnu avec pour horizon espéré un
régime démocratique et une économie capitaliste. Vingt-cinq ans plus tard, une sorte de
pulsion commémorative s’est emparée d’eux,
alors que 2014 rime avec un nombre exceptionnel d’anniversaires à chiffres ronds. La
plupart des célébrations qui y sont associées
révèlent la fierté d’un pays qui a su mettre
à profit cette période pour mener à bien les
processus de changement de régime politique,
de transition vers l’économie de marché et de
retrouvailles avec les communautés européenne
et transatlantique. D’autres anniversaires encore
rendent compte des oscillations historiques de
cette nation éprouvée par les occupations étrangères. Ces commémorations sont l’occasion de
constater qu’entre l’histoire choisie et l’histoire
subie les conflits de mémoire continuent à jouer
un rôle majeur dans l’espace public.
La nouvelle Pologne
Il y a vingt-cinq ans se terminaient les
négociations de la Table ronde en vertu desquelles
furent organisées, le 4 juin 1989, des élections
qualifiées de semi-libres 1. En septembre 1989,
le premier gouvernement non communiste de
la région, avec à sa tête Tadeusz Mazowiecki,
obtenait son investiture. Quelques mois plus tard,
la « thérapie de choc » destinée à assainir l’économie était mise en œuvre par le nouveau ministre
des Finances, Leszek Balcerowicz. On lui attribue
le mérite d’avoir guidé avec succès la transformation d’une économie de type soviétique obsolète
en une économie de marché performante. En
quelques mois, il a étouffé l’hyperinflation, a fait
du zloty une monnaie forte et a ouvert la voie à
1
À la Diète, 65 % des sièges furent réservés au Parti communiste
et seulement 35 % proposés à la compétition libre, tandis qu’au
Sénat les élections étaient entièrement libres.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
11
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
la restructuration industrielle. Celle-ci, en conduisant à des licenciements massifs, s’est d’ailleurs
paradoxalement retournée contre la base ouvrière
du syndicat Solidarność (Solidarité), qui avait
fourni les élites alors au pouvoir.
Le coût social fut très important, puisque
la baisse moyenne du pouvoir d’achat au début
des années 1990 fut d’environ 20 %. Toutefois,
malgré les mouvements de mécontentement nés
de ces réformes, la démocratie polonaise a résisté
et s’est même consolidée, plusieurs alternances
politiques ayant permis de canaliser ces mouvements sociaux. En particulier, l’arrivée au pouvoir
en 1993 d’une gauche ex-communiste convertie
au social-libéralisme avec à sa tête le président
Aleksander Kwaśniewski, élu pour deux mandats
consécutifs (1995-2000, 2000-2005), a rassuré
l’électorat de gauche, qui craignait la vengeance
des vainqueurs. L’autre partie de l’électorat
d’A. Kwaśniewski, quant à elle, a adhéré à son
slogan moderniste « Choisissons l’avenir ».
Depuis 2005, cette gauche s’est néanmoins
effritée, laissant aux différents courants de la
droite le monopole de la gouvernance.
Deux anniversaires ont trait au statut international et à la politique étrangère de la Pologne.
En effet, le pays est membre de l’Organisation du
traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis quinze
ans et de l’Union européenne depuis dix ans.
L’adhésion à l’Union européenne est considérée
comme très bénéfique surtout au plan économique,
tandis que celle à l’OTAN a permis aux Polonais
d’accroître leur sentiment de sécurité et d’affirmer
leur euro-atlantisme. Mais ces deux anniversaires
ont été commémorés avant tout par les publics les
plus mobilisés, comme par exemple la Fondation
Robert-Schuman et le Mouvement européen.
Au début de la transition, c’est l’intégration dans les structures militaires de l’OTAN qui
a été jugée prioritaire par les élites démocratiques.
La Pologne a déployé alors d’immenses efforts
budgétaires pour donner des gages à l’Alliance
atlantique et la convaincre qu’elle méritait d’en
être membre à part entière. Elle a non seulement
procédé à la modernisation des équipements et à
l’adaptation de l’encadrement pour obtenir aussi
vite que possible l’interopérabilité militaire, mais
a aussi envoyé des contingents importants de
12
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
soldats au Kosovo, en Afghanistan, enfin en Irak.
Le soutien actif à la politique de George W. Bush
en faveur de la guerre contre Saddam Hussein en
Irak et l’accueil clandestin sur le territoire polonais
de prisonniers de la CIA soumis à des interrogatoires constitueront l’acmé de ce que certains
analystes ont appelé l’« atlantisme instinctif » de
la Pologne 2.
C’est la période où s’affirmera le statut de
« protégé » des Américains qui considèrent que
la Pologne a le potentiel et la volonté d’être un
leader régional. C’est aussi la période au cours de
laquelle s’accumuleront les malentendus sémantiques entre ses alliés européens – la France et
l’Allemagne – d’un côté, et les Américains de
l’autre. Le paraphe de la Pologne aux côtés de
sept autres pays européens – dont la Hongrie, la
République tchèque et la Slovaquie – en soutien
de l’intervention militaire en Irak lui vaudra d’être
incluse dans le sermon de Jacques Chirac, jugeant
qu’« ils se sont comportés avec légèreté [et] ont
manqué une bonne occasion de se taire » 3.
Quelques semaines plus tôt, le secrétaire
d’État américain à la défense, Donald Rumsfeld,
avait récompensé les pays est-européens, notamment la Pologne, en établissant une division du
continent entre « Nouvelle Europe » et « Vieille
Europe ». « Si vous regardez l’Europe, son centre
de gravité passe à l’Est », selon la thèse normative d’un basculement de l’Europe anachronique
– Allemagne et France opposées à la guerre en
Irak – vers l’Europe dynamique – dont la Pologne 4.
Cette orientation atlantiste s’est partiellement estompée depuis l’adhésion de la Pologne à
l’Union européenne, mais ce pays reste l’un des
meilleurs élèves de la classe puisque le président
polonais, Bronisław Komorowski, s’est prononcé,
à l’occasion de la commémoration du 25e anniversaire des élections semi-démocratiques en
2
À ce sujet, voir Marcin Zaborowski et Kerry Longhurst,
« America’s Protégé in the East? The Emergence of Poland
as a Regional Leader », International Affairs, vol. 79, no 5,
octobre 2003, p. 1009-1028. Les auteurs expliquent ce concept
d’atlantisme instinctif, entre autres facteurs, par l’histoire
douloureuse de la Pologne qui est à la base d’une culture géopolitique ne faisant confiance, pour garantir la sécurité du pays,
qu’aux États-Unis.
3
Voir la conférence de presse de Jacques Chirac à l’issue de la
réunion informelle du Conseil européen le 17 février 2003.
4
Voir à ce sujet Marcin Zaborowski et Kerry Longhurst, op. cit.
Saint-Pétersbourg
La Pologne (1918-1945)
Mer
Limites de la Pologne
de 1923 à 1939
ESTONIE
Guerre soviéto-polonaise
(1919-1921), avances :
Baltique
Riga
Autres États créés
après 1918
polonaise (juin 1920)
LETTONIE
soviétique (août 1920)
LITUANIE
Memel
Dantzig
´
(Gdansk)
Frontière germanosoviétique
du 28 sept. 1939 à 1941
Minsk
Hambourg
El
be
Ode
Berlin
r
Vis
tul
La Pologne aujourd’hui
Varsovie
e
POLOGNE
ALLEMAGNE
Kiev
Lublin
Wrocław
Rh
in
Paris
Cracovie
Prague
Munich
Rh
ôn
T C H É C O S L O VA Q U I E
e
Source : G. Duby, Grand Atlas historique, Larousse, Paris, 1997
et F. W. Putzger, Historischer Weltatlas, Cornelsen, Berlin, 1995.
ROUMANIE
HONGRIE
Pologne, en présence du président Obama, pour
l’augmentation du budget des dépenses militaires,
telle que souhaitée par les États-Unis et par le
secrétaire général de l’OTAN.
D’autres dates encore sont fêtées en 2014
pour rappeler aux Polonais leur héroïsme mais
aussi les côtés sombres de leur histoire. On
commémore ainsi l’année 1914 – et, plus généralement, la Première Guerre mondiale – qui incarne
le grand pari des leaders polonais de la cause
nationale, Józef Piłsudski et Roman Dmowski 5,
pour lesquels la guerre entre empires constituait
un moyen de retrouver l’indépendance 6.
Le 70e anniversaire de l’insurrection de
Varsovie donne lieu quant à lui à des controverses concernant l’utilité de ce sursaut patriotique d’août 1944 contre les nazis. Certains en
relèvent les conséquences meurtrières puisque, en
affaiblissant les capacités de résistance des élites
5
Józef Piłsudski (1867-1935) est considéré comme le père de
la iie République de Pologne, créée en 1918. Roman Dmowski
(1864-1939), théoricien de la démocratie nationale, fut son
principal concurrent.
6
Voir le dossier « L’Été 14 : d’un monde à l’autre (1914-2014) »,
Questions internationales, no 68, juillet-août 2014.
str
Odessa
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Budapest
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U.R.S.S.
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AUTRICHE
Dnie
Lwów
(Lviv)
BOHÊME-MORAVIE
FRANCE
Territoires incorporés
à l’U.R.S.S. après 1945
Bucarest
Danube
CRIMÉE
Mer Noire
500 km
Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014
Ligne Curzon (1919)
contre le nouvel occupant, il a favorisé la vassalisation de la Pologne par l’Union soviétique
quarante ans durant. Cependant, tout au long de
cette domination, divers courants d’opposition
n’ont eu de cesse d’y résister et plusieurs affrontements directs entre les différentes composantes de la société et le pouvoir communiste
ont émaillé l’histoire de ces décennies. On peut
présenter ces événements comme une série de
rendez-vous sociétaux manqués de l’opposition
au régime – en 1968 et en 1970 –, avant que ne
se réalise, en 1980, une union d’une grande partie
de la société. Les ouvriers, les intellectuels et
même les agriculteurs ont participé aux mouvements syndicaux sous la bannière de Solidarność
(août 1980-décembre 1981) qui a définitivement
délégitimé la prétention du pouvoir communiste à
représenter la société, et notamment les ouvriers 7.
7
Ce processus a été décrit dans plusieurs des ouvrages de
l’auteur, notamment, dans La Force ou la raison. Histoire sociale
et politique de la Pologne (1980-1989), La Découverte, Paris,
1989, ou dans deux ouvrages collectifs : Zinaïda Erard (pseud.
Ewa Bérard) et G.M. Zygier (pseud. Georges Mink) (dir.), La
Pologne : une société en dissidence, « Cahiers libres », no 338,
Maspero, Paris, 1978 ; Patrick Michel et Georges Mink, Mort
d’un prêtre. L’affaire Popieluszko. Analyse d’une logique normalisatrice, Fayard, Paris, 1985.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
13
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Le poids
du passé communiste
dans les jeux politiques
Le tournant s’est produit en 1976 lorsque
les intellectuels ont soutenu une nouvelle vague
de protestation ouvrière contre la vie chère, puis
lorsque l’opposition démocratique pluraliste,
forgée dans ces épreuves, a réussi une jonction
décisive avec les ouvriers autour de Solidarność.
Pluraliste, hybride dans sa composition sociologique, ce syndicat, avec ses dix millions de
membres, a constitué une véritable force de
frappe contre le pouvoir communiste. Ce dernier,
dans un réflexe de survie, a bien tenté une normalisation militaire en 1981 mais, face à la persévérance du mouvement social et de ses leaders, il a
fini par céder.
L’heureux dénouement est dû à ce mouvement endogène tout autant qu’à la conjoncture
internationale – relâchement du contrôle soviétique sous Mikhaïl Gorbatchev, pression des
États-Unis dans la compétition technologique,
irruption de l’ethos pacifique de la réconciliation prôné par le « pape polonais » Jean-Paul II.
Par chance, face aux opposants radicaux et aux
communistes conservateurs, ce sont les réformateurs du Parti et les modérés du syndicat qui
ont prévalu. Au nom de l’intérêt suprême de
la nation, le dialogue a pu être noué et déboucher sur un compromis négocié autour de la
Table ronde (février-avril 1989). En Pologne, les
héritages de cette période demeurent la source de
clivages profonds, et le système politique binaire
qui prévaut depuis le milieu des années 2000 se
structure autour de la compétition entre deux
narrations historiques contradictoires.
Conflits entre
narrations historiques
On remarquera l’absence, juste après les
accords de la Table ronde sur la sortie négociée
du communisme, du questionnement – pourtant
traditionnel dans le répertoire des acteurs lors
d’une transition – sur le traitement à réserver
au passé. Aucune préconisation n’a été donnée
quant à la manière de gérer le passé criminel de
14
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
l’ancien régime, le compromis polonais s’inspirant implicitement du modèle espagnol, où les
adversaires d’hier sont devenus les garants du
processus de démocratisation. C’est ainsi qu’au
début des transformations la marge de manœuvre
des partisans de la pénalisation du passé criminel
communiste fut délibérément réduite, quitte à
entraîner des flottements législatifs et institutionnels dans le domaine de la gestion du passé
communiste. Cet élément explique pourquoi ce
débat revient cycliquement, comme s’il fallait à
tout prix combler un vide.
Le principal acteur institutionnel de ces
jeux mémoriels est l’Institut de la mémoire nationale (en polonais, Instytut Pamięci Narodowej
ou IPN), créé en 1999, soit dix ans après la chute
du communisme. Ses adversaires l’ont aussitôt
baptisé avec dédain « ministère de la Mémoire
nationale ». Pour ses protagonistes, l’institution
permet en revanche de séparer les archives de
la police politique communiste de celles de la
Pologne démocratique de manière à se protéger
de la tentation d’utiliser les dossiers personnels dans les jeux politiques. De par sa fonction
juridique, l’IPN devait œuvrer à faire justice aux
victimes du système communiste et à rendre
hommage à ceux qui ont combattu pour la liberté
et l’indépendance de la Pologne.
D’emblée, l’Institut a contribué à lancer
des chantiers historiques importants, en prenant
par exemple à bras le corps l’enquête sur
l’ampleur des pogroms perpétrés par la population polonaise contre ses voisins juifs entre 1940
et 1941 8. Le personnel juridique de l’IPN a
pu instruire un certain nombre de procès de
« responsables des crimes (nazis ou communistes) dirigés contre la nation polonaise ».
Mais, entre 2005 et 2010, il est devenu l’instrument d’une « politique historique » lancée à
l’initiative des frères Kaczyński. Cette période
8
Cette enquête a été lancée après la publication, en 2001, de
l’ouvrage de l’historien Jan Tomasz Gross, aujourd’hui professeur à l’université de Princeton. Il y fait le récit du massacre par
des Polonais de leurs voisins juifs dans le village de Jedwabne,
durant la période située entre le retrait des Soviétiques – qui
occupaient depuis le 17 septembre 1939 la partie orientale de
la Pologne – et l’arrivée des armées allemandes. Jan T. Gross,
Les Voisins. 10 juillet 1941. Un massacre de Juifs en Pologne,
Fayard, Paris, 2002.
9
Voir à ce propos Georges Mink, « Institutions of National
Memory in Post-Communist Europe: From Transitional Justice
to Political Uses of Biographies (1989-2010) », in Georges Mink,
Laure Neumayer (dir.), History, Memory and Politics in Central
and Eastern Europe. Memory Games, Palgrave, Macmillan,
2013, p. 155-173.
© AFP
se caractérise par l’idéologie de la « wzmoźenie moralne » (intensification morale). L’IPN a ainsi
propagé l’idée que la « lutte contre le communisme ne s’est pas achevée avec 1989 ni même
avec l’implosion de l’URSS ». Le rôle de cet
Institut est aussi d’instruire des procès à charge
contre les anciens membres des services de la
police politique et contre les militants communistes les plus impliqués dans la politique répressive avant 1989.
Cependant, la justice transitionnelle qui
s’appuie sur des lois de « lustration » – vérification du passé des cadres politiques communistes –
n’a pas connu un grand succès en Pologne.
Escamotée dès 1992 par ses propres partisans qui
précipitent la publication « sauvage » des listes
de soi-disant collaborateurs, elle ne sera réellement mise en place qu’à partir de 1997, puis
précisée en 2006. Le sentiment demeure cependant qu’elle a été « ratée » ou, à tout le moins,
inachevée, seuls quelques rares procès ayant pu
se tenir 9.
Cette politique historique a contribué
à approfondir les clivages politiques et s’est
traduite par la consolidation d’un système dominé
par deux partis, la Plateforme civique (Platforma
Obywatelska, PO) de l’actuel Premier ministre
Donald Tusk et du président de la République
Bronisław Komorowski d’un côté, et le parti
Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS)
dirigé par Jarosław Kaczyński de l’autre. Depuis
la victoire de la Plateforme civique aux élections
législatives de 2007, la « politique historique »
a perdu de son impétuosité. Le clivage entre les
« artisans du compromis de la Table ronde »
– PO, Sojusz Lewicy Demokratycznej (SLD)
ex-communiste et courants liés au Parti paysan
polonais (Polskie Stronnictwo Ludowe, PSL) –
et ses pourfendeurs – PiS, extrême droite et
milieux catholiques de Radio Maryja, station
fondée par le prêtre intégriste Tadeusz Rydzyk –
reste néanmoins l’axe de rotation du système
Le 7 décembre 1970, le chancelier ouest-allemand Willy Brandt, à l’origine
de l’Ostpolitik, ou politique de rapprochement et de détente avec les pays
du bloc soviétique, rend hommage aux victimes du ghetto de Varsovie.
politique binaire 10. Ces derniers entretiennent le
soupçon d’une entente secrète qui aurait permis
aux communistes d’échapper au jugement et
de retrouver des situations confortables dans le
nouveau régime, avec la complicité d’une partie
de l’opposition démocratique.
La Pologne en Europe
C’est dans le domaine de la politique étrangère que le pays a obtenu le plus de succès. Ils
sont à mettre d’abord au crédit du ministre des
Affaires étrangères Krzysztof Skubiszewski qui,
entre 1989 et 1993, fut l’artisan de changements
fondamentaux. Son programme visait trois
objectifs principaux : la dissolution des struc10
Sur cette question, voir l’article de Cédric Pellen dans le
présent dossier.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
15
DOSSIER
16
La Pologne au cœur de l’Europe
tures soviétiques, la réorganisation régionale par
la mise en place d’une politique de voisinage et
l’intégration euro-atlantique.
Varsovie travailla de concert avec la Hongrie
et la Tchécoslovaquie à la suppression des structures de domination soviétique. Le Conseil d’aide
économique mutuelle (CAEM) fut dissous en
juin 1991 et le pacte de Varsovie le 1er juillet 1991.
Certes, il a fallu attendre septembre 1993 pour que
les derniers soldats soviétiques quittent le territoire
polonais, mais cela n’a pas empêché le pays de se
doter préalablement d’une politique extérieure
indépendante. La Pologne a ainsi joué un rôle
décisif pour institutionnaliser la coopération
régionale instaurée par le groupe de Visegrád 11.
La normalisation des relations polonoallemandes fut consacrée lors des négociations
« 2 + 4 » 12 réunissant les représentants des deux
Allemagnes et les quatre puissances occupantes
au sortir de la Seconde Guerre mondiale, à savoir
les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et
l’URSS. Ces discussions avaient pour but de
régler définitivement la question allemande en
posant les bases et les conditions de la réunification : l’Allemagne renonçait à l’arme nucléaire et
ses frontières devenaient inaltérables.
La Pologne fut invitée lors des phases finales
des négociations. Elle signa avec l’Allemagne
réunifiée un traité qui rendait intangible la frontière
entre les deux pays, la ligne Oder-Neisse 13. Cet
accord ouvrit également la voie à l’établissement
d’un forum de coopération régionale entre Berlin,
Paris et Varsovie, connu sous le nom de Triangle
de Weimar. Formé en août 1991, le Triangle avait
alors pour but d’aider la Pologne à rejoindre les
institutions occidentales.
Trois raisons ont guidé l’orientation de
la politique de sécurité de la Pologne : combler
le vide sécuritaire dans lequel cette région était
tombée, éviter tout risque de finlandisation et
se protéger de la Russie dont on craint qu’elle
ne sombre dans l’autoritarisme et ne veuille
à tout prix conserver sa sphère d’influence.
En mars 1999, le ministre des Affaires étrangères Bronisław Geremek, en compagnie de ses
homologues tchèque et hongrois ainsi que de la
secrétaire d’État américaine Madeleine Albright,
paraphait le document d’adhésion à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
Dès 1989, les nouvelles autorités polonaises avaient envisagé une adhésion aux
Communautés européennes. Malgré les changements de majorité, la ligne pro-européenne de la
Pologne ne se démentit pas et, en 1994, le pays
se déclara officiellement candidat à l’Union européenne, qu’il rejoignit le 1er mai 2004.
Tout au long de ce processus qui a permis
à la Pologne de retrouver une place d’importance
sur la scène internationale, les bonnes performances économiques du pays ont en quelque
sorte légitimé sa démarche. La Pologne a, en
particulier, forcé l’admiration au sein de l’Union
européenne et au-delà, en 2008-2009, en pleine
crise financière. Alors que la vague de récession
submergeait l’Europe, elle a poursuivi sa croissance, à l’abri des crédits toxiques qui avaient
infecté le système bancaire mondial.
Toutefois, dans le contexte de cette double
intégration euro-atlantique, les relations avec la
Russie se sont, quant à elles, sensiblement dégradées. Si Boris Eltsine avait affirmé en août 1993
à Varsovie que la Pologne était libre de choisir
ses alliances, le gouvernement russe fit rapidement volte-face.
11
Créé en février 1991, le groupe de Visegrád réunit la Hongrie,
la Pologne et la Tchécoslovaquie (puis la République tchèque et
la Slovaquie depuis 1993).
12
Traité signé à Moscou le 12 septembre 1990.
13
Cette insertion de la Pologne doit beaucoup à l’insistance du
président François Mitterrand. Roland Dumas, alors ministre
des Affaires étrangères, déclara : « La Pologne compte sur la
France et ne veut pas d’un nouveau Yalta. Nous l’avons bien
compris. Le mieux dans ces conditions n’est-il pas, pour lever
toute équivoque, d’associer la Pologne à nos conversations
franco-allemandes ? »
Des relations polono-russes cycliques
Les relations entre la Pologne et la Russie
sont marquées par une profonde méfiance.
Pourtant, entre 2007 et 2010, les signes conciliateurs émis par les dirigeants des deux pays se
sont multipliés avec, en particulier, la mise en
action du « Groupe bilatéral pour les questions
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Le poids du passé
douloureux face aux voisins
difficiles » – composé d’historiens et créé
en 2002 – et l’initiative d’établir à Moscou
et à Varsovie des centres de dialogue polonorusse. Ce processus de réconciliation, qui s’est
appuyé sur une « diplomatie du pardon », était en
marche depuis plusieurs années déjà. Cyclique,
il avait débuté sous M. Gorbatchev à la fin des
années 1980, puis avait connu une accélération
sous B. Eltsine, lequel devait déclarer, en 1993,
au nom du peuple russe : « Pardonnez-nous, si
vous le pouvez. »
Force est toutefois de constater que le passé
conflictuel entre les deux peuples constitue un
cadre référentiel contraignant pour les dirigeants
politiques. La mémoire, même ancienne, peut
servir les stratégies actuelles. Comme par défi,
en pleine guerre des symboles historiques,
Vladimir Poutine a ainsi décrété, en 2005, que
le 4 novembre serait désormais le jour de l’Unité
nationale. Or cette date marque l’expulsion hors
de Moscou, en 1612, de l’armée polonaise qui
occupait le Kremlin. Les Polonais, quant à eux,
se souviennent qu’à partir de la fin du xviiie siècle
ce fut au tour de leur pays d’être occupé par
les Russes, de concert avec les Prussiens et les
Autrichiens.
L’État soviétique assura la continuité de
cet héritage impérial en attaquant en 1920 une
Pologne qui ne jouissait de son indépendance
que depuis deux ans. Le prétexte était fourni par
l’utopique extension de la révolution mondiale,
l’URSS se portant au secours de la révolution
allemande et piétinant au passage le pays intermédiaire. L’armée polonaise repoussa alors les
envahisseurs, fait d’armes qu’on qualifiera de
« miracle de la Vistule ».
© AFP / Alexander Joe
Ce processus s’était cependant enrayé
au milieu des années 1990 et la dynamique ne
s’est inversée, partiellement, qu’au cours des
années 2000. Le changement législatif intervenu
en Pologne en 2007 a en effet porté au pouvoir
une nouvelle majorité autour de D. Tusk, un
réaliste en politique étrangère qui se refuse à user
des appréhensions historiques dans les relations
internationales. L’équipe Tusk estime en particulier qu’il n’est pas souhaitable de laisser la Russie
hors des évolutions politiques de l’Europe.
Le Premier ministre polonais
Donald Tusk et son épouse
posent devant le monument aux
victimes du massacre de Katyń
à Johannesburg en Afrique du
Sud. De nombreux monuments
de ce type ont été érigés par
les communautés polonaises à
travers le monde, notamment
au Royaume-Uni, au Canada,
aux États-Unis et en Ukraine.
Puis vint le pacte Ribbentrop-Molotov,
signé le 23 août 1939, dont la clause secrète
postulait l’annexion par les Soviétiques
des territoires orientaux de la Pologne le
17 septembre, soit à peine dix-sept jours après
l’agression des armées nazies. C’est durant
ce bref intermède de l’alliance entre nazis et
Soviétiques que les troupes du NKVD (Narodni
Komissariat Vnoutrennikh Diel – Commissariat
du peuple aux Affaires intérieures), la police
politique de l’Union soviétique, se livrèrent au
printemps 1940 à une série de massacres dont
le charnier de la forêt de Katyń est devenu le
symbole, même si les lieux de crimes sont bien
plus nombreux.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
17
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Depuis l’implosion de l’Union soviétique,
la Pologne n’a plus qu’un point de contact direct
avec son voisin, l’enclave de Kaliningrad. Ce
morceau de territoire est suffisant pour entretenir un climat de méfiance chez les Polonais,
d’autant qu’il abrite une importante base
militaire. Au milieu des années 1990, la suggestion russe de créer un corridor extraterritorial
entre Kaliningrad et la Biélorussie via la Pologne
suscita notamment des inquiétudes palpables.
La diplomatie russe montre également des
signes de nervosité face à la politique orientale
de la Pologne, surtout lorsque celle-ci se veut
garante de la souveraineté de l’Ukraine. Des
pics d’hostilité ont été atteints sur ce dossier
en 2004 et en 2013-2014, lorsque par deux
fois les Ukrainiens ont exprimé des tendances
pro-occidentales activement soutenues par les
Polonais.
Le 10 avril 2010, la catastrophe aérienne
de Smolensk, dans laquelle périrent le président
polonais Lech Kaczyński et de nombreux
représentants des élites polonaises, a ouvert de
nouveaux contentieux entre les deux nations. Cet
accident a contribué à approfondir la division de
l’arène politique nationale polonaise, les partisans de la thèse de l’attentat accusant le gouvernement PO de collusion avec « l’ennemi russe ».
Un parallèle a même été dressé par certains entre
cet épisode douloureux et les traumatismes du
passé : la catastrophe ayant eu lieu près de Katyń,
lieu du massacre des officiers polonais par la
police politique de l’Union soviétique (NKVD),
d’aucuns emploient désormais le qualificatif
de Katyń II pour désigner cet accident d’avion.
Au cours de l’hiver 2013-2014, les événements
de Maïdan en Ukraine ont réactivé en Pologne
la représentation d’une Russie éternellement
impérialiste.
Les sujets de tension sont nombreux,
comme on a pu le constater avec l’embargo
imposé pour raisons sanitaires par la Russie sur
les importations de produits agricoles polonais,
interdiction qui n’a pu être levée que grâce à
l’intervention de la Commission européenne.
De même, la question de la dépendance énergétique vis-à-vis du fournisseur russe est devenue
très sensible depuis la crise ukrainienne, et
18
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
la Pologne appelle à la mise en place d’une
politique commune européenne en la matière.
Les projets d’installation d’un bouclier
antimissile et de batteries Patriot par les ÉtatsUnis sur le sol polonais ont également contribué
à déstabiliser les relations entre les deux pays.
La Russie, qui s’estime visée par ces éléments,
a menacé de répliquer par l’installation de
missiles Iskander dans l’enclave de Kaliningrad.
En décembre 2013, Moscou a successivement confirmé l’installation de ces missiles
à la « frontière avec l’Union européenne »
puis, quelques jours plus tard, l’a démentie. La
Pologne et les pays baltes ont alors émis une
vigoureuse protestation, suivis en cela par la
mise en garde adressée à Moscou par le secrétaire général de l’OTAN.
Les relations polono-allemandes
sur la voie de la réconciliation
En Pologne, la phrase d’Henry Kissinger
décrivant l’Allemagne comme trop grande
pour l’Europe et trop petite pour le monde est
une figure rhétorique souvent réactivée. Le fait
qu’après 1989 les relations polono-allemandes
aient été d’une exceptionnelle qualité n’élimine
pas entièrement l’hypothèque d’un long passé
d’hostilité 14. Cet héritage historique très lourd
a atteint son apogée pendant la Seconde Guerre
mondiale, créant un véritable abîme entre les
deux nations.
Les communistes l’avaient bien compris,
eux qui ont fabriqué un signe d’égalité entre
Allemand et nazi et y ont cherché une façon
de se légitimer en tant qu’antifascistes résolus.
Ils jouaient là délibérément avec le sentiment
antigermanique des Polonais. Les tentatives pour
rompre ce cercle de rejet et de haine furent entreprises, côté polonais, par l’épiscopat en réponse
à une déclaration de l’Église évangélique
allemande – lettre de 1965 des évêques polonais
contenant la phrase suivante : « Nous pardonnons et demandons pardon. »
Du côté allemand, le chancelier
Willy Brandt (1913-1992) imprima à la politique
14
Sur cette question, voir aussi l’encadré de Dorota Dakowska
dans le présent dossier.
allemande une réorientation inspirée par le
triptyque gaullien : détente-entente-coopération.
C’est d’ailleurs W. Brandt qui, lors de sa visite
en Pologne en décembre 1970, s’agenouilla
devant le monument des combattants du ghetto
de Varsovie. Par ce geste symbolique, il consolidait le modèle d’une Allemagne idéale pour les
Polonais, comme l’exprima le ministre polonais
des Affaires étrangères, B. Geremek, lorsque
l’Université libre de Berlin lui décerna le titre de
docteur honoris causa le 15 janvier 1999 : « Les
Allemands ont le choix entre deux traditions.
L’une est symbolisée par Brandt agenouillé
devant le monument du ghetto de Varsovie, par le
testament d’Adenauer postulant les trois grandes
réconciliations [avec la France, la Pologne
et Israël], par Herzog rendant hommage aux
insurgés de l’insurrection de Varsovie. L’autre
tradition, liée à la RDA, consiste à transférer à
d’autres la responsabilité des agissements de
l’Allemagne du xxe siècle. » Bonn se prononça
d’ailleurs assez rapidement pour l’adhésion de
Varsovie aux structures euro-atlantiques 15.
L’arrivée au pouvoir en 1998 d’un nouveau
chancelier issu du SPD, Gerhard Schröder,
changea quelque peu la donne. D’autant que
celui-ci, lors de sa campagne électorale, avait
exprimé des doutes quant à la nécessité de hâter
l’élargissement européen 16. Le ministre polonais
des Affaires étrangères, B. Geremek, rappela
alors : « […] Les paroles d’Henry Kissinger
n’ont pas perdu leur actualité. […] Une question
demeure : comment l’Allemagne réunifiée utilisera-t-elle sa puissance ? La réponse à cette
question associe la mémoire allemande du
15
Les traités de bon voisinage et de coopération signés par
Berlin et Varsovie entre 1990 et 1991 donnèrent également une
impulsion forte au renforcement de la coopération au niveau
sociétal. Deux organismes furent créés, un Fonds de coopération germano-polonais et un Office germano-polonais pour la
jeunesse. Des gestes symboliques de grande importance furent en
outre accomplis des deux côtés.
16
Les tensions avec le gouvernement Schröder se cristallisèrent
également autour de la construction du gazoduc Nord Stream qui,
via la mer Baltique, relie directement la Russie à l’Allemagne.
Ce projet, soutenu par Berlin et fruit d’un accord entre sociétés
énergétiques européennes et russe, pourrait permettre de couper
l’approvisionnement en gaz de la Pologne sans incidence pour
Berlin. L’entrée de G. Schröder au conseil d’administration
de Nord Stream après ses deux mandats de chancelier apparut
comme une confirmation légitimant les soupçons de favoritisme
au profit de la Russie.
passé avec la vision allemande de l’avenir 17. »
Après l’élection de L. Kaczyński à la présidence polonaise en décembre 2005, la germanophobie du PiS trouva un terrain d’expression en
attaquant la chancelière allemande fraîchement
élue elle aussi, Angela Merkel.
Depuis les dernières alternances côté
allemand comme polonais, les gouvernements
sont plus pragmatiques et tiennent les émotions
hors du champ de la politique. Angela Merkel a
soutenu le projet polono-suédois de Partenariat
oriental. Le Triangle de Weimar a également
connu une relance, ce dont témoigne l’intervention des trois ministres des Affaires étrangères à
Kiev en février 2014. En novembre 2011 déjà,
le ministre polonais des Affaires étrangères,
Radosław Sikorski, avait prononcé un discours
remarqué sur la nécessité pour l’Europe d’avoir
une Allemagne forte et soucieuse de ses responsabilités. Cet événement fait penser que les
relations avec le voisin occidental pourraient être
définitivement normalisées.
Pologne-Ukraine ou le dépassement
d’une mémoire douloureuse
Dès 1989, les nouvelles élites polonaises
ont tenu à aplanir le potentiel des conflits
mémoriels avec l’Ukraine et ont fait figurer
ce voisin immédiat au rang des priorités de la
politique étrangère. Ainsi la Pologne a-t-elle
été le premier pays à reconnaître le nouvel État
ukrainien en 1991. La construction du Partenariat
stratégique, puis du Partenariat oriental dans le
cadre de la Politique européenne de voisinage
(PEV) élaborée après 2004 au sein de l’Union 18,
nécessite en effet que soient levés les obstacles
mémoriels, notamment les représentations des
passés douloureux qui sont à la base de l’hostilité
entre les deux nations.
17
Du côté allemand, l’année 1998 marqua un autre point de
rupture avec l’émergence de tensions autour de l’Union des
expulsés allemands (BdV). Formée par les descendants des
Allemands ayant vécu sur les territoires occidentaux de la
Pologne, la BdV exigeait que l’Allemagne conditionne l’entrée
de la Pologne dans l’Union européenne à une indemnisation pour
les préjudices subis lors de l’expulsion.
18
Voir Elsa Tulmets, « La politique européenne de voisinage à
la recherche d’un nouveau souffle », Questions internationales,
no 66, mars-avril 2014, p. 95-102.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
19
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Il est vrai que les relations entre les
Ukrainiens et les Polonais n’ont pas toujours
été bonnes. Pendant et au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale, des crimes de masse
ont été commis des deux côtés : les massacres
de Volhynie et de la Galicie orientale (1943)
perpétrés par les nationalistes ukrainiens sur
la population rurale polonaise et, dans l’autre
sens et en guise de revanche, l’action de purification ethnique contre les Ukrainiens, montée
par la police politique communiste polonaise
après 1945, sont dans toutes les mémoires.
Avant les manifestations de la place
Maïdan, les Ukrainiens se méfiaient de chaque
geste conciliateur de la Pologne. Ils y voyaient
tantôt une tendance à concevoir l’Ukraine exclusivement par son Ouest et non par Kiev, Kharkiv,
Odessa ou Dnipropetrovsk, tantôt comme une
volonté d’instrumentaliser l’Ukraine comme
un État tampon. Enfin, ils soupçonnaient la
Pologne de s’être octroyée une mission singulière et « civilisatrice » en tant que représentante de l’Union européenne face à l’Ukraine.
Ce soupçon de manifestation de supériorité a
été balayé par la révolution ukrainienne. Pour
les Polonais admiratifs de l’héroïsme du mouvement pro-européen et démocratique de Maïdan,
c’est l’Ukraine rêvée qui est apparue lisible, et
la promesse d’un voisinage sans arrière-pensée.
●●●
Deux événements récents symbolisent
parfaitement le rôle croissant de la Pologne dans
le concert des nations. La présidence polonaise
de l’Union européenne, en 2011, a permis de
diffuser une image positive du pays en éliminant au passage certains stéréotypes négatifs.
Plusieurs des objectifs de cette présidence ont
d’ailleurs été réalisés, comme la rédaction du
traité d’adhésion de la Croatie.
Par une série de récentes prises de position,
la Pologne a confirmé un mouvement plus large
constaté au cours des dernières années, à savoir
sa volonté de rejoindre le petit groupe des pays
membres qui se distinguent par leur acharnement
à affirmer le credo européen, par l’originalité de
20
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
leurs propositions et par la volonté de contribuer
au sauvetage de l’Union via son approfondissement. À cet égard, on peut noter un apparent
paradoxe. Les Polonais restent majoritairement
europhiles, comme peu d’autres nations au sein
de l’Union européenne. Mais simultanément, ils
n’ont été que 23 % à prendre part aux élections
européennes de 2014 et ont envoyé au Parlement
européen un contingent important d’élus eurosceptiques (PiS) et quelques députés antieuropéens, menés par Janusz Korwin-Mikke et
son nouveau parti d’extrême droite.
En réalité, comme ailleurs, les élections
européennes ont été interprétées par la majorité
des Polonais comme un enjeu de politique
intérieure. La commémoration du 25e anniversaire des élections semi-démocratiques,
organisée à Varsovie le 4 juin 2014 en présence
de plus de quarante chefs d’État et de gouvernement, a en outre été l’occasion de reconnaître à
la Pologne son rôle pionnier dans le processus
de démantèlement des régimes communistes à la
fin des années 1980. C’est bien ce qu’a traduit
le discours du président Barack Obama rappelant
que « nous ne devons pas oublier que l’étincelle
de l’espoir est venue de Pologne ».
Alors que la crise ukrainienne et la
politique menée par la Russie ont ravivé
certaines des craintes ressenties par les anciens
pays satellites de l’URSS, les dirigeants
présents – dont le nouveau président ukrainien
Petro Porochenko – ont fait front uni avec le
chef de l’État américain pour souligner le rôle
géopolitique de la Pologne dans cette nouvelle
conjoncture internationale. Au même moment,
le président polonais B. Komorowski a proposé
d’accélérer la réflexion sur la nécessité pour son
pays de rejoindre la zone euro. Si l’idée n’est pas
très populaire auprès d’une population polonaise
redoutant une brusque dégradation de son niveau
de vie, elle est largement soutenue par les élites
qui considèrent que, sans l’adoption de l’euro,
la Pologne ne pourra pas satisfaire son ambition
d’être un acteur qui compte au sein de l’Union
européenne et dans le monde. ■
X Pologne : quelques éléments chronologiques
966
1791
Le prince de Pologne Mieszko I
se convertit au christianisme.
er
1025
Boleslas Ier est sacré roi de Pologne
et fonde la dynastie des Piast.
1034-1058
Casimir Ier installe sa capitale
à Cracovie.
1333-1371
Casimir III le Grand lance l’expansion
vers l’est (Ruthénie, Volhynie) et
fonde l’université de Cracovie (1364).
1385-1386
Le mariage de la reine Hedwige de
Pologne et de Jogaila, grand-duc
de Lituanie, roi de Pologne sous
le nom de Ladislas II, entraîne le
rapprochement des deux pays et est à
l’origine de la dynastie des Jagellon.
1569
4 juillet : l’acte de Lublin réunit la
Pologne et la Lituanie en un seul État,
la république des Deux Nations, qui
devient une monarchie élective.
1596
L’Union de Brest scelle l’allégeance
au pape d’une partie de l’Église
orthodoxe des provinces ruthènes de
la République polono-lituanienne.
Le roi Sigismond III Vasa déplace la
cour de Cracovie à Varsovie.
1612
L’armée polonaise qui occupait le
Kremlin est chassée de Moscou.
1772
5 août : les souverains russe,
prussien et autrichien réunis à SaintPétersbourg organisent le premier
partage de la Pologne.
3 mai : la Diète dote la Pologne d'une
Constitution, qui établit la monarchie
héréditaire au profit de la maison
de Saxe.
1793
25 septembre : suite à l’invasion de la
Pologne par la Russie, opposée aux
réformes internes, le traité de Grodno
entre la Russie et la Prusse organise
le deuxième partage de la Pologne.
1795
3 janvier : le troisième partage de la
Pologne entre la Russie, la Prusse
et l’Autriche met fin à l’existence de
l’État polonais.
1807
Napoléon amorce une renaissance
d’un État polonais sous la forme du
duché de Varsovie, formé sur des
territoires arrachés à la Prusse
et à l'Autriche.
1815
Le Congrès de Vienne dissout le
duché de Varsovie et reconstitue un
royaume du Congrès sur lequel règne
le tsar.
Pologne, libérée des puissances
impériales allemande, autrichienne
et russe.
1920
La Pologne, en guerre contre
la Russie soviétique pour la
détermination de sa frontière
occidentale, est aidée par la GrandeBretagne et la France, notamment le
général français Maxime Weygand et
le jeune capitaine Charles de Gaulle.
Août : le « miracle de la Vistule »
permet à l’armée polonaise, menée
par Józef Piłsudski, d’arrêter l’Armée
rouge devant Varsovie.
1921
19 février : la Pologne signe un traité
d’alliance avec la France.
17 mars : la Constitution de la
IIe République est adoptée.
18 mars : la paix de Riga entre la
République polonaise et la Russie
soviétique met fin à la guerre soviétopolonaise et permet à la Pologne de
repousser sa frontière orientale
d’environ 200 km à l’est de la ligne de
démarcation proposée par le ministre
des Affaires étrangères britannique
Lord Curzon.
1924
1918
8 janvier : le treizième des « quatorze
points » du président Wilson prévoit
un État polonais indépendant
disposant d’un accès à la mer.
11 novembre : la Pologne proclame
son indépendance. Józef Piłsudski en
devient le chef de l’État.
1919
17 février : début des affrontements
avec la Russie, Lénine souhaitant
traverser la Pologne pour apporter
un soutien militaire à la révolution
allemande.
28 juin : le traité de Versailles
reconnaît l’indépendance de la
Avril : la Pologne se dote de sa propre
monnaie, le zloty.
1925
Février : la Pologne signe un
concordat avec le Saint-Siège.
1926
12 mai : un coup d’État militaire du
maréchal Piłsudski met un terme
au régime démocratique.
1932
25 juillet : la Pologne signe un traité
de non-agression avec l’Union
soviétique.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
21
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
1934
26 janvier : la Pologne signe un traité
de non-agression avec l’Allemagne,
dans un contexte de tensions
territoriales autour du corridor
de Dantzig.
1938
30 septembre : le colonel Józef Beck,
ministre des Affaires étrangères
aux ambitions impérialistes,
obtient à l’occasion des accords de
Munich une partie du territoire de
la Tchécoslovaquie autour de la ville
frontalière de Teschen.
1939
31 mars : après que la Pologne eut
décliné l’offre d’alliance de Hitler,
le Royaume-Uni se porte garant
de son indépendance.
23 août : le pacte de non-agression
germano-soviétique prévoit, dans
ses clauses secrètes, le partage de
la Pologne entre les deux États.
1er septembre : la Pologne est envahie
par l’Allemagne nazie.
17 septembre : la Pologne est envahie
par l’Union soviétique.
1940
Printemps : dans la forêt de Katyń, le
NKVD soviétique massacre plusieurs
milliers de membres de l’élite
polonaise, notamment de nombreux
officiers de l’armée.
Mai : les nazis créent le camp de
concentration d’Auschwitz (Oświęcim),
où périront entre 1,1 et 1,5 million de
personnes après la mise en œuvre de
la « solution finale » et des chambres
à gaz en 1942.
Octobre : les nazis créent le ghetto
de Varsovie afin d’y enfermer les
citoyens polonais de confession juive.
1942
14 février : création de l’Armia
Krajowa, armée de résistance
intérieure sous l’autorité du
gouvernement en exil à Londres.
22
1943
Avril-mai : le ghetto de Varsovie se
soulève et est détruit par l’armée
allemande.
1944
22 juillet : le Comité national, organe
de résistance communiste, crée
le Comité polonais de libération
nationale, gouvernement provisoire
concurrent du Gouvernement
polonais en exil.
Août : la répression de l’insurrection
de Varsovie laisse la résistance
nationaliste polonaise exsangue,
face à la passivité de l’armée
soviétique.
1945
17 janvier : l’armée soviétique libère
Varsovie. Au sortir de la guerre,
la ville est complètement détruite.
Février-août : les conférences
de Yalta et de Potsdam fixent les
frontières de la Pologne entre la
ligne Oder-Neisse à l’ouest et la ligne
Curzon à l’est.
12 septembre : la Pologne dénonce
le concordat avec l’Église catholique.
1946
14 février : les populations
allemandes de Pologne commencent
à être expulsées.
1947
Janvier : le Parti ouvrier prend le
pouvoir et fusionne avec le Parti
socialiste pour former le Parti ouvrier
unifié de Pologne (POUP).
9 août : la Pologne renonce à
participer au plan Marshall sous
la pression de l’URSS.
1952
La Constitution de la République
populaire de Pologne est
promulguée. Elle est largement
inspirée de la Constitution soviétique
de 1936.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
1953
26 juillet : le cardinal Stefan Wyszyński,
primat de Pologne, est arrêté.
1955
14 mai : le pacte de Varsovie, alliance
militaire entre les démocraties
populaires d’Europe centrale et
l’URSS, est signé.
1956
Juin : des émeutes ouvrières et
paysannes éclatent à Poznań dans le
contexte de la déstalinisation.
21 octobre : Władysław Gomułka,
exclu en 1948 pour déviationnisme,
revient au pouvoir et engage des
réformes libérales (« l’octobre
polonais »).
28 octobre : le cardinal Wyszyński
est libéré.
1968
Mars : dans un contexte de révoltes
étudiantes, le général Mieczysław
Moczar, ministre de l’Intérieur, lance
une campagne de purges antisémites.
1970
Décembre : des émeutes ouvrières
à Gdańsk et dans d’autres villes
de la côte baltique contraignent
W. Gomułka à la démission.
7 décembre : dans le cadre de
l’Ostpolitik, le chancelier allemand
Willy Brandt, présent à Varsovie pour
signer un traité entre la Pologne et
la République fédérale d’Allemagne
(RFA), s’agenouille devant le
monument aux combattants du
Ghetto afin de leur rendre hommage.
1978
16 octobre : l’archevêque de Cracovie
Karol Wojtyła est élu pape sous le
nom de Jean-Paul II.
1980
Novembre : le syndicat Solidarność
(Solidarité) regroupe les mouvements
syndicaux indépendants et autogérés
sous la conduite de Lech Wałęsa.
1981
13 décembre : face à l’activisme de
Solidarność, le général Jaruzelski
proclame « l’état de guerre » et fait
arrêter Lech Wałęsa, qui n’est libéré
qu’en novembre 1982.
1983
5 octobre : le prix Nobel de la paix est
décerné à Lech Wałęsa.
1989
Février-avril : le gouvernement
du général Jaruzelski légalise le
syndicat Solidarność et négocie
avec lui les accords dits de la « Table
ronde » sur la démocratisation
du pays.
4 juin : premières élections
semi-libres.
19 août : la Pologne se dote d’un
gouvernement non communiste
dirigé par Tadeusz Mazowiecki.
29 décembre : la Pologne cesse d’être
une « république populaire ». Début
de la IIIe République.
1990
12 septembre : la Pologne participe
aux négociations qui précèdent la
signature du traité de Moscou portant
règlement définitif concernant
l’Allemagne, entre les deux
Allemagne et les quatre puissances
occupantes (traité « 2 + 4 »).
Décembre : Lech Wałęsa est élu
président de la Pologne au suffrage
universel.
1991
Février : création du groupe
de Visegrád qui réunit la Hongrie,
la Pologne et la Tchécoslovaquie (puis
la République tchèque et la Slovaquie
après 1993).
25 février : les structures militaires
du pacte de Varsovie sont dissoutes.
17 juin : signature d’un « traité de
bon voisinage et de coopération
amicale » avec l’Allemagne réunifiée
établissant l’intangibilité de la ligne
Oder-Neisse comme frontière
entre les deux pays.
1er juillet : les structures politiques
du pacte de Varsovie sont dissoutes.
28 août : la Pologne signe avec la
France et l’Allemagne les accords
de Weimar, « instrument politique
intelligent » (Bronisław Geremek) de
coopération entre les trois États.
1994
Avril : la Pologne fait officiellement
acte de candidature auprès de l’Union
européenne.
1995
Novembre : Lech Wałęsa perd
l’élection présidentielle face au
candidat de la gauche ex-communiste
Aleksander Kwaśniewski (qui est
réélu en 2000).
1997
Février : un nouveau concordat
avec l’Église catholique est ratifié.
1999
L’Institut de la mémoire nationale
est chargé de juger les crimes des
régimes nazi et communiste et de
structurer le travail de mémoire
dans le pays.
12 mars : la Pologne adhère à
l’Organisation du traité de l’Atlantique
Nord (OTAN).
2003
Janvier : la Pologne cosigne la
« Lettre des huit » en soutien à une
intervention américaine en Irak.
Elle s’oppose ainsi à la position de
l’Allemagne et de la Fance.
2004
1er mai : la Pologne devient membre
de l’Union européenne.
2005
2 avril : le pape Jean-Paul II décède
après plus de vingt-six ans de
pontificat.
Octobre : la droite nationaliste et
catholique arrive au pouvoir avec
l’élection à la présidence de Lech
Kaczyński du parti Droit et Justice
(Prawo i Sprawiedliwość, PiS).
2007
La victoire dela droite libérale de
la Plateforme civique aux élections
législatives conduit Donald Tusk au
poste de Premier ministre.
2010
10 avril : l’avion du président
Kaczyński, qui se rendait à la
commémoration du massacre de
Katyń, s’écrase près de Smolensk
en Russie, entraînant la mort
du président et de nombreuses
personnalités polonaises. Bronisław
Komorowski lui succède au terme
d’une élection anticipée.
2011
8 novembre : l’inauguration du
gazoduc Nord Stream reliant
directement la Russie à l’Allemagne
à travers la mer Baltique réactive
les craintes polonaises d’un
condominium des deux puissances.
2013
28 octobre : le décès du premier
chef de gouvernement de la Pologne
postcommuniste Tadeusz Mazowiecki
marque la fin du système politique
issu de Solidarność et des accords de
la Table ronde.
2014
20 février : les ministres des Affaires
étrangères du Triangle de Weimar,
Radosław Sikorski, Frank-Walter
Steinmeier et Laurent Fabius,
se rendent à Kiev afin de tenter
d’apporter une réponse européenne
à la crise en Ukraine.
27 avril : Jean-Paul II est canonisé
par le pape François à Rome.
25 mai : la mort du général Jaruzelski
réactive les dissensions nationales
sur la mémoire du communisme.
2016
Juillet : les XXXIes Journées mondiales
de la jeunesse se tiendront
à Cracovie.
Questions internationales
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
23
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
La Pologne au sein
de l’Union européenne
Ewa Kulesza *
et Christian Lequesne **
* Ewa Kulesza
est directrice exécutive du Centre
d’études et de recherches internationales
Depuis 2007, l’une des priorités de la politique du
gouvernement de Donald Tusk vise à faire de la Pologne
** Christian Lequesne
un acteur qui compte au sein de l’Union européenne. Cette
est directeur de recherche au CERI
et professeur à Sciences Po.
finalité puise ses racines dans un modèle historique ancien,
réaffirmé aujourd’hui avec force. Il ne fait aucun doute que
l’engagement européen de la Pologne s’est largement raffermi par
rapport à ce qu’il était en 2004 au moment de l’adhésion du pays. Ce
saut qualitatif a contribué à la success story polonaise, manifeste si
l’on compare la situation de ce pays à celle des autres nouveaux États
membres. Ce choix, intrinsèquement lié à la présence au pouvoir de la
Plateforme civique, n’a cependant rien d’irréversible.
(CERI).
Rodzinna Europa, en polonais, signifie
l’Europe natale, l’Europe familière. C’est le
titre de l’essai autobiographique du prix Nobel
de littérature, Czesław Miłosz, paru en 1959.
La traduction française, Une autre Europe, ne
rend pas justice au titre original 1. Cette imperfection illustre bien l’écart entre ce pays et la
perception qu’en a l’ouest du continent, les
incompréhensions et les différences de représentations à propos de ce que C. Miłosz appelle
« la moins bonne partie de l’Europe ». L’histoire
de la Pologne atteste pourtant un attachement
profond à l’esprit européen. De ce point de vue,
son adhésion à l’Union européenne en 2004 est
une continuité de l’histoire. Elle explique l’enga1
Première édition polonaise, Instytut Literacki, Paris, 1959.
Première édition française, Gallimard, Paris, 1964. Le titre de la
version anglaise, parue chez Doubleday en 1968, Native realm:
a search for self-definition, est également imparfait en ce qu’il
omet toute référence à l’Europe.
24
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
gement ambitieux de la Pologne contemporaine
dans l’expérience de la construction européenne.
L’européanité polonaise
Un ancrage ancien
La Pologne contemporaine, qui vient de
vivre l’un des « meilleurs quarts de siècle de son
histoire » 2, assume son européanité sans interrogation majeure. De fondation précoce – le couronnement du premier roi polonais en 1025 n’est
précédé que par celui d’Étienne de Hongrie –,
l’État polonais trouve son développement dans
une dynamique historique européenne. Il se
définit dès l’origine par les références religieuses,
culturelles et politiques communes de la papauté
et du Saint Empire, jouant de la fidélité absolue
2
Adam Michnik, cité par Gazeta Wyborcza, 20 mars 2014.
© Wikicommons
Fondée en 1364 par le roi Casimir le Grand
sur le modèle de la Sorbonne, l’université
jagellonne de Cracovie contribua à ancrer
la Pologne au cœur de l’Europe catholique.
C’est là qu’étudia l’astronome Nicolas
Copernic qui, au début du XVIe siècle,
développa la théorie de l’héliocentrisme.
à la première pour contrer la Marche vers l’Est
– Drang nach Osten – du second.
Plus tôt encore, le « baptême » de la Pologne
en 966 apparaît déjà comme un projet politique
étroitement inscrit dans un cadre européen. Il
s’agit d’opter pour la chrétienté de Rome et
non pour celle de Byzance, plus périphérique,
tout en formant une alliance régionale avec le
duché de Bohême pour conserver une distance
prudente face à l’élément germanique 3. Par le
jeu des alliances dynastiques, l’usage du latin,
l’adoption des règles et des coutumes féodales,
ou encore la fondation en 1364 de l’université
de Cracovie, la Pologne du Moyen Âge reflète la
« norme » européenne de son temps.
3
L’ouvrage le plus complet sur l’histoire de la Pologne reste
celui de Norman Davies, God’s Playground. A History of Poland,
Oxford University Press, Oxford, 1981.
Cette situation change radicalement à la
suite de la crise dynastique qui éclate lors du
décès en 1370 du roi Casimir le Grand, privé
d’héritier mâle. Et ce n’est pas le moindre des
paradoxes polonais qu’en cherchant un souverain dans une lignée européenne – les Anjou de
Hongrie – et en voulant se protéger de l’ordre
des Chevaliers teutoniques venu de l’Ouest, le
centre de gravité du royaume, ses ambitions et
ses perspectives d’expansion se déplacent vers
les confins orientaux de l’Europe. L’alliance
avec le grand-duché de Lituanie en 1386,
puis l’avènement de la république nobiliaire
des Deux Nations en 1569 font de la Pologne
homogène un Commonwealth multinational et
multireligieux.
Cette transformation apporte dans un
premier temps une splendeur et une gloire que la
Pologne n’aurait probablement jamais acquises
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
25
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Densité de population, 2012
Tallinn
ESTONIE
LETTONIE
Riga
LITUANIE
9
77
2
2
56
3
91
(en nombre d’habitants
par km²)
30
Prague
Densité de
population
17
Varsovie
POLOGNE
R É P. T C H È Q U E
S L O VA Q U I E
Bratislava
Budapest
HONGRIE
ROUMANIE
SLOVÉNIE
Ljubljana
Entités géographiques : régions
européennes (NUTS 2), données
2011 pour la Roumanie
Bucarest
BULGARIE
Sofia
Source : Eurostat, http://epp.eurostat.ec.europa.eu
en demeurant ancrée à un socle historique
purement centre-européen. Elle se traduit aussi
par les « galimatias » identitaires décrits par
C. Miłosz et par un affaiblissement du pouvoir
central au sein de l’État. Sur le plan international, l’union polono-lituanienne conduit
à succomber devant les projets impériaux
germaniques à l’Ouest et russes à l’Est, qui la
prennent durablement en tenailles entre les xviiie
et xxe siècles et, à plusieurs reprises (1772,
1793, 1795, 1815, 1939), l’oblitèrent des cartes
politiques de l’Europe.
L’opposition entre « la Pologne des
Piast » (xie-xive siècles), considérée comme une
puissance moyenne ethniquement homogène
et engagée dans une coopération harmonieuse
avec ses voisins et alliés, et la « Pologne des
Jagellon » (xive-xvie siècles), expansionniste
et aventurière, méfiante à l’égard du Saint
Empire germanique et de la Russie, demeure
une référence dans la réflexion contemporaine
sur l’État polonais et sur les orientations de sa
politique étrangère.
26
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014
Vilnius
À l’occasion du 70 e anniversaire de
l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale,
le ministre polonais des Affaires étrangères,
Radosław Sikorski, a écrit : « Les ambitions de
puissance “à la Jagellon” n’offrent pas la réponse
juste aux dilemmes géostratégiques et identitaires
de la Pologne. Cette réponse réside au contraire
dans le renforcement d’un État-nation moderne,
le terme de nation étant utilisé non pas dans son
acception ethnique, mais politique et citoyenne.
Cela signifie que l’engagement de la Pologne
dans le processus d’intégration européenne
renforce la modernisation de l’État polonais.
Modernisation et intégration sont les deux
notions clefs à l’étape actuelle du développement
de la Pologne 4. »
Une histoire récente apaisée
Les initiatives et les réalisations diplomatiques de la Pologne depuis 1989 doivent être
interprétées comme autant d’actes de liquidation
de pesants héritages historiques. L’engagement
en faveur de l’intégration européenne, dès la fin
du communisme, est à considérer comme indissociable de tous les efforts de modernisation de
l’État et de consolidation de la démocratie. La
normalisation des relations avec les voisins traduit
la nécessité de dépasser les griefs et les souffrances
imposés à la Pologne au cours des siècles.
À l’Ouest, l’Allemagne devient « un
partenaire stratégique, une alliée et une amie
de la Pologne », alors que la Seconde Guerre
mondiale avait inscrit une histoire difficile faite
de morts et d’expulsions 5. La normalisation
des relations avec les voisins immédiats à l’Est,
que ce soit par le biais des accords bilatéraux ou
par la promotion de la politique de voisinage de
l’Union européenne, traduit également la nécessité de dépasser le passé douloureux avec les
Lituaniens, les Ukrainiens et les Biélorusses.
Une méfiance demeure toutefois à l’égard
de la Russie, exacerbée par les démonstra4
Gazeta Wyborcza, 29 août 2009.
6 millions de morts victimes de la Seconde Guerre mondiale,
dont 3 millions de citoyens polonais de confession juive et
3 millions de confession chrétienne, et l’expulsion ou le départ,
après 1944, de millions d’Allemands des territoires allemands
situés à l’ouest de la frontière Oder-Neisse. Sur cette question,
voir l’encadré de Dorota Dakowska dans le présent dossier.
5
➜ FOCUS
Quelques personnalités polonaises
Jean-Paul II (1920-2005)
Prêtre catholique sous le régime communiste, Karol Wojtyła est consacré archevêque de Cracovie en 1964. Élu en 1978 au
siège pontifical, il devient le premier pape
non italien depuis le xvie siècle. Au cours d’un
pontificat long de près de 27 ans, il réforme
en profondeur l’Église catholique et joue
un rôle central dans les changements que
connaît la Pologne dans les années 1980 en
apportant son soutien à Lech Wałęsa et à
Solidarność.
Wojciech JARUZELSKI (1923-2014)
Militaire et homme d’État de la Pologne
communiste, il décrète la loi martiale en
qualité de chef du gouvernement et de
ministre de la Défense le 13 décembre 1981
afin de lutter contre l’activisme du syndicat
Solidarność. Il lance néanmoins les accords
de la Table ronde en 1989 qui mettent fin
au régime communiste et devient le premier
président de la IIIe République polonaise. Son
rôle dans le destin de la Pologne contemporaine demeure âprement débattu.
Tadeusz MAZOWIECKI (1927-2013)
Intellectuel catholique et opposant au régime
communiste, il rejoint Lech Wałęsa dès le
début des années 1980. Suite aux élections
législatives « semi-libres » de 1989, il devient
le premier chef de gouvernement non
communiste de la Pologne depuis 1945.
Lech WAŁĘSA (1943-)
Ouvrier électricien des chantiers navals
de Gdańsk, il est à l’origine des grèves de
l’année 1980 et du syndicat indépendant
Solidarność. Il reçoit en 1983 le prix Nobel
de la paix pour son rôle dans l’opposition
démocratique qu’il représente aux accords
de la Table ronde en 1989. Il est élu président
de la République au suffrage universel
en 1990.
Lech KACZYŃSKI (1949-2010)
D’abord engagé auprès de Solidarność, il
fonde avec son frère jumeau Jarosław le
parti conservateur catholique Droit et Justice
en 2001. Élu maire de Varsovie en 2002 et
président en 2005, il mène une politique
caractérisée par la « révolution morale » et la
« lustration » du passé communiste. Il décède
brutalement avec son épouse Maria lors de la
catastrophe aérienne de Smolensk en 2010.
Jarosław KACZYŃSKI (1949-)
Premier ministre de son frère Lech entre 2006
et 2007, il dirige un gouvernement de coalition avec des partis ultraconservateurs et
populistes. Candidat à la succession de son
frère défunt à la présidence en 2010, il est
battu par le libéral Bronisław Komorowski. Il
demeure le dirigeant du parti Droit et Justice
et le principal opposant de droite à la coalition au pouvoir.
Aleksander KWAŚNIEWSKI (1954-)
Plusieurs fois ministre sous le régime communiste, il participe aux accords de la Table
ronde et fonde en 1990 la Social-démocratie
de la république de Pologne, devenue
en 1999 l’Alliance de la gauche démocratique, principal parti de gauche en Pologne.
Président de la République entre 1995
et 2005 après avoir battu Lech Wałęsa, il
mène une politique résolument atlantiste
marquée par l’adhésion de la Pologne à
l’OTAN et à l’Union européenne.
Donald TUSK (1957-)
Député libéral depuis 1991 et co-fondateur
de la Plateforme civique en 2001, il est battu
par Lech Kaczyński lors de l’élection présidentielle de 2005. Suite à la victoire de son
parti aux élections législatives de 2007, il
devient chef d’un gouvernement de coalition de centre-droit. Il promeut une politique
libérale, pro-européenne et néanmoins
conciliante avec la Russie.
Radosław SIKORSKI (1963-)
Leader de la grève étudiante en 1982, il
obtient l’asile politique au Royaume-Uni où
il commence une carrière de journaliste. De
retour en Pologne en 1992, il est plusieurs
fois ministre dans divers gouvernements
de droite. Membre de la Plateforme civique
depuis 2007, il est depuis lors ministre des
Affaires étrangères du gouvernement Tusk.
Il a été, avec ses collègues du Triangle de
Weimar, un des porte-voix de la position
européenne dans la crise en Ukraine.
Questions internationales
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
27
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
tions de force de Vladimir Poutine en Crimée
et, plus généralement, dans l’est de l’Ukraine
depuis 2014. L’attachement du gouvernement de
Donald Tusk à négocier et à « engager » – au sens
anglais du terme – les Russes en Europe introduit
cependant une nuance, qui peut être attribuée à
l’« européanisation » de la politique extérieure
de la Pologne depuis 2004.
Europe et paysage partisan
Mais les affirmations de R. Sikorski doivent
également être lues et analysées à la lumière
des contraintes et des rivalités de la politique
intérieure polonaise 6. Le paysage partisan de
la Pologne contemporaine est en effet dominé
par l’opposition entre la Plateforme civique
(Platforma Obywatelska, PO), au pouvoir
depuis 2007, et son seul rival politique susceptible de constituer une alternative de gouvernement, le parti conservateur Droit et Justice
(Prawo i Sprawiedliwość, PiS). Deux lectures de
cet antagonisme, qui marginalise totalement la
gauche, sont possibles.
La première consiste à y voir une spécificité purement polonaise. L’électorat de la
PO est urbain, éduqué, implanté dans la partie
occidentale du pays, la plus riche, et « connecté »
à l’Europe. Il incarne la Pologne de l’Étatnation au sens citoyen du terme évoqué par le
ministre Sikorski, une Pologne moderne, cosmopolite et affranchie de l’Église. À l’opposé, le
PiS place l’État-nation ethnique au cœur de
son système de valeurs et met un signe d’égalité entre les adjectifs « polonais » et « catholique ». Ses électeurs sont issus des villes petites
et moyennes, essentiellement situées dans les
voïvodies de l’est du pays, plus rurales, plus
touchées par le chômage et plus éloignées du
cœur de l’Europe historique.
La seconde lecture, possible en particulier
au vu des résultats des élections au Parlement
européen de mai 2014, place l’affrontement
PO-PiS dans un contexte européen plus général,
caractérisé par la montée des partis souverai6
Sur cette question, voir l’article de Cédric Pellen dans le présent
dossier.
28
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
nistes, eurosceptiques ou europhobes, le PiS s’inscrivant sans conteste dans la première catégorie.
À la recherche d’une revanche électorale après
trois défaites – aux élections législatives de 2007
et de 2011 et à l’élection présidentielle anticipée
de 2010 –, le PiS a marqué des points lors des
européennes de 2014 en se rapprochant du score
de la PO, avec 31,78 % des suffrages contre
32,13 %, ce qui a garanti 19 sièges à chacun des
deux partis 7.
À la différence de la Plateforme civique,
le PiS se définit clairement comme un parti
national-conservateur, jaloux de préserver les
prérogatives de l’État polonais dans une Union
européenne qu’il juge excessivement supranationale et intrusive. Cela vaut aussi bien dans le
domaine économique – où son protectionnisme
lui fait critiquer les « excès » du libéralisme
du gouvernement Tusk – que sur le terrain des
valeurs – puisqu’il dénonce le dévoiement moral,
l’abandon de l’identité chrétienne et le laxisme
des mœurs dont la modernité européenne serait
porteuse, en opposition à ce que serait le cœur de
la « polonitude ».
Les élections européennes de 2014 ont en
outre confirmé la stagnation des autres partis
« de gouvernement », le Parti paysan polonais
(Polskie Stronnictwo Ludowe, PSL) et le Parti
social-démocrate (ex-communiste) 8, dont le
positionnement par rapport à la construction
européenne ne se démarque pas fondamentalement de celui de la PO.
Ce scrutin a, en revanche, été marqué
par une montée pratiquement ex nihilo d’un
parti d’extrême droite ouvertement xéno- et
europhobe, l’Union de la politique réelle (Unia
Polityki Realnej, UPR), qui a décroché 7,15 %
des voix et 4 sièges au Parlement européen, au
sein du groupe Nouvelle Droite (Nowa Prawica).
Dans un pays beaucoup moins touché par la
crise économique que la plupart des autres États
membres de l’Union européenne, cette poussée
7
Commission électorale polonaise. Lors des élections
européennes de 2009, la PO avait obtenu 44,43 % des suffrages
et le PiS seulement 27,40 % soit, respectivement, 25 et 15 sièges.
8
Aux élections européennes de 2009, ils avaient obtenu respectivement 7,01 % et 12,34 % des suffrages, contre 6,8 % et 9,44 %
en 2014.
L’engagement européen
du gouvernement Tusk
Tout au long de la crise économique qui,
depuis 2008, a bouleversé l’Union européenne,
et tout spécifiquement la zone euro, le gouvernement de D. Tusk a affirmé son désir de participer à
la recherche de solutions politiques. « Si l’on n’est
pas à la table, on se retrouve soi-même au menu »,
aurait déclaré le Premier ministre en parlant de la
nécessaire implication de la Pologne au sein de
l’Union européenne 9. Cette posture volontariste
du Premier ministre polonais, au moment même
où l’Union européenne doit faire face à une forte
crise de légitimité, n’est pas un hasard. Elle s’inscrit dans un continuum qui a fait passer la Pologne
9
Anita Sobják, « Poland: The (Success) Story so Far », in
Roderick Parkes (dir.), Is this the Future of Europe? Opportunities
and Risks for Poland in a Union of Insiders and Outsiders, Institut
polonais des relations internationales, Varsovie, 2014, p. 7.
Référendum relatif à l’adhésion de la
Pologne à l’Union européenne (2003)
Vote en faveur du “oui” par district (en %) :
Limite de
voïvodie
0
50
70
85
100
Gdańsk
Elbląg
Olsztyn
Szczecin
Białystok
Bydgoszcz
Varsovie
Poznań
Zielona
Góra
Łódź
Wrocław
Lublin
Kielce
Opole
Katowice
Rzeszów
Résultat national :
Cracovie
non
23%
100 km
oui
77%
Source : Commission
électorale polonaise,
http://referendum2003.pkw.
gov.pl/sww/kraj/indexA.html
Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014
de l’UPR est difficile à expliquer. L’hypothèse est
faite qu’il pourrait s’agir du résultat de la radicalisation du discours national-chrétien du PiS,
notamment depuis la catastrophe de Smolensk
qui, en avril 2010, coûta la vie au président de
la République Lech Kaczyński, frère jumeau
du cofondateur du parti, Jarosław Kaczyński.
La dénonciation d’un « complot russe », les
happenings patriotiques, les critiques exacerbées proférées par J. Kaczyński à l’encontre du
gouvernement Tusk semblent avoir placé le PiS
dans une situation de pompier-pyromane finissant par être dépassé et débordé sur sa droite.
Dans ce contexte, à un an du prochain
rendez-vous électoral important, à savoir les législatives de 2015, le PiS détient certainement la clé
de l’évolution de la politique polonaise et, en particulier, de la politique européenne du pays. Il existe
une incertitude forte sur la stratégie qu’adopterait
le parti en cas de victoire. Il peut en effet chercher
à grignoter un morceau de l’électorat de la PO,
très attaché à l’activisme de la Pologne au sein de
l’Union européenne, en modérant ses positions
à l’égard de Bruxelles mais aussi de Berlin ou, à
l’exact inverse, se radicaliser en dénonçant l’héritage européen de D. Tusk comme un renoncement
à la souveraineté de la Pologne.
du statut de nouvel État membre en 2004 à celui
en 2014 d’État membre poursuivant l’ambition
de jouer un rôle dans les développements futurs
de l’Union. Trois facteurs au moins expliquent le
dynamisme européen du gouvernement Tusk.
● Le premier facteur est historique. La PO incarne
le modèle de l’État polonais fortement recentré
sur l’ouest du continent européen, comme il a
été décrit plus haut. Il en découle en 2014 une
aspiration à être considéré comme un « grand »
État membre marqué par l’affirmation d’une
ambition politique, à la différence des voisins du
groupe de Visegrád (Hongrie, République tchèque
et Slovaquie) ou encore des pays baltes. Loin de
renoncer à sa souveraineté et à son intérêt national
– qu’elle a dû défendre contre l’anéantissement
à plusieurs reprises au cours de son histoire –, la
Pologne de la Plateforme civique doit jouer le
jeu européen dans la cour des grands pour mieux
exister en tant qu’État moderne.
● Le deuxième facteur, plus conjoncturel, est la
résistance de l’économie polonaise aux effets de
la crise. Elle est en effet l’une des seules écono-
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
29
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
mies de l’Union européenne à avoir conservé
le parti majoritaire au pouvoir depuis 2007 – en
un taux de croissance positif pendant la diffil’occurrence la PO – a été réélu en 2011. Il doit
cile période 2008-2012. Un dessin humoristique
cette reconduction à la bonne santé de l’écopublié dans une revue polonaise au temps le plus
nomie, mais aussi à la politique volontariste
fort de la crise n’hésite pas à affirmer : « Ce pays a
d’arrimage de la Pologne à l’Union européenne.
toujours résisté à tout, y compris à la crise ! » Les
Si la popularité de la Plateforme civique a baissé
tendances économiques ont certes commencé à
dans les sondages depuis 2012 au profit du PiS,
s’inverser en 2012, avec un ralentissement du taux
à partir de l’automne 2013 la crise ukrainienne a
de croissance et une augmentation du niveau du
contribué à faire remonter la cote du gouvernechômage, mais il n’en reste pas moins que, depuis
ment Tusk en détournant la question sociale vers
l’élargissement, la Pologne a vu son PIB par
un débat centré sur la sécurité du pays.
habitant passer de 48,8 %
Pour la première
de la moyenne commufois depuis dix ans, la
L’un des dilemmes
nautaire en 2003 à 62,9 %
peur de la Russie est
10
en 2012 .
de la Pologne contemporaine réapparue comme une
Le pays est le est qu’elle n’est pas encore
préoccupation prioriprincipal bénéficiaire
taire pour une partie non
considérée, en 2014,
négligeable de la populades fonds structurels
tion polonaise (environ
européens, dont il capte par les autres « grands »
40 %) 13. Le gouverne20 % des dotations comme un partenaire
globales en 2014. Il
ment Tusk a pris soin de
ayant complètement
bénéficie aussi du marché
jouer la carte européenne
intérieur, par exemple de atteint leur rang
dans la gestion de la crise
l’implantation de firmes
ukrainienne. Une troïka
étrangères – notamment allemandes – qui profitent
composée des ministres allemand, français et
d’une main-d’œuvre qualifiée mais qui reste bon
polonais des Affaires étrangères s’est ainsi rendue
marché par rapport à la moyenne communauà Kiev, en février 2014, afin d’exiger du président
taire 11. Cette priorité accordée depuis le début des
Viktor Ianoukovitch qu’il ouvre des négociations
années 1990 à l’accueil des investisseurs étrangers
avec son opposition au lieu de la réprimer par
commence à engendrer dans le pays des réflexions
les armes. Cette visite a sans nul doute contribué
à accélérer la chute de V. Ianoukovitch et son
critiques de la part de certains experts et intellecabandon du pouvoir.
tuels. D’après eux, si la Pologne veut jouer dans
la cour des « grands » États européens, elle devra
précisément avoir moins « d’usines tournevis »
Visions et dilemmes
étrangères et penser davantage à l’innovation et à
La Pologne de D. Tusk a développé une
la valeur ajoutée de ce qu’elle produit. Il est vrai
véritable stratégie politique pour asseoir son
que l’aspiration croissante de la société à rejoindre
ambition européenne. Elle consiste tout d’abord
les standards européens risque d’entrer rapideà faire du pays une puissance régionale en Europe
ment en contradiction avec un modèle éconocentrale et orientale. Cette quête d’un rôle de
mique qui repose sur des bas salaires 12.
leader reconnu se retrouve dans plusieurs coopé● Le troisième facteur est la stabilisation de la vie
rations et actions auxquelles la Pologne est partie
politique depuis le milieu des années 2000. Pour
prenante : le groupe de Visegrád – aux côtés de
la première fois depuis la chute du communisme,
la République tchèque, de la Slovaquie et de la
Hongrie –, la politique de voisinage de l’Union
“
„
10
Ministère polonais des Affaires étrangères, Poland’s 10 Years
in the European Union, Varsovie, 2014 (www.msz.gov.pl/
resource/ef26c779-74e4-4a0c-aa73-0a9d3c8b695c:JCR).
11
En 2012, le salaire moyen brut en Pologne était de 850 euros.
12
Ministère polonais des Affaires étrangères, op. cit.
30
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
13
Conférence de Piotr Buras, directeur du bureau de Varsovie
de l’ECPR, Groupe de recherche sur l’avenir de l’Europe CERI/
CAPS, 28 avril 2014.
européenne visant à offrir aux pays situés à l’est
de la Pologne une alternative européenne à la
politique russe de la zone d’influence – Ukraine,
mais aussi Géorgie, Moldavie –, la réactivation avec les deux grands voisins de l’Ouest
– Allemagne et France – d’une coopération privilégiée au sein du Triangle de Weimar.
Le Premier ministre Donald Tusk entretient en effet depuis 2007 une excellente relation
politique bilatérale avec la chancelière allemande
Angela Merkel 14. Le ministre des Affaires étrangères Radosław Sikorski (membre de la PO)
n’a ainsi pas hésité à déclarer, dans un discours
public à Berlin en novembre 2011, que sa principale inquiétude pour l’Europe future serait une
Allemagne faible et non une Allemagne forte 15.
Compte tenu du lourd passif historique avec
le voisin allemand, cette affirmation n’est pas
passée inaperçue en Pologne.
En revanche, la présidence de Nicolas
Sarkozy en France, entre 2007 et 2012, a été
marquée par davantage de distance avec le
gouvernement Tusk, le chef de l’État français
refusant précisément de considérer la Pologne
comme un « grand » faisant partie du noyau dur de
l’Union européenne. La situation a changé avec
l’élection, en mai 2012, de François Hollande
qui s’efforce de revitaliser la relation politique
avec Varsovie. On en veut pour preuve les
quelques visites que le chef de l’État français a
déjà rendues au Premier ministre polonais.
La deuxième ambition du gouvernement Tusk est de se voir reconnaître le statut de
« grand » État membre aux côtés de la France
et de l’Allemagne en se déclarant en faveur d’un
approfondissement institutionnel de l’Union
européenne. Dans ce même discours de Berlin en
novembre 2011, R. Sikorski a appelé à un renforcement de la Commission européenne et de la
« méthode communautaire », afin d’augmenter
la capacité de l’Union à décider de nouvelles
politiques. R. Sikorski a aussi été, en 2012, le seul
14
Voir Nathaniel Copsey, « Poland », in Simon Bulmer et
Christian Lequesne (dir.), The Member States of the European
Union, Oxford University Press, Oxford, 2013.
15
Discours devant la Société allemande pour la politique étrangère
(DGAP) à Berlin, 28 novembre 2011, disponible en anglais sur le
site du ministère polonais des Affaires étrangères (www.mfa.gov.
pl/resource/33ce6061-ec12-4da1-a145-01e2995c6302:JCR).
représentant d’un nouvel État membre à signer
le rapport des onze ministres des Affaires étrangères en faveur de l’avenir de l’Europe, présidé
par le ministre allemand Guido Westerwelle 16.
Le gouvernement Tusk réaffirme régulièrement son objectif politique de voir le pays
adhérer à la zone euro. De façon paradoxale, les
autorités polonaises maintiennent ce cap alors
que le pays a de toute évidence largement profité
de la conservation du zloty pendant la crise. Une
Pologne dotée de l’euro aurait en effet eu davantage de mal à affronter les années 2008 à 2012.
Globalement, la position de la Pologne à
l’égard de la construction européenne rappelle
dans une certaine mesure celle de la France
dans la période de sortie du gaullisme, au début
des années 1970. Elle met la même vigueur
à affirmer sans cesse qu’elle est au cœur de la
construction européenne, parce qu’elle y voit un
moyen pour maximiser l’intérêt national du pays.
Il faut cependant préciser que peu d’hommes
politiques polonais et peu de Polonais en général
défendent l’idée d’un super-État européen qui
viendrait se substituer à leur État-nation. Sur
les questions d’identité nationale mais aussi de
sécurité sociale, les Polonais restent majoritairement attachés à des politiques nationales 17.
Dès lors, l’un des dilemmes de la Pologne
contemporaine est qu’elle n’est pas encore
considérée, en 2014, par les autres « grands »
comme un partenaire ayant complètement atteint
leur rang. La France et l’Allemagne, fortes de
longues années de travail entre gouvernements
et administrations sur les dossiers européens, ont
encore parfois tendance à laisser la Pologne à la
périphérie des négociations importantes. C’est
le cas en particulier lorsque sont abordées les
grandes réformes de la zone euro.
Cette « périphérisation » de la Pologne,
que le président Sarkozy n’a pas hésité à souligner ouvertement, a toutes les chances de
perdurer encore quelque temps. Sa progressive
disparition dépendra de la santé de la zone euro
16
Final Report on the Future of Europe, consultable en anglais
sur le site www.statewatch.org/news/2012/sep/eu-future-ofeurope-report.pdf.
17
Anita Sobjak, op. cit., p. 9.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
31
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
autant que de celle de la Pologne, qui affiche
des performances macroéconomiques généralement supérieures à celles des pays méditerranéens de la zone. Cette situation amène du reste
les responsables polonais à revendiquer, dans
les débats sur l’avenir de la monnaie commune,
leur nouvelle appartenance au camp des « pays
du Nord », façon de justifier leur quête pour
rejoindre le « noyau dur ».
Un autre point important de ralliement de la
Pologne au statut de « grand » se manifeste dans
la contribution du gouvernement Tusk à la future
défense européenne. Le retrait américain du
continent européen, après l’élection en 2008 de
Barack Obama, a conduit les autorités polonaises
à souhaiter doubler la solidarité transatlantique
par un renforcement de la défense européenne.
Ce thème avait d’ailleurs été inscrit comme
l’une des priorités de la présidence polonaise de
l’Union européenne en 2011 18.
18
Nathaniel Copsey, op. cit.
Pour la France, qui s’interroge sur sa traditionnelle alliance bilatérale en matière de défense
avec Londres, il en découle une recherche de
nouveaux partenaires en Europe continentale,
parmi lesquels la Pologne figure au premier
plan. L’augmentation de la part du PIB polonais
consacrée à la défense (1,9 % du PIB en 2013)
ainsi que le projet de modernisation de l’armée
polonaise à l’horizon 2020 sont regardés avec
intérêt à Paris, comme dans les autres capitales
européennes attachées aux progrès de la politique
européenne de défense.
Ces évolutions sont des preuves supplémentaires du choix de la Plateforme civique de voir la
Pologne engagée au cœur du noyau dur de l’Union
européenne. Elles témoignent également d’une
baisse de la confiance en la sécurité transatlantique,
par rapport à la fin de la décennie précédente 19. ■
19
Voir Jean-Marie Guéhenno, Livre blanc sur la défense et
la sécurité nationale 2013, La Documentation française,
Paris, avril 2013 (www.ladocumentationfrancaise.fr/
rapports-publics/134000257/).
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Ò POUR ALLER PLUS LOIN
Pourquoi l’OTAN ? L’argumentaire polonais
en faveur de l’intégration atlantique
La première manifestation officielle de la volonté de
la Pologne de rejoindre l’OTAN remonte à 1992, avec le
discours du Premier ministre Hanna Suchocka devant
le Conseil de l’Atlantique Nord, l’instance suprême de
l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
Cet engagement a par la suite été poursuivi par tous les
gouvernements, quelle que soit leur couleur politique,
et a abouti à l’adhésion de la Pologne, en mars 1999,
cinq années avant l’adhésion à l’Union européenne.
L’argumentaire mis en avant pour justifier cette adhésion
s’est alors articulé autour de trois idées : se protéger de la
Russie, remédier au vide sécuritaire et ancrer le pays dans
la sphère occidentale.
« Keep the Russians out
and the United States in » 1
La crainte de l’URSS – puis de la Russie – fut l’une des
principales justifications du ralliement à l’OTAN de la
Pologne. L’avenir incertain de l’Union soviétique au
début des années 1990 inquiétait les dirigeants polonais.
Le pays allait-il se désintégrer ou réussir sa transition
démocratique ? Comment les pouvoirs se répartiraient-ils
à terme entre l’URSS et les républiques la composant ? Il
fallait donc se prémunir contre tout risque émanant d’un
État en proie à des développements intérieurs imprévisibles et qui restait militairement puissant 2.
L’adhésion à l’OTAN devait en outre empêcher la Russie
de s’octroyer à nouveau un droit de regard sur la Pologne.
De fait, toutes les offres d’intégration incluant Moscou,
telles que la Confédération européenne proposée en
décembre 1989 par le président François Mitterrand ou
la garantie croisée suggérée par le président Boris Eltsine
et qui prévoyait la protection de l’Europe centrale par un
1
La formule est de Lord Ismay, premier secrétaire général
de l’OTAN de 1952 à 1957, qui estimait que l’Alliance avait
vocation à « garder les Russes à l’extérieur, les Américains à
l’intérieur et les Allemands sous tutelle ».
2
Entretiens avec Andrzej Olechowski, ministre des Affaires
étrangères (1993-1995), le 14 octobre 2011, et Janusz
Onyszkiewicz, ministre de la Défense (1992-1993 et
1997-2000), le 17 novembre 2011.
accord entre la Russie et l’OTAN, furent catégoriquement
rejetées par Varsovie 3. La proposition russe de garantie
croisée avait notamment fait ressurgir le spectre des
partages de la Pologne au xviiie siècle et des conférences
de Téhéran en 1943 et de Yalta en 1945. Ces expériences
passées démontraient aux yeux des dirigeants polonais
qu’il fallait, à présent que cela était possible, tenir la
Russie à distance afin d’éviter une réédition de ces
épisodes douloureux 4.
L’OTAN, quant à elle, était considérée comme un outil
permettant le maintien de la présence des Américains
sur le Vieux Continent 5. Il s’agissait d’affirmer que les
États-Unis et l’Europe partageaient les mêmes valeurs
et, à ce titre, avaient vocation à maintenir et à renforcer
leur alliance. Ce lien, en cas de besoin, pouvait en outre
permettre de pallier les éventuelles déficiences des
Européens. Gardant à l’esprit l’attitude passive des Alliés
durant la campagne de septembre 1939 ou la conférence
de Yalta, certains dirigeants polonais estimaient que les
pays d’Europe occidentale n’interviendraient pas en cas
de tensions entre la Russie et l’Europe centrale6.
D’autres, s’interdisant de dresser des parallèles dramatiques avec le passé, n’en estimaient pas moins que la
stabilité de l’Europe ne pouvait s’appuyer que sur la
présence militaire américaine. Il fallait donc la maintenir,
alors que le début des années 1990 correspondait à une
période d’incertitudes liées à l’émergence de nouveaux
3
Entretiens avec Andrzej Towpik, vice-ministre des Affaires
étrangères (1994-1997) et premier représentant de la Pologne
auprès de l’OTAN, le 16 janvier 2012, et Jerzy Maria Nowak,
directeur de département au ministère des Affaires étrangères,
représentant de la Pologne à l’OSCE, à l’Agence internationale de l’énergie atomique et à la représentation européenne
des Nations Unies (1991-1997), le 6 décembre 2011.
4
Entretien avec Jerzy Koźmiński, ambassadeur aux ÉtatsUnis (1994-2000), le 7 décembre 2011, et discours de
Krzysztof Skubiszewski, ministre des Affaires étrangères
(1989-1993), aux dirigeants français, allemands, américains
et britanniques.
5
Entretien avec Janusz Onyszkiewicz, le 17 novembre 2011.
6
Entretiens avec Andrzej Olechowski, le 14 octobre 2011, et
Jerzy Maria Nowak, le 6 décembre 2012.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
33
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
États et à la recomposition des alliances 7. L’argumentaire
polonais démontrait que la formule de Lord Ismay gardait
toute son actualité et que l’OTAN devait exclure la Russie
des affaires européennes dans lesquelles les États-Unis
devaient conserver un rôle majeur.
Remédier au vide sécuritaire
Les dirigeants polonais voulaient également que leur
pays entre dans l’OTAN, car ils estimaient que l’Alliance le
prémunirait contre le vide sécuritaire dans lequel il était
tombé depuis la dissolution du pacte de Varsovie. Certains
d’entre eux estimaient que la sécurité européenne
formait, avec l’OTAN, un ensemble indivisible. L’Alliance
atlantique ne pouvait donc rester indifférente aux
menaces pesant sur l’ensemble du continent. Cette
conception était d’ailleurs présentée comme s’inscrivant dans les compétences de l’OTAN, tant militairement
– comme l’un de ses devoirs – que géographiquement – la
zone étant bien celle de l’Atlantique Nord 8.
Remédier au vide sécuritaire signifiait aussi, pour la
Pologne, ne plus être une voie de passage, une zonetampon entre les blocs occidental et russe ou même entre
les puissants voisins russe et allemand dont l’entente, par
le passé, s’était souvent faite à ses dépens. L’Allemagne
demeura d’ailleurs un objet de craintes tant que la ligne
Oder-Neisse ne fut pas officiellement déclarée intangible 9. Il fallait donc mettre un terme à cette situation
incertaine en rejoignant une organisation militaire
efficace, et celle-ci ne pouvait être que l’OTAN 10. Mais
l’adhésion devait également être une réponse aux évolutions inquiétantes de l’Europe, comme la fin de l’URSS ou
le délitement de la Yougoslavie 11.
Cependant, Varsovie souhaitait aussi démontrer que
la Pologne ne serait pas un élément déstabilisateur et
qu’elle contribuerait à combler le vide sécuritaire de
l’Europe centrale 12. C’est pourquoi elle signa des traités
7
Discours de Krzysztof Skubiszewski devant l’Assemblée
de l’Atlantique Nord, 29 novembre 1990.
8
Ibid.
9
Entretien avec Andrzej Karkoszka, directeur de département
(1993-1995) puis vice-ministre de la Défense (1995-1997), le
17 janvier 2012.
10
Entretiens avec Jerzy Koźmiński, le 7 décembre 2012, et
Janusz Onyszkiewicz, le 17 novembre 2011.
11
Entretien avec Andrzej Karkoszka, le 17 janvier 2012.
12
Entretien avec Andrzej Towpik, le 16 janvier 2012.
34
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
de bon voisinage avec l’Allemagne en 1991, la Russie
en 1992 ou l’Ukraine en 1996 et, surtout, s’engagea dans
le groupe de Visegrád dès sa création en 1991 13.
Le retour vers l’Europe
Enfin, l’intégration à l’OTAN s’inscrivait dans la thématique du retour vers l’Europe. Il s’agissait de construire un
cadre destiné à abolir la distinction artificielle entre l’Est
et l’Ouest et à réparer l’injustice dont la Pologne – et plus
largement l’Europe centrale – avait été victime à Yalta.
L’adhésion devait être le « triomphe de la justice sur l’histoire » 14. Certains allaient même plus loin en considérant
que la division de l’Europe n’était pas seulement due à
Yalta, mais s’ancrait plus profondément dans l’histoire
du continent. Cette vision de l’Europe centrale comme
une « Europe B », une Europe de seconde catégorie,
était supposée être celle des Occidentaux qui considéraient que tous les États situés à l’est de l’Allemagne
devaient tomber sous influences germanique ou russe 15.
L’adhésion à l’Alliance atlantique devait mettre fin à cette
coupure et créer un nouveau récit européen en réunissant des États qui se sentaient proches, tant d’un point de
vue politique que civilisationnel 16.
Le choix atlantiste ne fut toutefois jamais exclusif. Il s’est
inscrit dans un ensemble de politiques d’intégration, tel
que le projet d’adhésion à l’Union européenne, la coopération régionale – groupe de Visegrád, triangle de Weimar –
et le développement de processus paneuropéens – comme
l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
(OSCE) 17. Ces multiples initiatives ont relevé d’un seul et
même objectif destiné à reconstruire le réseau d’alliances
et la politique extérieure de la Pologne et à assurer, à
terme, sa pleine réintégration européenne.
Amélie Zima *
* Doctorante à l’université Paris-Ouest, rattachée à l’Institut des
sciences sociales du politique. Elle a récemment coordonné
le dossier « Entre atlantisme et européisme, l’évolution des
politique de sécurité en Europe centrale » de la Revue d’études
comparatives Est-Ouest, vol. 44, no 3, 2013.
13
Créé en février 1991, le groupe de Visegrád réunit
la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie (puis la
République tchèque et la Slovaquie depuis 1993).
14
Entretien avec Jerzy Koźmiński, le 7 décembre 2011.
15
Entretien avec Andrzej Towpik, le 16 janvier 2012.
16
Entretien avec Janusz Onyszkiewicz, le 17 novembre 2011.
17
Entretien avec Jerzy Maria Nowak, le 6 décembre 2011.
Les contraintes
géopolitiques
David Cadier *
* David Cadier
est enseignant à la London School
of Economics (LSE) et chercheur
Plus que nulle part ailleurs en Europe, les données
géopolitiques déterminent les orientations de
la Pologne en matière de politique étrangère.
Historiquement, les rivalités de pouvoir liées à la conservation
ou à la conquête des territoires ont toujours façonné la perception
de l’environnement et la formulation des choix diplomatiques
du pays. Ces caractéristiques sont encore manifestes tant dans la
définition actuelle de l’intérêt national que dans la sensibilité
aux évolutions du contexte régional.
affilié au LSE IDEAS.
Une géographie exposée et une histoire
tourmentée et anxiogène ont contribué à faire
de la quête primordiale pour la sécurité le
mantra permanent et supérieur de la politique
étrangère de la Pologne. Les relations avec les
« voisins historiques » que sont l’Allemagne
et la Russie sont, bien entendu, abordées par
ce prisme, mais il en va de même des relations
avec les États-Unis ou encore de l’intégration
européenne. En cela, des variations dans le
comportement de ces acteurs ont pu conduire à
une redéfinition des orientations stratégiques de
la Pologne.
Couplée à des évolutions internes, la
perspective d’un désengagement progressif des
États-Unis du Vieux Continent a par exemple
incité la Pologne à tenter d’accroître son rôle
et de consolider son ancrage au sein de l’Union
européenne, une intégration renforcée étant
perçue comme une garantie de sécurité supplémentaire. De même, la crise ukrainienne et les
récentes évolutions de la diplomatie russe sont
susceptibles d’amener un nouvel ajustement de
la politique étrangère polonaise.
Exposition géostratégique
et histoire anxiogène
Les coordonnées géographiques et historiques nationales constituent les matériaux à
partir desquels les États interprètent le monde
extérieur et composent leurs identités régionales
et internationales. Les décideurs justifient leurs
choix diplomatiques en fonction de ces représentations. En Pologne, ces caractéristiques ou
représentations ont trait principalement à l’exposition géostratégique du pays et à certains pans,
tragiques ou glorieux, de son histoire.
La vulnérabilité géostratégique de la
Pologne tient à son exposition topographique
dans un espace structurellement ouvert et
instable. Les plaines polonaises sont réputées
quasi indéfendables, à tel point d’ailleurs que
certains stratèges de l’Organisation du traité de
l’Atlantique Nord (OTAN) avaient émis des
doutes quant à l’opportunité d’intégrer le pays
au sein de l’Alliance atlantique après la fin de
la guerre froide. Cette position découverte est
d’autant plus problématique pour la Pologne
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
35
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
qu’elle intervient dans une configuration régionale marquée par un déséquilibre de puissance
avec ses deux principaux voisins, l’Allemagne et
la Russie. Si un virage hostile de la première est
désormais jugé improbable même à long terme,
Varsovie surveille de près tout signe qui indiquerait une résurgence impériale de la seconde, avec
laquelle elle partage une frontière au nord de son
territoire – l’enclave de Kaliningrad.
L’Ukraine et la Biélorussie, véritables
pierres angulaires de l’équilibre stratégique
régional, occupent à cet égard une place
spécifique dans la vision géopolitique polonaise.
Ces deux pays constituent à la fois une zone
tampon avec la Russie et une source d’instabilité
potentielle à ses frontières. La Pologne est de ce
fait perçue comme occupant une inconfortable
et dangereuse position de bordure entre l’espace
sécurisé de l’Union européenne et un voisinage
oriental trouble 1.
L’histoire nationale, rythmée par de
nombreuses invasions et partitions, vient renforcer
le sentiment de vulnérabilité de la Pologne. Elle
est invoquée par les dirigeants polonais pour justifier une perpétuelle quête de sécurité, qui se traduit
à la fois par une recherche de garanties concrètes
et multiples et par une anticipation constante et à
long terme des pires éventualités.
Dans le même temps, certains des éléments
glorieux du passé national sont aussi mobilisés
pour alimenter une identité de puissance régionale et un sentiment d’importance historique
qui sont sans équivalents dans les autres pays
d’Europe centrale. Ainsi, il n’est pas rare de voir
rappelé l’âge d’or de la dynastie des Jagellon
(xive et xve siècles), durant laquelle la Pologne
et le grand-duché de Lituanie contrôlaient une
zone qui s’étendait de la mer Baltique à la mer
Noire, pour renforcer l’idée d’une vocation de la
Pologne à œuvrer à la démocratisation et à l’intégration européenne du voisinage oriental 2.
Le ministre polonais des Affaires étrangères Radosław Sikorski
évoque explicitement un « syndrome de la périphérie ». Source :
« Address by the Minister of Foreign Affairs on the goals
of Polish foreign policy in 2013 », Varsovie, 20 mars 2013
(www.msz.gov.pl/).
2
Voir par exemple : « Address by Radosław Sikorski at the
Stefan Batory Foundation », Varsovie, 8 octobre 2009.
1
36
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
C’est à l’aune de ces caractéristiques que le
plan de route de la politique extérieure polonaise
est élaboré. Les configurations géostratégique et
historique décrites plus haut rendent toutefois la
Pologne extrêmement sensible aux évolutions
du contexte régional. Son instabilité se traduit
souvent par une reformulation des priorités de
politique étrangère. Ainsi la Pologne a-t-elle
pu passer du rôle de tête de pont des États-Unis
en Europe au début des années 2000 à celle de
leader régional de l’intégration communautaire
de l’Est au début des années 2010.
D’un atlantisme
automatique
à un atlantisme
intransigeant
Après la fin de la guerre froide, la Pologne
a longtemps été perçue comme le cheval de Troie
des États-Unis en Europe. Varsovie a ainsi fait
montre, en particulier dans la seconde moitié de la
décennie 1990 et jusqu’au milieu des années 2000,
d’un atlantisme systématique et exclusif, accordant la primauté au renforcement de ses liens
bilatéraux avec Washington au détriment de toute
autre priorité de politique étrangère 3. Sa participation à l’intervention américaine en Irak en 2003
représente le point d’orgue de cette période. La
Pologne ne s’est pas contentée, via la signature
de la « lettre des Huit » 4, d’apporter son soutien
politique à l’intervention américaine, elle a aussi
été le seul pays européen avec le Royaume-Uni
à participer à l’invasion avant de fournir l’un des
plus importants contingents stationnés dans le
pays – environ 2 600 hommes.
L’atlantisme polonais a deux racines principales. La première est d’ordre stratégique, puisque
le maintien d’une présence militaire américaine
en Europe est perçu par Varsovie comme la clé
de l’équation de sécurité nationale décrite précé3
Sur cette période, voir Kerry Longhurst et Marcin Zaborowski,
The New Atlanticist. Poland’s Foreign and Security Policy
Priorities, Chatham House/Blackwell Publishing, Londres, 2007.
4
Le 30 janvier 2003, les chefs d’État de huit pays d’Europe
(Danemark, Espagne, Hongrie, Italie, Pologne, Portugal,
République tchèque et Royaume-Uni) ont appelé à l’unité avec
les États-Unis dans la crise irakienne.
© Wikicommons et © Wikicommons / Steven Pavlov
Deux symboles des antagonismes nationalistes. À gauche, la statue à Cracovie de Józef
Piłsudski, héros de la guerre soviéto-polonaise de 1920 et fondateur de la Deuxième République.
À droite, le monument sur la place Rouge à Moscou dédié au marchand Kouzma Minine et au
prince Dmitri Pojarski, qui menèrent le soulèvement contre l’occupation polonaise en 1612.
demment. Les États-Unis sont considérés comme
les seuls à même de fournir des garanties stratégiques directes, en premier lieu via l’OTAN et son
mécanisme de défense collective. Ils jouent de
surcroît un rôle de puissance d’équilibre au niveau
régional, prévenant l’émergence d’un pouvoir
hégémonique sur le continent et fournissant de ce
fait à la Pologne une issue à l’impasse stratégique
née de sa position entre l’Allemagne et la Russie.
La deuxième explication est d’ordre
sociologique. Les élites polonaises conservent
une profonde reconnaissance à l’égard de
Washington pour son rôle décisif dans l’adhésion
de leur pays à l’OTAN en 1999. Cette intégration a non seulement placé la Pologne sous le
parapluie de l’Alliance atlantique, mais elle est
également venue apporter une consécration à son
appartenance à la communauté occidentale, à un
moment où l’entrée dans l’Union européenne
n’était pas encore possible. Plus généralement,
les élites polonaises perçoivent Washington
comme le champion de l’économie de marché
et de la démocratisation, des valeurs qu’elles
cultivent, d’une part, en réaction à la période
communiste et, d’autre part, parce qu’elles y
ont été préparées grâce à leur interaction avec
des organisations et des fondations américaines
– tels le Polish-American Enterprise Fund ou le
National Endowment for Democracy.
L’atlantisme de la Pologne s’est néanmoins
transformé à partir du milieu des années 2000 en un
calcul stratégique plus utilitariste 5. Cette nouvelle
posture s’explique surtout par la déception des
gouvernements polonais face à la faible rétribu5
David Cadier, « Après le retour à l’Europe : convergences et
contrastes dans les politiques étrangères des pays d’Europe
centrale », Politique étrangère, no 3, septembre 2012, p. 573-584.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
37
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
tion de leur soutien aux initiatives américaines,
qu’il s’agisse des contrats obtenus par les entreprises polonaises en Irak ou de la levée du régime
de visas 6. L’approche utilitariste de Varsovie a
notamment été manifeste lors des négociations
relatives au projet de bouclier antimissile conçu
par l’administration Bush. La Pologne exigea
alors des contreparties telles que les négociations demeurèrent au point mort pendant de longs
mois 7. L’abandon du projet dans son format
initial, annoncé par l’administration Obama en
septembre 2009, fut ensuite interprété à Varsovie
comme un signe de l’affaiblissement de la fiabilité stratégique de Washington, ou en tout cas de
sa détermination à assurer la défense de l’Europe
centrale. La Pologne devrait finalement participer
au nouveau projet de défense antimissile prévu
dans le cadre de l’OTAN, mais elle a choisi en
parallèle, afin d’éviter de nouvelles déconvenues
et de multiplier ses garanties, d’investir dans la
construction de son propre système antimissile,
pour lequel des entreprises américaines, françaises
et israéliennes sont en compétition.
Cette évolution de l’atlantisme polonais ne
saurait être interprétée comme un renoncement,
par dépit ou par rancœur, à la poursuite d’un lien
privilégié avec les États-Unis. Elle correspond,
plutôt, à une adaptation à l’évolution de la politique
extérieure américaine qui, sans pour autant se
désengager du continent, a indéniablement rétrogradé l’Europe dans la liste de ses priorités 8. C’est
particulièrement vrai en ce qui concerne l’Europe
centrale, avec laquelle Washington a cherché à
normaliser ses relations, c’est-à-dire à les ramener
à leur valeur géopolitique réelle 9. Les possibi6
La Pologne est le seul État membre de l’Union européenne
ayant adhéré en 2004 dont les citoyens ont encore besoin d’un
visa pour les États-Unis.
7
En contrepartie de l’installation sur son territoire d’une base
antimissile, la Pologne exigea des batteries Patriot – missiles
sol-air à moyenne portée – ainsi que des aides financières et
techniques en matière de modernisation militaire. Les négociations ne furent finalement débloquées que dans le contexte de
la guerre russo-géorgienne de l’été 2008 et face à la perspective
d’un changement d’administration à Washington.
8
Voir sur le sujet le dossier spécial de Questions internationales,
« États-Unis : vers une hégémonie discrète », no 64, novembredécembre 2013.
9
Nik Hynek, Vit Stritecky, Vladimír Handl et Michal Koran,
« The US-Russian Security “Reset”: Implications for CentralEastern Europe and Germany », European Security, vol. 18, no 3,
septembre 2009, p. 263-285.
38
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
lités de coopération bilatérale et rapprochée avec
Washington sont donc dorénavant, de fait, moins
nombreuses pour Varsovie.
Il n’en demeure pas moins que le maintien
d’une présence américaine en Europe reste un
objectif stratégique essentiel pour la Pologne.
Varsovie apporte un soutien actif à de nombreux
projets qu’elle estime susceptibles de contribuer
à ancrer les États-Unis sur le Vieux Continent.
C’est le cas par exemple du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement
(Transatlantic Trade and Investment Partnership,
TTIP) actuellement en cours de négociation entre
la Commission européenne et l’administration
américaine.
Simultanément, soucieuse de ne pas miser
sur la seule garantie américaine, la Pologne s’est
efforcée d’élargir et de diversifier les bases de
sa politique extérieure et de sécurité. C’est dans
ce contexte qu’elle s’est attachée à renforcer sa
position au sein de l’Union européenne.
L’engagement européen
de la Pologne
C’est au début de la décennie 2010 que
se parachève le virage européen de la politique
étrangère polonaise, incarné dans le discours
du ministre des Affaires étrangères à Berlin
le 28 novembre 2011. Radosław Sikorski y
plaide à la fois pour une Europe forte et pour
une place renforcée de la Pologne en son sein 10.
Cette formule incarne relativement bien la
stratégie qui est celle de Varsovie depuis la fin
des années 2000 et qui consiste en un soutien
plus appuyé à l’approfondissement de l’intégration européenne et en une tentative tous azimuts
d’installer fermement la Pologne dans le premier
cercle des puissances de l’Union européenne.
Une première explication à cette évolution,
liée au changement des priorités à Washington
et à la volonté de la Pologne de diversifier ses
10
« La Pologne offre à l’Europe un consentement à faire des
compromis – et même à un plus grand partage de souveraineté –
en échange d’un rôle juste dans une Europe plus forte. » Source :
« Poland and the future of the European Union », allocution de
Radosław Sikorski, ministre des Affaires étrangères de Pologne,
Berlin, 28 novembre 2011.
La Pologne dans son environnement stratégique (juillet 2014)
FIN.
SUÈDE
LET.
Kal.
LIT.
ALLEMAGNE
BIÉL.
POLOGNE
RÉP. TCH.
FRANCE
KAZAKHSTAN
UKRAINE
SLO.
HON.
MOLD.
BOSNIE-H.
GÉORGIE
AZERB.
SERBIE
MONTÉNÉGRO
ARMÉNIE
ARYM*
TURQUIE
1 000 km
Union européenne à 28
Partenariat oriental de l’UE
* ARYM : Ancienne République
Yougoslave de Macédoine.
Pays européens
membres de l’OTAN
Union économique
eurasiatique
Groupe de Visegrad
Sources : europa.eu, www.nato.int, www.visegradgroup.eu,
http://www.france-allemagne.fr/Presentation-du-Triangle-de-Weimar,186.html,
www.cis.minsk.by et www.odkb.gov.ru/start/index_aengl.htm
garanties stratégiques, a été avancée plus haut.
D’autres facteurs, notamment internes, doivent
cependant également être pris en compte.
L’arrivée au pouvoir en 2007 de la
Plateforme civique (PO), parti libéral-conservateur et pro-européen, est évidemment pour
beaucoup dans la nouvelle orientation polonaise.
Pour son agenda de modernisation économique,
le gouvernement de Donald Tusk a en effet
misé en grande partie sur l’obtention de fonds
européens et sur l’attraction des investisseurs
étrangers, allemands en particulier. Tranchant
avec le contexte régional de quasi-récession de
la fin des années 2000, les bons résultats économiques de la Pologne ont en outre accru de facto
Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014
RUSSIE
EST.
Triangle de Weimar
Communauté des États indépendants (CEI)
L’Ukraine a entamé
un processus de sortie de la CEI
OTSC (Organisation du traité
de sécurité collective)
La Serbie est observateur de l’OTSC
son poids au sein de l’Union européenne et élargi
ses possibilités d’influence. Enfin, bien que ces
tendances soient toujours difficiles à mesurer,
la socialisation des élites polonaises au sein des
structures européennes après l’élargissement a
certainement joué un rôle dans cette évolution.
L’analyse des différents volets de ce nouvel
activisme au sein de l’Europe révèle aussi des
considérations géopolitiques. Le renforcement
d’une relation privilégiée avec l’Allemagne en
est, de loin, la composante à la fois la plus importante et la plus significative. C’est avant tout sur
ce sujet qu’on peut parler de virage. Après avoir
longtemps constitué une menace existentielle
pour la Pologne, l’Allemagne est devenue le parte-
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
39
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
naire privilégié du pays, à tel point que le ministre
polonais des Affaires étrangères a pu affirmer
« moins craindre les actions de l’Allemagne que
son inertie ». Les investissements allemands
en Pologne sont sollicités à des fins non seulement économiques mais également stratégiques.
L’intégration renforcée des deux économies est
perçue comme un moyen d’accroître l’importance
de la Pologne pour l’Allemagne et, par là même,
de lier leurs destinées.
La volonté de Varsovie de s’ancrer au cœur
de la dynamique européenne se traduit par un
engagement renforcé dans les instruments de
politique extérieure de l’Union européenne, avec
notamment un revirement au sujet de l’Europe de
la défense. Longtemps réticente face à un projet
qui présentait à ses yeux le risque de réduire
le rôle des États-Unis dans l’architecture de
sécurité européenne, la Pologne a, en prévision
de sa présidence du Conseil européen de 2011,
fait des propositions pour développer la Politique
de sécurité et de défense commune (PSDC) de
l’Union européenne, n’hésitant pas à prendre
le contrepied de certaines de ses positions
antérieures – sur la perspective d’un centre
de commandement intégré ou sur la coopération structurée permanente par exemple 11. La
Pologne souscrit toutefois davantage à une vision
« allemande » – mécanisme d’intégration – que
« française » – instrument de projection de
puissance – de la PSDC. Instigateur et principal
promoteur du Partenariat oriental, Varsovie a en
outre su affirmer son leadership sur les politiques
européennes à l’égard de l’est du continent. La
Pologne a, il est vrai, un intérêt direct à maintenir
la stabilité à ses frontières.
Cet activisme accru au sein des structures
européennes de politique extérieure n’équivaut
pas pour autant à un soutien à l’intégration dans
tous les secteurs. Ainsi, bien que la Pologne
continue d’afficher son souhait d’adopter à terme
la monnaie unique, elle n’a toujours pas fixé de
calendrier à cette fin. D’aucuns considèrent que
les récents événements en Ukraine pourraient
11
Clara M. O’Donnell, « Poland’s U-turn on European Defense:
A Missed Opportunity?», U.S.-Europe Analysis Series, no 53, The
Brookings Institution, Washington, 6 mars 2012.
40
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
néanmoins accélérer le processus. Le lien de
causalité n’est certes pas évident – il est d’ailleurs probablement exagéré –, mais le fait est que
la question de l’intégration monétaire est parfois
considérée à Varsovie sous l’angle géopolitique.
L’ancien ministre des Finances Jacek Rostowski
a par exemple déclaré au Parlement en
février 2013 que Londres aurait probablement
ratifié le pacte budgétaire si le Royaume-Uni
avait été placé sur la carte de l’Europe là où la
Pologne se situe.
La crise ukrainienne :
un nouveau point
de bascule ?
Si le renforcement des liens avec l’Europe
et avec l’Allemagne constitue un changement de
stratégie, l’objectif principal de la politique étrangère polonaise demeure constant. Il consiste à
stabiliser la situation géopolitique de la Pologne
afin de mieux garantir sa sécurité à long terme.
De fait, une altération majeure du contexte
régional est susceptible de conduire à un nouvel
ajustement de la politique extérieure du pays.
La crise ukrainienne, et ce qu’elle révèle de la
volonté de puissance de la Russie, en constitue
l’exemple le plus récent.
L’apaisement des relations avec la Russie
a été l’élément le plus inattendu de l’évolution
de la politique étrangère polonaise à la fin des
années 2000. Dans la période qui a suivi son
adhésion à l’Union européenne, la Pologne a
affiché une attitude intransigeante, pour ne pas
dire frondeuse, à l’égard de la Russie. En 2006,
elle a même opposé son veto au renouvellement de
l’Accord de partenariat et de coopération (APC)
qui lie l’Union européenne et la Russie en réponse
à l’embargo russe sur les viandes polonaises.
Le sommet Union européenne-Russie
de 2007 a ensuite ouvert la voie à une première
inflexion – sommet au cours duquel la chancelière allemande Angela Merkel exigea de
Moscou un changement d’attitude à l’égard des
nouveaux États membres.
La politique américaine dite du « reset »
lancée avec Moscou par l’administration
© AFP / Jens Schlueter
Les ministres des Affaires étrangères du Triangle de Weimar,
Laurent Fabius, Frank-Walter Steinmeier et Radosław Sikorski.
Le 20 février 2014, ils sont intervenus conjointement à Kiev afin
de promouvoir un accord de règlement de la crise ukrainienne.
Obama puis le ralentissement économique de
la Russie ont ouvert la voie à une dynamique
de rapprochement russo-polonais caractérisée
par la volonté des deux parties de surmonter
les différends du passé. Le rapprochement se
concrétisa par des gestes symboliques – dont
certains sont à mettre au crédit de la Russie –
au moment des commémorations du massacre
de Katyń ou suite à la tragédie de Smolensk 12,
et par la réactivation du « Groupe bilatéral pour
les questions difficiles » composé d’historiens
polonais et russes 13.
Il importe pour autant de ne pas se
méprendre sur la nature avant tout symbolique
de cette politique affichée de réconciliation
qui fut rapidement enterrée par la réélection de
Vladimir Poutine en mars 2012 et par la crise
ukrainienne au printemps 2014. Là encore, il
12
Timothy Garton Ash, « This tortured Polish-Russian story is
something we can all learn from », The Guardian, 23 février 2011
(www.theguardian.com/commentisfree/2011/feb/23/
tortured-polish-russian-story).
13
Ce groupe a été créé en 2002 mais n’a pas été vraiment actif
avant la fin des années 2000.
s’agissait de la part de la Pologne d’un changement d’approche, mais en aucun cas d’une
redéfinition de ses intérêts de sécurité ou d’une
réévaluation à la baisse du risque géopolitique
que peut représenter la Russie à moyen terme.
La normalisation des relations avec Moscou
s’est inscrite dans la stratégie européenne décrite
plus haut. Elle facilitait l’approfondissement du
lien avec l’Allemagne et permettait à la Pologne
de mieux asseoir, au sein de l’Union européenne,
son leadership auprès du voisinage oriental. Le
Groupe pour les questions difficiles prétendait
moins régler que désamorcer ces questions en
les catalysant et en les soustrayant des échanges
diplomatiques.
Durant cette période, les dirigeants
polonais ont suivi de près les évolutions de la
Russie, qu’il s’agisse des programmes de modernisation de son armée, de ses exercices militaires
conduits conjointement avec la Biélorussie à la
frontière polonaise (Zapad) ou des déclarations
de Moscou sur l’installation de missiles Iskander
dans l’enclave de Kaliningrad. Contrairement
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
41
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
➜ FOCUS
Extraits du discours de Barack Obama à l’occasion
du 25e anniversaire des premières élections libres,
le 4 juin 2014 à Varsovie
« Je suis venu à Varsovie aujourd’hui,
au nom des États-Unis et au nom de
l’OTAN, pour réaffirmer notre engagement indéfectible envers la sécurité
de la Pologne. L’article 5 est clair : une
attaque contre l’un des nôtres est une
attaque contre tous. En tant qu’alliés,
nous avons le devoir sacré, l’obligation
prévue par un traité, de défendre votre
intégrité territoriale. Et nous le ferons.
Nous sommes solidaires, maintenant
et pour toujours, car votre liberté est la
nôtre. La Pologne ne sera jamais seule.
[…] Nous sommes solidaires parce
que nous croyons que les peuples et
les nations ont le droit de choisir leur
destin. Y compris le peuple d’Ukraine.
[…] Les Ukrainiens d’aujourd’hui
sont les héritiers de Solidarność, des
hommes et des femmes comme vous
qui ont osé défier un régime en faillite.
[…] Merci à la Pologne pour votre
volonté de fer et pour avoir montré
que, oui, des citoyens ordinaires
peuvent prendre les rênes de l’histoire
et que la liberté peut l’emporter, parce
à d’autres États centre-européens tels que la
Hongrie, la République tchèque ou les pays
baltes, la Pologne s’est attachée par ailleurs à ne
pas laisser les entreprises russes s’approcher de
son secteur énergétique.
L’Ukraine occupe une place particulière
dans ce contexte. Ce pays revêt bien entendu une
importance à la fois historique – inclusion dans
le Royaume de Pologne et dans le grand-duché
de Lituanie – et sociétale – présence de minorités
polonaises en Ukraine. Surtout, l’Ukraine joue le
rôle de pivot stratégique régional et de révélateur
des intentions de la Russie. L’adage de l’ancien
conseiller de Jimmy Carter, Zbigniew Brezinski,
selon lequel « sans l’Ukraine, la Russie cesse
d’être un empire » continue de trouver une forte
résonance à Varsovie.
D’un point de vue stratégique, tout
comme la Russie ne pourrait accepter une
Ukraine membre de l’OTAN, la Pologne ne
saurait tolérer une Ukraine russe. L’instabilité
chronique dans laquelle l’Ukraine semble s’installer est donc de nature à malmener les relations
russo-polonaises. Les tensions entre Varsovie et
Moscou au milieu des années 2000 avaient déjà
en leur temps été exacerbées par la Révolution
orange de 2004. L’actuelle crise ukrainienne
42
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
qu’en fin de compte les chars et les
soldats ne peuvent rien contre la force
de nos idéaux. […] Dziękuję, Polsko !
Dieu bénisse la Pologne ! Dieu bénisse
l’Amérique ! Dieu bénisse notre indestructible alliance ! »
Source : « Remarks by President Obama at the
25th Anniversary of Freedom Day », Castle Square,
Varsovie, Pologne, 4 juin 2014, The White House,
Office of the Press Secretary (www.whitehouse.gov/
the-press-office/2014/06/04/remarks-presidentobama-25th-anniversary-freedom-day-warsawpoland). Traduction de Benoît Lerosey.
figure donc sans surprise au cœur des priorités
diplomatiques de la Pologne, Varsovie ayant
condamné l’attitude de Moscou en Crimée dans
les termes les plus fermes.
Varsovie a en outre réactivé avec insistance
sa demande de déploiement permanent de troupes
de l’OTAN sur son territoire et sur celui des pays
baltes. De fait, cette crise est de nature à conduire
à un nouveau renforcement des liens bilatéraux
avec Washington. Pour autant, il est peu probable
qu’elle mette en cause l’engagement européen
de la Pologne. En réponse à ces tensions, le
Premier ministre Donald Tusk a récemment
appelé à une union énergétique au niveau de
l’Union européenne. De même, lorsqu’il a été
mandaté par le haut représentant de l’Union pour
les affaires étrangères et la politique de sécurité,
Catherine Ashton, pour une mission de médiation
à Kiev en février 2014, le ministre des Affaires
étrangères R. Sikorski a tout fait pour impliquer
son homologue allemand – qui a, à son tour, associé
le ministre français des Affaires étrangères.
En plaçant la Pologne sur un qui-vive stratégique, la crise ukrainienne devrait avoir des
incidences importantes sur la politique extérieure
que Varsovie mettra en œuvre dans les années
à venir. ■
Ò POUR ALLER PLUS LOIN
La Baltique : un espace de coopérations
Les coopérations autour
de la mer Baltique (2014)
N O RV È G E
FINLANDE
SUÈDE
SaintPétersb.
1
2
4
DAN.
3
E S T.
RUSSIE
L E T.
5
6
Kal.
7
L I T.
Gdańsk
ALL.
POLOGNE
1 Åland
2 Hiiumaa
3 Saaremaa
4 Gotland
5 Öland
6 Bornhold
7 Rügen
500 km
Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014
Mer périphérique des premières Communautés
européennes, la mer Baltique est devenue, avec la chute du
mur de Berlin en 1989 et les quatrième (1995) et cinquième
(2004) élargissements, un espace privilégié de coopération et presque une mer intérieure de l’Union. Les rives de
la mer Baltique et de la mer du Nord ont ainsi vu fleurir un
certain nombre d’organisations internationales, de cadres
de collaboration et de partenariats qui, parfois en réactivant
la mémoire de la Hanse ou de l’ancienne Prusse, favorisent
une intégration régionale dans laquelle l’Allemagne joue
un rôle moteur tout en laissant une place à la Russie.
Cette dernière, avec les régions de Saint-Pétersbourg et de
Kaliningrad, est en effet désormais le seul pays riverain de la
Baltique à n’être pas membre de l’Union européenne.
Dès la disparition du bloc soviétique, les États riverains
ont engagé une politique d’intégration protéiforme visant
à transcender le clivage Est-Ouest en vigueur depuis 1945.
Si l’Allemagne y a trouvé le moyen d’opérer son retour vers
un Est dont elle fut brutalement chassée, et la Suède celui
de promouvoir un modèle social et économique envié, le
développement de la coopération régionale a également
permis à la Pologne et aux pays baltes de hâter leur intégration euro-atlantique et à la Russie de maintenir sa présence
sur un littoral baltique largement amputé.
Formalisé en 1992, le Conseil des États de la mer Baltique
réunit les dix États riverains et promeut une coopération
politique dans les domaines écologique, économique,
éducatif, culturel et sécuritaire. Au niveau infranational,
l’« Eurorégion baltique » est, avec celle des Carpates, la
seule structure de ce type à inclure des collectivités locales
d’États non membres de l’Union européenne. Elle regroupe
ainsi sept régions situées dans cinq pays différents, sur les
deux rives de la Baltique, y compris celle de Kaliningrad, en
Russie. Le « B7 » (né en 1989) regroupe en une structure
unique les sept plus grandes îles de la Baltique, situées sur le
territoire de cinq États, tandis que l’Organisation des ports
de la Baltique (née en 1991) organise la coopération entre
les principaux organismes et entreprises portuaires.
Des réseaux de villes se voulant les héritiers des ligues de
cités libres du Moyen Âge ont en outre vu le jour sous la
forme de l’Union des villes de la Baltique qui, depuis 1991,
regroupe 92 villes dans dix pays, ou en se concrétisant par
des jumelages. Gdańsk (anciennement Dantzig), haut lieu
de l’histoire de l’Europe et plus grand port polonais, a par
exemple tissé, depuis 1991, un étroit réseau de relations
avec les principales villes du littoral baltique et de tradition hanséatique : de Saint-Pétersbourg à Brême en allant
jusqu’à Rouen et Sefton (Angleterre).
Conseil des États de la mer Baltique
(dont Union européenne et Islande, hors cadre)
B7 Baltic Islands
Union des villes de la Baltique
Organisation des ports de la Baltique
Eurorégion baltique
Villes jumelées à Gdańsk
Au niveau européen, la stratégie de l’Union européenne
pour la région de la mer Baltique adoptée par la Commission
européenne en 2009 a pour objectif d’améliorer l’absorption des crédits communautaires au profit du développement économique et de la protection de l’environnement.
Elle met en évidence une volonté partagée de coopération entre les deux rives et entre anciens et nouveaux États
membres. Son succès a encouragé une initiative similaire
dans le bassin du Danube et pourrait faire école dans
d’autres régions du continent.
Questions internationales
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
43
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Ò POUR ALLER PLUS LOIN
L’adaptation de la politique d’emploi polonaise
aux normes européennes
L’adhésion de la Pologne à l’Union européenne
en 2004 s’est inscrite dans un triple mouvement de
rattrapage économique et social, d’européanisation
des pratiques et de consolidation du système politique
et institutionnel national. Dans ce processus, les fonds
de préadhésion puis les fonds structurels ont joué, et
jouent encore, un rôle déterminant.
Le rôle central
du Fonds social européen
En matière sociale, le Fonds social européen (FSE)
est ainsi devenu un élément essentiel de la politique
polonaise de l’emploi. Pour la période de programmation qui vient de s’achever (2007-2013), la Pologne en
a été le premier pays bénéficiaire. Sur les 67 milliards
d’euros de fonds structurels perçus au titre de
l’objectif de « Convergence », plus de 11 milliards sont
à mettre au compte du FSE.
Si l’on observe les statistiques récentes, la dynamique
de rattrapage – généralement attribuée aux fonds
européens – semble incontestable : la Pologne se
porterait mieux que nombre de pays de l’Union
européenne, notamment les pays du Sud. En 2012,
elle a été l’un des seuls pays présentant une crois-
sance positive de son PIB, tandis que la production
moyenne de l’Union européenne était en recul
de − 0,4 %. Même s’il demeure bien en deçà de la
moyenne européenne, dont il ne représente que
66 %, le PIB par habitant polonais a malgré tout fortement augmenté depuis 2004 et le ratio entre PIB
polonais par habitant et PIB de l’Union européenne
par habitant a gagné 15 points.
S’agissant des taux d’emploi, de chômage et de
pauvreté 1 entre 2004 et 2012, le processus de
rattrapage se vérifie également. Le taux d’emploi
national s’est rapproché de la moyenne européenne,
tandis que chômage et risque de pauvreté ont considérablement diminué.
Des clivages territoriaux persistants
Ce rattrapage apparent au niveau national masque
toutefois la persistance de forts déséquilibres terri1
La hausse des taux d’emploi et la baisse des taux de pauvreté font
partie des grands objectifs de la stratégie Europe 2020. Il s’agit de
faire passer le taux d’emploi de la population âgée de 20 à 64 ans
de 69 % en 2010 à 75 % au moins en 2020, et de réduire de 25 %
le nombre d’Européens vivant en dessous des seuils de pauvreté
nationaux.
PIB par habitant et croissance du PIB en volume en Pologne
et dans certains pays de l’Union européenne
PIB par habitant
Croissance du PIB réel en volume
(UE 25 = 100)
(en % de l’année précédente)
2004
2007
2012
2004
2007
2012
Union européenne
100
100
100
2,6
3,2
– 0,4
Irlande
143
146
130
4,2
5,0
0,2
Grèce
94
90
75
4,4
3,5
– 6,4
Espagne
101
105
97
3,3
3,5
– 1,6
Pologne
51
55
66
5,3
6,8
1,9
Portugal
78
79
75
1,6
2,4
– 3,2
Source : Eurostat, 2013.
44
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Fonds structurels en Pologne (2007-2013)
Développement
de la Pologne
orientale
3,4
Economie
innovante
Capital
humain
MER
Gdańsk
Assistance
technique 0,8
POMÉRANIE
Autre 2,0
POMÉRANIE
OCCIDENTALE
12,4
41,9
Ka l i n i n g ra d
(RUSSIE)
B A LT I Q U E
VARMIEMAZURIE
BIÉL.
Olsztyn
Białystok
PODLACHIE
CUJAVIEPOMÉRANIE
Szczecin
LITUANIE
MAZOVIE
Bydgoszcz
14,6
VARSOVIE
Poznań
24,9
Programmes
opérationnels
régionaux
LUBUSZ
Infrastructures
et environnement
Łódź
SAINTECROIX
Wrocław
BASSESILÉSIE
Kielce
OPOLE
Opole Katowice
SILÉSIE
Fonds structurels par habitant
(base 100 = moyenne nationale)
80
90
Lublin
LUBLIN
LODZ
Zielona
Góra
Sources de financement :
FEDER
Fonds social européen
Fonds de cohésion
GRANDEPOLOGNE
100 110 130 140 175
RÉPUBLIQUE
TCHÈQUE
Cracovie
PETITEPOLOGNE
S L O VA Q U I E
Rzeszów
BASSESCARPATES
U KR .
Sources : Projekt Narodowej Strategii Rozwoju Regionalnego na lata 2007–2013 zaakceptowany przez Radę Ministrów w dniu 6
września 2005 r., Varsovie, septembre 2005, p. 86, et Ministère du Développement régional, Narodowe Strategiczne Ramy
Odniesienia 2007-2013, wspierające wzrost gospodarczy i zatrudnienie, Varsovie, mai 2007, p. 116.
toriaux 2. Ceux-ci sont directement hérités de la
période des partages (1772-1918), qui a façonné les
écarts traditionnellement défavorables à la Pologne
orientale et qui s’expriment à travers le clivage
entre la Pologne A et la Pologne B 3. Cette période
a également façonné le profil agricole des régions
– tant le poids relatif de l’agriculture dans l’économie
locale que la configuration des exploitations – et
2
Voir Gilles Lepesant, « Pologne : vers un nouveau modèle de
développement économique et territorial ? », Questions internationales, no 64, novembre-décembre 2013, p. 96-102.
3
Le territoire polonais est souvent considéré comme constitué de
deux parties que séparait historiquement la Vistule. Aujourd’hui, on
utilise encore cette distinction pour opposer les voïvodies de l’Ouest
et du Centre, qui forment la Pologne A, perçue comme plus riche,
industrialisée et développée, des cinq voïvodies orientales (BassesCarpates, région de Lublin, Podlachie, Sainte-Croix et VarmieMazurie), qui constituent la Pologne B, plus rurale, vue comme plus
traditionnelle et moins bien lotie économiquement. Le clivage entre la
Pologne A et la Pologne B s’est compliqué dans les années 1990 avec
la chute du nombre d’exploitations agricoles d’État dans les régions
de l’Ouest recouvrées en 1945. Cette mutation a entraîné l’explosion du chômage et de la pauvreté dans certaines zones rurales de la
Pologne A, à des niveaux supérieurs à ceux des régions orientales.
Autrement dit, la Pologne A est loin d’être elle-même homogène.
Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014
Part des fonds reçus
par programme opérationnel (PO)
(en % du total des fonds structurels alloués)
donc le rapport entre zones rurales et urbaines. Les
politiques mises en œuvre depuis l’après-guerre
n’ont pas plus corrigé ce déséquilibre historique que
l’intervention des fonds européens jusqu’à présent.
Les différences entre l’est et l’ouest du pays et entre
les villes et les campagnes sont toujours perceptibles. S’y ajoutent en outre des inégalités infrarégionales. La plupart des indicateurs sociaux, en termes
d’emploi mais aussi d’aide sociale ou de pauvreté,
traduisent la persistance de ces clivages territoriaux.
Depuis les années 1990, d’autres inégalités se sont en
outre consolidées au sein de la population, déclinées
selon l’âge, le sexe, le niveau d’éducation ou encore
le handicap. Ainsi, malgré l’intervention du FSE qui
véhicule le principe d’égalité entre les hommes et les
femmes et qui cofinance des projets de formation ou
d’aide à la création d’entreprise, parfois spécifiquement adressés aux femmes, celles-ci restent défavorisées dans l’accès à l’emploi par rapport aux hommes,
et sont plus touchées par le chômage – notamment
de longue durée – et l’inactivité.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
45
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Taux d’emploi, de chômage et risque de pauvreté ou d’exclusion sociale
en Pologne et dans l’Union européenne (en %)
Taux d’emploi
Taux de chômage*
Personnes en risque
de pauvreté
ou d’exclusion sociale
2004
2007
2012
2004
2007
2012
2004
2007
2012
Union européenne
67,4
69,9
68,5
9,3
7,0
10,8
21,5
21,6
23,2
Pologne
57,3
62,7
64,7
19,4
8,6
10,2
45,3
34,4
26,7
* 2004 : taux de chômage au deuxième trimestre ; 2007 et 2012 : taux de chômage au quatrième trimestre.
Source : Eurostat, 2013.
Des politiques d’emploi contrastées
Outre la résorption des clivages sur laquelle les effets
du FSE sont encore mitigés, l’objectif de ce fonds est
de promouvoir les normes européennes de politique
d’emploi valorisées par les différentes stratégies
élaborées depuis 1997 : stratégie européenne
pour l’emploi (SEE), stratégie de Lisbonne (2000) et
stratégie Europe 2020 (depuis 2010). Les enjeux sont
la mise en place de politiques actives du marché du
travail encourageant le retour à l’emploi des chômeurs
et des inactifs, l’élaboration de politiques ciblées, la
promotion de la formation tout au long de la vie ainsi
que de la « flexicurité », combinaison entre flexibilité
et sécurité de l’emploi.
En Pologne, les résultats sont contrastés. Si le FSE
introduit bien une logique de ciblage – soutien à
la création d’emplois –, les logiques passives de
politique d’emploi forment en revanche toujours
l’essentiel de l’activité des administrations locales.
Adoptée au début des années 1990 dans l’urgence
pour faire face à l’explosion du chômage et de la
pauvreté, cette approche n’a cessé de prévaloir sur
les mesures actives. Ce n’est qu’à partir de 2007
que ces dernières ont pris le dessus, avec l’appui
du FSE. Mais la tendance s’est inversée de nouveau
depuis 2011, traduisant l’échec des politiques d’activation face à la crise.
Localement, pourtant, la crise n’est pas vécue comme
un phénomène récent, le chômage et la pénurie
d’emplois remontant à la mue brutale du marché du
travail dans les années 1990. Les grandes entreprises
d’État ont alors laissé la place à des petites voire très
46
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
petites entreprises n’employant qu’un nombre limité
de personnes, particulièrement en milieu rural. Leur
essor a été encouragé dès le milieu des années 1990
afin de résoudre le problème du chômage, et il est
depuis soutenu par le FSE.
Cependant, ce tissu de petites et moyennes entreprises ne permet pas d’absorber l’ensemble de la
population demandeuse d’emploi. Dès lors, une partie
de celle-ci tire ses revenus du travail non déclaré qui,
malgré une baisse générale depuis les années 2000,
concerne encore près de 5 % des personnes exerçant
une activité 4. En parallèle, les conditions de travail
dans le secteur privé, légal ou informel, sont marquées
par une flexibilisation à outrance des contrats et des
temps de travail, pour un salaire mensuel minimum
de 385 euros en 2013 5. Dans ce contexte, la sécurité
de l’emploi est loin d’être assurée et l’intervention du
FSE n’a pas d’impact sur ces pratiques.
Une gouvernance diversifiée
C’est essentiellement sur les rapports de gouvernance
que l’influence du FSE est la plus notable, surtout
4
Estimation de 2010, sachant que pour plus de la moitié des
personnes concernées (54 %), l’emploi informel est la source
principale de revenu, alors que jusqu’en 1998 il n’en était qu’un
complément. Les raisons poussant à travailler de manière non
déclarée sont d’abord le manque d’emploi disponible dans la
sphère légale, ensuite l’insuffisance de revenu. Ces constats n’ont
pas évolué depuis 2004. Source : Główny Urzad Statystyczny
[Office national des statistiques], Praca nierejestrowana w Polsce
w 2010 r. [Le travail non déclaré en Pologne en 2010], Varsovie,
2011, p. 15, p. 20.
5
En France, au même moment, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) mensuel brut s’élevait à
1 430,22 euros (source : INSEE).
depuis 2007. Le rôle des régions dans la gouvernance
de l’emploi s’est trouvé renforcé, car celles-ci ont en
effet acquis plus de responsabilités dans l’allocation
et le contrôle de ressources aux montants plus conséquents. Le processus de régionalisation s’est incontestablement accru dans la mise en œuvre du FSE. Les
régions ont géré 60 % des fonds alloués entre 2007
et 2013, contre 40 % pour le niveau central.
Enfin, la gouvernance infrarégionale de l’emploi s’est
également trouvée bouleversée. Les institutions
publiques traditionnellement en charge de l’emploi
et de l’aide sociale, créées durant la décennie de
transformation à l’échelle des powiaty (districts)
et des communes, se voient désormais concurren-
cées par d’autres acteurs publics mais aussi privés
ou associatifs, qui mettent en œuvre des projets
financés par le FSE, entraînant une réorganisation
des rapports de force.
Amélie Bonnet *
* Assistante de recherche au Centre d’études et de recherches
internationales (CERI) de Sciences Po. Elle achève une thèse
sur Le Fonds social européen et l’emploi des femmes vivant en
milieu rural en Pologne à l’université Paris 2 Panthéon-Assas.
Elle est responsable de la rubrique « Pologne » pour la revue
en ligne Regard sur l’Est. Elle a contribué à l’ouvrage Accès à
l’énergie en Europe. Les précaires invisibles, sous la direction de
François Bafoil, Ferenc Fodor et Dominique Le Roux (Presses de
Sciences Po, 2014).
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Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
47
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Sécurité
et politique de défense
Stanisław Parzymies *
* Stanisław Parzymies
est professeur émérite à l’Institut
des relations internationales
de l’université de Varsovie.
Depuis quelques années, la Pologne procède à la réévaluation
de ses capacités de défense et des garanties qui résultent
de ses coopérations internationales. Depuis la transition
démocratique en 1989, le pays a en effet misé pour sa sécurité sur
la coopération avec les structures occidentales, l’OTAN et l’Union
européenne principalement. Dans un contexte de tensions renouvelées
avec le voisin russe au sujet de l’Ukraine, la Pologne cherche désormais
à convaincre l’Alliance atlantique, qu’elle considère comme le premier
pilier de sa sécurité, d’accroître sa présence militaire sur son territoire.
L’annexion de la Crimée par la Fédération
de Russie, le 18 mars 2014, a suscité l’inquiétude en Pologne et chez les autres États voisins
de la Russie. Un quart de siècle après la fin de
la guerre froide, on aurait pu espérer qu’aucune
puissance européenne n’ose commettre une
violation si flagrante des principes fondamentaux
du droit international public. Pour le rédacteur en
chef du quotidien polonais Gazeta Wyborcza,
Adam Michnik, « le Kremlin de Poutine pousse
la Russie vers la reconstitution d’un empire
agressif [...] où vont gouverner la violence et
le mensonge. […] Le feu vert pour Poutine ne
s’arrêtera pas à la Crimée [...]. La passivité de
l’Occident signifiera la victoire de l’esprit de
Munich de 1938 et de Yalta de 1945 » 1.
Sécurité internationale :
entre défense et coopération
Le budget de la défense russe a augmenté
de 25 % en 2012 et dépasse désormais celui de la
1
Dans son éditorial intitulé « Il n’est plus permis de reculer »,
Gazeta Wyborcza, 17 avril 2014, p. 1.
48
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
France. D’ici à 2020, la Russie devrait dépenser
l’équivalent de 515 milliards d’euros pour se
doter d’équipements militaires modernes. Le
président russe a fait de la modernisation de
l’armée une priorité nationale 2. La doctrine de
défense du pays continue de présenter l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN)
comme un adversaire potentiel. Moscou organise
régulièrement des manœuvres Zapad (Occident)
et militarise en outre le district de Kaliningrad.
La menace d’y déployer des missiles Iskander,
qui jusqu’à maintenant n’a pas été mise à exécution, constitue un élément de chantage récurrent.
C’est dans ce contexte que la Pologne a
entrepris depuis quelques années une réévaluation de ses capacités de défense et de celles qui
résultent de ses coopérations internationales. La
sécurité polonaise s’appuie en effet sur plusieurs
piliers : ses capacités défensives, son adhésion à
l’Alliance atlantique et à l’Union européenne et,
2
Reuters, « L’OTAN teste sa force de réaction rapide près de
la Russie », 1 er novembre 2013 (http://lexpansion.lexpress.
fr/actualites/2/actualite-economique/l-otan-teste-sa-forcede-reaction-rapide-pres-de-la-russie_1453448.html).
© AFP / Viktor Drachev
Le président biélorusse Alexandre Loukachenko passe
en revue les troupes lors de l’exercice conjoint russobiélorusse Zapad 2009 auquel ont pris part plus de
12 000 soldats, 200 chars et 100 avions.
enfin, la coopération bilatérale qu’elle entretient
avec les États-Unis.
Des capacités défensives renforcées
Plus grand pays d’Europe centrale tant au
niveau territorial (312 000 km2) que démographique (38,5 millions d’habitants), la Pologne
dispose d’une armée de 96 000 hommes, soit la
sixième de l’Union européenne et la huitième de
l’Alliance atlantique en termes d’effectifs. Elle
consacre 1,95 % de son produit intérieur brut
(PIB) au budget de la défense, et se situe parmi
les cinq premiers pays membres contributeurs
de l’Union européenne et les six premiers de
l’Alliance atlantique. Alors que la crise financière
a entraîné dans les années 2008-2012 une baisse
de 8 % en moyenne des dépenses militaires en
Europe occidentale et de 10 % en Europe centrale,
leur augmentation a été de 19 % en Pologne 3.
3
Mark Bromeley, « Arms transfers to Western and Central
Europe », SIPRI Yearbook 2013, p. 264.
Les Polonais sont conscients que la sécurité
extérieure de leur pays dépend tout d’abord
de ses capacités défensives. C’est pourquoi la
modernisation et la restructuration des forces
armées sont des priorités auxquelles le pays
devrait consacrer 140 milliards de zlotys – soit
l’équivalent de 30 milliards d’euros – pour la
période 2013-2022.
Le Plan technique de modernisation
de 2012 contient douze programmes
opérationnels principaux. Pour renforcer ses
capacités de dissuasion, la Pologne a prévu de
se doter de missiles, d’hélicoptères, de chars
de combat, de sous-marins, de drones et d’un
système de défense aérienne avec des missiles
sol-air. Elle a également prévu de disposer
d’un bouclier antimissile autonome qui, avec
les éléments du bouclier antimissile américain
devant être localisés sur le territoire polonais
en 2018, constituera une composante du
système de l’OTAN tout entier.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
49
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Le rôle primordial de l’OTAN
L’Alliance atlantique étant le plus important garant extérieur de sa sécurité, la Pologne
est très attachée à ce que la défense collective,
sur la base de l’article 5 du traité de Washington,
demeure la mission prioritaire de l’organisation. Cette préoccupation n’empêche pas le
pays de participer aux opérations extérieures de
l’OTAN, notamment en Afghanistan. En 2013,
1 800 soldats polonais s’y trouvaient encore,
dont 1 000 devraient y rester déployés jusqu’au
terme de la mission de la Force internationale
d’assistance et de sécurité (FIAS) prévu pour le
dernier trimestre 2014.
Du 2 au 7 novembre 2013 a eu lieu, pour
la première fois en Pologne et en Lettonie, un
exercice militaire de l’OTAN (Steadfast Jazz),
auquel 7 000 hommes, pour la plupart américains et français, des chars, des avions et des
navires de combat ont participé. Des observateurs russes ont assisté à l’exercice. Un détachement des forces aériennes américaines stationne
en Pologne pour y assurer une rotation d’avions
de combat F-16 et de transport C-130 4. Depuis
mars 2014, ce détachement dispose de douze
avions F-16 qui devraient y demeurer jusqu’à la
fin de l’année 2014.
En outre, en réponse à la crise en Ukraine,
six chasseurs CF-18 des forces canadiennes et
quatre chasseurs français Rafale sont arrivés en
Pologne en avril 2014, pour quatre mois, dans
le cadre de l’OTAN. Il s’agit, selon le ministre
français de la Défense, de dissuader la Russie
« de toute intervention néfaste » 5. Le ministre
polonais de la Défense, Tomasz Siemoniak, a
récemment déclaré que la Pologne souhaitait que
les forces armées de l’OTAN stationnent sur son
territoire de manière permanente 6 à l’instar du
4
« Informacja Ministra Spraw Zagranicznych o zadaniach
polskiej polityki zagranicznej w 2013 roku » [Information du
ministre des Affaires étrangères sur les tâches de la politique
étrangère en 2013], Ministerstwo Spraw Zagranicznych (www.
msz.gov.pl/pl/aktualnosci/wiadomosci/informacja_ministra_spraw_
zagranicznych_o_zadaniach_polskiej_polityki_zagranicznej_
w_2013_roku).
5
Le Figaro, 30 avril 2014, p. 6.
6
Tomasz Siemoniak, « Chcemy NATO na stałe w Polsce » [Nous
voulons l’OTAN en permanence en Pologne], Gazeta Wyborcza,
28 avril 2014, p. 7.
50
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Centre de formation des forces interarmées de
l’OTAN qui y est installé depuis 2006.
Une défense européenne à construire
L’Union européenne est considérée par la
Pologne comme l’autre garant principal de sa
sécurité. En décembre 2013, pas moins de 83 %
des Polonais étaient favorables à l’appartenance
de leur pays à l’Union européenne, 14 % étaient
contre et 3 % n’avaient pas d’opinion à ce
sujet 7. Les dirigeants polonais restent cependant
conscients du fait que la Politique européenne
de sécurité et de défense commune (PSDC),
même renforcée, ne pourra pas remplacer
l’OTAN à court ou moyen terme. La Pologne
participe aux groupements tactiques de l’Union
européenne et n’exclut pas leur emploi. Les
militaires polonais sont présents, dans le cadre
de missions européennes, au Kosovo, en BosnieHerzégovine et en Géorgie. Ils participent à la
mission de formation des forces de sécurité au
Mali, qui soutient les forces alliées engagées
dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, et
aident les troupes françaises en République
centrafricaine. La Pologne a ainsi envoyé
50 soldats en République centrafricaine avec
pour mandat d’apporter un soutien logistique
et une assistance technique à l’opération de la
France dans ce pays. Cette décision avait été
prise en vertu du partenariat stratégique entre
la France et la Pologne dans le domaine de la
défense.
Lors de sa présidence du Conseil de
l’Union européenne au second semestre 2011, la
Pologne avait d’ailleurs fait de la consolidation
de la PSDC l’une de ses priorités. Cette posture
était le fruit d’une réflexion engagée depuis
plusieurs années par la classe politique polonaise
sur le rôle que l’Union européenne devrait jouer
en matière de sécurité. Cette réflexion s’appuie
notamment sur l’idée qu’une contribution
renforcée de l’Union européenne en matière de
défense est nécessaire à l’équilibre des relations
transatlantiques. Dans le cadre des préparatifs de
7
10.PL-UE. Polskie 10 lat w Unii Europejskiej. Raport.
Ministerstwo Spraw Zagranicznych [10 ans de la Pologne à
l’Union européenne. Rapport. Ministère des Affaires étrangères],
Varsovie, 2014, p. 210.
© AFP / Janek Skarżyński
Les présidents américain et polonais, Barack Obama et
Bronisław Komorowski, prononcent un discours le 3 juin 2014
sur une base aérienne de l’aéroport de Varsovie devant deux
chasseurs F-16. Si la Pologne a augmenté son implication
dans la défense européenne, son armée reste essentiellement
équipée par du matériel américain.
sa présidence du Conseil de l’Union européenne,
la Pologne avait donc mis au point un ambitieux
programme concernant la PSDC 8.
L’année suivante, le ministre polonais des
Affaires étrangères R. Sikorski, présentant le
29 mars 2012 devant la Diète ses orientations de
politique étrangère, avait dû néanmoins constater
qu’« il résulte des expériences de la présidence
polonaise que la PSDC n’est pas, hélas, réalisable
dans le cadre des 27 pays membres. Il faut donc
entamer une coopération renforcée, prévue dans
le traité de Lisbonne, des États volontaires ».
L’implication
dans les structures
occidentales de sécurité
Entre 1990 et 2014, les interventions des
ministres des Affaires étrangères successifs
devant la Diète ont témoigné de l’attachement
continu de la Pologne à l’Alliance atlantique
et à la construction européenne 9. Dans les
années 1990-1991, la Pologne, la Hongrie et la
Tchécoslovaquie ont mené une offensive diplomatique concertée, couronnée de succès au
milieu de l’année 1991, qui a mis fin aux activités
du pacte de Varsovie. Au même moment, la
Pologne exprimait l’espoir que l’Europe centrale
ne devienne pas, du point de vue de la sécurité,
une zone grise ou neutre, et qu’un jour l’Alliance
atlantique et l’Union européenne s’élargissent
à la partie centrale de l’Europe. La Fédération
8
S. Parzymies, « Relancer la politique de sécurité et de défense
commune : un objectif prioritaire de la présidence polonaise
de l’Union européenne », Questions internationales, no 52,
novembre-décembre 2011, p. 89-90.
9
Exposé Ministrów Spraw Zagranicznych. Rzeczpospolita
Polska, MSZ, Varsovie, 2011.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
51
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
de Russie s’était alors ouvertement opposée
à l’adhésion de la Pologne à l’Alliance atlantique tandis que des réserves avaient également été émises par certains milieux politiques
occidentaux.
La Pologne a alors souligné que sa double
adhésion à l’Alliance atlantique et à l’Union
européenne renforcerait non seulement ces deux
structures mais leur permettrait d’accroître leur
influence en Europe centrale et orientale. Le
8 avril 1999, Bronisław Geremek, alors ministre
polonais des Affaires étrangères, assurait devant
la Diète que son pays, déjà membre de l’Alliance
atlantique, avait l’ambition de contribuer à
façonner la stratégie et la politique de l’Alliance,
en particulier en Europe centrale et orientale.
Qu’il s’agisse de l’élaboration de la stratégie
de l’organisation ou de l’adaptation de ses
propres forces armées aux normes de l’OTAN,
la Pologne a ensuite activement participé aux
structures politiques et militaires de l’Alliance
tout en prenant part aux opérations alliées de
gestion de crise.
La question de l’éventuel élargissement
de l’OTAN aux voisins orientaux de la Pologne,
notamment à l’Ukraine, et celle de la collaboration
entre l’OTAN et l’Union européenne sont depuis
restées au cœur du débat politique polonais. Dans
une intervention devant la Diète le 21 janvier
2005, le ministre des Affaires étrangères de
l’époque, Adam D. Rotfeld, a ainsi déclaré que
la Pologne soutiendrait le renforcement des
relations entre l’Union européenne et l’Ukraine
et, en ligne d’horizon, une éventuelle adhésion.
S’agissant de l’OTAN, l’Ukraine devait
également se voir proposer une feuille de route
préparant l’adhésion.
Les dirigeants polonais se sont aussi
prononcés en faveur d’une collaboration
plus étroite entre la Force de réaction rapide
de l’OTAN et les groupements tactiques de
l’Union européenne et pour la réalisation de
projets communs dans le domaine de l’industrie
d’armement, de la recherche et des hautes
technologies. Depuis la chute du communisme,
le pays poursuit en effet la modernisation de
ses forces armées et s’attache à développer son
industrie nationale de défense.
52
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
La Pologne souhaite que l’Alliance
atlantique conserve un équilibre entre les
missions de défense du territoire de ses États
membres et ses activités en dehors de la zone
(out-of-area) prévue par le traité de Washington.
Le gouvernement polonais a encouragé à de
nombreuses reprises l’OTAN à déployer sur son
territoire certains éléments de l’infrastructure
alliée et de ses installations militaires.
Tout en cherchant à démontrer qu’elle
constitue un maillon fort de l’Alliance
atlantique, la Pologne a cependant exprimé son
inquiétude après l’intervention russe en Géorgie
durant l’été 2008. Soulignant que l’Europe
centrale et orientale méritait le même niveau
de sécurité que l’Europe occidentale, elle s’est
opposée à la division entre anciens et nouveaux
États membres de l’Alliance atlantique. Grâce
à l’insistance de la Pologne à ce sujet, l’OTAN
a admis enfin, pour la Pologne et les pays
baltes, les plans d’éventuels déploiements de
troupes 10. Ces plans, actualisés au sommet
de l’OTAN à Lisbonne en novembre 2010,
concernent la réaction de l’Alliance face à une
menace contre l’un de ses membres 11. Jerzy
M. Nowak, ancien représentant permanent
de la Pologne auprès de l’OTAN, a ainsi écrit
en 2013 : « Nous avons besoin que l’Alliance
ait des capacités défensives suffisantes […],
un système crédible de dissuasion et des plans
d’éventuels déploiements qui fonctionnent
correctement 12. »
En présentant devant la Diète, le 8 mai
2014, les priorités de la politique étrangère
polonaise, le ministre des Affaires étrangères
R. Sikorski a déclaré qu’il est dans l’intérêt de la
Pologne de voir l’Ukraine, la Biélorussie et les
pays baltes comme des États forts, indépendants
Radosław Sikorski, « Informacja ministra spraw zagranicznych
o założeniach polskiej polityki zagranicznej w 2011 roku »
[Radosław Sikorski, « Information du ministre des Affaires
étrangères sur les principes de la politique étrangère polonaise
en 2011 »], in Exposé Ministrów Spraw Zagranicznych.
Rzeczpospolita Polska, Varsovie, 2011, p. 450.
11
À ce sujet, voir The Guardian du 6 décembre 2010 où l’on
parle de tels plans pour la Pologne et les pays baltes.
12
Voir Jerzy M. Nowak, « Evolution of NATO and Poland’s
Security », in Robert Czulda et Robert Łoś (dir.), NATO: Towards
the Challenges of a Contemporary World, University of Lodz,
2013, p. 98.
10
Ò POUR ALLER PLUS LOIN
Les États-Unis, garants « par défaut »
de la sécurité polonaise ?
Érigée grâce à une initiative privée, la statue de bronze
de Ronald Reagan qui se dresse depuis 2011 en face de
l’ambassade américaine à Varsovie illustre l’amitié et la
reconnaissance que de nombreux Polonais continuent
d’éprouver pour les États-Unis et leur détermination à
libérer l’Europe de l’Est de la domination soviétique. Un
quart de siècle après la chute du mur de Berlin, les relations
polono-américaines s’inscrivent en effet toujours dans
l’héritage de la guerre froide et sont dominées par les
enjeux sécuritaires, en premier lieu vis-à-vis de la Russie.
Cette préoccupation moins sensible à l’ouest du continent explique en partie la différence qui existe dans les
rapports transatlantiques entre, d’un côté, la Pologne et,
de l’autre, l’Allemagne et la France, pourtant ses principaux partenaires par ailleurs. On se souvient en particulier de l’engagement de Varsovie aux côtés des États-Unis
dans l’invasion de l’Irak en 2003.
Un atlantisme sous condition
L’atlantisme prêté aux Polonais doit toutefois être nuancé
par deux éléments. D’une part, le décalage entre la
position du gouvernement et l’opinion publique est très
sensible, puisqu’en 2004 cette dernière se déclarait à 73 %
défavorable à l’intervention américaine en Irak comme à
la participation de soldats polonais, soit le degré d’opposition le plus élevé parmi les pays européens membres de la
coalition selon le German Marshall Fund 1. On remarquait
aussi déjà une adhésion plus faible (52 %) que la moyenne
européenne (61 %) à l’idée que l’Alliance atlantique
apporte une contribution « essentielle » à la sécurité.
D’autre part, cet atlantisme n’est pas inconditionnel. À
l’aube de l’élection présidentielle américaine de 2008,
tandis que les pays les plus hostiles à l’invasion de l’Irak
succombaient à l’« obamania », la Pologne, qui redoutait
de faire les frais d’un compromis avec la Russie au nom du
German Marshall Fund of the United States, Transatlantic
Trends 2004. Enquête réalisée en Allemagne, en France, en
Espagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Pologne, au Portugal, au
Royaume-Uni, en Slovaquie et en Turquie (http://trends.gmfus.
org/files/archived/doc/2004_english_key.pdf).
1
désarmement nucléaire et des dossiers du Moyen-Orient,
a préféré la fermeté rhétorique du candidat républicain
John McCain.
De fait, un an plus tard, le président Obama a inauguré
une « nouvelle approche » réduisant l’importance stratégique du bouclier antimissile sur lequel comptaient les
autorités polonaises pour arrimer les forces américaines
sur leur territoire et en accroître la valeur stratégique
aux yeux des États-Unis en cas d’éventuel conflit avec la
Russie. Aujourd’hui encore, la Pologne n’abrite en effet
aucune base opérationnelle permanente des ÉtatsUnis ou de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord
(OTAN) mais uniquement des centres de formation. Un
hasard de calendrier a donné plus d’acuité encore à la
mauvaise impression produite par cette décision tombée
le 17 septembre 2009, soit soixante-dix ans, jour pour
jour, après l’entrée des troupes soviétiques en Pologne.
Une confiance plus forte
des dirigeants que de la population
Si le symbole a beaucoup frappé les esprits des éditorialistes, la perte de la confiance des Polonais en leur allié
américain et en l’OTAN est antérieure. Toujours selon les
Transatlantic Trends, la Pologne est le pays qui a connu au
cours des années 2000 la chute la plus nette du pourcentage de personnes interrogées estimant « souhaitable »
un leadership américain dans les affaires internationales
(64 % en 2002, 34 % en 2008), tandis qu’ils n’étaient plus
que 46 % en 2007 à juger l’OTAN « essentielle » à leur
sécurité contre 64 % en 2002.
C’est cette désillusion qu’aurait exprimée en des termes
peu affables le ministre des Affaires étrangères Radosław
Sikorski lors d’une conversation privée enregistrée à son insu
et retranscrite en juin dans le magazine Wprost. Selon lui,
« l’alliance polono-américaine ne vaut rien » et serait même
« nuisible car elle crée un faux sentiment de sécurité » et
génère des conflits avec l’Allemagne et la Russie.
Pour autant, les principaux partis politiques continuent
à soutenir que l’OTAN et les États-Unis offrent actuelle-
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
53
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
ment les meilleures garanties de sécurité disponibles. En
mars 2014, dans le contexte de la crise ukrainienne et
à la veille du 15e anniversaire de l’entrée de la Pologne
dans l’Alliance atlantique, le président de la République
Bronisław Komorowski a déclaré « vouloir voir le plus
grand engagement possible de forces armées américaines sur le territoire polonais ».
Cette coopération militaire s’est d’ores et déjà matérialisée par le déploiement de 12 chasseurs F-16 et de
300 soldats américains afin de multiplier les patrouilles
aériennes au-dessus de la Pologne et des pays baltes.
Toutefois, elle ne semble pas dépourvue d’arrièrepensées alors que le ministère polonais de la Défense
mène actuellement un grand programme de modernisation des forces armées pour un montant d’environ
30 milliards d’euros sur la période 2013-2022.
Garanties de sécurité
à court ou à long terme ?
Comme en 2002 lorsque Varsovie, au grand dam de
Jacques Chirac, avait opté pour les avions F-16 au
détriment des Rafale français, les industries militaires
américaines et européennes sont en concurrence pour
équiper l’armée polonaise. La proposition de groupes
comme Airbus d’intégrer la Pologne dans leur appareil
de production semble plus intéressante sur le long terme
pour conserver la maîtrise des technologies et s’en
servir comme levier de développement économique.
Cependant, la situation en Ukraine fait dire à certains
observateurs que les Polonais devraient acheter « sur
étagère » du matériel que l’on peut rapidement déployer,
malgré l’inconvénient de se placer sous la dépendance
d’un fabricant étranger pour des dizaines d’années.
Le montant des marchés en jeu, à comparer au reste des
échanges commerciaux 2, justifie au moins autant que
la crise ukrainienne l’intensification des visites américaines de haut niveau ces derniers mois. Barack Obama
a fait le déplacement en personne au début du mois de
juin 2014, à l’occasion du 25e anniversaire des premières
élections libres du bloc communiste. Dans un discours
particulièrement apprécié (voir Focus, p. 42), il a renouvelé les garanties apportées par les États-Unis et l’OTAN
à la sécurité de la région et a dévoilé son « initiative pour
2,8 milliards d’euros d’exportations polonaises vers les États-Unis
en 2012 et 3,9 milliards d’euros d’importations.
rassurer l’Europe » (European Reassurance Initiative).
Ce plan d’un milliard de dollars est destiné à renforcer
la présence américaine sur le Vieux Continent et les
capacités militaires de certains pays partenaires. Il ne
prévoit toutefois pas l’installation de bases permanentes
et doit d’abord être validé par le Congrès.
Dans cette perspective sécuritaire, l’énergie figure également en bonne place parmi les thèmes de coopération entre Varsovie et Washington, car les Polonais, qui
couvrent 55 % de leur consommation de gaz naturel et
93 % de leurs besoins en pétrole brut avec des importations russes, se sentent vulnérables face à l’arme énergétique de leur voisin. Contraints dans le même temps
par les objectifs climatiques de l’Union européenne
de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, ils
espèrent profiter de la révolution des hydrocarbures de
schiste. Celle-ci pourrait leur permettre soit d’en extraire
de leur sous-sol à l’aide de technologies américaines, soit
de diversifier leurs approvisionnements au profit notamment des États-Unis, en passe de devenir exportateurs
nets de gaz et de pétrole.
Enfin, les diplomates polonais ne manquent jamais une
occasion de rappeler que leurs ressortissants comptent
parmi les derniers en Europe à être soumis à une
obligation de visa pour se rendre aux États-Unis. Cette
contrainte est d’autant plus lourde que la communauté
d’origine polonaise représenterait outre-Atlantique
10 millions de personnes et qu’il existe donc de nombreux
liens familiaux ou amicaux entre les deux pays.
Compte tenu du poids électoral de la Polonia 3, chaque
candidat à la Maison-Blanche a pour habitude de
promettre la suppression du régime de visa pour les
citoyens polonais, jusqu’ici sans honorer sa promesse
une fois élu. Sans relever de la « grande politique », ce
sujet a probablement contribué à doucher les espoirs de
la Pologne de devenir le meilleur allié des États-Unis en
Europe. Néanmoins, faute d’alternative crédible, c’est sur
Washington et sur eux-mêmes que les Polonais comptent
avant tout pour assurer leur sécurité.
Romain Su *
* Rédacteur en chef du Courrier de Pologne (www.
courrierpologne.fr) et contributeur régulier à la revue Regard sur
l’Est (www.regard-est.com).
2
54
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
3
Nom donné aux communautés polonaises à l’étranger.
et amicaux et d’entretenir avec la Russie des
relations de partenariat et de bon voisinage 13.
L’appartenance à l’OTAN :
quel bilan ?
Le 12 mars 2014, la Pologne a célébré
le quinzième anniversaire de son adhésion à
l’Alliance atlantique. À bien des égards, ce
bilan est jugé positif par la population polonaise
qui considère encore dans sa grande majorité
l’OTAN comme le principal pilier de sa sécurité.
Compte tenu des difficultés économiques de
l’Union européenne, du rôle intermittent du
Conseil de sécurité des Nations Unies, de l’érosion de l’influence de l’Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe (OSCE),
l’OTAN reste aussi considérée par les dirigeants
polonais comme l’alliance politique et militaire
la plus crédible. Ils ont soutenu son nouveau
concept stratégique, formulé à Lisbonne en
novembre 2010, et sa nouvelle vision de développement jusqu’à 2020, élaborée au sommet de
Chicago en mai 2012.
Depuis la transition démocratique en 1989,
les questions de sécurité ont fait l’objet de
nombreuses publications scientifiques en
Pologne. Début 2014, le Bureau de la sécurité
nationale auprès du président de la République 14
a ainsi consacré le premier numéro de sa revue
trimestrielle Bezpieczeństwo Narodowe (sécurité
nationale) à un bilan des quinze années de participation de la Pologne à l’OTAN. Dans l’une des
contributions du numéro, Janusz Onyszkiewicz,
qui était ministre de la Défense au moment de
l’adhésion du pays à l’OTAN en 1999, souligne
que cet événement a constitué un grand succès
pour son pays, parce qu’il a définitivement effacé
la division de l’Europe décrétée à Yalta. Robert
Kupiecki, vice-ministre de la Défense, rappelle
quant à lui que ce succès a été non seulement
13
Source : www.msz.gov.pl/pl/aktualnosci/msz_w_mediach/
sikorski_w_sejmie_glownie_o_sytuacji_na_ukrainie_i_roli_
rosji__depesza_pap_8_maja_2014_r_;jsessionid=38056300723
8784129F3173897F5BCC9.cmsap2p
14
Créé en janvier 1991, cet organisme assiste le président de
la République dans ses fonctions de chef des Forces armées
polonaises, en lui apportant aide et soutien pour les questions
relevant de la sécurité nationale.
la conséquence de la transition démocratique,
d’une décision des forces politiques bénéficiant du soutien des citoyens, mais également
d’une profonde évolution de l’attitude des pays
occidentaux.
De nos jours, les Polonais ne sont toutefois
plus que 62 %, contre 85 % en 1998, à soutenir
la participation de la Pologne à l’OTAN. Pour
4 % d’entre eux, elle est inacceptable, 8 % n’ont
pas d’opinion à son sujet et 26 % sont indifférents à la question 15. Seuls 28 % des Polonais
considèrent dorénavant que cette adhésion a
constitué un événement décisif pour leur pays,
contre 44 % en 1998. De même, 51 % estiment
actuellement que l’appartenance de leur pays à
l’OTAN leur garantit la paix et la sécurité, contre
55 % en 1998. À la question de savoir si l’OTAN
représente un élément clé de l’indépendance
de la Pologne, 50 % des personnes interrogées
donnent une réponse positive, 26 % considèrent
que l’OTAN marque une forme de subordination
à une puissance étrangère et 24 % n’expriment
pas d’opinion 16.
Les défis à venir
Menaces asymétriques
et constantes stratégiques
Le 24 mai 2013, le Bureau de la sécurité
nationale a présenté Le Livre blanc sur la sécurité
nationale de la République de Pologne. Fruit d’un
travail collectif de la communauté académique et
d’experts militaires, il présente une vision stratégique complète des enjeux de sécurité auxquels
est confrontée la Pologne. Les auteurs y affirment
que les facteurs clés qui façonnent l’environnement de sécurité sont, d’une part, la mondialisation et, d’autre part, la révolution du monde de
l’information. Tout en favorisant le bien-être des
populations, ces évolutions ont pour corollaire
l’apparition de nouvelles menaces transnationales
et asymétriques dans les sphères militaire et civile.
Sont également pointées du doigt les insuffisances
des organisations internationales, surtout celles de
15
Résultats d’un sondage effectué entre le 6 et le 12 février 2014
par le Centre d’investigation de l’opinion sociale (CBOS),
16
Gazeta Wyborcza, 11 mars 2014, p. 6.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
55
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
l’ONU et de l’OSCE sur le plan régional, et celles
de leurs mécanismes de coopération en matière
de sécurité. Selon le Livre blanc, la sécurité de
l’Europe dépend de quatre éléments : l’OTAN,
l’Union européenne, l’appui stratégique des ÉtatsUnis et l’état des relations avec la Russie.
Les défis de sécurité recensés pour la
Pologne sont donc présentés comme essentiellement non militaires et liés à des menaces planant
sur son développement économique, sa stabilité financière ou sa situation démographique.
Pourtant, comme le montre l’actuelle crise
ukrainienne, la menace militaire est toujours
d’actualité et une intervention armée directe ne
peut être exclue.
Nouvelles priorités
Le Livre blanc retient trois options stratégiques pour les vingt années à venir. La première
consisterait à internationaliser au maximum la
sécurité du pays, la deuxième prône a contrario
une certaine forme d’autarcie stratégique et la
troisième préconise de trouver un point d’équilibre entre une internationalisation et une
autonomie dans le domaine de la sécurité, cette
dernière option étant recommandée par les
auteurs du Livre blanc.
Selon cette option, les priorités stratégiques
de la Pologne devront se concentrer autour des
trois axes suivants :
– le maintien d’une volonté et d’une capacité
d’action dans tous les secteurs de la sécurité
nationale, notamment ceux pour lesquels la
participation alliée n’est pas assurée ;
– le renforcement de la sécurité collective grâce
à l’approfondissement de l’intégration de la zone
euroatlantique sur la base de valeurs et d’intérêts
communs dans le cadre du système de défense
collective de l’OTAN, de la PSDC de l’Union
56
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
européenne et des partenariats stratégiques
– surtout avec les États-Unis –, et dans le cadre
du bon voisinage stratégique ;
– le soutien et la participation sélective aux
activités internationales en faveur de la prévention de nouvelles menaces ou de la prolifération
des crises existantes hors zone OTAN, conformément à un mandat international précis.
●●●
Dans son discours à la nation prononcé
le 19 mars 2014 au lendemain de l’annexion
de la Crimée par la Russie, le Premier ministre
polonais, Donald Tusk, a rappelé quels étaient
les trois piliers de la sécurité du pays. Il a
d’abord évoqué la stabilité financière, la nécessité d’avoir une économie dynamique dans la
situation actuelle de crise générale en Europe et
l’impératif de garantir les approvisionnements
énergétiques du pays. Il a ensuite mentionné
la position renforcée de la Pologne en Europe
qui lui assure une certaine stabilité et lui permet
d’observer les événements dramatiques se
déroulant derrière sa frontière orientale avec
le sentiment d’une certaine sécurité. Enfin, le
Premier ministre a évoqué l’OTAN, la modernisation de l’armée polonaise et la coopération
avec les États-Unis. Il a assuré que la Pologne
continuerait de soutenir l’Ukraine. Cet appui
pourrait même un jour devenir le quatrième
pilier de la sécurité polonaise.
Le Premier ministre a réaffirmé que la
Pologne n’acceptait pas la politique agressive
de Moscou à l’égard de l’Ukraine tout en rappelant que de bonnes relations avec le voisin russe
constituaient, dans le même temps, l’un des
fondements de la sécurité dans la région 17. ■
17
Source : www.premier.gov.pl/wydarzenia/aktualnosci/oredziepremiera-tuska-polska-znaczy-wolnosc.html.
Ò POUR ALLER PLUS LOIN
Les relations germano-polonaises :
vingt-cinq ans de nouveau voisinage
Le terme de « réconciliation » revient souvent pour qualifier l’état des relations bilatérales germano-polonaises.
Si les responsables politiques actuels se plaisent à souligner qu’elles n’ont jamais été aussi bonnes, la formule
invite toutefois à quelques précautions. Les tentatives
pour surmonter le passé conflictuel des deux États et
développer des relations de confiance ont été soumises
à des ruptures conjoncturelles et à des instrumentalisations politiques récurrentes. Loin de constituer un
processus linéaire, elles se caractérisent par une double
dimension politique et sociale, impliquant des acteurs
intervenant à différents niveaux.
Si la fin de la guerre froide et l’unification allemande ont
fourni les conditions appropriées au rapprochement
bilatéral, les prémices d’un rapprochement entre les
élites des deux pays sont pour leur part bien antérieures.
Il convient en particulier de rappeler certaines initiatives,
comme la lettre ouverte des évêques polonais envoyée
à leurs homologues allemands en 1965, ou encore l’Ostpolitik de Willy Brandt marquée par la signature du traité
bilatéral de 1970 et par le célèbre geste du chancelier
social-démocrate s’agenouillant devant le monument
commémorant le soulèvement du ghetto de Varsovie, le
7 décembre 1970.
Dynamiques de rapprochement
sur fond de transformations systémiques
La fin du régime communiste et la mise en place du
premier gouvernement démocratique en Pologne,
en 1989, suivies de l’unification allemande un an plus tard
ont inauguré une période de rapprochement entre les
deux pays, ponctuée par la signature d’un traité de bon
voisinage le 17 juin 1991. Puis, en août 1991, la Pologne,
l’Allemagne et la France signaient les accords de Weimar,
qualifiés d’« instrument politique intelligent » par le
ministre polonais des Affaires étrangères de l’époque,
Bronisław Geremek.
Cette proximité nouvelle a généré un afflux massif
d’investissements allemands en Pologne, la croissance
des échanges commerciaux mais aussi l’octroi de finan-
cements et de crédits par le gouvernement fédéral à
son voisin, dans le cadre de l’assistance technique et
financière. Ce soutien a permis de financer de nombreux
investissements dans les infrastructures ou de rénover
des éléments de patrimoine architectural, en particulier dans les territoires anciennement allemands. Créé
en 1993 par le gouvernement fédéral, le programme
Transform a transféré, pendant une décennie, des crédits
mais aussi du savoir-faire technique et juridique aux
économies postcommunistes en transition, qui représentaient autant de nouveaux marchés. Le budget global de
Transform, qui s’élevait à 300 millions de deutschemarks
par an entre 1993 et 1995, a été ramené à 150 millions
en 1998 puis à 70 en 2002 1. Lancée en 1991, la Fondation
pour la coopération germano-polonaise a financé plus de
15 000 projets communs grâce aux intérêts remboursés
par le gouvernement polonais sur un emprunt contracté
auprès de la République fédérale d’Allemagne en 1975 2.
Aux échanges académiques promus par le Deutscher
Akademischer Austauschdienst (DAAD), l’Office allemand
d’échanges universitaires, et aux flux touristiques facilités
par l’ouverture des frontières s’est ajoutée l’activité
des fondations politiques allemandes. Financées par
le gouvernement fédéral, proches des partis politiques
représentés au Bundestag, ces fondations contribuent au
rapprochement entre les élites politiques et syndicales
des deux pays 3. La Fondation Friedrich-Ebert, proche
du SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, Parti
social-démocrate d’Allemagne), qui avait été active en
Pologne dans les années 1970 en promouvant le dialogue
au sujet de la révision du contenu des manuels scolaires
d’histoire et les échanges entre journalistes et entre
chercheurs, a soutenu dès le début des années 1990 les
1
Elsa Tulmets « L’impact de l’élargissement de l’Union
européenne sur la coopération française et allemande à
l’Est : quelle gouvernance ? », Revue d’études comparatives
Est-Ouest, vol. 34, n° 3, septembre 2003, p. 149.
2
Stiftung für Deutsch-Polnische Zusammenarbeit (http://
sdpz.org/die-stiftung/uber-uns).
3
Dorota Dakowska, Le Pouvoir des fondations. Des acteurs
de la politique étrangère allemande, coll. « Res Publica »,
Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2014.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
57
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
partis prétendant au label social-démocrate ainsi que la
coopération syndicale internationale.
La Fondation Konrad-Adenauer, quant à elle, a œuvré au
rapprochement entre les partis polonais du centre-droit
et la CDU (Christlich Demokratische Union Deutschlands,
Union chrétienne-démocrate d’Allemagne) et a fourni
un soutien financier aux think tanks pro-européens. Des
initiatives visant à promouvoir le rapprochement entre
les deux sociétés ont été lancées, inspirées de l’expérience du partenariat franco-allemand. Un office bilatéral
pour la jeunesse a par exemple été créé, pour soutenir les
nombreuses initiatives locales d’échanges et de dialogue.
Des partenariats variés ont été noués, reliant les collectivités territoriales des deux pays.
Des tensions conjoncturelles
Après cette première phase plutôt consensuelle, des
tensions se sont fait jour, dès la fin des années 1990.
Créée à Berlin en 1958, l’Union des expulsés allemands
(BdV) tenta notamment d’utiliser le contexte d’adhésion
de la Pologne à l’Union européenne pour se repositionner
dans l’espace public. Revendiquant la reconnaissance
matérielle et symbolique des souffrances des populations allemandes expulsées d’Europe centrale au lendemain de la guerre, les lobbies représentant ces groupes
entamèrent une présentation concurrente des victimes
qui fut jugée inacceptable du côté polonais au vu de
l’étendue des crimes nazis commis pendant la guerre.
Ces tensions se sont inscrites dans le contexte des négociations d’adhésion de la Pologne à l’Union européenne.
En effet, si l’Allemagne a pu globalement être perçue
comme un avocat de l’adhésion de sa voisine orientale,
des craintes ont néanmoins été réactivées durant cette
période. Une fois la Pologne devenue membre de l’Union,
l’arrivée au pouvoir de partis conservateurs et radicaux de
droite en Pologne (2005-2007) a ensuite posé problème,
l’exécutif n’hésitant pas à se lancer dans des discours aux
accents germanophobes.
Le cadre européen à l’épreuve
de nouvelles tensions géopolitiques
La mise en place d’une coalition de centre-droit dirigée
par Donald Tusk en 2007 a inauguré une nouvelle phase
de relations bilatérales. La Pologne est de nos jours considérée comme un partenaire important pour l’Allemagne,
du fait de sa proximité, de sa taille, de son poids géopo-
58
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
litique et de sa croissance économique. Ces relations ne
sont toutefois pas exemptes de désaccords, tout particulièrement dans le domaine énergétique. La construction
du gazoduc Nord Stream qui relie désormais directement
la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique a ainsi été très
critiquée par la partie polonaise, car jugée contraire à ses
intérêts vitaux.
Cependant, les questions relatives à la mémoire et à la
gestion du passé alimentent moins le débat politique
actuel. Le poids réduit des lobbies des expulsés a permis
d’apaiser les tensions, tandis que la fondation « Fuite,
expulsion, réconciliation » mandatée depuis 2008 par
le gouvernement fédéral travaille activement sur des
projets d’information et de documentation concernant
les déplacements de populations.
Les populations déplacées
Une partie des populations allemandes d’Europe
centrale et orientale avait fui vers l’ouest dès 1944,
devant l’avancée de l’Armée rouge. Les accords
de Potsdam, signés le 2 août 1945, en décidant
de déplacer vers l’ouest la frontière orientale de
l’Allemagne, ont cautionné le déplacement des
populations. Des expulsions localisées avaient déjà
eu lieu, elles sont alors devenues systématiques.
Les chiffres font débat, mais plus de 12 millions
d’Allemands ont été touchés par ces mesures (plus
de 500 000 d’entre eux ont trouvé la mort pendant
cette période) 1.
La population polonaise a eu aussi à subir les
expulsions lors de l’invasion allemande en
septembre 1939. S’y ajoutent les déportations
durant la guerre, en Sibérie orchestrées par les
Soviétiques ou dans les camps de concentration nazis
et, enfin, les déplacements de population liés à la
modification des frontières en 1945. La création d’un
centre commémorant les expulsions a été réclamée
pendant des années par les lobbies des Allemands
expulsés et de leurs descendants. Cette demande
avait provoqué des réactions épidermiques en
Pologne, où le discours présentant les Allemands
comme des victimes de la guerre était, on s’en doute,
mal reçu.
1
Voir Ray M. Douglas, Les Expulsés, Flammarion, Paris, 2012.
La confiance établie entre Angela Merkel et Donald Tusk
a permis de gérer la plupart de ces divergences au niveau
politique, sans donner prise aux instrumentalisations
médiatiques 4. Même si elle est difficilement comparable
aux liens qui unissent le gouvernement allemand aux
grandes puissances industrielles, cette relation donne
périodiquement lieu à des gestes symboliques importants. Ainsi, la première visite à l’étranger du président
allemand Joachim Gauck s’est déroulée en Pologne, en
mars 2012.
À ces visites occasionnelles de haut niveau s’ajoutent
les consultations bilatérales entre les chefs d’État et
les ministres. Le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier s’est par exemple rendu
en décembre 2013 à Varsovie, où a été redit l’engagement des deux exécutifs en faveur d’une coopération
plus étroite, tout particulièrement en direction des pays
voisins de l’Union européenne. Cette promesse a d’ailleurs été immédiatement mise à l’épreuve, au début
de 2014, dans le contexte de la crise ukrainienne.
En promouvant une politique de voisinage ambitieuse,
dont le Partenariat oriental est sans doute la meilleure
illustration, le gouvernement polonais a réussi à marquer
4
Ryszarda Formuszewicz, « Polish-German relations:
good, better, sidelined. Turning around a troubled
relationship », IP Journal, DGAP, 31 janvier 2013
(https://ip-journal.dgap.org/en/ip-journal/topics/
polish-german-relations-good-better-sidelined).
de son empreinte les initiatives européennes. La gestion
de la crise ukrainienne a donné lieu à une concertation
très étroite des chancelleries et services diplomatiques,
ainsi qu’à des initiatives communes. Ainsi, la déclaration
conjointe sur l’Ukraine des ministres du Triangle de Weimar
le 31 mars 2014 ou le compromis négocié le 21 février 2014
par les mêmes ministres des Affaires étrangères ont eu un
impact diplomatique certain. Ils ont montré qu’une action
concertée était possible, même si la fuite du président
ukrainien Viktor Ianoukovitch et la suite des événements
n’ont pas permis de concrétiser ces propositions.
Cela étant, l’annexion par la Russie de la Crimée au
printemps 2014 et les violences dans l’est de l’Ukraine
constituent une épreuve non seulement pour la diplomatie européenne mais aussi pour le dialogue germanopolonais. Nonobstant leurs bonnes relations officielles,
les deux chancelleries ne partagent pas forcément la
même lecture du conflit, le gouvernement polonais
privilégiant une position plus exigeante vis-à-vis de la
Russie, tandis que la chancellerie fédérale souhaite
garder tous les canaux ouverts. L’évolution de cette crise
sera donc aussi un test pour la robustesse des relations
germano-polonaises.
Dorota Dakowska *
* Maître de conférences en science politique à l’IEP de
Strasbourg, membre du laboratoire SAGE (Sociétés, acteurs,
gouvernement en Europe).
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
59
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Les recompositions
de la scène politique
nationale
Cédric Pellen *
* Cédric Pellen
est chargé de recherche au Fonds de
la recherche scientifique-FNRS, Centre
Depuis une dizaine d’années, le paysage politique polonais
est dominé par l’opposition entre deux formations de droite
revendiquant l’héritage de l’ancien mouvement d’opposition
démocratique Solidarnos'c', la Plateforme civique, d’une
part, et Droit et Justice, de l’autre. Cette bipolarisation atypique de la
compétition partisane trouve ses origines dans les modalités de sortie
de la Pologne du communisme et dans l’épuisement progressif au début
des années 2000 du clivage auparavant structurant entre les anciens
communistes et les anciens de Solidarnos'c'.
d’étude de la vie politique (CEVIPOL),
Université Libre de Bruxelles.
Dans les premières années qui ont suivi
la chute du communisme et l’instauration d’un
régime représentatif pluraliste en Pologne, la
scène politique nationale s’est caractérisée par la
fréquence des recompositions partisanes et des
alternances gouvernementales. Si l’on observe
une indéniable stabilisation depuis l’adhésion du
pays à l’Union européenne en 2004, la durabilité
de l’actuelle bipolarisation à droite de la compétition politique reste incertaine à un an d’une
« super année électorale » combinant élections
présidentielle et parlementaires.
L’émergence du pluralisme
dans le postcommunisme
Une transition négociée
La célèbre formule de l’historien britannique Timothy Garton Ash selon laquelle la
sortie du communisme aurait pris « dix ans en
60
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Pologne, dix mois en Hongrie, dix semaines en
République démocratique allemande (RDA) et
dix jours en Tchécoslovaquie » a le mérite de
souligner la durée exceptionnelle du processus
de changement de régime en Pologne 1. La
République populaire polonaise se distingue
par la reconnaissance ancienne d’un pluralisme limité. Ses dirigeants ouvrent en effet
dès le début des années 1980 un dialogue avec
l’opposition incarnée par le syndicat « libre »
Solidarność (Solidarité). Interrompue brutalement en décembre 1981 par le général Jaruzelski,
cette politique d’ouverture est relancée en 1988,
trois ans après l’introduction des politiques de
glasnost et de perestroïka en URSS.
Dans un contexte de grave crise économique et sociale, les négociations dites de la
Table ronde sont alors engagées entre des repré1
Timothy Garton Ash, « The Revolution of the Magic Lantern »,
The New York Reviews of Books, 18 janvier 1990.
© AFP / Joe Klamar
Affiche de campagne du parti Droit et Justice (PiS)
lors des élections législatives de 2007. Ce scrutin a
marqué la défaite de la coalition conservatrice au
pouvoir et l’avènement d’un bloc libéral mené par
Donald Tusk.
sentants du régime et de Solidarność. Elles
aboutissent, en avril 1989, à trois mesures principales : la relégalisation du syndicat Solidarność,
l’organisation d’élections parlementaires semilibres en juin – un tiers des sièges à la Diète et
tous ceux du Sénat sont mis en compétition –
et la création d’une fonction de président de la
République, élu par le nouveau Parlement.
Si ces mesures visaient à permettre au
gouvernement de continuer à s’assurer la
mainmise sur le pouvoir politique en cooptant
partiellement l’opposition, la déroute des candidats officiels aux élections de juin 1989 bouleverse la donne. Les candidats « sans parti »
raflent en effet la quasi-totalité des sièges pour
lesquels ils avaient été autorisés à concourir.
Cette déconvenue aussi nette qu’inattendue crée
de vives tensions au sein du Parti ouvrier unifié
de Pologne (POUP, Polska Zjednoczona Partia
Robotnicza, PZPR), qui se déchire entre conservateurs et réformateurs. Alors que les premiers
appellent à une reprise en main du pouvoir par
le parti, les seconds prônent une poursuite de la
stratégie d’ouverture et comptent sur les divisions
de Solidarność pour en conserver la maîtrise.
Il est vrai que des dissensions se font également jour au sein d’un mouvement d’opposition
qui réunit des traditions politiques très variées,
allant de l’extrême droite nationaliste à la gauche
anticléricale. La stratégie à adopter pour la suite
ne fait guère consensus. Faut-il entrer dans une
logique d’affrontement avec le régime ou vaut-il
mieux continuer les négociations en espérant
obtenir de nouvelles concessions ?
C’est la seconde option, soutenue par
l’élite intellectuelle du mouvement, qui est
finalement retenue. Après quelques semaines
d’incertitude, un accord est trouvé au cours de
l’été pour un nouveau partage du pouvoir entre
communistes et opposants. Le général Jaruzelski
est élu à la présidence de la République et
Tadeusz Mazowiecki est nommé Premier
ministre d’un gouvernement de grande coalition. Ce conseiller du président de Solidarność
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
61
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Lech Wałęsa devient ainsi, le 19 août 1989, le
premier chef de gouvernement non communiste du bloc de l’Est. Il engage immédiatement
une politique de libéralisation de l’économie et
de rapprochement avec la Communauté économique européenne, et se pose en garant de
l’unité nationale en prônant une politique du
« gros trait » sur le passé, caractérisée par le
refus de mener une décommunisation systématique de l’État.
La fragmentation du paysage politique
La nomination de T. Mazowiecki à la tête
du gouvernement ouvre une période paradoxale
durant laquelle, alors que les communistes continuent à occuper des postes clés au sein de l’appareil d’État et à être majoritaires au Parlement, les
structures de la République populaire et de l’économie planifiée sont démantelées les unes après
les autres. Dans un contexte général d’effondrement des régimes socialistes, les réformateurs
prennent définitivement le dessus sur les conservateurs au sein du PZPR, qui est officiellement
dissous en janvier 1990.
Sur ses ruines se crée immédiatement
la Social-démocratie de la République de
Pologne (Socjaldemokracja Rzeczypospolitej
Polskiej, SdRP) dont le jeune réformateur
Aleksander Kwaśniewski prend la tête. De même,
son allié, le Parti paysan unifié (Zjednoczone
Stronnictwo Ludowe, ZSL), disparaît au profit
d’une nouvelle formation agrarienne « démocratique », le Parti paysan polonais (Polskie
Stronnictwo Ludowe, PSL). Cette configuration
amène le général Jaruzelski à démissionner de
la présidence, en septembre 1990. Une élection
présidentielle au suffrage universel est prévue
pour le 25 novembre, premier scrutin entièrement concurrentiel organisé dans le pays depuis
l’entre-deux-guerres.
La campagne présidentielle exacerbe les
tensions au sein du mouvement Solidarność,
entre la branche syndicale et l’élite intellectuelle
du mouvement. Alors que la première soutient la
candidature de l’ancien électricien et prix Nobel
L. Wałęsa, la seconde se mobilise en faveur de
celle du Premier ministre T. Mazowiecki. La
« guerre au sommet » entre les deux symboles de
62
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
la lutte contre le communisme ne va cependant
pas jusqu’à son terme. Lors du premier tour du
scrutin, Stanisław Tymiński, un homme d’affaires
canado-polonais totalement inconnu quelques
semaines auparavant, s’intercale en effet à la
surprise générale entre les deux frères ennemis 2.
N’étant soutenu par aucun parti, S. Tymiński a
essentiellement mené campagne sur la dénonciation d’une supposée collusion entre les élites
politiques de Solidarność et celles de l’ancien
régime communiste. En dépit de la violence de
leur confrontation passée, T. Mazowiecki se
résigne à apporter son soutien à L. Wałęsa, élu à
une large majorité au second tour.
Deux enseignements principaux peuvent
être tirés de ce scrutin. D’abord, qu’en Pologne,
plus qu’ailleurs, le débat politique s’est initialement structuré sur une opposition de personnes
et de styles politiques plus que sur un débat
politique de fond quant aux orientations de la
transition. Ensuite, que les modalités de la transition polonaise – une négociation à huis clos entre
élites – ont, par leur mystère même, rapidement
constitué un enjeu mobilisable dans la compétition électorale.
Après cette élection qui marque symboliquement la prise de pouvoir complète par
l’ancienne opposition démocratique, la situation politique issue des accords de la Table
ronde apparaît de plus en plus anachronique. Le
Parlement est finalement dissous et les premières
élections parlementaires libres depuis près de
soixante-dix ans sont programmées pour le
27 octobre 1991. Dans les mois précédant le
scrutin, on assiste à une fragmentation croissante du paysage politique polonais, sous l’effet
combiné de la création de nouveaux partis et du
morcellement de Solidarność. Finalement, plus
de cent comités électoraux se présentent devant
les électeurs.
Du fait des très faibles seuils de représentation fixés par la loi électorale, près de trente
d’entre eux parviennent à obtenir des mandats au
Lech Wałęsa arrive nettement en tête du premier tour avec 40 %
des voix. Il devance Stanisław Tymiński (23 %) qui se qualifie pour
le second tour. Tadeusz Mazowiecki (18 %) est éliminé tout comme
les candidats du SdRP et du PSL, Włodzimierz Cimoszewicz
(9,21 %) et Roman Bartoszcze (7,15 %).
2
Les partis représentés à la Diète de 1989 à 2014
GAUCHE
Année Président
DROITE
2014
Mouvement
Palikot
2013
Bronisław
2012 Komorowski
Ruch Palikota
2011
2010
Droit et Justice
2009
2008
Lech
Kaczyński
2007
2006
2005
Alliance
de la gauche démocratique
Sojusz Lewicy
Demokratycznej
SLD
2004
Prawo i Sprawiedliwość
Platforma Obywatelska
PiS
PO
PiS
Parti paysan polonais
2003
Polskie
Stronnictwo Ludowe
2002
PSL
2001
Plateforme civique
Aleksander
Autodéfense
Liga Polskich
Samoobrona
Rodzin
LPR
Union de la liberté
Action électorale
Solidarité
1999
Unia Wolności
Akcja Wyborcza « Solidarność »
1998
UW
AWS
2000 Kwaśniewski
Ligue
des familles
polonaises
SO
1997
Social-démocratie
de la République de Pologne
1996
1995
Socjaldemokracja
Rzeczypospolitej Polskiej
1994
Lech
Wałęsa
1992
1991
1990
1989
Wojciech
Jaruzelski
Confédération
des
Indépendants
Unia
Konfederacja
Demokratyczna
Polski
. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..Niepodległej
.
. .. .. .. .. ..SdRP
. . . . . . . . . . . . . . . . . . ...................................................................................................................................................................................................................................................... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
..............................PC
......(c)
............. . . . . .ZChN
. . . . . .(d). . . . . . . . . . . . KPN
.........
..........(b)
...........................UD
. .. .. .. .. .. ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... .................................................................................................................................................................................................................................KLD
. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ...................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...
Parti ouvrier unifié
de Pologne
Polska Zjednoczona Partia
Robotnicza PZPR
ZSL (a)
Solidarité
Solidarność
. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
. . . . . . . . . . . . gouvernementale
....................................................
Coalition gouvernementale . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..Instabilité
1991 Date d’élection législative
. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...
. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
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Seuls les partis ayant obtenu plus de 7 % sont représentés
. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
. .. .. .. .. .. .du
. . . .centre
. . . . . . .-. Porozumienie
. . . . . . . . . . . . . . . Centrum
. . . . . . . . . .(PC)
.....................................
(a) Parti paysan unifié - Zjednoczone Stronnictwo Ludowe (ZSL)
(c) Alliance
. .. .. .. .. .. .. ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...
(b) Congrès libéral-démocratique - Kongres Liberalno-Demokratyczny (KLD) (d) Union
. .. .. .. .chrétienne
. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..nationale
.. .. .. .. .. .. .. .. .. ..-.. ..Zjednoczenie
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..Chrześcijańsko-Narodowe
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..(ZChN)
..........
. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...
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. .. .. .. .. ..internationales
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .n. .o. 69
. . . . .–. . .Septembre-octobre
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .2014
. . . . . . . . . . . . . . 63
..
Questions
. .. .. .. .. .. ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...
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................................................................................
Source : www.europe-politique.eu:elections-pologne.htm
1993
Union
démocratique
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
➜ FOCUS
Les institutions de la IIIe République
Libérée par l’Armée rouge, la Pologne
est progressivement intégrée à la sphère
d’influence soviétique au lendemain de
la Seconde Guerre mondiale. L’emprise
des forces communistes sur l’appareil d’État est entérinée en 1952 avec
l’adoption d’une nouvelle Constitution.
Inspirée de la Constitution soviétique de 1936, le texte instaure une
République populaire de Pologne
dominée par le Parti ouvrier unifié de
Pologne (Polska Zjednoczona Partia
Robotnicza, PZPR) et organisée autour
de trois institutions clés : la Diète, le
Conseil des ministres et le Conseil d’État.
Amendée à de nombreuses reprises,
la Constitution de 1952 est redéfinie
en profondeur en 1989. Les négociations de la Table ronde entre les représentants du régime et du syndicat
Solidarność aboutissent tout d’abord,
en avril, à la création d’un Sénat et au
remplacement du Conseil d’État par un
président de la République. Puis, suite à
la nomination de Tadeusz Mazowiecki
au poste de Premier ministre, le
rôle dirigeant du PZPR est aboli et la
République de Pologne perd officiellement sa qualification de « populaire »
en décembre.
Afin de marquer une rupture symbolique avec la période communiste, le
régime pluraliste issu des réformes de
l’année 1989 est rapidement qualifié
de iiie République 1. Il faut cependant
attendre la fin de la décennie 1990
pour que le pays se dote formellement d’une nouvelle Constitution.
Incapables de s’entendre sur l’organisation des pouvoirs, les parlementaires
se contentent en effet, dans un premier
temps, d’adopter une série d’amendements visant à démocratiser le texte
de 1952.
Après plus de cinq années de
débats, une nouvelle Loi fondamentale est finalement adoptée par le
Parlement et ratifiée par référendum
au printemps 1997. Définissant la
République de Pologne comme « un
État démocratique de droit mettant
en œuvre les principes de la justice
sociale », elle instaure un régime parlementaire présentant certaines similitudes avec la Ve République française.
Alors que le pouvoir législatif est confié
à un Parlement bicaméral, composé
d’une Diète de 460 députés et d’un
Sénat de 100 sénateurs, le pouvoir
exécutif est partagé entre un Conseil
des ministres, responsable devant la
Diète, et un président de la République,
élu au suffrage universel direct pour une
durée de cinq ans. Chef des armées et
garant de la continuité des pouvoirs
publics, le président de la République
dispose d’un veto législatif – qui
peut être rejeté par un vote des trois
Parlement. Aucun ne peut cependant revendiquer
une victoire nette. Certes, l’Union démocratique
(Unia Demokratyczna, UD) de T. Mazowiecki
arrive en tête du scrutin et devance ainsi ses
« rivaux » issus de Solidarność, notamment
l’Alliance du centre (Porozumienie Centrum,
PC), l’Union chrétienne nationale (Zjednoczenie
Chrześcijańsko-Narodowe, ZChN) et le Congrès
libéral-démocratique (Kongres LiberalnoDemokratyczny, KLD) du Premier ministre
Jan Krzysztof Bielecki. Néanmoins, avec moins
64
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
cinquièmes de la Diète – et nomme
le Premier ministre. Ce dernier préside
le Conseil des ministres qui « conduit
la politique intérieure et étrangère
de la République », dirige l’administration gouvernementale et assure
l’application des lois. Quant au pouvoir
judiciaire, il est exercé de manière
formellement indépendante par les
cours et tribunaux.
Bien que clarifiant l’organisation des
pouvoirs, la Constitution de 1997 n’a
cependant pas mis totalement fin aux
polémiques sur la nature du régime.
La question de la répartition exacte
des compétences entre le président de
la République et le Premier ministre
reste ainsi l’objet de polémiques
régulières, qui ont été particulièrement vives de 2007 à 2010 pendant la
cohabitation entre Lech Kaczyński et
Donald Tusk. Certains partis, au premier
rang desquels le principal parti d’opposition actuel Droit et Justice (Prawo i
Sprawiedliwość, PiS), plaident en outre
depuis quelques années pour une
nouvelle réforme en profondeur du
système institutionnel et l’instauration
d’une ive République.
1
Les appellations de Ire et de IIe République
renvoient respectivement à la république
aristocratique des Deux Nations (1569-1795)
et au régime parlementaire, puis autoritaire, de
l’entre-deux-guerres.
de 12,5 % des voix, l’UD n’obtient que 62 sièges
de députés à la Diète sur 460 et est talonnée par
l’Alliance de la gauche démocratique (Sojusz
Lewicy Demokratycznej, SLD) lancée par les
anciens communistes du SdRP.
Malgré la défaite relative de ses proches,
L. Wałęsa charge l’un de ses fidèles, Jan Olszewski
(Alliance du centre), de former le nouveau
gouvernement. Celui-ci revient sur la politique
du « gros trait » de T. Mazowiecki et lance une
campagne de « lustration » qui vise à purger la
Pologne : régions rurales
et régions urbaines, 2014
Région rurale (population rurale de plus de 50%
de la population totale)
Région intermédiaire (population rurale entre 20%
et 50% de la population totale)
Région urbaine (population rurale de moins de 20%
de la population totale)
Gdańsk
Elbląg
Olsztyn
Szczecin
Białystok
Bydgoszcz
Poznań
Zielona
Góra
Varsovie
Łódź
Wrocław
Kielce
Opole
Katowice
Cracovie
Vers une bipolarisation
post-Solidarnos'c'/postcommuniste
Afin de limiter la fragmentation parlementaire, la nouvelle loi électorale adoptée
dans l’urgence après le renversement du
gouvernement Suchocka introduit des seuils de
représentation de 5 %. Cette mesure s’avère particulièrement favorable aux successeurs des partis
officiels de la République populaire. Désormais
dirigés par de jeunes réformateurs, le SLD et
le PSL parviennent en effet à tirer avantage des
divisions du camp Solidarność et de l’impopularité croissante de politiques de libéralisation de l’économie mises en œuvre depuis 1989
pour s’imposer comme les grands vainqueurs du
scrutin de septembre 1993. En réunissant respectivement 20 % et 15 % des votes, ils s’assurent les
deux tiers des sièges au Parlement et s’entendent
rapidement pour former un gouvernement de
coalition. À peine quatre ans après la nomination
de T. Mazowiecki, le camp Solidarność est brutalement renvoyé dans l’opposition.
Cette défaite provoque un sursaut, plus vif
encore après l’élection présidentielle de 1995
au cours de laquelle Lech Wałęsa est battu par
le président du SLD, Aleksander Kwaśniewski.
Les nombreux groupements revendiquant
leur filiation avec Solidarność s’efforcent
dès lors de réduire leur morcellement et, si
Lublin
Entités géographiques :
régions européennes (NUTS 3)
Source : Eurostat, http://epp.eurostat.ec.europa.eu
Rzeszów
100 km
Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie, © Dila, Paris, 2014
sphère publique des anciens collaborateurs du
régime communiste. En créant un climat de suspicion généralisée, cette politique mine progressivement la fragile base de soutien du gouvernement
et conduit à son renversement par la Diète en
mai 1992. Nommée pour succéder à J. Olszewski
après plusieurs semaines d’âpres négociations, Hanna Suchocka (KLD) renonce ensuite
à la lustration et replace l’économie au cœur de
l’action gouvernementale. Le gouvernement de
coalition à sept partis qu’elle dirige est cependant
à son tour victime d’une motion de censure en
mai 1993. Lech Wałęsa décide alors de dissoudre
le Parlement. Les anciens alliés de Solidarność se
sont avérés incapables de s’entendre pour doter la
toute jeune démocratie polonaise d’un gouvernement stable, et c’est plus divisés que jamais qu’ils
se présentent devant les électeurs.
les négociations s’avèrent souvent délicates,
elles aboutissent toutefois à la constitution de
deux grandes alliances « post-Solidarność » :
l’Union de la liberté (Unia Wolności, UW), issue
d’une fusion des partis libéraux UD et KLD, et
l’Action électorale Solidarité (Akcja Wyborcza
Solidarność, AWS), associant autour de la
branche syndicale du mouvement une trentaine
de formations conservatrices, dont l’Alliance du
centre et le ZChN.
La réunification des anciens de Solidarność
en un nombre réduit de formations a pour
conséquence une réorganisation progressive
du jeu politique autour d’un clivage opposant
les anciens protagonistes des négociations de
la Table ronde, héritiers de l’ancien régime,
d’une part, et ceux du mouvement d’opposition, de l’autre. Cette représentation bipolaire,
qui s’accompagne d’une marginalisation des
partis refusant de se positionner dans l’un ou
l’autre des deux camps, est confortée par les
résultats des élections parlementaires de 1997.
Étant parvenu à devancer le SLD et le PSL
dans un scrutin plus serré qu’attendu, l’AWS
noue en effet rapidement un accord avec l’UW
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
65
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
pour constituer un gouvernement de coalition
se revendiquant explicitement de l’héritage du
mouvement Solidarność. En dépit de l’alternance, le nouveau Premier ministre Jerzy Buzek
(AWS) place au cœur de son action, comme tous
ses prédécesseurs depuis 1989 – à l’exception
de J. Olszewski –, la question de la modernisation économique, notamment dans la perspective
d’une adhésion à l’Union européenne.
Les reconfigurations
partisanes des années 2000
Le bouleversement
des élections de 2001
Au début des années 2000, la mouvance
post-Solidarność au pouvoir depuis 1997
connaît une profonde recomposition. Alors que
les principaux indicateurs économiques sont au
rouge et que le gouvernement de Jerzy Buzek
bat des records d’impopularité, l’AWS et l’UW
semblent condamnés à la débâcle électorale lors
des élections parlementaires de septembre 2001.
Dans ce contexte, les équilibres ayant présidé à
la création de ces deux alliances sont fragilisés,
et certains de leurs membres cherchent à s’en
émanciper afin de pouvoir se désolidariser du
bilan gouvernemental.
Deux principales entreprises de ce type
se développent au début de l’année 2001. La
première est issue d’une scission au sein de
l’UW et aboutit à la création d’une nouvelle
formation revendiquant son identité « conservatrice-libérale », la Plateforme civique (Platforma
Obywatelska, PO). La seconde se structure
autour de la personne de Lech Kaczyński, alors
ministre de la Justice. Avec le soutien de son frère
jumeau Jarosław, l’ancien président de l’Alliance
du centre, il prend la tête d’une fronde contre la
direction de l’AWS qui aboutit à la création d’un
nouveau parti « conservateur » baptisé Droit et
Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS).
Les tractations de la dernière chance pour
reconstituer un front électoral uni ayant échoué,
c’est une nouvelle fois en ordre dispersé que les
anciens de Solidarność se présentent au scrutin.
Dans ces conditions, et sans surprise compte tenu
66
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
de l’impopularité du gouvernement en place,
le scrutin se solde par une nouvelle alternance.
Alors que le SLD obtient une large victoire avec
plus de 40 % des suffrages, les deux anciens
partenaires de la coalition sortante sont balayés et
ne conservent pas le moindre député. En insistant
sur leur nouveauté, la PO et le PiS parviennent
quant à eux à s’assurer une modeste représentation parlementaire 3. Ils s’imposent ainsi quelques
mois après leur création comme les principales
composantes d’une mouvance post-Solidarność
qui obtient ses plus mauvais résultats électoraux
depuis le changement de régime.
Outre cette spectaculaire alternance, les
élections législatives de 2001 consacrent également l’entrée surprise au Parlement de deux
organisations politiques prétendant transcender le clivage post-Solidarność/postcommuniste jusqu’ici dominant. La première de ces
organisations est le mouvement Autodéfense
(Samoobrona) qui mobilise près de 10 % des
électeurs, devenant ainsi la troisième force
parlementaire nationale. Né d’une mobilisation
d’exploitants agricoles surendettés, ce groupement critique avec virulence l’orientation libérale
des politiques économiques mises en œuvre sans
discontinuer depuis 1989 et revendique son statut
de représentant des « perdants de la transition ».
La seconde formation réalisant une percée
électorale inattendue, avec 8 % des voix, est la
Ligue des familles polonaises (Liga Polskich
Rodzin, LPR). Soutenu par la frange conservatrice du clergé polonais, ce parti est le produit
de l’unification de groupements nationalistes
d’origines variées et est porteur d’une dénonciation virulente à la fois de l’ordre politique
établi après 1989 et du projet d’intégration de la
Pologne à l’Union européenne.
Le divorce entre la PO et le PiS
Même s’ils sont sortis vainqueurs de ce
scrutin, le SLD et le PSL voient leur popularité
3
Avec 12,7 % des voix, la PO se classe en deuxième position et
obtient 65 députés, loin derrière le SLD et ses 216 mandats. Quant
au PiS, il arrive en quatrième position, derrière Samoobrona
(Samoobrona Rzeczpospolitej Polskiej, Autodéfense de la
République de Pologne), mais juste devant le PSL, avec 9,5 %
des voix et 44 députés.
➜ FOCUS
La catastrophe aérienne de Smolensk
Le 10 avril 2010, l’avion présidentiel
polonais transportant une délégation
venue participer aux cérémonies du
70e anniversaire du massacre de Katyń
manque son atterrissage et s’écrase
près de l’aéroport de Smolensk, en
Russie. Il n’y aucun survivant parmi
les 96 passagers. Outre le président
Lech Kaczyński et sa femme, plusieurs
personnalités de premier plan perdent
alors la vie, parmi lesquelles 18 parlementaires, les principaux chefs de
l’état-major militaire ou encore le
président de la Banque nationale de
Pologne.
Dans le pays, le choc est immense. Un
deuil national d’une semaine est décrété
et plusieurs centaines de milliers de
personnes participent aux différentes
cérémonies d’hommage aux victimes.
Bien que l’émotion soit unanime, la
catastrophe de Smolensk est rapidement l’objet d’investissements politiques
contradictoires. Elle intervient en effet
dans un contexte de cohabitation extrêmement tendue entre la PO du Premier
ministre D. Tusk et le PiS du défunt
président, et à quelques mois de l’élection présidentielle initialement prévue
pour le mois d’octobre.
s’effriter rapidement au cours de la législature.
Certes, leur gouvernement de coalition peut se
targuer d’avoir mené à bien les réformes structurelles nécessaires à l’intégration de la Pologne
à l’Union européenne, mais il ne parvient pas à
enrayer la grave crise économique et sociale qui
touche le pays depuis la fin des années 1990.
Par ailleurs, plusieurs de ses membres, dont le
Premier ministre Leszek Miller (SLD) lui-même,
sont impliqués dans des scandales politico-financiers qui choquent l’opinion.
Appréhendées par l’ensemble des formations politiques comme une répétition générale des
élections parlementaires de 2005, les premières
élections européennes polonaises de juin 2004
donnent à voir l’ampleur du déclin des deux
partis. Alors que leurs listes ne parviennent même
pas à réunir 10 % des voix, le scrutin confirme à
l’inverse l’affirmation des quatre nouveaux partis
ayant fait leur entrée au Parlement en 2001, la PO,
le PiS, la LPR et Samoobrona.
Malgré la démission de L. Miller, la
majorité sortante continue à s’enfoncer dans la
crise dans les mois qui précèdent les élections
législatives. Alors que l’hypothèse d’une
nouvelle alternance s’impose comme une
évidence et que les sondages donnent à voir
une stagnation des intentions de vote pour la
Alors que le scrutin est avancé au
mois de juin et que l’intérim à la tête
de l’État est assuré par le maréchal de
la Diète Bronisław Komorowski, par
ailleurs candidat déjà désigné de la
Plateforme civique, plusieurs controverses se développent entre les deux
rivaux. La principale a trait aux causes
du crash et perdure jusqu’à nos jours. Si
le rapport d’enquête du gouvernement
a conclu à un accident dû aux mauvaises
conditions météo et à l’imprudence des
pilotes, les responsables du PiS privilégient quant à eux la thèse de l’attentat
fomenté par la Russie.
LPR et Samoobrona, la question de savoir
qui, de la PO ou du PiS, réunira le plus de
votes devient rapidement le véritable enjeu du
scrutin. Dès lors, et bien que les deux formations aient annoncé qu’elles entendaient s’allier
au sein d’un nouveau gouvernement de coalition
post-Solidarność, la campagne électorale tourne
au duel fratricide. Celui-ci est d’autant plus vif
que se profile l’élection présidentielle, pour
laquelle les candidats de la PO et du PiS, respectivement Donald Tusk et Lech Kaczyński, font
également figure de favoris.
À mesure que la campagne avance, les
deux formations aux offres politiques initialement très proches insistent sur leurs divergences
pour se démarquer l’une de l’autre. Au nom du
PiS, les frères Kaczyński durcissent ainsi leurs
critiques à l’égard du consensus économique
libéral dont la PO se fait à l’inverse la garante. De
même, insistant sur leur volonté d’« assainir » la
Pologne 4, ils relancent l’idée d’une politique de
lustration, très controversée depuis la chute du
gouvernement Olszewski.
4
Cette idée d’« assainissement » (Sanacja) est une référence
explicite à la politique anti-parlementaire et anti-corruption du
même nom menée durant l’entre-deux-guerres par le maréchal
Józef Piłsudski, héros de l’indépendance nationale puis chef de
l’État suite à un coup d’État en 1926.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
67
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
La stratégie électorale des frères Kaczyński
se révèle payante puisque, déjouant les sondages,
le PiS devance la PO aux élections parlementaires ainsi qu’à l’élection présidentielle 5.
Dans les semaines suivant cette double victoire
inattendue, des négociations sont ouvertes
comme prévu entre les deux formations pour
former un gouvernement de coalition. Leur
confrontation électorale a cependant laissé de
profondes séquelles et elles s’avèrent incapables
de s’entendre. Afin de s’assurer malgré tout une
majorité au Parlement, les dirigeants du PiS font
alors le choix de se tourner vers Samoobrona et
la LPR, partis qui ont tous deux confirmé dans
les urnes leurs scores de 2001.
Après plusieurs mois de discussions, un
accord de coalition est donc scellé entre les trois
formations au printemps 2006. Très controversé, il sanctionne le divorce entre les formations héritières de Solidarność et conduit à
une réorganisation en profondeur du paysage
partisan polonais. Alors que la Plateforme
civique est reléguée dans l’opposition parlementaire, le PiS et ses alliés de circonstance
affirment leur volonté de rompre avec les
équilibres politiques et économiques dominant
depuis les accords de la Table ronde, à travers
notamment un changement de régime politique,
un contrôle étatique accru de l’économie et
une relance active de la lustration. Ce que les
éditorialistes appellent avec ironie la première
« république monozygote » – les frères jumeaux
Kaczyński occupant les positions de président
de la République et de Premier ministre – ne
dure cependant pas. Fragilisée par les dissensions permanentes entre ses membres, la coalition est rompue en juillet 2007 et des élections
anticipées sont convoquées.
Comme en 2005, la campagne tourne
rapidement au duel entre la PO et le PiS, dans
un climat plus délétère encore. Dénonçant
la dérive autoritaire des frères Kaczyński et
de leurs partenaires, la Plateforme civique
5
Aux élections parlementaires, le PiS réunit 27 % des voix
et devance ainsi la PO (24 %), Samoobrona (11,4 %), le SLD
(11,3 %), la LPR (8 %) et le PSL (7 %). À l’élection présidentielle, L. Kaczyński bat D. Tusk au second tour en ralliant 54 %
des voix.
68
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
se positionne à son tour comme la garante de
la stabilité économique et de la « normalité
démocratique » issue des accords de la Table
ronde. Le PiS, quant à lui, réitère ses appels à la
mise en œuvre d’un nouveau régime « décommunisé » et critique le passéisme d’une PO
accusée par ailleurs d’entretenir des rapports
incestueux avec le monde des affaires. Le
bras de fer tourne finalement en faveur de la
Plateforme. En dramatisant l’enjeu du scrutin
et en se positionnant en unique recours contre
les Kaczyński, le parti de D. Tusk parvient à
mobiliser plus de 40 % des suffrages. Il devance
ainsi le PiS qui a pourtant amélioré son score
de 2005 en siphonnant les voix de ses anciens
alliés de Samoobrona et de la LPR, évincés du
Parlement.
Alors que les formations postcommunistes
ont peiné à exister au cours de la campagne, les
frères ennemis de la PO et du PiS obtiennent à
eux deux plus de 80 % des mandats de parlementaires et imposent ainsi leur domination sur
la scène politique. Toute réconciliation entre les
deux semblant désormais impossible, la PO se
tourne vers le PSL pour s’assurer une majorité
stable. Un accord de coalition est rapidement
trouvé et Donald Tusk est nommé Premier
ministre en novembre 2007. Le virage est radical
puisque, pour la première fois depuis le changement de régime, des formations issues des deux
camps auparavant antagoniques s’unissent pour
gouverner la Pologne. L’épuisement du clivage
entre les anciens communistes et les anciens de
Solidarność est ainsi entériné et, depuis lors,
c’est l’opposition entre ceux qui doivent leur
légitimité à la Table ronde et ceux qui fondent
leur identité politique sur sa contestation qui
domine la compétition politique polonaise.
Une bipolarisation durable ?
Depuis 2007, le duel entre le PiS et la PO
a structuré toutes les élections et a systématiquement tourné en faveur de la seconde, qui contrôle
désormais les principales institutions politiques
du pays 6. Déjà exécrables, les relations entre
6
D. Tusk est Premier ministre depuis 2007 et B. Komorowski a
succédé à L. Kaczyński à la présidence de la République en 2010.
Résultats des partis
(en % des suffrages valides)
0
5
10
15
20
25
30
35
Autodéfense Démocratie directe Parti des Verts Mouvement national Pologne ensemble Europe Plus – Ton Mouvement
5%
des suffrages
valides. C’est le seuil
pour être représenté
au Parlement européen
Pologne solidaire Circonscriptions dans lesquelles
le PO ou le PiS est arrivé en tête
(2009 et 2014) :
PO
Nouvelle Droite
4
Parti paysan polonais Alliance gauche démocratique
union du travail
4
PiS
5
Plateforme citoyenne (PO) 19
Droit et Justice (PiS)
19
Source : Commission électorale polonaise,
http://pe2014.pkw.gov.pl/pl/
les dirigeants des deux formations se sont
encore détériorées après la catastrophe aérienne
de Smolensk qui a coûté la vie au président
L. Kaczyński en 2010. À un an d’une année
électorale chargée, combinant élections présidentielle et parlementaires, l’opposition entre les
deux formations « conservatrices » héritières de
Solidarność semble loin de s’épuiser. D’autant
qu’aucune alternative crédible n’est parvenue à
émerger ces dernières années.
À gauche, le SLD peine à se remettre de sa
débâcle de 2005. L’entreprise de renouvellement
du parti lancée à la fin de la décennie 2000, qui
passait notamment par le rajeunissement de
ses dirigeants et la formalisation de nouveaux
partenariats au centre, a fait long feu. Tandis
que la jeune garde du parti échouait à renouer
avec les performances électorales passées, ses
cadres historiques sont parvenus à en reprendre
progressivement le contrôle. À nouveau
dirigé par l’ancien Premier ministre L. Miller
depuis 2011, le parti social-démocrate est crédité
de moins de 10 % des voix dans les différents
sondages d’opinion.
Plus au centre, le Mouvement Palikot
(Ruch Palikota), créé en 2010 par l’ancien
député de la PO, Janusz Palikot, est en pleine
déliquescence. Lors des élections parlementaires
de 2010, la nouvelle formation était parvenue à
se hisser à la troisième place en développant une
offre politique originale, combinant libéralisme
économique, progressisme sociétal et anticléri-
Nombre total d’eurodéputés polonais : 51
Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014
Élections européennes en Pologne
25 mai 2014
calisme 7. Cependant, alors même qu’elle visait
à élargir encore davantage sa base de soutien, sa
fusion ultérieure avec différents groupements de
centre-gauche, pour la plupart issus de scissions
au sein du SLD, l’a profondément fragilisée.
Miné par les conflits entre ses dirigeants, le
groupement Ton Mouvement (Twój Ruch) ainsi
constitué en octobre 2013 s’est effondré lors
des élections européennes de 2014 et n’apparaît
plus désormais comme un prétendant sérieux à
l’exercice du pouvoir.
Enfin, à la droite et à l’extrême droite,
plusieurs personnalités se sont efforcées,
jusqu’ici sans grand succès, de constituer des
mouvements politiques leur permettant de
s’inviter dans le duel entre la PO et le PiS. Lors
des élections européennes de 2014, trois d’entre
elles se sont présentées devant les électeurs :
Pologne solidaire (Solidarna Polska) de l’ancien
ministre du PiS Zbigniew Ziobro, Pologne
ensemble (Polska Razem) de l’ancien ministre
de la PO Jarosław Gowin, et le Congrès de la
nouvelle droite (Kongres Nowej Prawicy, KNP)
du libertaire conservateur 8 Janusz KorwinMikke. Alors que les deux premières n’ont pas
atteint le seuil nécessaire à l’obtention d’élus,
7
Sur ce thème, voir notamment Sébastien Gobert, « La Pologne
de Palikot. Entre anticléricalisme et marijuana », P@ges Europe,
20 février 2012 (www.ladocumentationfrancaise.fr/pageseurope/d000447-la-pologne-de-palikot.-entre-anticlericalisme-etmarijuana-par-sebastien-gobert).
8
Le KNP se veut libertaire en économie et conservateur
s’agissant des valeurs morales.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
69
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
la dernière a partiellement réussi à occuper
le créneau anti-européen laissé vacant par la
LPR, en ralliant 7 % des voix. Confirmer lors
des prochains scrutins ce résultat obtenu dans
une élection ayant mobilisé moins de 25 % des
électeurs constituera cependant un défi de taille
pour ce parti aux structures encore très fragiles.
En définitive, c’est certainement au sein
même de la PO et du PiS que les facteurs d’une
potentielle reconfiguration du paysage politique
polonais sont à rechercher. Lorsqu’elle s’ouvrira,
la question de la succession des « meilleurs
ennemis » Donald Tusk et Jarosław Kaczyński, à
la tête de leurs partis respectifs, pourrait en effet
conduire à une profonde redéfinition des rapports
de force constitutifs de formations aux offres
politiques plus voisines qu’elles ne veulent bien
le reconnaître. ■
Géopolitique,
le débat
une émission présentée par
Marie-France Chatin
samedi à 17h, dimanche à 18h
(TU, antenne africaine)
rfi.fr
Aurélia Blanc
samedi et dimanche à 20h
(heure de Paris, antenne monde)
CS 5 Pub RFI Géopolitique Questions Inter 150x110.indd 1
70
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
06/05/13 17:27
Ò POUR ALLER PLUS LOIN
Les relations judéo-polonaises
à l’aune des enjeux de mémoire
La place qu’occupent les relations judéo-polonaises
dans le débat public en Pologne est toujours sans
commune mesure avec la présence effective d’une
toute petite communauté résiduelle, religieuse, dont
le grand rabbin est de surcroît américain. Ce monde
juif polonais est également laïc. De nouvelles structures organisées et laïques – écoles maternelles et
élémentaires, camps de jeunes, centre communautaire
financé par l’organisation humanitaire américaine Joint
Distribution Committee, etc. – sont nées après 1989,
sans parler des individus « inorganisés » sans attaches
particulières, actifs ici ou là dans la cité et qui forment
probablement la majorité des Juifs polonais.
Rappelons que la Pologne a constitué le berceau du
judaïsme européen. En 1939, 3,4 millions de Juifs y
habitaient, comptant pour environ 10 % de la population du pays. La Pologne fut en effet au Moyen Âge
une terre d’accueil pour les Juifs qui fuyaient les
États dont ils étaient expulsés, ce qui explique leur
nombre élevé dans cette partie de l’Europe centrale.
Cette politique tolérante des rois de Pologne n’a pas
empêché que se développât simultanément, et de
façon croissante, l’antijudaïsme chrétien puis, à la
fin du xixe siècle, l’antisémitisme moderne. Dans les
années 1930, s’inspirant de l’Allemagne hitlérienne,
les gouvernants polonais prônaient ouvertement une
solution au « problème juif » – selon le vocabulaire
antisémite – hors de Pologne.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, 90 % des
Juifs polonais y périrent, les pertes polonaises (non
juives) pouvant être évaluées, à la suite des agressions
allemande et soviétique, à environ 2 millions d’habitants. La Pologne a ainsi perdu près de 5,4 millions
de ses citoyens, sans parler des immenses pertes
matérielles et de la destruction de Varsovie, seule
capitale européenne à avoir connu un tel sort.
Les nouvelles autorités polonaises ne voyant dans
l’assassinat des Juifs qu’une différence de degré
© AFP / Janek Skarżyński
Un passé longtemps occulté
Le chantre juif new-yorkais Joseph Malowany prie
devant le monument aux victimes du ghetto
de Varsovie en présence de prélats catholiques
à l’occasion du 70e anniversaire du soulèvement
du ghetto.
et non de nature par rapport aux crimes commis
contre les Polonais, ce désastre eut pour conséquence que le génocide des Juifs ne fut pas perçu
dans sa spécificité. Elles ont ainsi été amenées, pour
légitimer un pouvoir illégitime, à exposer avant
tout les souffrances de la nation polonaise. Dans le
contexte de l’édification socialiste, d’un antifascisme
instrumentalisé, le sort des Juifs fut occulté, oublié,
à l'exception de quelques publications historiques
spécialisées. Jamais durant la période communiste les relations judéo-polonaises sous l’Occupation – allemande, a fortiori soviétique – ne furent
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
71
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
évoquées, sauf, déjà, sous l’angle de l’aide prodiguée
aux Juifs par les Polonais. Cette question de l’aide
fut tout particulièrement mise en avant en 1968,
lors d’une campagne antisémite déclenchée par les
dirigeants du Parti et de l’État qui, sous couvert d’une
campagne antisioniste, provoquèrent le départ
de Pologne de quelque 13 000 Juifs vers Israël, les
États-Unis ou certains pays européens. Pour contrebalancer les effets désastreux de cette politique face
aux opinions occidentales, les autorités polonaises
publièrent alors de nombreux textes qui soulignaient
l’aide des Polonais aux Juifs sous l’Occupation.
Une prise de conscience tardive
Cette page blanche sur les relations judéo-polonaises
pendant la guerre commence à se remplir dans les
années 1980, sous le communisme finissant, avec
un débat public – mené dans la presse tant officielle
que clandestine – sur la responsabilité des Polonais à
l’égard de leurs concitoyens juifs pendant la guerre. La
diffusion d’extraits du film Shoah de Claude Lanzmann
à la télévision polonaise, en 1985, n’est pas étrangère à l’émergence de ce débat. Deux ans plus tard,
un article intitulé « Les pauvres Polonais regardent
le ghetto », publié dans l’hebdomadaire de l’intelligentsia catholique Tygodnik Powszechny [l’hebdomadaire universel] par l’intellectuel de Cracovie
Jan Blonski, posait également la question de la coresponsabilité polonaise dans le génocide. Il suscita des
réactions indignées chez une partie des lecteurs.
À la fin des années 1980, la présence de croix sur le
site d’Auschwitz, volonté de l’Église de Pologne de
s’approprier le sacrum inhérent à ce lieu, suscitait
une désapprobation internationale et amenait l’opinion polonaise à interroger à nouveau les raisons d’un
conflit politique et symbolique dont le passé de la
Seconde Guerre mondiale était l’objet.
Mais c’est la parution, en 2001, de l’ouvrage de l’historien américain d’origine polonaise Jan T. Gross,
Les Voisins. Un pogrom en Pologne, 10 juillet 1941 1,
décrivant le massacre de la quasi-totalité des Juifs
d’une bourgade de Pologne orientale par leurs voisins
polonais, qui ébranla en profondeur la société. Le
débat national qui s’ensuivit mit fin au mythe d’une
1
72
Le livre est paru en français chez Fayard en 2002.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
« Pologne innocente ». Le président de la République,
Aleksander Kwasńiewski, fut l’acteur principal d’un
acte de repentance officiel qui eut lieu le 10 juillet
2001 sur le lieu du drame. Au même moment, l’Église
fit de son côté célébrer une messe à Varsovie.
Depuis, le thème juif occupe une place essentielle
dans le débat public. L’un des traits les plus marquants
de ce phénomène est l’intérêt que lui portent les
historiens, notamment une équipe réunie autour
de la professeure Barbara Engelking. À travers la
revue Zagłada Żydów [extermination des Juifs], elle
met au jour les aspects les plus sombres, et les plus
cachés, des relations judéo-polonaises sous l’Occupation. En quelques années, cette épaisse publication,
soutenue par un centre de recherche de l’Académie
des sciences 2, est devenue la revue de référence sur
la Shoah en Pologne.
Ces intenses activités d’investigation scientifique
— signalons que de nombreux autres centres de
recherche universitaires sur l’histoire des Juifs et
de l’antisémitisme sont nés depuis une quinzaine
d’années — s’accompagnent d’un déploiement
mémoriel multiforme où se mêlent commémorations
diverses, quêtes de traces, nettoyages des cimetières
juifs abandonnés, voyages en Israël, etc. Le nouveau
musée d’Histoire des Juifs de Pologne érigé au cœur
même de la ville, sur le site symbolique du ghetto,
en face du célèbre monument de Nathan Rapoport
inauguré en 1948 à la mémoire des combattants et
des martyrs du ghetto, symbolise par excellence cette
volonté de souvenir du monde juif englouti 3.
Concurrences mémorielles
On peut même constater une étonnante concurrence de politiques mémorielles liées à cet emplacement qui, il y a quelques années encore, était un
espace quasi vide, entouré d’immeubles uniformes,
caractéristiques de la première période socialiste.
Centre de recherche sur la Shoah (Centrum Badan nad Zagłada
Żydów), de l’Institut de philosophie et de sociologie de l’Académie
de sciences de Varsovie (www.holocaustresearch.pl/).
3
Muzeum Historii Żydów Polskich (www.jewishmuseum.org.pl/).
Sur la prolifération de musées à visée mémorielle, voir notamment
Jean-Yves Potel, « Pologne. Une nouvelle génération de musées »,
P@ges Europe, 3 décembre 2013 (www.ladocumentationfrancaise.
fr/pages-europe/d000702-pologne.-une-nouvelle-generation-demusees-par-jean-yves-potel).
2
Récemment, les autorités polonaises, comme pour
inverser les enseignements des travaux historiques
susmentionnés, ont décidé d’honorer la mémoire des
Justes de leur pays en multipliant les lieux de mémoire
en ce lieu. Jouxtant le musée, une statue de Jan Karski,
ce fameux courrier polonais qui s’était introduit dans
le ghetto en 1942 et qui avait alerté le monde sur le
sort des Juifs, y a été érigée. Juste à côté, une « allée
Irène-Sendler », du nom de cette infirmière qui réussit
à extraire près de 2 500 enfants juifs des griffes de
l’occupant, a été aménagée.
Un projet visant à y ajouter un nouveau mémorial
dédié aux Justes, financé cette fois par des milieux
juifs, suscite une vaste polémique. Pour les opposants
à ce projet, l’emplacement du ghetto exige le silence.
Sous ce périmètre, entièrement détruit en 1943 par
les nazis, reposent en effet les insurgés, notamment
Mordehai Anielewicz, le commandant du ghetto, qui
avait choisi de ne pas se rendre. Ce lieu est celui de la
mort des Juifs, avancent-ils, non celui des Polonais, si
absents lors de l’insurrection des Juifs. Précisons que
si personne ne s’oppose au principe de monuments
dédiés aux Justes, c’est leur abondance dans un
espace déjà saturé qui pose problème.
De nouveaux projets sont aussi envisagés. La ville
de Varsovie a entériné le financement d’une sorte
de mur autour de l’église, qui se trouve en face de la
communauté juive et du rabbinat, sur lequel figureront les noms de 10 000 Justes – alors que le mémorial
israélien de Yad Vashem n’en reconnaît jusqu’à
présent que 6 500 environ pour la Pologne. Un parc
des Justes, toujours situé sur ce périmètre, est également à l’étude.
L’emplacement du ghetto, longtemps désert – si l’on
excepte le monument de Rapoport – est désormais
l’objet de surinvestissements matériels et symboliques qui visent à orienter le message historique.
Cette glorification d’une Pologne aidante, visiblement
utile à la bonne renommée d’un pays souvent accusé
d’antisémitisme, traverse tout le spectre partisan :
des formations de la droite nationaliste et catholique
d’abord 4 – qui sont à l’origine du projet de monument
des 10 000 Justes – jusqu’à la gauche.
Les milieux juifs sont pour leur part divisés. Pour les
uns, le silence doit prévaloir, pour les autres, c’est la
réconciliation nationale qui prime. À cette désunion
mémorielle, il faut ajouter le succès du film Ida
de Paweł Pawlikowski, sorti en 2014. Au-delà du
jugement que l’on porte sur ses qualités esthétiques,
ce « film de l’année en Pologne » véhicule, selon
certains, le message d’une symétrie de souffrances :
certes, les Polonais ont tué des Juifs sous l’Occupation, mais « les Juifs » ont introduit le communisme
dans le pays et conduit des résistants à l’échafaud.
Cette optique est traditionnellement celle de la
droite nationaliste. La symétrie est fausse tant dans
la comparaison des crimes que dans l’appréciation
de l’identité juive des communistes juifs : dans leur
gouvernance, ils étaient avant tout communistes 5.
Jean-Charles Szurek *
* Directeur de recherche émérite au Centre national de la
recherche scientifique (CNRS). Il a dirigé l’Institut des sciences
sociales du politique (ISP), laboratoire CNRS-Paris Ouest-ENS
Cachan de 2003 à 2010.
Bibliographie
Elzbieta Janicka, Festung
Warschau, éd. Wydawnictwo
Krytyki Politycznej, 2011
●
4
Même le père Rydzyk, fondateur de Radio Maryja (radio catholique intégriste qui répand des propos antieuropéens, antisémites
et homophobes), évoque les Justes polonais.
5
Voir Jean-Charles Szurek, « Témoin du stalinisme : l’Institut
historique juif de Varsovie », in Jean-Charles Szurek, La Pologne,
les Juifs et le communisme, ouvrage cité en bibliographie.
● Jean-Charles Szurek,
La Pologne, les Juifs et le
communisme, éd. Michel
Houdiard, Paris, 2010
Jean-Charles Szurek et
Annette Wieviorka (dir.),
Juifs et Polonais 1939-2008,
Albin Michel, Paris, 2009
●
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
73
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Vingt-cinq ans
de transformations
économiques
Éric Brunat *
et Jacques Fontanel **
* Éric Brunat
est économiste – habilité à diriger
des recherches –, université Savoie
Grâce à la mise en œuvre d’une politique d’austérité résolue,
la Pologne a parcouru en un quart de siècle un chemin
senior economist au Programme des
impressionnant. Il lui a permis de passer en un temps record
Nations Unies pour le développement
d’une économie centralement planifiée à une économie
(PNUD) en Russie, Biélorussie et Moldavie.
de marché performante et conforme aux critères de l’Union
** Jacques Fontanel
européenne. La facilité avec laquelle le pays a semblé traverser
est économiste, professeur émérite,
université Pierre-Mendès-France
la violente crise financière mondiale à partir de 2008 témoigne
de Grenoble.
ainsi de la capacité de résilience de l’économie polonaise.
Si des réformes supplémentaires demeurent nécessaires,
les performances annoncées pour 2014 confirment la solidité
de sa trajectoire.
Mont-Blanc, Institut de recherche en
gestion et en économie (IREGE) ; ancien
Pendant la période de planification
instaurée après 1945, l’économie de la Pologne
a connu de graves difficultés de fonctionnement. Les monopoles et les entreprises d’État
étaient particulièrement mal gérés, les procédures d’administration des entreprises demeuraient inadaptées au monde moderne, les
technologies mises en place étaient dépassées, voire obsolètes. En l’absence d’un
chômage apparent significatif, les salaires
réels stagnaient à un niveau très faible et les
produits de consommation courante n’étaient
pas toujours disponibles pour l’ensemble de la
population. L’endettement de l’État à l’égard
des banques ou des gouvernements étrangers
atteignait les deux tiers du produit intérieur
brut (PIB). À la fin des années 1980, une inflation à trois chiffres s’était installée, révélant
74
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
les conflits internes d’un système économicopolitique dépassé, caractérisé par des pénuries
chroniques et la perte de confiance des citoyens
et des consommateurs, à la fois dans le système
et dans l’avenir proche.
La « thérapie de choc »
et ses conséquences
Les élections de juin 1989 changèrent la
donne. Sous la présidence de Leszek Balcerowicz,
une commission d’experts – comprenant notamment George Soros et Jeffrey Sachs – fut mise
en place pour proposer un projet de réforme
favorable à la transition d’une planification
centrale à une économie de marché. Fin 1989,
plusieurs décisions furent prises. Elles portaient
sur le droit bancaire, l’interdiction de financer
© AFP / Janek Skarżyński
Des paysans polonais labourent un champ devant
un puits de forage de gaz de schiste. La Pologne,
qui disposerait de réserves de gaz de schiste
parmi les plus importantes d’Europe, entend
diminuer sa dépendance énergétique par ce biais.
le déficit budgétaire, la réduction drastique des
subventions publiques, la taxation des hausses de
salaires excessives, la dévaluation et la convertibilité de la monnaie nationale, la fin du monopole
étatique sur le commerce international, l’ouverture à l’investissement étranger, la déclaration de
faillite des entreprises publiques mal gérées, la
mise en place des règles de licenciement et des
indemnités de chômage ou encore la fixation
libre des prix de certains produits.
Approuvée par le Fonds monétaire international (FMI), cette « thérapie de choc » avait
pour but la mise en place rapide de l’économie
de marché dans un contexte d’hyperinflation
et de crise économique et sociale. Il s’agissait d’appliquer de nouveaux textes législatifs
concernant le secteur privé ainsi que le droit du
travail et des affaires, de réduire le poids de l’État
dans la distribution des richesses et d’organiser
de nouvelles libertés économiques.
Dans un environnement productif
concentré et à caractère monopoliste, cette
régulation par le marché n’a pas été acceptée
spontanément. Les directeurs d’unités de
production ont souvent adopté une attitude de
résistance à la thérapie de choc, qui s’est traduite
par un comportement attentiste de « survie »,
avec comme espoir un assouplissement de la
politique budgétaire 1. Pendant la première année
de la rupture, les revenus réels des citoyens se
sont effondrés, rognés par une inflation courant
encore au rythme de 30 % par mois. La politique
monétariste très stricte, renforcée par des taux
d’intérêt mensuels supérieurs à 30 %, a conduit
à une baisse de la production. Elle a en outre
pénalisé la consommation et favorisé un taux
de chômage élevé – il est passé de 12,2 % de
la population active en 1990 à 16,4 % en 1993.
Face aux conditions dégradées de l’économie et
désireux de rompre avec la logique économique
d’un système dans lequel les priorités étaient
définies d’en haut, le gouvernement polonais a
mis en œuvre une politique libérale, sans aucun
1
Éric Brunat, « Transformation économique en Pologne :
éléments d’analyse des dynamiques régionales et territoriales »,
Cahiers franco-polonais, n° 18, juin-septembre 1996, p. 5-24.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
75
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Pologne : quelques
indicateurs statistiques
Superficie : 312 685 km2
Population : 38 533 299 habitants (2013) (38 190 608
en 2004)
Densité : 123,2 habitants/km2 (2013)
Langue officielle : polonais
Langue reconnue au titre de la Charte européenne des
langues régionales et minoritaires : cachoube
Monnaie : zloty (PLN)
Croissance démographique : − 0,1 % (2012)
Taux de fécondité : 1,3 enfant par femme (2012)
Taux de natalité : 10 ‰ (2012)
Mortalité infantile : 4,6 ‰ (2012)
Espérance de vie à la naissance : 76,9 ans (2012)
Solde migratoire : − 58 000 habitants par an (2012)
Religion : 87 % de catholiques romains (2012)
PIB : 389,6 milliards d’euros (2013)
PIB par habitant en SPA * (indice 100, UE-28) : 68 (2013)
Taux de croissance : 1,6 % (2013)
Taux d’inflation : 0,8 % (2013)
Dépenses de protection sociale : 19,2 % du PIB (2011)
Indice de GINI : 30,9 (2012)
Personnes en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale :
26,7 % (2012)
Salaire minimum : 392,73 euros par mois (2013)
Taux de chômage : 9,7 % (2014)
Taux d’emploi : 64,7 % (2013)
Solde public : − 4,3 % du PIB (2013)
Dette publique : 57 % du PIB (2013)
Solde extérieur : − 11,06 milliards d’euros (2013)
Part de l’agriculture dans le PIB : 3,5 % (2010)
Part de l’industrie dans le PIB : 24,5 % (2010)
Part des services et du commerce dans le PIB : 64,6 %
(2010)
Dépenses militaires : 1,8 % du PIB (2013)
Fonds structurels et d’investissement de l’UE :
77,6 milliards d’euros programmés pour 2014-2020
Nombre de sièges au Parlement européen : 51 (2014)
* Le standard de pouvoir d’achat (SPA) est un indice s’apparentant à une monnaie et permettant la comparaison des
pays sans qu’interviennent les différences de prix.
Sources : Eurostat, Ministère des Affaires étrangères, CIA, The World
Factbook, Union européenne.
76
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
accompagnement social, laissant ainsi libre
cours au fonctionnement souvent violent du
marché. Son coût économique a été très élevé,
avec une grande vague de faillites d’entreprises
d’État et l’apparition immédiate de plus d’un
million de chômeurs mais aussi, dès 1992, la
création de plus de 600 000 entreprises privées et
de 1 500 000 emplois.
Le vide en matière de stratégie industrielle,
de réinsertion professionnelle et de politique
de sécurité sociale a toutefois érodé le soutien
populaire et relancé le débat sur la place et le rôle
de l’État pendant la période de transformation.
En engageant simultanément une transformation
du système politique – avec l’introduction
du pluralisme, du multipartisme et de la
démocratie – et du système économique – avec
une politique monétaire stricte et un changement
progressif du régime de propriété –, tous les
curseurs n’ont pas évolué à la même vitesse.
Cependant, la libération des prix,
le dynamisme du nouveau secteur privé,
l’imposition de conditions favorables pour
l’investissement mais aussi les compromis
trouvés concernant les dettes du pays au sein
des Clubs de Londres et de Paris ont garanti
le succès de cette vaste rupture systémique.
De ce fait, la Pologne a été le premier pays de
l’Est à renouer avec la croissance, dès 1991 2.
Elle a rapidement su combattre les tensions
inflationnistes et a vu ses échanges commerciaux
internes et externes augmenter. Elle a bénéficié
d’un afflux d’investissements directs étrangers et
a pu améliorer le niveau de vie de ses citoyens.
Pour autant, les résultats se sont avérés nettement
moins favorables dans le secteur de l’agriculture,
dans les entreprises relevant de secteurs
sensibles – comme le charbon – mais aussi pour
les couches les plus fragiles de la population qui
ont supporté des coûts sociaux considérables.
Selon les statistiques officielles de la Pologne (Główny Urząd
Statystyczny, GUS), la croissance du PIB redémarre à partir de
1991, en glissement et par habitant. Toutefois, pour d’autres
publications, le PIB réel ne dépasse pas le niveau observé à la fin
des années 1980 avant l’année 1994. Voir Tomasz Michalowicz
et Maria Stolarska, « Pologne 2000. Dix ans de démocratie
pluraliste et d’économie de marché », in Claude Martin (dir.),
Pologne 1989-2004. La longue marche. D’un système centralisé
à l’intégration dans l’UE, L’Harmattan, Paris, 2005.
2
1. Indicateurs économiques de la Pologne 1995-2003
Indicateurs
Taux de croissance du PIB annuel (moyenne sur deux ans)
Indice des prix
1995
1997
1999
2001
2003
7,0
6,4
4,5
1,5
2,6
21,6
15,9
9,2
6,1
1,8
Taux de chômage (en % de la population active)
14,9
11,8
11,8
17,2
20,0
Déficit budgétaire (en % du PIB)
– 2,4
– 1,8
– 2,2
– 3,7
– 4,8
0,7
– 3,1
– 6,2
– 4,5
– 2,3
Balance des comptes courants (en % du PIB)
Source : ministère de l’Économie et du Travail, Poland 2004. Report Economy, Varsovie, 2004, p. 27-28.
Une préparation active
à l’intégration
dans l’Union européenne
Les négociations d’adhésion à l’Union
européenne commencèrent en mars 1998,
après une demande de préadhésion formulée
officiellement le 5 avril 1994. Pendant la
période de 1994 à 1999, le retour à la croissance
économique a été soutenu, avec certes des
tensions inflationnistes persistantes mais une
réduction significative du chômage et un déficit
budgétaire contrôlé. Même le déficit de la balance
des comptes courants, bien que croissant, était
alors plutôt vertueux puisqu’il était provoqué
par l’importation de biens d’équipement plus
que par celle de produits de consommation finale
(tableau 1).
Au début des années 2000, les résultats se
sont un peu détériorés, avec une baisse des taux
de croissance – pourtant encore supérieurs à
ceux obtenus par la plupart des pays européens –,
un taux de chômage en expansion et un déficit
budgétaire accru en vue de réduire les tensions
sociales. Toutefois, c’est pendant cette période
que la lutte contre l’inflation a commencé
à produire des effets, favorisant ainsi une
amélioration de la balance des comptes courants.
À la veille de l’entrée de la Pologne dans
l’Union européenne, un rapport du ministère
de l’Économie et du Travail 3 mettait en avant
les insuffisances de son économie, notamment
en termes de compétitivité, trop faible encore
et insuffisamment ouverte aux innovations.
3
Ministère de l’Économie et du Travail, Poland 2004. Report
Economy, Varsovie, 2004.
Les résultats étaient jugés moins bons que
ceux de l’Europe des Quinze. Quelques mois
après l’ouverture des négociations d’adhésion
à l’Union européenne, le rythme d’avancée
de la Pologne demeurait encore trop lent par
comparaison à celui plus rapide de certains
pays non officiellement autorisés à ouvrir
ces négociations. Ce décalage a ainsi conduit
Bruxelles à renoncer à la méthode des « vagues »
successives d’adhésion et à inviter chaque
candidat à lancer sa procédure d’examen de
l’acquis communautaire.
La Pologne s’était pourtant engagée dans
la voie d’une croissance économique solide,
soutenue par les exportations et la demande
intérieure, avec une augmentation sensible de
l’efficacité des moyens de production et une
amélioration de la qualité de la force de travail.
Cependant, le taux de chômage restait élevé du
fait d’une croissance molle, des effets pervers
d’une productivité du travail accrue, de l’arrivée
sur le marché de l’emploi d’une population active
en forte augmentation, des conséquences de la
globalisation croissante et de la restructuration
des programmes dans les secteurs de l’acier et
du charbon. En outre, le déficit du budget public
ne cessait de croître. Les réformes concernant
les retraites et le régime de la sécurité sociale ont
fait l’objet de fortes contestations et négociations
politiques et syndicales 4.
L’adhésion à l’Union européenne avait pour
objectif de relever plusieurs défis, parmi lesquels
4
William Tompson, L’Économie politique de la réforme.
Retraites, emplois et déréglementation dans dix pays de l’OCDE,
OCDE, Paris, 2010. Voir en particulier le chapitre 6, « Pologne :
la réforme du régime général des retraites (1996-1999) », et le
chapitre 7, « Pologne : la réforme du régime de Sécurité sociale
des agriculteurs (2003-2005) ».
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
77
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Taux de chômage, 2012
Tallinn
ESTONIE
LETTONIE
Riga
LITUANIE
,8
19
12
6
10
3,
,1
(en % de la population
active)
1
Prague
Taux de chômage
7,
Varsovie
POLOGNE
R É P. T C H È Q U E
S L O VA Q U I E
Bratislava
Budapest
HONGRIE
ROUMANIE
SLOVÉNIE
Ljubljana
Entités géographiques :
régions européennes (NUTS 2)
Bucarest
BULGARIE
Sofia
Source : Eurostat, http://epp.eurostat.ec.europa.eu
la réalisation d’un taux de croissance soutenu
– estimé entre 0,8 et 1,2 % supplémentaire par
an – grâce à l’essor des petites et moyennes
entreprises, à l’amélioration du niveau d’emploi et
au renversement de la logique du développement
plus favorable aux processus de décentralisation.
La promotion de l’entreprenariat, la suppression
des contraintes administratives excessives,
la réduction durable des déficits publics, la
restructuration des dépenses publiques, la lutte
contre l’inflation, la recherche de la compétitivité
sur les marchés globaux, l’amélioration de la
qualité de la main-d’œuvre et l’obtention de fonds
structurels de l’Union européenne constituaient
les moyens et objectifs prioritaires 5.
L’essor économique
d’un nouvel État membre
La Pologne dispose, notamment en
Silésie, de ressources fossiles importantes
5
78
Ministère de l’Économie et du Travail, ibid.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014
Vilnius
– charbon et lignite principalement, mais aussi
gaz de schiste –, son sol contient de l’argent, du
cuivre, du zinc, du nickel, du plomb, du soufre,
de la potasse et du sel gemme. Les centrales
thermiques fournissent 95 % de la production
nationale d’électricité, ce qui ne manque pas
d’ailleurs de poser le problème de l’émission
excessive de dioxyde de carbone. La sidérurgie
et la chimie dominent le secteur secondaire.
Depuis que la Pologne est membre
de l’Organisation mondiale du commerce
(OMC, 1995) et de l’Union européenne (2004),
ses échanges se sont développés, avec une forte
demande d’importation de biens d’équipement.
Les résultats économiques globaux ont été
parmi les meilleurs de l’Union européenne
pendant cette décennie 2003-2013. Sans que
cela constitue évidemment une garantie de
croissance à moyen terme, l’octroi massif de
fonds structurels a permis au pays de remettre
en état ses infrastructures. Une convergence 6
des niveaux de vie s’est ainsi réalisée, permettant
à la Pologne de s’approcher de la moyenne de
l’ensemble des pays de l’Union européenne. Le
PIB par habitant de la Pologne est passé de 50 %
de celui de l’Union européenne en 2003 à 68 %
en 2013 (tableau 2).
● La crise financière de 2008 n’a pourtant pas
épargné la plupart des pays d’Europe centrale.
Les capitaux étrangers ont largement reflué en
Europe. Toutefois, la Pologne a démontré ses
capacités de résilience, en obtenant des taux
de croissance supérieurs à ceux de l’Union
européenne à 27, grâce en particulier aux
mesures budgétaires adoptées et à l’octroi de
fonds européens. Si l’économie a connu un
ralentissement brutal en 2012-2013, les résultats
pour 2014 s’engagent à nouveau à la hausse.
● La part de l’industrie est restée stable, se
maintenant à 24,6 % du PIB en 2005 comme
en 2012 alors que, dans le même temps, l’agriculture continue son déclin – elle est passée
de 4,6 % en 2005 à 3,4 % en 2013, mais elle
continue d’occuper 12,4 % de la main-d’œuvre.
6
Marjorie Jouen, « UE27. Disparités interrégionales : la
réduction est-elle un objectif inatteignable en période de crise ? »,
La Revue géopolitique on line, Diploweb.com, 9 septembre 2012
(www.diploweb.com/UE-27-Disparites-interregionales.html).
2. Les principaux indicateurs économiques de la Pologne depuis son adhésion
à l’Union européenne
2013
Indicateurs
2005
2007
2008
2009
2011
2012
PIB (en milliards de dollars) (b)
303,91
425,32
529,43
430,92
515,67
489,80
519,93
PIB par habitant
(en dollars PPA courants)
13 786
16 750
18 025
18 796
21 138
22 167
22 523
3,6
6,8
5,1
1,6
4,5
1,9
1,6
50,7
(2004)
54,4
56,0
57,1
65,0
67,0
68,0
Croissance FBCF(en %)
6,5
17,6
9,6
− 1,2
8,5
− 1,7
− 0,4
Chômage (en %)
17,9
9,6
7,0
8,1
9,7
10,1
9,7
Inflation (en %)
2,2
2,4
4,2
3,8
4,2
3,3
0,7
Déficits publics (en %)
− 4,1
− 1,9
− 3,7
− 7,5
− 5,0
− 3,9
− 3,1
Dette publique (en %)
54,1
50,4
55,5
57,6
61,6
63,0
56,2
37,8
43,6
43,9
39,4
46,2
46,4
47,6
37,1
40,8
39,9
39,4
45,1
46,7
48,4
6 307
21 318
24 092
29 304
52 849
57 367
nd
90 869
178 418
164 290
185 182
203 111
235 113
nd
PIB réel (en %)
PIB par habitant/PIB de l’UE27
par habitant (en %)
Importations de biens et services
(en % du PIB)
Exportations de biens et services
(en % du PIB)
Stocks des IDE sortants
(en milliers de dollars)
Stocks des IDE entrants
(en milliers de dollars)
(a)
(a) Les chiffres de 2013 sont obtenus à partir de OECD, Stats Extracts 2014 (http://stats.oecd.org/index.
aspx?queryid=26646&lang=fr) ; MOCI, Indicateurs économiques. Pologne. 2014 (www.lemoci.com/Pologne/Indicateurseconomiques/011-47864-Pologne.html) et quelques estimations fondées sur les chiffres ne disposant pas d’années de base
comparables.
(b) MOCI, Indicateurs économiques. Pologne, 2014.
Source : OECDiLibrary, Profils statistiques par pays. Pologne, OCDE, 2013 (www.oecd-ilibrary.org/economics/profil-statistiquepar-pays-pologne_2075227x-table-pol).
La Pologne pâtit encore de nombreuses faiblesses
économiques, au rang desquelles il faut citer
le nombre trop élevé d’exploitations agricoles
peu modernisées. La moitié des exploitations
sont de subsistance et 92 % comptent moins de
20 hectares. Quant aux agriculteurs, ils bénéficient d’un système de sécurité sociale et d’avantages fiscaux jugés excessifs.
● La parité de pouvoir d’achat est restée
constante pendant toute cette période (1,87 zloty
pour 1 dollar), alors que le taux de change moyen
a fluctué de 3,24 zlotys pour 1 dollar en 2005 à
2,41 en 2008, pour revenir à 3,26 en 2012.
● L’expression d’une concurrence sur les marchés
des produits et le fonctionnement plus fluide du
marché du travail ont contribué à l’amélioration
de la compétitivité des entreprises. Les coûts du
travail n’ont pas augmenté de manière excessive
même si, au regard de son PIB par habitant, le
coût du salarié polonais est plus élevé que celui
des pays de niveau économique comparable hors
de l’espace européen.
● L’inflation a été dans les années récentes et
jusqu’en 2012 assez nettement supérieure à celle
des grands pays européens. Depuis 2013, elle est
jugulée, avec un résultat inférieur à 1 %.
● L’évolution démographique est plutôt
défavorable au marché de l’emploi, avec
un nombre accru d’offres d’emploi (au sens
économique) et de personnes oisives (retraités
et chômeurs structurels). Alors que la durée du
travail est élevée, l’allocation des ressources
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
79
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
PIB par habitant, 2011
Tallinn
ESTONIE
LETTONIE
Riga
LITUANIE
Varsovie
POLOGNE
PIB par habitant
,5
31
8
14
9,
2
3,
6,
Prague
8
(en milliers de dollars)
R É P. T C H È Q U E
S L O VA Q U I E
Bratislava
Budapest
HONGRIE
ROUMANIE
SLOVÉNIE
Ljubljana
Bucarest
BULGARIE
Entités géographiques :
régions européennes (NUTS 2)
Sofia
Source : Eurostat, http://epp.eurostat.ec.europa.eu
humaines est loin d’être optimale en raison de
la segmentation du marché du travail. Le taux
d’emploi des femmes reste particulièrement
faible et appelle à la mise en œuvre d’une
véritable politique familiale qui, par des mesures
fiscales et structurelles combinées, rende le
travail plus attractif.
● Les ménages comme les entreprises font
preuve de prudence et sont relativement peu
endettés. En outre, le système bancaire est
correctement capitalisé et sera bientôt encore
mieux contrôlé, avec la création d’un Conseil du
risque systémique.
● Alors que les marchés restent partiellement
réglementés, il s’agit maintenant de renforcer
la concurrence dans certains secteurs abrités qui
ne font pas nécessairement les efforts pour se
mettre au diapason d’une économie de marché
concurrentielle. L’État intervient souvent pour
modifier les résultats exprimés du marché. Il
existe encore des restrictions à la concurrence,
des procédures lourdes pour la faillite des
80
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie, © Dila, Paris, 2014
Vilnius
entreprises, et inadaptées ou fastidieuses pour la
création des entreprises.
● Les déficits publics ont tendance à augmenter,
du fait notamment des moins-values fiscales.
L’État doit faire un effort pour éviter d’être engagé
dans un endettement susceptible de faire vaciller
le potentiel de développement économique du
pays. Compte tenu de la croissance attendue du
PIB réel, un déficit de l’ordre de 3 % du PIB
en 2015 est susceptible d’engager le ratio dette/
PIB vers une trajectoire en baisse.
● L’Allemagne est le premier partenaire
commercial de la Pologne, représentant 21 %
de ses importations et 25 % de ses exportations.
La Pologne vend et achète plutôt dans l’Union
européenne. Une diversification notable est
en cours : la Russie, deuxième fournisseur de
la Pologne, vend du pétrole et du gaz, mais en
retour le marché russe est redevenu attractif
pour les entreprises polonaises, au même
titre que celui d’Asie. À noter que la Chine est le
troisième fournisseur d’électronique ou de biens
d’habillement de la Pologne.
La Pologne est classée parmi les 50 pays à
indice de développement humain (IDH) très élevé.
En 2004, elle était 37e avec 0,862. En 2012, elle est
39e avec un indice inférieur de 0,821 7. Au regard
de ces performances, l’indice de développement
humain de la Pologne tarde à refléter la croissance
économique observée dans les années récentes 8. En
outre, les inégalités demeurent, comme en témoigne
l’indice de développement ajusté aux inégalités.
Concernant le niveau démocratique, sans grande
modification depuis dix ans, la Pologne se situait
au 45e rang en 2011, avec un indice de démocratie 9
de 7,12 – à égalité avec le Brésil. Si, en 2004, on
constatait un véritable problème de corruption,
avec un classement au 67e rang, en 2013 le pays
était passé au 38e rang. Enfin, le progrès social
peut aussi être mesuré en termes démographiques.
7
UNDP, Human Development Index and Its Components
(https://data.undp.org/dataset/Table-1-Human-DevelopmentIndex-and-its-components/wxub-qc5k).
8
UNDP, HDI (http://hdr.undp.org/fr/content/l’indicedu-développement-humain-idh).
9
La notation se fait selon une échelle allant de 0 à 10. À partir
de cette note les pays sont classifiés selon quatre régimes :
démocratique (8 à 10), démocratique imparfait (6 à 8), hybride
(4 à 6) ou autoritaire (inférieur à 4).
Principaux partenaires commerciaux de la Pologne, 2012
Exportations
États-Unis
Norvège
Suède
Russie
RoyaumeUni
en milliards
de dollars
Pays-Bas
Belgique
Danemark
Lituanie
Allemagne
Ukraine
France
45
Autriche
17
Italie
Rép.
tchèque
Espagne
3
Turquie
Importations
Japon
Norvège
Corée
du Sud
Suède
États-Unis
Russie
RoyaumeUni
Pays-Bas
Belgique
Total
(en milliards de dollars)
France
Chine
Allemagne
Rép.
tchèque
Autriche
180
Italie
Roumanie
Slovaquie
Hongrie
Espagne
191
Source : Nations Unies, UN Comtrade, http://comtrade.un.org
L’espérance de vie à la naissance est passée de 75 à
77 ans (71 à 73 pour les hommes, 79 à 81 pour les
femmes) au cours de la dernière décennie.
Des objectifs économiques
soutenus par la Pologne
En 2013, le Parlement européen, le Conseil
de l’Union européenne et la Commission
européenne sont parvenus à un compromis
relatif au cadre financier pluriannuel (CFP)
2014-2020 de l’Union. Les montants des plafonds
d’engagements représentent 1 % du revenu
national brut (RNB) de l’Union européenne contre
Seules les valeurs supérieures
à 2,5 milliards de dollars sont représentées
(soit 85% des exportations et 84% des importations)
Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014
10
Roumanie
Slovaquie
Hongrie
1,12 % pour la période 2007-2013. De 2014
à 2020, la Pologne devrait recevoir environ
77,6 milliards d’euros, soit près d’un neuvième
des aides accordées par Bruxelles, et davantage en
valeur absolue que pendant la période 2007-2013.
La Pologne reste donc l’un des principaux
bénéficiaires nets de l’Union. 70 % de la somme
globale de l’aide concerne les fonds structurels
et vise à soutenir les projets pour les infrastructures
du pays – construction, communications routières
et ferroviaires. Au nom de la préservation des
aides liées à la transition économique et sociale
et au rattrapage en termes d’infrastructure,
l’agriculture polonaise, pourtant encore
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
81
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Indice de développement humain, 2012
Allemagne
Rép. tchèque
Estonie
Hongrie
Pologne
Lituanie
Lettonie
U. européenne
0,92
0,873
0,846
0,831
0,821
0,818
0,814
0,804
Source : Banque mondiale, www.banquemondiale.org
Dépenses totales de santé
par habitant, 2011 (publiques et privées en parité
de pouvoir d’achat (dollars constants)
Allemagne
U. européenne
Rép. tchèque
Hongrie
Pologne
Lituanie
Estonie
Lettonie
4 371
2 905
1 923
1 669
1 423
1 337
1 334
1 179
Source : PNUD, www.undp.org
Dépenses des administrations
publiques consacrées à l’éducation,
2010 (en part du PIB)
Estonie
Lituanie
Pologne
Allemagne
Lettonie
Hongrie
U. européenne
Rép. tchèque
5,7
5,4
5,2
5,1
5,0
4,9
4,8
4,2
Source : UNESCO, www.unesco.org
Dépenses en R&D, 2011 (en part du PIB)
2,8
2,4
1,8
1,6
1,2
0,9
0,8
0,7
Source : UNESCO, www.unesco.org
Part de la population ayant accès
à Internet, 2011
Allemagne
Estonie
Rép. tchèque
U. européenne
Lettonie
Hongrie
Pologne
Lituanie
82,7
78,0
73,0
71,0
69,9
65,3
62,0
59,5
Source : Internet World Stats , www.internetworldstats.com
82
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Réalisation : Sciences Po - Atelier de cartographie. © Dila, Paris, 2014
Allemagne
Estonie
Rép. tchèque
U. européenne
Hongrie
Lituanie
Pologne
Lettonie
insuffisamment compétitive, devrait également
continuer à recevoir un soutien stable. Le secteur
agricole est d’ailleurs le grand bénéficiaire de
l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne.
Il a reçu 40 milliards d’euros dans le cadre du
CFP 2007-2013 et en recevra 42,4 milliards
d’ici 2020 10. Les conséquences de ce soutien
communautaire actif sont toutefois à double
tranchant puisqu’il a rendu moins urgente la
réforme d’un secteur encore archaïque sous bien
des aspects.
Des efforts restent à fournir également
en matière de recherche et d’économie de la
connaissance 11. Selon la Banque mondiale,
en 2012, la Pologne était classée au 38e rang
mondial (35e en 2000) pour l’indice d’économie
de la connaissance (Knowledge Economy
Index, KEI), soit la plus mauvaise performance
parmi les pays d’Europe centrale et orientale
ayant rejoint l’Union européenne en 2004 – la
Bulgarie et la Roumanie, entrées en 2007, et la
Croatie, en 2013, étant encore un peu moins bien
classées 12. Mais, là aussi, l’Union européenne
joue un rôle important puisque, selon la Banque
mondiale 13, la Pologne recevra 10 milliards
d’euros sur la période 2014-2020 au titre des
fonds structurels afin de stimuler la recherche
appliquée et finalisée à visée commerciale,
spécifiquement en direction du secteur privé.
L’ensemble est accompagné par les initiatives
présentées dans le plan de stratégie Europe 2020
de l’Union européenne. Outre un objectif
ambitieux de 3 % du PIB consacrés à la recherche
et développement, ce plan vise à améliorer le
contenu qualitatif de la croissance économique et
sociale, en développant des spécialisations dites
« intelligentes » (smart specialisations) dans les
régions et secteurs adaptés 14.
10
Dépassant la Chine, la Pologne est ainsi devenue en 2013
le premier exportateur de pommes au monde – 57 % de ces
exportations vont vers la Russie. Elle a doublé en dix ans sa
production de volaille et elle occupe le premier rang au sein
de l’Union européenne comme producteur de fruits rouges et de
champignons.
11
Éric Brunat, Valeriia Lobasenko et Michel Zigone,
L’Innovation en Russie, AUEG, Grenoble, à paraître en 2014.
12
http://info.worldbank.org/etools/kam2/KAM_page5.asp
13
www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2013/08/14/
innovation-in-poland.
14
http://ec.europa.eu/regional_policy/sources/docgener/
informat/2014/smart_specialisation_fr.pdf.
proche de la croissance potentielle, stimulé par
de meilleurs fondamentaux macroéconomiques,
avec notamment une amélioration du solde des
finances publiques revenu à 2,5 % du PIB. Le taux
d’inflation devrait connaître une légère hausse de
l’ordre de 2 %, mais si la simplification des réglementations restrictives sur le marché des produits
se poursuit, stimulant ainsi la concurrence, il
devrait être maîtrisé. Les mesures structurelles en
faveur de l’emploi devraient être maintenues, en
vue de favoriser une mobilité aujourd’hui encore
trop faible et d’ouvrir un marché du travail relativement segmenté 16. Enfin, la balance des transactions courantes devrait conserver un déficit de
l’ordre de 3,2 % du PIB. Ainsi, au regard des
épreuves économiques et sociales passées,
l’avenir semble plutôt prometteur. ■
●●●
Depuis la chute du mur de Berlin, la
Pologne a réussi à doubler le revenu réel de ses
habitants. Après avoir traversé plutôt convenablement les tourments de la crise financière, elle
a semblé marquer le pas en 2013, année au cours
de laquelle la croissance, inférieure à 2 %, s’est
révélée trop faible pour financer les contraintes
spécifiques d’une économie pleinement
émergente et encore en transformation systémique. Le sursaut prévu pour 2014 témoigne
toutefois de la résilience du pays face aux crises
et de sa capacité à les surmonter.
Selon les estimations données par le
Moniteur du commerce international 15 et qui
reprennent les chiffres du FMI, le PIB polonais
devrait augmenter de 2,4 % en 2014 et être
16
15
N° 3085
problèmes économiques
Brésil, le moment de vérité
Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l’actualité
Problèmes économiques
économiques
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LE CAPITALISME
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Problèmes économiques
Problèmes économiques invite les spécialistes à faire le point
MARS 2014 NUMÉRO 5
HORS-SÉRIE
NUMÉRO 5
HORS-SÉRIE
NUMÉRO 4
Si les années 1990 et 2000 ont été celles du triomphe planétaire
du capitalisme, la crise dans laquelle sont restées embourbées
les économies avancées pendant plusieurs années montre qu’il
ne fonctionne pas sans heurts.
La crise a jeté un nouveau regard sur les politiques économiques.
Elle a notamment remis en question le consensus d’inspiration libérale
qui guidait l’action publique depuis une trentaine d’années.
Une réorientation est-elle à l’œuvre depuis 2008 ?
Bulles financières, endettement public, menace écologique, inégalités
et tensions sociales croissantes… Autant de dysfonctionnements
qui nourrissent la question d’un « changement de modèle »
pour nos économies.
Ce numéro hors-série de Problèmes économiques rappelle les fondements
des politiques économiques et passe en revue les différents instruments
et objectifs, en insistant sur les évolutions les plus récentes.
Après un détour par les origines du capitalisme, ce numéro hors-série
de Problèmes économiques en décrypte les rouages, en insistant plus
particulièrement sur les spécificités du capitalisme contemporain.
Comprendre le capitalisme
N° 5
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Comprendre l’économie mondiale
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+ LES HAWALAS À L’ÈRE
DES NOUVELLES
TECHNOLOGIES
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L’HYDRE FISCALE ?
+ PUBLICITÉ : LE CHOC
INTERNETMOBILE
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,
CHANGER DE MODÈLE ?
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N° 3089
3092
FRANCE
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problèmes économiques
Problèmes économiques invite les spécialistes à faire le point
SEPTEMBRE 2013 NUMÉRO 4
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• L’ austérité était-elle inévitable ?
• Le prix des médicaments
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LA FAIM : VERS
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LES INDUSTRIES
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problèmes économiques
Voir Études économiques de l’OCDE. Pologne, mars 2014
(www.oecd.org/fr/eco/etudes/Synth%C3%A8se_Pologne_2014.pdf).
Indicateurs économiques. Pologne, MOCI, 2014, op. cit.
LE MOMENT DE VÉRITÉ
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
83
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Ò POUR ALLER PLUS LOIN
Varsovie, une capitale singulière
La première pensée qui vient à l’esprit lorsque l’on évoque
Varsovie, c’est celle du ghetto. Indéniablement, la ville reste
associée à cette période tragique de l’histoire européenne,
celle de la Seconde Guerre mondiale et du nazisme. Image
évidemment réductrice, alors que Varsovie devrait incarner
bien d’autres aspects.
Un théâtre de la résistance en Europe
La ville a été la scène de mouvements de résistance
importants au cours de son histoire. Rappelons que c’est
à Varsovie que la première Constitution polonaise a été
promulguée en 1791. C’est également à Varsovie que le
plus grand ghetto d’Europe s’est soulevé, en 1943, avant
d’être rasé, et que le peuple s’est insurgé face aux nazis,
notamment d’août à octobre 1944. La ville a payé le prix
fort pour sa résistance. Bombardée à plusieurs reprises,
assiégée, objet de destructions systématiques, elle est
sortie anéantie de la Seconde Guerre mondiale, détruite à
environ 85 %.
Les Varsoviens reconstruisent alors rapidement une petite
partie de la vieille ville, symbole de leur identité. Puis,
dans les années 1950, c’est le style « socialiste national »,
empreinte architecturale du réalisme socialiste, qui
marque la reconstruction. C’est le cas du quartier d’habitation de Marszałkowska 1, construit sur des parcelles du
ghetto, ou encore de l’emblématique palais de la Culture
et de la Science, cadeau de Staline aux Polonais, visible en
tous points de la ville. Varsovie change alors de silhouette.
Après la chute du Mur, elle entre peu à peu dans une
nouvelle ère, celle de son insertion dans le réseau des villes
qui comptent en Europe.
Une capitale verticale
De nombreux projets architecturaux de grande hauteur
voient le jour. Plusieurs bâtiments de plus de 100 mètres
sortent de terre, comme le Złota 44 avec sa flèche qui
culmine à presque 200 mètres. En 2015, deux nouveaux
bâtiments, le Q22 (155 mètres) et le Warsaw Spire
(220 mètres), devraient être inaugurés. La ligne d’horizon de
Varsovie s’est modifiée et la ville se distingue dorénavant de
ses consœurs polonaises par la hauteur de ses bâtiments et
Marszałkowska Dzielnica Mieszkaniowa (MDM). Cet ensemble
résidentiel monumental est typique de l’architecture et de l’urbanisme de l’après-guerre.
1
84
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
par ses prouesses architecturales. Dans la région centre et
est-européenne, seule Moscou la dépasse désormais.
La skyline de la capitale polonaise est devenue le symbole
de sa modernité, la manifestation physique de la volonté
des décideurs varsoviens de montrer leur capacité
à prendre une place dans le concert des métropoles
européennes, puisque les tours sont dorénavant perçues
comme l’un des signes de la puissance d’une ville dans la
mondialisation 2. Toutefois, s’il est vrai que le patrimoine
architectural et la ligne d’horizon d’une ville participent de
l’imaginaire qu’elle alimente, ces éléments ne suffisent pas
à la rendre véritablement attractive.
Un centre de services avancés
peu attractif
Avec un peu plus de 1,7 million d’habitants, la capitale
polonaise est 2,3 fois plus peuplée que sa rivale Cracovie.
Elle concentre environ 4,5 % de la population du pays et
9 % des entreprises. Au cours des années 1990 et 2000, elle
a su devenir le centre des affaires de la Pologne, attirant
et accueillant la majeure partie des services spécialisés de
haut niveau du pays – tels que la finance et les services aux
entreprises 3. Faisant preuve d’une réelle capacité d’adaptation aux nouvelles conditions nées de son ouverture à
l’économie de marché, elle a trouvé sa place dans le réseau
des villes européennes influentes.
Preuve en est l’intensité de ses échanges avec les autres
villes. Un classement 4 permet d’en juger en évaluant les
relations qu’entretiennent 175 firmes de services avancés
aux producteurs dans les secteurs de la publicité, de la
comptabilité, de la banque et de la finance, de l’assurance,
du conseil de gestion et du conseil juridique. En 2010,
2
Voir le dossier « Les villes mondiales », Questions internationales, no 60, mars-avril 2013, et notamment l’article de Céline
Bayou, « La ville debout : le gratte-ciel au xxie siècle », p. 30-38.
3
Lise Bourdeau-Lepage, « Advanced services and city globalization on the Eastern fringe of Europe », Belgéo, n o 1, 2007,
p. 133-146.
4
Ce classement prend en considération 525 villes et en
distribue 237 en fonction de leur score en cinq grandes catégories
par ordre décroissant : les alpha world cities, les beta world cities,
les gamma world cities, les evidence of world city formation et les
high efficiency and sufficiency. Source : GaWC Research Bulletin,
no 300, 2 mars 2009 et no 369, 21 décembre 2010 (www.lboro.ac.uk/
gawc/rb/rb369.html).
© AFP / Saul Loeb
La tour Złota 44 et le palais de la Culture et de la Science, les deux bâtiments les plus hauts de Varsovie.
L’une, achevée en 2014, est le symbole du renouveau architectural de la Pologne contemporaine, tandis
que l’autre, offert par l’Union soviétique en 1952, est un pur produit de l’architecture stalinienne.
Varsovie y occupe la 37e place dans le monde 5 et la
13e place en Europe, devant Vienne, Barcelone ou Lisbonne.
Elle se range ainsi dans la catégorie des alpha world cities,
loin devant les autres villes polonaises comme Wrocław,
Cracovie ou Poznań qui appartiennent à la catégorie des
high efficiency and sufficiency cities et occupent respectivement les 60e, 65e et 67e places en Europe.
Cependant, malgré ses efforts pour participer à la globalisation et sa volonté de changer d’apparence, la capitale
polonaise ne jouit toujours pas d’une image attrayante auprès
des décideurs européens. En effet, en 2011, l’European Cities
Monitor plaçait Varsovie au 21e rang des 36 villes européennes
désignées comme ayant une attractivité significative, loin
derrière Londres, Paris, Francfort, Amsterdam ou Berlin (voir
5
L’étude prend en considération 525 villes et en classe 237 en
fonction de leur score en 5 grandes catégories par ordre décroissant : les alpha world cities, les beta world cities, les gamma world
cities, les evidence of world city formation et les high efficiency and
sufficiency. Source : Peter J. Taylor, Michael Hoyler, Kathy Pain
et Sandra Vinciguerra, « Extensive and Intensive Globalizations:
Explicating the Low Connectivity Puzzle of US Cities Using a
City-dyad Analysis », GaWC Research Bulletin, n° 369, 21 décembre
2010 (www.lboro.ac.uk/gawc/rb/rb369.html) et Peter J. Taylor,
et alii, « Measuring the World City Network: New Results and
Developments », GaWC Research Bulletin, n° 300, 2 mars 2009.
tableau). La ville reste en fait mal connue. Seulement 21 % des
dirigeants interrogés connaissent bien Varsovie, contre 81 %
pour Londres, 76 % pour Paris, 68 % et 62 % pour Barcelone
et Bruxelles.
Les résultats détaillés par critère d’attractivité 6 révèlent que
la capitale polonaise attire par le coût de la main-d’œuvre
(2e place européenne la plus attractive), le prix et la
disponibilité des surfaces de bureau (1re place européenne)
et le climat des affaires (5e place). Mais elle obtient
un piètre résultat concernant le niveau de pollution
(34e place), la qualité de vie des employés (32e place), la
qualité des télécommunications, de même que les liaisons
internationales et intra-urbaines.
Cette réputation très mitigée n’empêche pas les entreprises interrogées de citer Varsovie en troisième position
sur les 46 villes européennes susceptibles d’accueillir leurs
projets d’expansion dans les cinq années à venir. Ainsi,
avec 26 plans d’expansion, elle se place derrière Moscou et
6
Les questions sont en général du type « Quelle est, selon vous, la
meilleure ville pour le critère X ? Donnez vos premier, deuxième
et troisième choix ». Les 36 villes sont classées selon leur score,
calculé à partir du nombre de réponses qui les retiennent, pondéré
par le rang du choix.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
85
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
Les villes attractives en Europe
Attractivité globale
pour une entreprise
Rang
Réputation
Varsovie
Londres
Paris
21
1
2
Francfort Amsterdam
3
4
Berlin
5
31
Londres
Paris
Barcelone
Amsterdam
Bruxelles
Promotion
7
Londres
Barcelone
Paris
Berlin
Madrid
Accès aux marchés
19
Londres
Paris
Francfort
Bruxelles
Madrid
Disponibilité en personnel qualifié
14
Londres
Paris
Francfort
Munich
Madrid
Qualité des télécommunications
29
Londres
Paris
Francfort
Stockholm
Munich
Liaisons internationales
28
Londres
Paris
Francfort
Amsterdam
Bruxelles
Prix et disponibilité des surfaces de bureaux
1
Varsovie
Berlin
Leeds
Bucarest
Bratislava
Coût de la main-d’œuvre
2
Bucarest
Varsovie
Bratislava
Lisbonne
Istanbul
Disponibilité de bureaux
18
Berlin
Bucarest
Madrid
Leeds
Birmingham
5 ex aequo
Dublin
Bratislava
Londres
Bucarest
Amsterdam
Varsovie
Zurich
Langues parlées
11
Londres
Bruxelles
Amsterdam
Stockholm
Genève
Transports urbains
29
Londres
Paris
Berlin
Stockholm
Madrid
Qualité de vie des employés
32
Barcelone
Stockholm
Zurich
Genève
Madrid
Pollution
34
Stockholm
Helsinki
Oslo
Genève
Zurich
Climat des affaires
Note : l’accès aux marchés est le facteur le plus important dans le choix de localisation d’une firme, devant la
disponibilité en personnel qualifié, la qualité des télécommunications, les liaisons internationales, le prix et la qualité
des bureaux ainsi que le coût de la main-d’œuvre.
Source : tableau de l’auteur réalisé à partir de Cushman & Wakefield, European Cities Monitor 2011, octobre 2011
(www.cushmanwakefield.co.uk/en-gb/research-and-insight/2012/european-cities-monitor-2011/).
Londres mais devant Berlin et Paris 7. En outre, en 2012, elle
a été l’une des 25 villes globales retenues par la société de
conseil KPMG pour y étudier les investissements internationaux dits « greenfields » 8 réalisés à travers le monde. Sur
la période 2011-2012, elle a accueilli 65 projets d’investissement, se plaçant en 20e position ex aequo avec Francfort,
mais loin derrière Paris (108 projets) ou Londres (351,
numéro un dans le monde) 9.
Varsovie jouit donc d’une position particulière. Son attractivité en Europe repose davantage sur de faibles coûts que
sur la qualité de la vie et des infrastructures qu’elle propose.
Pour ses habitants, elle n’apparaît pas tant comme un lieu
où il fait particulièrement bon vivre que comme une ville
offrant des opportunités de travail 10. Capitale singulière,
Varsovie est aujourd’hui une ville dont les caractéristiques
d’ensemble restent difficiles à saisir. Celles-ci n’en font toutefois pas une ville incontournable ou qui pourrait prétendre
à rejoindre le cercle restreint des métropoles globales qui
dominent l’Europe et le monde.
7
* Professeure de géographie à l’université Jean-Moulin
– Lyon 3 et chercheure au sein de l’unité mixte de recherche
« Environnement, Ville, Société ».
Cushman & Wakefield, 2011, op. cit.
Il s’agit d’investissements ayant pour objectif de développer
ou d’étendre un site. Les sociétés à capital mixte sont incluses,
à la différence des fusions et acquisitions et des privatisations
et alliances qui ne sont pas prises en compte. Source : Greater
Paris Investment Agency & KPMG, Global Cities Investment
Monitor 2013: New Rankings, Trends and Criteria, Paris, 2013
(www.greater-paris-investment-agency.com/wp-content/
uploads/2013/02/GPIA-KPMG-GCIM-2013.pdf).
9
Greater Paris Investment Agency & KPMG, 2013, op. cit.
8
86
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Lise Bourdeau-Lepage *
10
Voir Commission européenne (Urban Audit), Enquête
d’opinion sur la qualité de la vie dans 75 villes européennes,
mars 2010, Bruxelles (http://ec.europa.eu/regional_policy/
sources/docgener/studies/pdf/urban/survey2009_fr.pdf).
X Regards sur la culture polonaise
La nouvelle scène artistique
polonaise
La scène artistique polonaise est marquée
d’une dichotomie entre le renouveau d’une culture
que le communisme avait « normalisée » dans le
but de forger l’homme socialiste et la continuation
d’une culture d’avant-garde. En Pologne, comme
dans d’autres pays du bloc de l’Est, la littérature,
le théâtre, le cinéma, l’art abstrait s’étaient perfectionnés dans un double langage qui échappait aux
censeurs. À la chute du régime communiste, la
place de cette culture contestataire dans la réalité
qui s’installait a été remise en question.
L’émergence d’une nouvelle génération d’artistes, de nouvelles infrastructures et
de nouveaux cadres juridiques favorise désormais la régénérescence de la création artistique et perpétue la fonction première de
la culture, « habiter le monde [et] rendre le
monde habitable » 1. À l’heure où les Polonais
manifestent leur désenchantement à l’égard
de l’activisme politique, la scène culturelle
devient le lieu privilégié des débats d’idées, de
l’ouverture aux autres cultures et de la résurgence de mémoires oubliées. Le contexte de
transition démocratique, parachevée par l’entrée
de la Pologne dans l’Union européenne, pèse
encore sur ces débats, où l’équilibre entre
oubli et mémoire demeure difficile à trouver.
Toutefois, les libertés de circulation, de contestation et de mœurs procurent aux metteurs en
scène, écrivains, poètes, plasticiens polonais un
matériau stimulant, leur permettant de penser
une société moins homogène qu’auparavant.
La place de la culture
dans la nouvelle réalité
La réflexion sur les limites de l’intervention
de l’État dans le domaine de la culture revêt une
actualité particulière en Pologne. Après le rejet du
modèle étatique dans les années 1990 – privatisa-
tions, décentralisations,
Anna Rochacka-Cherner,
déconcentrations –, le
fonctionnaire de l’administration
nombre de cinémas
centrale française, diplômée de Sciences
et de bibliothèques a
Po Paris (Affaires internationales), elle
décliné, beaucoup de
a travaillé, en 2005, avec le ministère
studios de production
polonais des Affaires étrangères et,
de films d’animation
en 2004, avec l’Institut culturel
ont fermé.
polonais de Budapest.
Plusieurs facteurs
ont alors contribué à la
renaissance de la culture polonaise. Parmi eux, la
diffusion du numérique et l’émergence de jeunes
créateurs et de nouvelles structures de soutien à la
création. Un rapport de 2009 sur le financement et
la gestion des institutions culturelles souligne ainsi
la hausse du nombre de musées, de théâtres, d’institutions musicales et de maisons de la culture 2.
Afin de faciliter l’accès à la culture ont été lancées
des initiatives telles que l’entrée à 1 zloty dans
les musées pour les jeunes de moins de 16 ans ou
le projet de prix unique du livre, élaboré par des
éditeurs polonais sur le modèle des lois française
et allemande 3. Par ailleurs, en 2009, la création
artistique est mentionnée pour la première fois
comme vecteur de développement de la société
polonaise, et des recommandations sont formulées pour promouvoir davantage l’architecture et
les arts visuels 4.
1
Jean Clair, « Grandeur et décadence dans l’art aujourd’hui »,
Commentaire, no 128, hiver 2009-2010.
2
Jakub Głowacki, Jerzy Hausner et alii, Finansowanie kultury i
zarządzanie instytucjami kultury, Uniwersytet Ekonomiczny w
Krakowie, Małopolska Szkoła Administracji Publicznej, 2009
(www.kongreskultury.pl/library/File/RoSK%20finansowanie/
finansowanie_w.pelna.pdf).
3
Entretien avec la directrice de l’Institut français à Varsovie et le
responsable de la médiathèque de l’Institut français à Varsovie.
4
Polska 2030. Wyzwania rozwojowe [Pologne 2030. Les enjeux
du développement], rapport des conseillers stratégiques du
Premier ministre, juin 2009 (www.mir.gov.pl/aktualnosci/
ministerstwo/Documents/polska_2030_raport_0609.pdf).
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
87
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
L’afflux des fonds européens permet de
rénover et de construire de nombreuses infrastructures culturelles, principalement musicales
– philharmonies, salles de concert, écoles de
musique –, mais aussi des théâtres – ouverture du théâtre Shakespeare de Gdańsk en
septembre 2014, modernisation du Nowy Teatr
dirigé à Varsovie par le metteur en scène
Krzysztof Warlikowski – ou des musées – rénovation du Musée national de Varsovie. De nouveaux
types de financements se développent, comme les
partenariats entre le public et le privé. Le musée
d’Histoire des Juifs de Pologne 5, ouvert en 2013,
à Varsovie est l’un des premiers exemples de ce
type de partenariat. Il a bénéficié à la fois de fonds
publics – émanant de la ville de Varsovie et du
ministère polonais de la Culture et du Patrimoine
national – et de fonds privés – provenant de
donateurs et d’institutions internationales soutenant l’Institut historique juif de Pologne.
Enfin, la culture demeure un outil de diplomatie publique, grâce à l’action de l’Institut
Adam-Mickiewicz et du ministère polonais des
Affaires étrangères. En 2014, la célébration des
« 25 ans de liberté » vise ainsi à partager l’expérience polonaise de transition démocratique
avec des pays voisins de l’Union européenne
comme l’Algérie ou l’Ukraine 6.
La culture,
témoignage tangible
d’une réalité en mouvement
Le retour à la liberté en 1989 a renouvelé
les attentes des critiques et du public polonais
à l’égard de la culture. Après avoir pratiqué
pendant des décennies une culture de l’allusion,
ils demandent maintenant des œuvres donnant
un vrai portrait des Polonais et témoignant des
changements politiques et sociaux en cours. Les
jeunes créateurs s’inspirent de l’avant-garde
des années 1960 pour s’opposer à la culture de
masse, incarnée notamment par la télévision ou
les spots publicitaires. Au théâtre, en particulier, la nouvelle génération de metteurs en scène,
comme Warlikowski ou Jarzyna, perpétue un
discours de révolte, dans la veine de Wyspiański,
Mrożek ou Kantor, qui construisaient ainsi le lien
entre les spectateurs et le théâtre de leur époque.
Le théâtre polonais traite dorénavant des
problèmes du quotidien – la crise des valeurs, les
inégalités, le consumérisme, la place des femmes,
le rapport à l’histoire –, ce qui expliquerait
l’engouement des Polonais pour le théâtre, avec
un nombre de représentations en hausse, un public
de plus en plus jeune, fait d’étudiants et de jeunes
professionnels 7, à Cracovie ou à Varsovie mais
aussi à Wałbrzych, à Legnica ou à Bydgoszcz.
Pour transposer cette réalité au théâtre, dans
la littérature ou dans les arts visuels, les artistes
inventent de nouveaux langages. Ils multiplient
les spectacles hors les murs – la pièce Hamlet
mise en scène par Krystian Lupa aux chantiers
navals de Gdańsk en 2004 –, mettent au point de
nouvelles techniques littéraires – poèmes en rap
de Dorota Masłowska, l’enfant terrible des lettres
polonaises 8 –, jouent sur de nouveaux supports
– le livre, objet de l’art de la « Liberatura »,
mouvement littéraire fondé en 1999 – en repoussant parfois à l’extrême l’innovation artistique
– installations d’Artur Żmijewski, performances
de Paweł Althamer.
Outre le théâtre, le reportage et le roman
policier donnent le meilleur aperçu de la société
actuelle 9. Ce sont les catégories littéraires les
plus populaires en Pologne et les reportages
de Ryszard Kapuściński ou d’Andrzej Stasiuk
s’exportent bien. Si le nombre de librairies généralistes décroît, en revanche des librairies spécialisées apparaissent et ne désemplissent pas, à l’instar
de celle consacrée au reportage, Wrzenie Świata
(Le bouillonnement du monde), créée en 2010 à
Varsovie par le journaliste Mariusz Szczygieł.
Fondateur d’un institut et d’une école du reportage
situés à Varsovie, M. Szczygieł s’est démarqué
Roman Pawłowski, « 25 lat teatru w wolnej Polsce. Czy jest
wspólnota ? », Gazeta Wyborcza, 17 avril 2014.
Auteur de Polococktail Party et de Tchatche ou crève, parus
respectivement en 2002 et en 2008 aux Éditions Noir sur Blanc,
Paris.
9
Entretien avec le gérant de la Librairie polonaise à Paris,
13 mai 2014.
7
5
Le musée dispose d’un site Internet (www.jewishmuseum.org.
pl/). Sur ce sujet, voir également la contribution de Jean-Charles
Szurek, p. 72.
6
Entretien avec la directrice de l’Institut polonais à Paris, Joanna
Karasek, le 26 février 2014.
88
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
8
© AFP / Boris Horvat
Une scène de la pièce Kabaret warszawski
de Krzysztof Warlikowski jouée au cours
du 67e Festival d’Avignon en 2013.
dans les années 1980 par la réalisation des premiers
travaux sur la jeunesse gay et lesbienne en Pologne.
Il a remporté un vif succès pour sa série de reportages sur la République tchèque, Gottland (2006).
L’art,
élément de redéfinition
de l’identité polonaise
L’engouement des Polonais pour le théâtre
s’explique aussi par la capacité de cet art à poser
des questions difficiles et à proposer une réflexion
sur les éléments constitutifs de la nation polonaise
actuelle. Essayer de définir à nouveau l’identité culturelle polonaise conduit à redécouvrir le
passé multiculturel de la Pologne, rendu tabou par
le régime communiste. Vers 1890, dans certaines
villes comme Poznań, les Polonais ne représentaient que 38 % de la population, contre 49 %
d’Allemands et 15 % de Juifs. Le metteur en scène
Krzysztof Warlikowski estime ainsi que le chaînon
manquant de l’identité culturelle d’un Polonais
aujourd’hui est la prise de conscience de la vie et
de l’anéantissement des Juifs en Pologne 10.
L’ambition d’une réconciliation avec le
passé communiste stimule aussi la créativité,
notamment en architecture. Les jeunes intervenants du groupe de recherche architecturale et
artistique Centrala 11 de Varsovie travaillent ainsi
à la réinterprétation et à la réactivation de l’architecture de l’ère soviétique. Un ancien kiosque de
gare devient un café branché – café Warszawa
Powiśle, toujours propriété des chemins de fer
polonais –, une brèche entre deux immeubles
devient une résidence d’écrivains – la maison
Keret, la plus étroite du monde. Des campagnes
de sensibilisation sont également menées pour
préserver de la destruction des édifices comme le
monumental palais de la Culture et de la Science
(Pałac Kultury i Nauki, PKiN) de Varsovie, au
nom de leur importance dans la construction de
l’identité moderne polonaise.
Cet ensemble de facteurs contribue à la
spécificité de la culture polonaise contemporaine.
Son renouveau se fait dans la continuité de la
culture d’avant-garde des années 1960, à la différence près que la création s’appuie maintenant sur
une nouvelle forme de publicité. Son dynamisme
pourrait se mesurer à l’aune de la multiplication
des cafés librairies, des festivals, des expositions
et autres rassemblements propices à stimuler des
débats, désormais publics. ■
10
K. Warlikowski, Théâtre écorché, Actes Sud, Arles, 2007.
Peter Kelly, « New Polish Architecture », Blueprint, no 284,
novembre 2009.
11
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
89
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
X Regards sur la culture polonaise
Vers un renouveau
du cinéma polonais
Plusieurs éléments contribuent à expliquer l’intérêt renouvelé que suscite actuellement
le cinéma polonais, comme l’existence d’un
riche patrimoine d’œuvres cinématographiques
connues à l’échelle européenne et mondiale
ou la notoriété de réalisateurs qui ont exercé
une influence bien au-delà des frontières de la
Pologne. Joue également le fait que l’une des
écoles de cinéma les plus réputées d’Europe se
trouve en Pologne, plus précisément à Łódź 1, où
elle vient de fêter son 65e anniversaire et continue
d’accueillir les professionnels et futurs professionnels du septième art venus du monde entier.
L’histoire du cinéma polonais débute vers
la fin du xixe siècle. Avant même la Première
Guerre mondiale, des cinémas existaient déjà dans
plusieurs villes de Pologne – la première salle
fut ouverte à Łódź en 1899 – alors que le pays
était occupé par l’Empire russe, l’Empire austrohongrois et l’Empire allemand. Plusieurs films,
essentiellement documentaires, sont tournés à
cette époque dont certains sont projetés dans
les grandes capitales européennes dès la fin de
la Grande Guerre. La période de l’entre-deuxguerres, avec la libération de la Pologne, voit
ensuite le développement de l’industrie cinématographique à proprement parler.
Un patrimoine retrouvé
Parmi les mouvements les plus connus du
cinéma polonais, la Polska szkoła filmowa (École
polonaise de cinéma) est apparue entre 1955
et 1961. Ce courant s’est focalisé sur l’analyse
des conséquences de la Seconde Guerre mondiale
et celle des mythes et des valeurs qui structurent
1
La fameuse « Filmówka », l’École nationale de cinéma de
Łódź (www.filmschool.lodz.pl/en/), propose des formations aux
métiers du cinéma.
90
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
l’identité natioDorota Szeligowska,
nale polonaise.
doctorante en théorie politique
Parmi les réalià l’université d’Europe centrale
sateurs les plus
de Budapest.
connus, citons
Andrzej Wajda
– avec Kanał
(Ils aimaient la vie) en 1956, Popiół i diament
(Cendres et diamant) en 1958 –, Andrzej Munk
– avec Eroica en 1957, Zezowate szczęście (De la
veine à revendre) en 1959 –, Tadeusz Konwicki
– Ostatni dzień lata [Le dernier jour de l’été]
en 1958 – ou Kazimierz Kutz – Ludzie z pociągu
(Panique dans un train) en 1961. Nés dans les
années 1920, les réalisateurs de cette école ont
développé des approches psychologiques et
existentielles, en s’éloignant des principes du
réalisme socialiste pour s’inspirer du néoréalisme italien.
Né entre 1976 et 1981, le Kino moralnego niepokoju (le Cinéma de l’inquiétude
morale) a quant à lui proposé des films qui
analysaient les problèmes sociaux et politiques
de l’époque. On peut citer parmi les réalisateurs
de ce courant Feliks Falk – Wodzirej [Meneur
de jeu] en 1978 –, Agnieszka Holland – Kobieta
samotna (Une femme seule) en 1981 –,
Krzysztof Kieślowski – Przypadek (Le
Hasard) en 1981 –, de nouveau Andrzej Wajda
– Człowiek z marmuru (L’Homme de marbre)
en 1977 – ou Krzysztof Zanussi – Barwy
ochronne (Camouflage) en 1976).
Les réalisateurs de ces deux courants
ont eu en commun de chercher de nouveaux
moyens d’expression pour contourner la censure
alors en vigueur. Ils ont tenté de rendre compte
de la grande diversité des attitudes adoptées
par les individus face à la réalité communiste,
certains la contestant, d’autres y adhérant
Un cinéma populaire
Extrêmement populaire pendant la
période communiste, le cinéma polonais a vu
le nombre de ses spectateurs considérablement
fluctuer durant la dernière décennie. En 2013,
36 millions d’entrées ont été recensées dans
un pays comptant 38,5 millions d’habitants,
soit moins d’une sortie au cinéma par an et par
habitant, le chiffre le plus bas depuis 2008. Pour
autant, la première partie de la décennie avait vu
© AFP / Janek Skarzynski
sans réserve. Parmi les représentants de ces
écoles, plusieurs sont devenus célèbres de
l’autre côté du Rideau de fer, notamment en
France, un pays avec lequel certains ont entretenu des liens très étroits : Roman Polański
(né en 1933), Agnieszka Holland (née
en 1948), Krzysztof Kieślowski (19411996), Jerzy Skolimowski (né en 1938),
Andrzej Żuławski (né en 1940) ou
Andrzej Wajda (né en 1926).
La restauration et la diffusion des films
de cette période doivent beaucoup à Filmoteka
Narodowa (les Archives nationales du film),
et son programme KinoRP. Créé en 2008, ce
programme a contribué à la restauration de
plus de 140 longs métrages, films d’animation ou documentaires. Le fruit de ce travail est
dorénavant non seulement présenté dans des
cinémas d’art et d’essai en Pologne, tels que
Kino Kultura ou Iluzjon à Varsovie, mais aussi
à l’étranger.
Un festival de cinéma polonais, Martin
Scorsese Presents : Masterpieces of Polish
Cinema, a notamment été lancé aux ÉtatsUnis et au Canada en février 2014. Vingt et un
films récemment restaurés y ont été présentés
dans plus de 30 salles. Les films à l’affiche
incluent des œuvres d’Andrzej Wajda, de
Jerzy Kawalerowicz, d’Aleksander Ford, de
Krzysztof Kieślowski, de Krzysztof Zanussi,
d’Andrzej Munk, de Wojciech Has, de
Tadeusz Konwicki et de Janusz Morgenstern.
De nombreux événements ont accompagné
l’ouverture de ce festival à New York – exposition d’affiches originales, conférences à l’université de New York, etc.
Un spectateur contemple l’affiche du film
L’Insurrection de Varsovie de Jan Komasa (2014).
Restaurées et colorisées, les images de ce longmétrage proviennent de films d’actualités tournés en
1944 pour le compte de l’Armée polonaise intérieure.
des chiffres encore plus faibles, avec 24 millions
d’entrées en 2005 notamment 2.
La proportion de spectateurs qui vont
voir des films polonais augmente néanmoins.
En 2012, sur les 38 millions d’entrées,
6,2 millions concernaient un film polonais,
dont la moitié concentrée sur deux films : Jesteś Bogiem [Tu es Dieu] 3 de Leszek Dawid consacré
aux rappeurs du groupe Paktofonika (1,5 million
de spectateurs) et W ciemności (Sous la ville)
d’Agnieszka Holland (1,2 million). En 2013,
sur les 36 millions d’entrées, 7,3 concernaient
un film polonais. Le film Drogówka [Police
routière] de Wojciech Smarzowski est arrivé
en tête avec 1,1 million de spectateurs, suivi
par Wałęsa, człowiek z nadziei (L’Homme du peuple) d’Andrzej Wajda, avec près d’un million
de spectateurs également. L’époque où les
comédies romantiques, de qualité très variable,
généraient le plus de profit au box-office semble
donc désormais révolue. Le nombre de produc2
Polski Instytut Sztuki Filmowej (www.pisf.pl/pl/
kinematografia/rynek-filmowy/widzowie).
3
On trouvera plus d’informations sur ces différents films en consultant des portails Internet spécialisés, le plus souvent uniquement
en polonais, comme www.stopklatka.pl et www.filmpolski.pl. Ce
dernier site, géré par l’École nationale de cinéma de Łódź, offre
également un accès libre à une centaine d’études réalisées par des
étudiants.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
91
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
tions polonaises croît également : 36 en 2012
et 43 en 2013 4.
Plusieurs festivals structurent l’année
cinématographique en Pologne. Le plus important d’entre eux est le Gdynia Film Festival,
organisé chaque année depuis 1974 en
septembre. Un public plus spécialisé s’intéresse
également au festival annuel de l’art de la photographie de cinéma, Camerimage, créé en 1993 et
établi actuellement à Bydgoszcz, après avoir été
précédemment organisé à Toruń ou à Łódź.
D’autres événements ont également acquis
une bonne renommée : le OFF Plus Camera
Festival organisé à Cracovie en mai, le Krakowski
Festiwal Filmowy [Festival du film de Cracovie]
qui se déroule fin mai et est consacré aux courts
métrages, aux documentaires et aux films d’animation, le T-Mobile Nowe Horyzonty, organisé
à Wrocław en juillet et axé sur la promotion des
coopérations et des échanges avec les distributeurs internationaux, ou le Warsaw Film Festival,
qui se tient en octobre à Varsovie et fait la promotion de films qui ne sont pas sortis en salle en
Pologne. Enfin, le festival Młodzi i film [Les
jeunes et le cinéma] est organisé à Koszalin en
juin pour promouvoir les films de la génération
émergente des cinéastes polonais.
Un miroir des évolutions
de la société polonaise
Le renouveau cinématographique polonais
est évident si l’on s’intéresse aux thèmes
abordés depuis quelques années. Les films
récents proposent dorénavant une réflexion
approfondie sur de nombreuses thématiques
historiques, politiques, culturelles ou sociales
qui reflètent les préoccupations de la société
postcommuniste en transition. Récemment on
a pu observer une vague de reflux des grandes
fresques historiques 5, mais le cru 2014 pourrait
toutefois temporairement inverser cette tendance
du fait des commémorations du 75e anniversaire
4
Chiffres de Magazyn Filmowy SPF, 2012-2014 (www.sfp.pl/
magazyn_filmowy_sfp).
5
Tels que Quo vadis de Jerzy Kawalerowicz (2001) ou Katyń
d’Andrzej Wajda (2007).
92
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
du début de la Seconde Guerre mondiale et du
70e anniversaire de l’insurrection de Varsovie 6.
La sélection des films du Gdynia Film
Festival 2013 illustre bien ces évolutions. Les
œuvres présentées ont montré qu’un changement générationnel était en train de s’opérer. Une
grande partie des films ayant suscité l’intérêt et
l’adhésion de la critique a été le fait de réalisateurs quadragénaires ou débutants, pour certains
dotés de petits budgets.
De plus en plus de ces films d’art et d’essai
traitent de « l’Autre » ou des fléaux sociaux
auxquels la jeune société démocratique polonaise
se voit confrontée. Cet « Autre » peut prendre
différents visages, que ce soit celui de la communauté Rom au début du xxe siècle – Papusza
de Joanna Kos-Krauze et Krzysztof Krauze –,
ou du prêtre qui tombe amoureux d’un jeune
clerc – W imię… (Aime et fais ce que tu veux)
de Małgorzata Szumowska –, en passant par
celui d’un jeune homme qui découvre son
homosexualité et est confronté à la discrimination – Płynące wieżowce (Ligne d’eau) de
Tomasz Wasilewski –, ou encore des handicapés
qui se battent pour une vie plus digne – Chce
się żyć (La Vie est belle) de Maciej Pieprzyca
ou Imagine d’Andrzej Jakimowski. La situation des mères adolescentes – Bejbi blues de
Katarzyna Rosłaniec –, la corruption dans la
police – Drogówka – ou le harcèlement sexuel qui
détruit la vie d’un jeune couple – Miłość [Amour]
de Sławomir Fabicki – figurent parmi les sujets
désormais abordés par le cinéma polonais.
Le plus souvent, les nouveaux réalisateurs rejettent l’étiquette de cinéma socialement « engagé » que l’on tente de leur
attribuer. Pour Tomasz Wasilewski, réalisateur
de Płynące wieżowce (Ligne d’eau), le cinéma
engagé impose un type de message normatif
à éviter 7. Paweł Pawlikowski, le réalisateur du
très apprécié Ida, a également suggéré que les
6
De nombreux films historiques sont annoncés en salles en 2014,
dont Kamienie na szaniec [Des pierres sur le rempart] de Robert
Gliński (adaptation d’un roman d’Aleksander Kamiński), ou
Powstanie Warszawskie [L’insurrection de Varsovie] de Jan
Komasa.
7
Interview avec Tomasz Wasilewski, publiée dans Magazyn
Filmowy SFP, no 28, 2013, p. 58 (www.sfp.pl/magazyn,75,8c563
5a8fa30329e7136cdd50b556f49,pdf.html).
films engagés s’accompagnaient de l’utilisation
de stéréotypes qui affadissent la réflexion 8. Il
estime qu’une expression artistique doit être plus
complexe et plus universelle, qu’elle ne doit pas
succomber aux modes.
Ida : un débat polonais
contemporain
Sorti en 2013, le film Ida de Paweł
Pawlikowski traite des difficiles relations
polono-juives pendant et après la Seconde Guerre
mondiale. Bien qu’il ait reçu plusieurs prix Orły
décernés par l’Académie polonaise de cinéma,
il n’a pas séduit un public très large en Pologne
au moment de sa sortie. Suite à sa sélection dans
plusieurs festivals internationaux et grâce à la
renommée de son réalisateur à l’étranger, le film
a toutefois rencontré un certain succès dans de
nombreux pays européens, notamment en France
et en Belgique, et même aux États-Unis.
Alors que son esthétique « rétro » – le film
est en noir et blanc – a reçu un accueil unanime,
sa lecture des relations judéo-polonaises et
l’utilisation du thème des « bons » et des
« mauvais », tant Polonais que Juifs, ont divisé
non seulement la critique mais aussi les intellectuels polonais. Bon nombre de critiques ont
vanté l’équilibre avec lequel l’auteur avait traité
son sujet, mais plusieurs intellectuels, surtout
au sein de la presse libérale et de gauche, lui
ont reproché d’être trop modéré dans son traitement de ce sujet épineux et de faire un pas en
arrière dans la discussion. C’était le cas des
articles publiés sur le site de gauche Krytyka
Polityczna par l’historien Piotr Forecki ou l’écrivaine Agnieszka Graff.
Effectivement, depuis une bonne dizaine
d’années, la question des relations entre les
Interview avec Paweł Pawlikowski, publiée dans Magazyn
Filmowy SFP, no 28, 2013, p. 62.
8
Juifs et les Polonais pendant et après la Seconde
Guerre mondiale constitue l’un des thèmes
les plus sensibles du débat public 9. La publication de plusieurs ouvrages de l’historien
Jan Tomasz Gross s’est notamment accompagnée de violentes polémiques. Paru en 2000, Les
Voisins (Sąsiedzi) 10 fait le récit du massacre par
les Polonais de leurs voisins juifs dans le village
de Jedwabne, en juillet 1941, juste après le retrait
des Soviétiques et avant que le village ne tombe
aux mains de l’armée allemande. L’ouvrage a
mis au défi l’auto-perception des Polonais, qui se
voyaient jusque-là comme victimes de la guerre
et non comme bourreaux de leurs voisins juifs.
De virulents débats ont aussi eu lieu autour
du pogrom de Kielce en 1946 et de la spoliation
des biens des Juifs par les Polonais pendant et
après la guerre, au cœur des ouvrages Strach
(La Peur) et Złote żniwa (Moisson d’or) publiés
en 2008 et en 2011. Parce que le film Ida n’offre
pas d’interprétation unique et que le réalisateur
laisse au spectateur la possibilité de se faire sa
propre opinion, le débat qu’il suscite s’inscrit dans les nouveaux conflits de mémoire qui
structurent l’espace public polonais.
●●●
Même si le cinéma polonais n'occupe pas
le devant de la scène internationale, les dernières
années donnent des raisons de cultiver un certain
optimisme quant à son avenir. Le nombre de
films produits augmente, et des liens avec les
distributeurs internationaux commencent à se
développer comme le montre la présence croissante de films polonais sur les grands écrans
d’autres pays européens. Pour autant, proclamer
la naissance d’une nouvelle école polonaise de
cinéma reste encore prématuré. ■
9
Sur ce sujet, voir les contributions de Georges Mink et de
Jean-Charles Szurek dans le présent dossier.
10
Jan T. Gross, Les Voisins. 10 juillet 1941. Un massacre de Juifs
en Pologne, Fayard, Paris, 2002.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
93
DOSSIER
La Pologne au cœur de l’Europe
➜ FOCUS
© Wikicommons / Mohylek
La place de l’Église catholique en Pologne
Haut de 36 mètres, le Christ-Roi de Swiebodzin dans l’ouest de la Pologne,
achevé en 2010, est la plus haute statue de Jésus-Christ au monde. Avec
près de 87 % de catholiques déclarés et un taux de pratique supérieur à
40 %, la Pologne est l’un des pays les plus religieux d’Europe.
L’Église a joué un rôle considérable dans la
chute du régime communiste en Pologne.
Cependant, la transition démocratique a
remis en cause sa place, tant à l’égard de
l’État que de la société. Tourné jusqu’alors
vers la libération de la nation polonaise, le
discours de l’Église s’est désormais en partie
transformé en un discours d’exclusion et de
repli. L’écrivain Witold Gombrowicz mettait
déjà en garde dans les années 1960 contre
le recours à la tradition religieuse catholique
dans la lutte contre le communisme, en
soulignant qu’il était vain de remplacer une
utopie par une autre.
94
Aujourd’hui, les rapports entre l’Église
catholique polonaise et l’État se fondent
sur le Concordat du 28 juillet 1993. Ratifié
en 1998, cet accord a fait l’objet en Pologne
d’intenses débats portant tant sur son
opportunité que sur son contenu. Il s’agit du
premier concordat de ce type conclu entre
un État postcommuniste d’Europe centrale
et le Saint-Siège. Il établit l’autonomie et
l’indépendance de l’Église et de l’État. Le
clergé polonais a néanmoins plusieurs fois
outrepassé ce principe d’indépendance,
n’hésitant pas par exemple à intervenir
directement auprès du Conseil des ministres
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
pour insérer dans le droit primaire de
l’Union européenne des références à Dieu
et aux racines chrétiennes de l’Europe.
L’engagement politique des prêtres polonais
suscite également la controverse. En 2006,
le pape Benoît XVI avait ainsi dénoncé
les dérives de certains médias comme la
radio catholique intégriste Radio Maryja.
Le primat de Pologne, le cardinal Józef
Glemp (1929-2013), avait alors condamné
de manière virulente cette radio pour ses
dérapages antisémites et xénophobes.
Face au renforcement du courant catholique
ultraconservateur en Pologne depuis les
années 1990, certains appellent au renouveau du courant du « catholicisme ouvert »
de Tadeusz Mazowiecki (1927-2013) et de
Jerzy Turowicz (1912-1999) – rédacteur
en chef de la revue Tygodnik Powszechny
[l’hebdomadaire universel] – qui soulignaient l’importance de l’ouverture de
l’Église catholique au monde.
Cette demande d’ouverture s’accompagne
d’une certaine baisse de l’influence sociale
de l’Église, constatable en particulier auprès
des jeunes et dans les zones urbaines. Si 90 %
des jeunes s’affirmaient croyants dans les
années 1980, ils n’étaient plus que 60 % au
début des années 2000. Certains attribuent
cette diminution à une prise de distance de
la société à l’égard de la sphère publique
et de l’autorité en général. D’autres voient
dans le rejet du modèle culturel catholique
une « crise d’adolescence » mêlant refus
des anciens modèles et recherche tâtonnante de nouveaux cadres. En tout état de
cause, la société a considérablement évolué
entre les années 1990 et 2010 : alors qu’aucune critique de l’Église n’était auparavant
admise, l’idée d’une laïcisation de l’espace
public s’impose désormais.
Anna Rochacka-Cherner *
* Fonctionnaire de l’administration centrale
française. Diplômée de Sciences Po Paris (Affaires
internationales), elle a travaillé avec le ministère
polonais des Affaires étrangères (en 2005) et
l’Institut culturel polonais de Budapest (en 2004).
Pour en savoir plus sur la Pologne
Ouvrages
● François Bafoil (dir.), La Pologne, CERI,
Fayard, Paris, 2007
François Bafoil, Europe centrale
et orientale. Mondialisation,
européanisation et changement social,
Presses de Sciences Po, Paris, 2006
●
Daniel Beauvois, La Pologne. Histoire,
société, culture, La Martinière, Paris, 2004
●
● Adam Michnik, La Deuxième
Révolution, La Découverte, Paris, 1990
Czeslaw Milosz :
– Une autre Europe, Gallimard, Paris, 1964
– La Pensée captive. Essai sur les logocraties
populaires, Gallimard, Paris, 1953
●
Henri Minczeles, Une histoire des Juifs
de Pologne. Religion, culture, politique,
La Découverte, Paris, 2006
●
Delphine Bechtel, Évelyne Patlagean,
Jean-Charles Szurek et Paul Zawadzki
(dir.), Écriture de l’histoire et identité juive.
L’Europe ashkénaze. XIXe-XXe siècle, Les Belles
Lettres, Paris, 2003
● Georges Mink et Pascal Bonnard
(dir.), Le Passé au présent. Gisements
mémoriels et actions historicisantes
en Europe centrale et orientale, Michel
Houdiard Éditeur, Paris, 2010
Pierre Buhler, Histoire de la Pologne
communiste. Autopsie d’une imposture, coll.
« Hommes et sociétés », Karthala, Paris, 1997
Georges Mink, Marc Lazar et
Mariusz J. Sielski (dir.), 1956, une date
européenne, Les Éditions Noir sur Blanc,
Lausanne, 2010
●
●
● Norman Davies :
– God’s Playground : A History of Poland
in Two Volumes, Oxford University Press,
New York, Oxford, 2e éd., 2005
– Histoire de la Pologne, Fayard, Paris, 1986
● Jean-François Drevet, Histoire de la
politique régionale de l’Union européenne,
Belin, Paris, 2008
Zinaïda Erard (pseud. Ewa Bérard) et
G.M. Zygier (pseud. Georges Mink) (dir.),
La Pologne : une société en dissidence,
« Cahiers libres », no 338, Maspero, Paris, 1978
●
● Bronisław Geremek et
Juan Carlos Vidal, L’Historien et le
politique. Entretiens avec Bronisław Geremek,
Les Éditions Noir sur Blanc, Lausanne, 1999
● Jan Tomasz Gross :
– Les Voisins. 10 juillet 1941. Un massacre de
Juifs en Pologne, Fayard, Paris, 2002
– Moisson d’or. Le pillage des biens juifs,
coédition Mémorial de la Shoah et Calmann
Lévy, Paris, 2014
● Gilles Lepesant, Géographie
économique de l’Europe centrale.
Recomposition et européanisation des
territoires, Presses de Sciences Po, Paris, 2011
Kerry Longhurst et Marcin Zaborowski,
The New Atlanticist. Poland’s Foreign and
Security Policy Priorities, Chatham House/
Blackwell Publishing, Londres, 2007
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Claude Martin (dir.),
Pologne 1989-2004. La longue marche.
D’un système centralisé à l’intégration
dans l’UE, L’Harmattan, Paris, 2005
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● Georges Mink et Laure Neumayer
(dir.) :
– History, Memory and Politics in Central
and Eastern Europe, Palgrave Macmillan,
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– L’Europe et ses passés douloureux,
coll. « Recherches », La Découverte,
Paris, 2007
Georges Mink :
– La Force ou la raison. Histoire sociale
et politique de la Pologne (1980-1989),
La Découverte, Paris, 1989
– Vie et Mort du bloc soviétique, Casterman,
Paris, 1997, rééd. 2007
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Gebert, « Why Poland is the new
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17 octobre 2012
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Stéphane Portet, « Droits reproductifs
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hors-série, février 2012, p. 139-160
Kerry Longhurst et
Marcin Zaborowski, « America’s
protégé in the East? The Emergence
of Poland as a Regional Leader »,
International Affairs, vol. 79, no 5,
octobre 2003, p. 1009-1028
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Cédric Pellen, « Des difficultés d’entrer
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dans la Pologne postcommuniste », Critique
internationale, no 58, janvier-mars 2013,
p. 133-152
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Commentaire, vol. 35, no 138, été 2012,
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1848-1914, Belin, Paris, 2002
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politique de la réforme. Retraites, emplois et
déréglementation dans dix pays de l’OCDE,
OCDE, Paris, 2010
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Le Courrier de Pologne
www.courrierpologne.fr
Regard sur l’Est
www.regard-est.com
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● Institut polonais
www.institutpolonais.fr
demosEUROPA
www.demoseuropa.eu
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Articles
David Cadier, « Après le retour à
l’Europe : convergences et contrastes dans
les politiques étrangères des pays d’Europe
centrale », Politique étrangère, no 3,
septembre 2012, p. 573-584.
●
Revues et sites Internet
● Polish Institute
of International Affairs
www.pism.pl/en
Institut occidental de Poznań
www.iz.poznan.pl
●
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
95
Chronique d’ACTUALITÉ
ÉCONOMIQUE
Les « Chroniques d’actualité » ont pour vocation d’ajouter une dimension
plus personnelle et subjective au didactisme volontaire de la revue.
Questions internationales espère ainsi accroître son intérêt et rester fidèle
à son objectif : contribuer à la connaissance comme à l’intelligence
des relations internationales par le public francophone. Les opinions
exprimées par les auteurs relèvent de leur seule appréciation.
> Le sport professionnel,
un enjeu politique et économique
en « trompe-l’œil »
De nos jours, le
sport professionnel
occupe une place
professeur émérite.
d’avant-garde dans
le processus de la
mondialisation économique. Il est un outil de
communication puissant utilisé par le couple
État-marché en même temps que l’expression
« impressionniste » d’une collectivité imaginaire de millions d’êtres, apparentée à une
équipe d’individus solidaires dans un combat
pour la victoire.
Jacques Fontanel,
Le primat des intérêts
économiques et financiers ?
Les équipes sportives représentent des
collectivités publiques ou des entreprises
auxquelles elles apportent une image magnifiée en cas de succès. Les résultats produisent
des scènes de liesse et de fraternité, couplées
à l’expression de violences nationalistes ou
régionalistes ainsi qu’à des situations d’hystérie
collective parfois difficilement contrôlables par
les pouvoirs publics. Pourtant, la composition
effective des équipes n’est plus fondée sur les
valeurs éducatives locales ou nationales, elle
dépend d’abord de la capacité d’attraction,
notamment financière, des meilleurs joueurs
par les équipes.
96
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Celles-ci sont désormais constituées sur
la base de compétences réunies sans aucune
référence aux nationalités des joueurs, comme
pourrait l’être une entreprise idéale capable
d’attirer les meilleurs talents quelles que soient
leurs origines éducatives, nationales, confessionnelles ou politiques. La victoire est plus importante que la rentabilité, preuve s’il en est que le
sport est d’abord une vitrine et un vecteur de
communication, en trompe-l’œil, des acteurs
principaux de la mondialisation.
Le sport comprend sept acteurs hétérogènes : les organismes sportifs – Fédération internationale de football association (FIFA), Comité
international olympique (CIO), etc. –, les collectivités publiques – organisations internationales,
États, collectivités locales –, le marché – ouvert
aux capitaux et aux compétences internationales –, les médias, les spectateurs, les sponsors
et les sportifs 1. Échappant en grande partie aux
interventions des pouvoirs publics nationaux, les
équipes obéissent désormais aux lois du marché.
Les grandes compétitions de sport, comme la
Coupe du monde de football et les Jeux olympiques,
ont une portée universelle. Leur rayonnement s’appuie
sur les messages publicitaires des grandes marques
qui parrainent ces événements. De ce fait, ces derniers
Voir le dossier spécial de Questions internationales, « Le sport
dans la mondialisation », no 44, juillet-août 2010.
1
L e spo r t p r of es s ion n el, un en jeu p o l i t i q u e e t é c o n o m i q u e e n « t ro m p e - l ’ œ i l »
sont devenus les otages des intérêts des firmes multinationales et des médias. Ils valorisent l’idée de la
mondialisation économique couplée, contradictoirement, avec certains relents rentables du nationalisme.
Les valeurs de solidarité et de tolérance
traditionnellement véhiculées par le sport sont
dorénavant supplantées par les intérêts financiers et médiatiques qui exigent du spectacle
et des records. Ce faisant, les grandes compétitions de sport favorisent le recours, officiellement combattu, au dopage organisé, à certaines
formes de corruption, mais aussi aux recherches
poussées dans les domaines technologiques et
biomécaniques. Comme pour toutes les activités
économiques, les investisseurs doivent minimiser
les risques et maximiser les profits.
Un instrument de puissance
et de légitimation des États
Prétendre que le sport a perdu une part de ses
objectifs politiques au détriment des seuls intérêts
économiques et financiers est pourtant réducteur. Pour les États, l’importance politique de
ces grandes manifestations reste essentielle. Les
pays émergents membres du groupe des BRICS
(Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud)
ont ainsi validé leur statut de nouvelles puissances
en organisant de grands événements à portée
mondiale : les Jeux olympiques de Pékin (2008),
Sotchi (2014) et Rio de Janeiro (2016), la Coupe
du monde de football en Afrique du Sud (2010), au
Brésil (2014) puis en Russie (2018). La désignation de ces États pour abriter ces compétitions
s’apparente pour eux à une forme de consécration.
Aujourd’hui, le monde du sport est agité
par plusieurs débats qui soulignent l’ambivalence des valeurs qui l’animent.
● Le choix du Qatar pour organiser la Coupe
du monde de football en 2022 ne peut, d’un point
de vue sportif, qu’étonner. Avec moins de deux
millions d’habitants et une superficie équivalant à
un grand département français, le Qatar ne dispose
pas de la population d’une ville olympique. Il
ne peut en outre se prévaloir d’aucune tradition sportive significative. Le pays s’est engagé à
construire dix stades, montés et démontés spécialement pour l’occasion, qui seront ensuite offerts
aux pays en développement en manque d’infrastructures sportives. La chaleur accablante qui
règne au Qatar n’a pas été un élément pris en
compte au moment de la décision. De même,
un certain nombre de questions – notamment la
place des femmes et des étrangers dans la société
qatarie, les possibles incursions terroristes dans
cette région conflictuelle ou le respect des règles
démocratiques – ont été soigneusement évitées
au moment des négociations. Toutes ces interrogations n’empêcheront pas la FIFA d’empocher
des revenus substantiels, notamment en vendant
les droits de retransmission télévisuels des matchs.
Pourtant, dès le départ, la compétition est financée
à perte par le Qatar, ce qui n’est pas conforme aux
règles de fair play imposées aux clubs.
● Autre sujet de polémique, le président de l’Union
des associations européennes de football (UEFA),
Michel Platini, a appelé à ce que les contestations
sociales cessent au Brésil avant et pendant la durée
de la Coupe du monde afin que la fête ne soit pas
gâchée. Des sommes importantes ont été dépensées pour son organisation, dans un pays aux
revenus encore très inégalitaires et où la violence
collective est le fruit de la pauvreté et de la misère.
Pour M. Platini, le football n’a que faire de ces
contingences sociales, il s’agit d’un événement
planétaire qui permet de témoigner de la passion
qu’engendre ce sport, de montrer la beauté du
Brésil et de rendre hommage à une Coupe du
monde organisée pour faire plaisir aux Brésiliens.
Les habitants des bidonvilles ne pourront certes
pas assister aux matchs, mais il leur est dénié le
droit de manifester face à l’importance planétaire
que représente la Coupe du monde. C’est oublier
un peu vite que, en termes de coûts d’opportunité,
les dépenses engagées pour l’organisation de cette
manifestation sportive auraient pu être utilisées à
d’autres fins, en particulier au renforcement de la
démocratie ou à la lutte contre la pauvreté.
● Enfin, les clubs les plus en vue appartiennent
souvent à des détenteurs de fortunes dont l’origine est discutable, notamment en Russie, en
Chine ou dans les pétromonarchies. Le sport
professionnel sert désormais incontestablement
à blanchir certains revenus. En outre, le montant
des transferts de joueurs et les revenus des stars du
football – plus de 36 millions d’euros chacun pour
Lionel Messi et Cristiano Ronaldo – permettent de
justifier les salaires élevés des dirigeants d’entreprise dans le contexte de la compétition internationale, a fortiori en situation de crise. ■
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
97
Questions EUROPÉENNES
La présidence grecque
de l’Union européenne :
entre réhabilitation
et singularité
Renaud Dorlhiac *
* Renaud Dorlhiac
est responsable « Balkans » à la
Délégation aux affaires stratégiques
La présidence de l’Union européenne assurée par la
Grèce durant le premier semestre 2014 est intervenue dans
associé du pôle « Balkans » de l’École
des hautes études en sciences sociales
un contexte très différent de sa précédente expérience
(EHESS).
en 2003. L’essoufflement de l’élargissement depuis la vague
de 2004-2007 et l’impact de la crise économique et financière
de 2008 ont fragilisé un modèle qui jouissait d’un soutien fervent dans
le pays. Jusqu’alors, la Grèce était présentée, tant d’un point de vue
mythologique que culturel 1, comme le fondement de cette Europe dont
l’essence et les contours sont désormais remis en cause. Cette conviction
fortement ancrée dans la société grecque explique la violence du
choc ressenti depuis 2008 face à l’intervention des bailleurs de fonds
internationaux et au retour, en Europe, des stéréotypes vivaces
et vexatoires sur les particularismes du Nord et du Sud.
du ministère de la Défense et membre
Au-delà de la dimension économique et
financière de la crise dont elle entend gommer
les effets les plus brutaux, la Grèce a conçu sa
présidence de l’Union européenne comme une
réelle chance de réhabilitation, alors que les
premiers signaux économiques encourageants
se dessinent après six années particulièrement
rudes. L’exercice a été d’autant moins aisé
qu’il s’est déroulé dans un calendrier électoral
chargé – échéances européennes et municiLa démocratie politique a vu le jour à Athènes à la fin du
VIe siècle av. J.-C., tandis que Zeus aurait ramené dans nos
contrées la princesse phénicienne Europe.
1
98
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
pales –, peu propice à la prise de décisions
importantes – renouvellement de la Commission
européenne –, et dans un contexte international
qui en fragilisait certains des objectifs.
Une réhabilitation
à mots couverts
Le sursaut économique et financier
Le succès du retour de la Grèce sur les
marchés financiers, le 10 avril 2014, quatre ans
après en avoir été écartée, a montré le regain
L a présiden c e g r ec q ue d e l’U n ion eur op é e n n e : e n t re ré h a b i l i t a t i o n e t s i n g u l a ri t é
de confiance des investisseurs internationaux à
l’égard du pays. Un tel engouement aurait été
inconcevable sans l’appui, dès mai 2010, des
autorités grecques au vaste programme d’assainissement budgétaire et de réformes structurelles
élaboré avec le soutien technique et financier
d’une troïka réunissant l’Union européenne, la
Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds
monétaire international (FMI) 2.
Les mesures préconisées pour assurer
la pérennité des finances publiques – réforme
profonde des systèmes de retraite et de santé,
renforcement de l’efficacité de l’administration
fiscale… – et l’amélioration de la compétitivité
du pays ont permis à la Grèce d’enregistrer des
progrès et de modifier son image en profondeur. L’effet combiné des différentes mesures a
notamment permis de réduire drastiquement le
déficit budgétaire et de ramener à l’équilibre le
déficit extérieur 3.
Pour autant, la situation reste fragile, essentiellement en raison d’une dette publique exorbitante qui rend négligeable l’excédent budgétaire
dégagé par le pays en 2013. Alors que depuis
l’entrée en récession à la fin de l’année 2008 le
PIB s’est contracté d’un quart, la dette publique
n’a cessé de croître pour atteindre 175 % de
celui-ci en 2013. Les réformes structurelles
ont également eu un coût social élevé, avec un
taux de chômage officiel estimé à 28 % et une
pauvreté qui frappe dorénavant un cinquième de
la population.
Dans ces conditions, le retour de la Grèce
sur les marchés financiers a été avant tout perçu
par de nombreux observateurs comme une
opération de communication publique entreprise
à l’approche des élections européennes et de
nouvelles élections législatives anticipées.
La manne énergétique
Les dirigeants grecs sont bien conscients du
fait que l’empressement de l’Union européenne
au chevet du pays aurait sans doute été plus
Une Task Force internationale a été constituée en 2011 pour
aider le gouvernement grec à mettre en œuvre des mesures aussi
ambitieuses que complexes.
3
Entre 2009 et 2012, le déficit budgétaire est passé de 15 % à 9 %
du PIB, tandis que le déficit extérieur a été réduit de 10 % à près
de 0 % du PIB.
spontané si la Grèce avait davantage pesé dans
les questions stratégiques européennes. De fait,
la solidarité péniblement acquise le fut davantage par crainte des conséquences en chaîne de la
crise grecque sur d’autres États membres fragiles
(Espagne, Italie…) que par compassion pour le
pays lui-même. Les efforts déployés par la Grèce
pour s’affirmer en tant que nœud d’approvisionnement énergétique vers l’Europe occidentale obéissent donc à une volonté de renforcer le
positionnement stratégique du pays, même s’ils
répondent aussi à des enjeux intérieurs.
Depuis les importantes découvertes de
gisements gaziers en Méditerranée orientale,
les autorités grecques fondent de sérieux espoirs
dans les prospections sismiques menées au large
de l’Épire ou de la Crète. Les premiers résultats
sont prometteurs. En août 2013, la Grèce a signé
avec la république de Chypre et Israël un protocole d’accord trilatéral de coopération dans les
domaines de l’eau et de l’énergie qui prévoit des
exportations vers l’Europe 4. Les efforts déployés
par Athènes pour rallier Bruxelles au concept
de zone économique exclusive européenne et
convaincre l’Union européenne de soutenir sa
revendication de procéder à la délimitation des
eaux territoriales en Méditerranée orientale, au
motif qu’elle bénéficiera à l’approvisionnement
énergétique communautaire, semble montrer que
la Grèce entend devenir un acteur énergétique
européen à part entière.
Cette stratégie a trouvé une première
traduction concrète avec la signature, en
juin 2013, de l’accord de participation au Trans
Adriatic Pipeline (TAP). Destiné à évacuer le
gaz azerbaïdjanais de la mer Caspienne vers
l’Europe occidentale en traversant la Turquie,
le nord de la Grèce et l’Albanie, ce projet a été
préféré par le consortium Shah Deniz (réunissant
notamment BP, StatoilHydro, Total) au projet
Nabucco qui aurait dû relier l’Iran et les pays de
la Transcaucasie à l’Europe centrale. La Grèce
ne peut voir que d’un bon œil l’enlisement de ce
projet dont elle ne faisait pas partie, alors que le
2
En mars 2014, la Grèce a lancé un appel d’offres international sur la faisabilité et la viabilité d’un gazoduc sous-marin
dénommé Eastmed reliant les champs gaziers au Péloponnèse en
passant par la Crète.
4
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
99
Questions EUROPÉENNES
projet TAP est entré dans une phase de réalisation concrète depuis plusieurs mois.
Athènes semble ne plus accorder non plus
beaucoup de crédit au projet russe de construction d’un oléoduc reliant le port bulgare de
Burgas sur la mer Noire à celui d’Alexandroupolis en mer Égée, en contournant les détroits.
Si le sujet est encore évoqué dans les rencontres
bilatérales, il reste à l’état de projet, à l’instar du
projet de raccordement de la Grèce au gazoduc
South Stream, auquel Bruxelles s’oppose, tout
particulièrement depuis que la crise ukrainienne
s’est envenimée 5.
Dans ce contexte, les Balkans, la
Méditerranée orientale et la Turquie continuent
de jouer un rôle majeur dans la définition des
priorités stratégiques du pays.
Une stratégie à découvert
Le viatique méditerranéen
Ainsi qu’en témoigne son engouement initial
en faveur de l’Union pour la Méditerranée (UpM),
la Grèce met un point d’honneur à penser globalement l’espace méditerranéen 6. Ses réticences
à l’égard des forums opérant un cloisonnement
strict de cet espace s’expliquent avant tout par sa
crainte d’y être marginalisée. Plusieurs formes
de régionalisation trouvent néanmoins grâce aux
yeux d’Athènes dès lors qu’elles associent le pays
à leurs projets – ainsi de l’Initiative adriatique
ionienne et de l’Organisation de la coopération
économique de la mer Noire.
Dans l’esprit des autorités grecques, l’élaboration de la stratégie de sûreté maritime de
l’Union européenne (SSMUE) durant la présidence grecque de l’Union représente une chance
d’empêcher le fractionnement des espaces
5
Au début du mois de juin 2014, la Commission a proposé
de suspendre South Stream tant qu’il ne sera pas conforme
au droit communautaire (la société russe Gazprom, maître
d’œuvre du projet, étant en situation monopolistique). Sur
cette question, voir Céline Bayou, « Le gazoduc South
Stream. Pari de la Russie pour éviter l’Ukraine », P@ges
Europe, 6 mai 2014 (www.ladocumentationfrancaise.
fr/pages-europe/d000725-le-gazoduc-south-stream.-pari-de-larussie-pour-eviter-l-ukraine-par-celine-bayou/article).
6
Voir le dossier « La Méditerranée. Un avenir en question »,
Questions internationales, no 36, mars-avril 2009.
100
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
maritimes. Son adoption lors du Conseil européen
de la fin du mois de juin fut même élevée au rang
de priorité. Athènes s’est également réengagé au
sein de l’opération Atalanta, active au large des
côtes somaliennes 7, et a indiqué sa disponibilité
pour prendre part à l’éventuel lancement d’une
opération dans le golfe de Guinée.
Le poids des armateurs grecs dans le
commerce maritime mondial explique cette
approche décloisonnée, renforcée par l’essor
des enjeux migratoires. En effet, l’afflux de
réfugiés en provenance du Proche et du MoyenOrient, joint à la porosité des frontières, fait de la
Grèce le principal point d’entrée de l’immigration clandestine dans l’espace Schengen. Malgré
ce constat, les efforts déployés par Athènes pour
sensibiliser ses partenaires européens souffrent
de la forte médiatisation des flux migratoires
vers Lampedusa en Italie. Ces dernières années,
Athènes n’en a pas moins effectué des gestes
forts, obtenant le renforcement de l’action de
l’Agence Frontex 8, ou le déclenchement d’une
mission d’intervention rapide 9 à sa frontière
terrestre avec la Turquie. Elle a en outre entrepris
la construction d’une clôture sur la portion non
délimitée par le fleuve Evros.
De même, Athènes espère que la signature
d’un accord de réadmission 10 entre Bruxelles et
Ankara, au mois de décembre 2013, renforcera
l’accord bilatéral conclu précédemment entre les
deux pays. Cette stratégie offensive de mobilisation des partenaires européens s’accompagne
d’une amélioration du traitement de la question
migratoire par la Grèce. La révision de son plan
d’action pour l’asile et la migration s’est récemDeux années durant, vu sa situation financière, la Grèce avait
été contrainte par la troïka de se retirer de cette première opération maritime de la PSDC, dont elle avait assuré le premier
commandement opérationnel, et qui jouit d’un fort soutien public
et institutionnel dans le pays.
8
Un centre opérationnel régional a été ouvert dans le port du
Pirée en 2011.
9
Déployé pour la première fois de novembre 2010 à mars 2011,
ce dispositif intitulé Rabit est conçu pour réagir à des situations
d’urgence requérant un renforcement de l’assistance technique
et opérationnelle aux frontières extérieures de l’État membre à
l’origine de la demande.
10
Ces accords imposent aux États d’où sont originaires les
immigrés clandestins (ou par lesquels ils ont transité) de les
accueillir de nouveau après qu’ils ont fait l’objet d’une procédure
d’expulsion dans les États européens où ils ont été interpellés.
7
L a présiden c e g r ec q ue d e l’U n ion eur op é e n n e : e n t re ré h a b i l i t a t i o n e t s i n g u l a ri t é
© Flickr / Ministère des Affaires étrangères de Grèce
Entretien du ministre des Affaires étrangères grec
Evángelos Venizélos avec le Président iranien Hassan
Rohani le 16 mars 2014.
ment traduite par l’ouverture de nouveaux
centres de premier accueil dans les îles et en
Attique, ainsi que par le raccourcissement des
délais d’examen des dossiers.
Un étranger proche si lointain
La présidence grecque a également entrepris de sensibiliser de nouveau les États membres
à l’intégration de la Turquie dans l’Union
européenne, sujet qui ne passionne plus guère en
Europe. Si, sur le fond, la société grecque y est
récalcitrante, les autorités du pays font un calcul
différent. À tort ou à raison, elles estiment que
cette perspective constitue le seul levier efficace
pour obtenir d’Ankara des concessions sur leurs
multiples différends bilatéraux – délimitations
territoriales en mer Égée, minorités, avenir du
séminaire théologique orthodoxe de Chalki
à Istanbul… – et, de ce fait, rééquilibrer des
relations délicates avec la Turquie.
Telle est la raison pour laquelle,
depuis 1999, la Grèce soutient le principe
d’une adhésion turque à l’Union, notamment
à travers l’ouverture de nouveaux chapitres de
négociation. Pourtant, ni l’évolution de la situation politique en Turquie depuis la répression du mouvement de contestation interne
en mai 2013, ni la rivalité croissante entre les
deux pays, notamment depuis la confirmation
du potentiel gazier en Méditerranée orientale,
ne sont de nature à faire coïncider le calcul
des élites grecques avec la sensibilité de la
population.
À la vérité, la Grèce a toujours moins
cherché à capitaliser sur un rapprochement avec
la Turquie qu’à exploiter les faiblesses de cette
dernière. Alors que depuis la guerre froide les
questions chypriotes et kurdes avaient grandement structuré les liens étroits noués entre la
Grèce et le monde arabe, la dégradation des
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
101
Questions EUROPÉENNES
relations entre Tel-Aviv et Ankara, en 2010 11,
a contribué à accélérer le rapprochement avec
Israël 12. L’accent mis sur les questions énergétiques et sécuritaires constitue une habile façon
de donner à ce rapprochement une substance
concrète et durable. Il permet aussi de minorer
une dimension politique nécessairement mal
perçue dans les capitales arabes et à Téhéran,
alors qu’Athènes ne fait pas mystère de sa
volonté de reprendre ses relations avec l’Iran à
la faveur de la détente orchestrée par l’accord
intérimaire conclu à Genève en novembre 2013.
La Grèce a aussi tenté de mettre à profit sa
présidence de l’Union européenne pour relancer
le processus de rapprochement entre l’Union
et les Balkans – dans la lignée du sommet
organisé à Thessalonique en juin 2003. Même
si les ambitions initialement contenues dans
l’« Agenda 2014 » 13 ont été revues à la baisse,
la tenue d’un nouveau sommet, dans la même
ville, le 8 mai 2014, a montré un intérêt bien réel.
Le soutien apporté à la poursuite du processus
d’élargissement s’appuie sur le climat favorable
créé par la normalisation des relations entre la
Serbie et le Kosovo depuis le printemps 2013.
Il repose aussi sur la prise de conscience du
poids à venir des Balkans dans l’approvisionnement énergétique de l’Union européenne.
Mais, à l’image de la posture affichée envers
la Turquie, celle manifestée par Athènes vis-àvis de ses voisins balkaniques n’est que faussement encourageante. Elle a essentiellement pour
objectif de s’appuyer sur l’Union européenne
pour régler à son avantage les différends bilatéraux qui perdurent.
L’Albanie l’a bien compris, qui s’efforce
surtout de ne pas froisser son partenaire en esquivant les sujets qui fâchent ou en les ravalant à de
simples questions techniques. L’État macédonien l’ignore, qui refuse de céder aux exigences
grecques relatives à sa dénomination officielle.
Même si les torts peuvent être partagés, ces
deux États ne sont pas dupes des intentions de la
Grèce vis-à-vis de son entourage. Depuis le veto
opposé par la Grèce à l’entrée de l’État macédonien dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), lors du sommet de Bucarest
au printemps 2008, en dépit des engagements
pris 14, ils ne se font pas d’illusions sur sa détermination à user de tous les moyens pour obtenir
satisfaction.
Une présidence à nu
Au-delà des cas évoqués ci-dessus, l’exemplarité attendue d’un pays exerçant la présidence
de l’Union européenne peut apparaître comme
un exercice malaisé du moment où elle contrevient à ses axes stratégiques forts. L’aggravation
de la crise en Ukraine en constitue un exemple
éloquent, alors qu’Athènes et Moscou entendaient capitaliser sur la présidence grecque pour
engager un resserrement des liens entre la Russie
et les pays occidentaux.
Athènes et Moscou
La Grèce comptait notamment s’appuyer
sur sa double culture « européenne » et
« chrétienne orthodoxe » pour plaider auprès de
Bruxelles la question sensible de la suppression
du régime des visas entre la Russie et l’Union
européenne. Très attachée à cette position
intermédiaire, elle avait déjà exprimé en fin
d’année 2013 son inconfort vis-à-vis du modèle
de Partenariat oriental promu par Bruxelles,
jugeant qu’il conduisait les pays concernés à
devoir opérer un choix impossible entre l’Union
européenne et la Russie. Cette vision prémonitoire à l’aune des évolutions du premier
semestre 2014 se doublait d’un appel à une
Lassée du peu de résultats enregistrés par la médiation
onusienne pour trouver une issue sur la question du nom de
« Macédoine », la Grèce n’a pas hésité à enfreindre l’accord
conclu en 1995, aux termes duquel elle s’engageait à ne pas faire
obstacle à l’admission de l’État macédonien dans des organes
collectifs, sous son nom transitoire agréé à l’ONU (Ancienne
République yougoslave de Macédoine – ARYM). La Cour internationale de justice a rendu un avis favorable à l’État macédonien,
le 5 décembre 2011, sans que cela n’influe d’une quelconque
façon sur la position de la Grèce ou de l’OTAN.
14
L’arraisonnement du navire turc Mavi Marmara au large de
Gaza par les forces de sécurité israéliennes avait entraîné le décès
de neuf ressortissants turcs.
12
La première réunion du Haut-Conseil de coopération israélogrec s’est tenue en octobre 2013.
13
Arguant de l’objectif de réconciliation promu à l’occasion des
commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale,
la Grèce défendait l’idée d’une intégration de l’ensemble des
Balkans.
11
102
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
L a présiden c e g r ec q ue d e l’U n ion eur op é e n n e : e n t re ré h a b i l i t a t i o n e t s i n g u l a ri t é
réévaluation de ce Partenariat, tenant davantage
compte des préoccupations de la Russie.
Cette position à l’égard de Moscou
s’explique par des intérêts bilatéraux forts. La
visite du ministre russe des Affaires étrangères
Sergueï Lavrov à Athènes, en octobre 2013
– la première en Grèce d’un ministre russe des
Affaires étrangères depuis plus de dix ans –, avait
été marquée par une volonté affirmée d’intensifier les échanges économiques, touristiques
et énergétiques. De même, la visite du ministre
russe de la Défense, au mois de décembre suivant,
avait été l’occasion d’annoncer la conclusion
d’un nouvel accord bilatéral ainsi que la réalisation d’une campagne de tirs des missiles S-300
installés en Crète 15.
L’Ukraine
La politique suivie par Moscou en Ukraine
a toutefois rendu difficile pour Athènes de continuer à afficher son empathie avec Moscou.
Réveillant le spectre d’un partage définitif de
Chypre, l’annexion de la Crimée par la Russie a
poussé la Grèce – certes en des termes mesurés
et au nom de l’Union européenne –, au début
du mois de mars 2014, à rappeler le principe du
respect de l’intégrité territoriale et des frontières
existantes. Elle l’a également conduite à apporter
son soutien à des sanctions ciblées, tout en
appelant à une solution politique – une formule
diplomatique qui marque en fait un consentement face au fait accompli. Dans le même temps,
Athènes a suggéré la reprise des négociations
en vue de signer un accord d’association avec
Kiev, un processus au cours duquel les autorités
ukrainiennes se verront rappeler le respect des
minorités nationales et linguistiques du pays 16.
La Syrie
L’embarras grec a également été manifeste à
propos du dossier syrien. La proximité d’Athènes
15
Les forces armées grecques ont effectué le 13 décembre
2013 les premiers tests de missiles russes S-300 dans le cadre
de l’exercice Aigle blanc 2013. Les missiles n’avaient jamais été
employés depuis leur acquisition en 1997-1998, suite à la crise
diplomatique ayant opposé Nicosie à Ankara.
16
La diaspora grecque d’Ukraine, relevant des « Pontiques », est
évaluée par Athènes à 100 000 personnes.
avec les positions russes repose autant sur la
préservation d’intérêts économiques forts 17 que
sur la sécurisation de la situation de la population gréco-orthodoxe vivant dans ce pays 18. Sous
cet angle, le radicalisme islamique promu par
certaines composantes de l’opposition syrienne
n’est pas de nature à rassurer les autorités
grecques. Celles-ci escomptaient une perpétuation du régime de Bachar al-Assad, avant-même
la conclusion au mois de septembre 2013 d’un
accord américano-russe sur la destruction de
l’arsenal chimique détenu par Damas.
Une société à vif
L’ampleur de la crise économique et sociale
depuis 2008 a contribué à mettre en évidence
un certain nombre de pratiques connues,
mais tolérées avec beaucoup de désinvolture.
Bien qu’inhérents à tout système politique et
économique, le clientélisme, la corruption,
la fraude fiscale ou l’économie souterraine
atteignent en Grèce des proportions rarement
égalées dans le reste de l’Union européenne 19.
Ces pratiques interrogent en profondeur la
société grecque.
L’étalage des innombrables privilèges
détenus par l’Église orthodoxe grecque, son
peu d’empressement à fournir sa part de l’effort
collectif, à l’instar des riches armateurs plus
attachés à préserver leur situation dans un
univers mondialisé qu’à s’acquitter d’impôts et
redevances dans leur propre pays, trahissent une
société plus individualiste qu’il n’y paraît et dans
laquelle l’État ne jouit que d’un faible crédit.
Là est tout le paradoxe d’un pays qui, dans sa
période moderne, s’est longtemps glorifié de sa
capacité à mobiliser l’ensemble de la population
hellénique (dont l’importante diaspora) autour
d’un idéal et d’une identité commune, gommant
les aspérités, les épisodes douloureux, les échecs.
La Grèce s’était difficilement ralliée à l’embargo européen sur
les phosphates qui a un impact direct sur son agriculture.
À laquelle s’ajoutent les 1 000 ressortissants grecs présents en
Syrie (contre 4 000 avant le début du conflit).
19
Le pays est classé à l’avant-dernier rang des États membres les
plus corrompus et au 26e rang (sur 28) de ceux où l’économie
informelle, estimée à un quart du PIB, est la plus développée.
17
18
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
103
Questions EUROPÉENNES
Pourtant, les divisions actuelles révélées
par la crise ne sont qu’une énième manifestation
de fractures toujours vivaces qui ont jalonné la
construction mouvementée du pays 20. Alors que
le radicalisme des mouvances d’extrême gauche
relève de pratiques ordinaires dans le pays, celui
de l’extrême droite, plus récent, capitalise à
l’envi sur un terreau déliquescent. Le succès du
parti fascisant Aube dorée aux élections législatives de mai et de juin 2012 – où il a obtenu
près de 7 % des voix et 18 sièges de députés –,
sa popularité grandissante, les soutiens dont il
bénéficie auprès de certaines catégories socioprofessionnelles suggèrent qu’il s’agit d’un
phénomène ancré dans la durée 21.
Certes, la campagne de « harcèlement
légal » menée par les autorités contre ce parti,
depuis l’assassinat d’un militant antifasciste par
ses sympathisants, le 17 septembre 2013, traduit
une capacité de réaction salutaire. De même, le
recentrage progressif du principal parti d’opposition (Syriza), les efforts de renouvellement
des cadres du Parti socialiste grec (PASOK) et
de la Nouvelle Démocratie (ND), leur capacité à
œuvrer aux réformes du pays au sein d’un gouvernement de coalition témoignent d’une faculté
d’adaptation certaine dans un pays habitué au
bipartisme jusqu’aux élections de 2012. Pour
autant, l’érosion – même ralentie – des partis
traditionnels lors des élections européennes
du 25 mai 2014, la victoire en demi-teinte de
la coalition de la gauche radicale Syriza 22 et,
surtout, la percée réalisée par le parti politique
néonazi Aube dorée (qui disposera de 3 sièges au
Parlement) reflètent une société grecque de plus
en plus partagée vis-à-vis du projet européen.
●●●
Les autorités grecques doivent dorénavant
convaincre les bailleurs de fonds internationaux
et les électeurs de la profondeur du changement
opéré et de la nécessité de poursuivre les efforts.
Encore faut-il que les Grecs soient convaincus de
la nécessité de changer, ce qui est particulièrement
malaisé lorsque la complaisance et le déni sont
des modes de fonctionnement ordinaires. Cette
adaptation à un environnement changeant n’en est
pas moins nécessaire dans le concert international.
La Grèce y rechigne souvent, préférant généralement jouer sur tous les tableaux, quitte à rendre sa
stratégie d’ensemble illisible.
Même partiellement entravée, sa présidence de l’Union européenne lui a permis à
coup sûr d’amorcer un mouvement marquant
la fin de son déclassement. Celle de l’Italie, au
second semestre 2014, devrait garantir le suivi
de priorités qui leur sont communes : la bonne
gouvernance financière, la lutte contre l’immigration clandestine, le développement d’une
stratégie énergétique, les Balkans, les espaces
maritimes… Autant d’horizons à redécouvrir. ■
Bibliographie
Maximos Aligisakis,
● Claude Giorno, « La Grèce
« Les raisons et les conséquences est-elle bientôt sortie de la
de la crise grecque », Diplomatie, crise ? », Diplomatie, no 66,
no 66, janvier-février 2014,
janvier-février 2014, p. 85-89
p. 80-84
●
La Grèce est le pays d’Europe ayant connu le plus d’années de
guerre – y compris civiles – durant le siècle passé.
21
Voir Amélie Poinssot, « Aube dorée, une ombre menaçante sur
la société grecque », P@ges Europe, 5 novembre 2012.
22
Le leader de ce parti, Alexis Tsipras, était aussi le candidat de
la Gauche unitaire européenne à la présidence de la Commission
européenne.
20
104
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Olivier Delorme, La Grèce
et les Balkans. Du Ve siècle
à nos jours, 3 tomes, Gallimard,
Paris, 2013
●
Regards sur le MONDE
La recomposition
du Moyen-Orient
après les printemps arabes
* Xavier Hautcourt
Xavier Hautcourt *
est diplômé de Sciences Po Paris.
Chercheur et consultant, ses travaux
Ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler
les « printemps arabes » a créé un bouleversement
enjeux politiques et militaires au
Moyen-Orient depuis 2006.
majeur dans les régions du Maghreb et du
Moyen-Orient. La complexité de ces événements
rappelle à l’observateur la multiplicité des facettes de la révolution
aussi bien que la capacité des acteurs à la réinventer en fonction des
époques et des lieux. Si l’avenir du cycle révolutionnaire qui s’est
ouvert avec les révolutions de 2011 est encore incertain, un premier
bilan peut toutefois être tenté.
portent sur le renouvellement des
Avec les printemps arabes est réapparu le
« monde arabe » comme espace géopolitique
et sous-ensemble régional cohérent. Depuis le
déclin du panarabisme, et les accords de Camp
David, le concept de « monde arabe » avait laissé
la place à celui de Moyen-Orient et de « monde
musulman ». La normalisation des relations
entre Israël et l’Égypte, puis l’effondrement de
l’Irak, avaient consacré un vide de puissance au
sein de cette région, favorisant l’émergence des
puissances périphériques, non arabes.
L’Orient arabe, ce « géant somnolent »,
s’est soudain réveillé, surprenant la majorité
des acteurs et des observateurs de la région, et
obligeant chacun à se repositionner en fonction
de cette nouvelle vague révolutionnaire. Après
trois ans, ce nouveau cycle n’a pas encore
atteint son terme, mais, en dépit des différences
propres à chaque pays, certaines caractéristiques
communes aux différentes situations révolutionnaires peuvent déjà être recensées.
Réapparition
des « sociétés arabes »
Les printemps arabes ont remis, paradoxalement, au centre de la région les sociétés arabes,
démontrant l’existence d’une conscience collective et d’une solidarité arabes, enracinées dans
des pratiques militantes et des référents idéologiques communs.
Cette conscience collective arabe, révélée
par les révolutions du printemps 2011, s’est
exprimée par des pratiques similaires d’un pays
à un autre : des manifestations massives, non
contrôlées par les formations politiques, qui
prirent le plus souvent la forme de sit-in dans des
lieux fortement symboliques. Ces mouvements
populaires ont transcendé les classes sociales
aussi bien que les générations, en donnant un
rôle de premier plan aux jeunes (les chebab) et
aux femmes. Les mêmes mots d’ordre furent
scandés par les manifestants pour appeler à la fin
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
105
Regards sur le MONDE
de régimes autoritaires, corrompus et se maintenant au pouvoir grâce à leurs appareils sécuritaires. Les réseaux sociaux sur Internet ainsi que
les chaînes d’information arabes jouèrent un rôle
incontournable dans la mobilisation des manifestants et donnèrent une dimension transnationale
à ces mouvements 1. Les médias arabes contribuèrent à diffuser les événements d’un pays vers
un autre, à créer des formes d’identification et de
solidarité entre les acteurs.
La fièvre révolutionnaire s’étendit
rapidement à l’ensemble des pays de la région.
Un soulèvement national en encourageant un
autre, l’admiration suscitée par les sacrifices des
uns galvanisant la révolte des autres. Le tabou
de la peur face à la répression des services de
sécurité fut peu à peu brisé, ce qui n’empêcha pas
ceux-ci de réagir, avec plus ou moins de force
selon la nature des régimes en place. La Syrie
constitue certainement le cas le plus dramatique.
Les sociétés arabes s’étaient au fil des années
effacées derrière les surenchères déclamatoires
autour du thème de l’arabité et les différentes
mythologies nationales, au point de devenir des
entités mythifiées, justifiant le maintien au pouvoir
de régimes autoritaires. Coupés des réalités socioéconomiques vécues par les populations, ces
régimes avaient fini par perdre une grande part
de leur légitimité. C’est précisément cette perte
de légitimité qui fut le moteur des mobilisations
populaires de l’année 2011. Partout, les thèmes
de la dignité, de la liberté et de la justice furent
au cœur de la mobilisation populaire, démontrant
une forte aspiration de ces sociétés à reprendre
en main leur destin en tant que communautés
nationales et comme parties d’un même ensemble
identitaire, le monde arabe.
La dénonciation des régimes en place a
également porté sur les relations clientélistes
qu’entretenaient ces derniers avec des puissances
étrangères au monde arabe, perçues comme
impérialistes. La question des acteurs extérieurs
Sur le sujet, voir le dossier « Internet à la conquête du monde »,
Questions internationales, n° 47, janvier-février 2011, et notamment l’article de Youssef El Chazli, « De quelques usages
politiques d’Internet sur les bords du Nil », qui prédisait la chute
du régime de Hosni Moubarak à partir d’une mobilisation des
Égyptiens sur les réseaux sociaux.
1
106
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
et de leurs agendas visant à reconfigurer la
région selon leurs intérêts stratégiques, aussi bien
politiques qu’économiques ou militaires, alimenta
largement les multiples rhétoriques du complot
qui se sont emparées de la région. La peur de
complots ourdis par des puissances extérieures
contribua à rapprocher les populations et à raviver
le sentiment d’une commune appartenance
culturelle et d’un destin partagé.
Les mouvements populaires, s’ils ont
exprimé une aspiration claire à plus de libertés
politiques et de justice sociale, ont aussi révélé
l’ampleur des frustrations, notamment parmi
les jeunes générations, privées de perspectives
d’avenir du fait du chômage de masse et des
privilèges accordés aux bourgeoisies d’État. Les
mobilisations populaires de 2011 exprimèrent
donc l’exaspération des sociétés arabes face à
des systèmes verrouillés et l’envie de bâtir un
nouveau cadre dans lequel la vie quotidienne
ne se limiterait pas à une lutte pour assurer une
simple subsistance aux siens. Au printemps 2011,
les sociétés arabes se prirent littéralement à rêver
d’une vie meilleure, d’une vie décente.
Des mythologies
révolutionnaires
conflictuelles
Jusqu’à 2011, ce sentiment de commune
appartenance au monde arabe, cette solidarité
« arabe », s’était surtout exprimée lors des
manifestations de soutien à la cause palestinienne,
lors de l’invasion de l’Irak ou encore lors des
différents épisodes du conflit israélo-libanais.
Au moment de ces manifestations, peu ou prou
instrumentalisées par les régimes en place, les
populations avaient exprimé leur révolte face
aux injustices et aux malheurs vécus par leurs
coreligionnaires aussi bien que leur admiration
pour le courage de ces « résistants » qui osaient
tenir tête aux puissances militaires américaine
et israélienne. Lors de la « guerre de Juillet » 2,
des manifestations avaient eu lieu dans toutes
les grandes capitales arabes, faisant du leader
2
Il s’agit de la guerre qui, en juillet 2006, a opposé Israël au
Hezbollah à la frontière israélo-libanaise.
L a r ec om p os it ion d u M oye n - Ori e n t a p rè s l e s p ri n t e m p s a ra b e s
de l’organisation chiite Hezbollah, Hassan
Nasrallah, le nouveau Gamal Abdel Nasser.
À la faveur des soulèvements de 2011, ces
références aux grandes figures du nationalisme
arabe et à l’Intifada palestinienne ressurgirent,
mais cette fois pour exprimer un refus des régimes
politiques existants. Les mouvements populaires,
apolitiques dans leur très grande majorité, reflétant
la dépolitisation forcée des dernières décennies, se
sont alors tournés vers le passé pour trouver des
éléments de réponse aux interrogations soulevées
par le renversement des régimes en place : quel
modèle d’État mettre en place avec quel régime
politique ? quel modèle de société ou de « vivreensemble » construire ? quel sens donner à ces
nouveaux soulèvements révolutionnaires au regard
des expériences du passé ? Autant de questions
dont se sont emparées les forces politiques laïques
de gauche, nationalistes ou islamistes qui se sont
empressées d’essayer de combler le vide politique
et idéologique créé par le vacillement des régimes
politiques au pouvoir.
Chacun, selon son expérience de vie ou
son univers politico-culturel et religieux, chercha
des réponses dans les épisodes révolutionnaires
du passé, se référant à des mythes et à des
théologies révolutionnaires différentes et parfois
conflictuelles. Pour les uns, ce furent les luttes
de l’entre-deux-guerres et le mouvement de
la « renaissance arabe » ; pour d’autres, les
révolutions des années 1950 et la figure de
Nasser ; pour les derniers, il s’agit des luttes
islamistes du tournant des années 1970 et 1980.
La bipolarisation
des sociétés arabes
et l’« effet Al-Jazeera »
Très vite, à mesure que la bipolarisation
des espaces publics a crû, un malentendu s’est
donc installé sur le sens à donner à ces épisodes
révolutionnaires, aggravé par une couverture
médiatique fortement partisane des événements.
Comme la station de radio d’État la Voix des
Arabes dans les années 1950 avait permis de
mobiliser de larges pans de la société égyptienne
autour du projet nassérien, Al-Jazeera a eu, dès les
premiers moments des mobilisations populaires,
un effet catalyseur sur les populations, n’hésitant
pas à encourager les soulèvements, au prix
parfois de grossières manipulations médiatiques.
Les acteurs ont vite dû se déterminer en
fonction d’un clivage « mou’ayed/moua’red »
(loyaliste/opposant), chacun prétendant incarner
les aspirations du peuple et accusant l’autre
de traîtrise envers la nation. Un autre clivage
« madani-‘ilmani/ikhwani » (civil-laïc/frériste,
en référence aux Frères musulmans) s’est par la
suite superposé au premier clivage « loyaliste/
opposant ». Ces clivages ont été accentués par
les médias, qui sont vite devenus le relais de ces
positions partisanes et souvent caricaturales, car
faisant fi des spécificités locales.
Presque partout le rapport de force a tourné
à l’avantage des mouvements islamistes, et
aux promesses de liberté et de changement de
la révolution a succédé une « réaction » qui se
proposait de ré-islamiser, parfois manu militari,
la société ; quand ce n’étaient pas les régimes
conspués qui se lançaient dans des campagnes
de répression de grande ampleur ayant ensuite
dégénéré en guerres civiles.
Les dénominations de « terroriste » ou
de « collaborateur », qui font écho à celles de
« résistant » ou de « patriote », se sont développées
à mesure que la confrontation entre les deux parties
de la société se militarisait. Les terminologies
ont été reprises d’un pays à un autre, reflétant
la manière dont les acteurs se positionnaient en
fonction d’enjeux nationaux, mais également en
fonction d’enjeux liés aux autres scènes politiques
de la région. Ainsi, les opposants « laïcs »
égyptiens, par opposition au pouvoir islamique
en place dans leur pays, étaient plutôt favorables
au régime baasiste de Damas et opposés à l’armée
libre syrienne, perçue comme « islamiste ».
La « vague verte »
et l’« effet Tamarod »
La « vague verte » qui a succédé aux
révolutions de 2011 s’explique aussi bien par
des facteurs internes qu’externes aux pays de
la région. Au plan interne, les mouvements
islamistes, liés en majorité aux Frères musulmans,
largement réprimés dans les années 1970
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
107
Regards sur le MONDE
et 1980, ont délaissé le champ politique pour
lentement, mais sûrement, mailler les sociétés en
investissant le champ social et, dans une moindre
mesure, le champ économique, face à des États
ayant délaissé de larges pans de la société au nom
d’une ouverture économique ne profitant qu’à
une classe d’affaires proche du pouvoir.
Au plan externe, la remise en cause des
régimes en place a créé de nouvelles fenêtres
d’opportunité pour des États comme le Qatar, la
Turquie ou encore l’Iran, cherchant à s’affirmer
comme puissances régionales. Le Qatar, la
Turquie et, dans une moindre mesure, l’Arabie
saoudite ont largement contribué, avec le soutien
de certaines puissances occidentales, à renforcer
l’influence de la confrérie des Frères musulmans
dans la région.
En deux ans, l’échec des mouvements
islamistes à diriger les pays où ils ont pris le
pouvoir, à la suite d’une élection ou d’une
contestation armée, est pourtant devenu patent.
Cette situation a conduit au développement
d’une deuxième vague révolutionnaire, qui se
veut moins une contre-révolution que la volonté
de poursuivre la révolution et de concrétiser les
objectifs initiaux de celle-ci. La révolution aurait
été usurpée par les mouvements islamistes, qui
n’ont pas réalisé leurs demandes et les objectifs
initiaux des mouvements révolutionnaires
du début de l’année 2011 ; c’est le sens du
mouvement égyptien Tamarod (« rébellion » en
arabe) et de ses avatars tunisien ou palestinien.
Cet « effet Tamarod » a exprimé aussi
bien les désillusions de ces sociétés face à un
processus révolutionnaire « usurpé » par les
forces islamistes nouvellement au pouvoir que
la volonté de clore le cycle révolutionnaire
commencé au printemps 2011 pour transformer
les idéaux révolutionnaires en véritable
révolution politique. Tamarod incarne tous les
questionnements identitaires et politiques de
ces sociétés confrontées à la problématique,
symbolique de la modernité politique, du
passage d’une société « polémique » à une
société « politique », où les conflits sociaux
sont réglés par la négociation et le dialogue.
La société polémique est caractérisée par une
gestion par la force des conflits sociaux et
108
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
une conception du politique essentiellement
appuyée sur un clivage ami-ennemi. Ce critère
fondamental du politique explique aussi bien
la bipolarisation qui existe au sein des sociétés
et au niveau régional que la dualité qui émaille
l’ensemble des discours et des perceptions des
acteurs (loyaliste/opposant, terroriste/partisan,
laïc/religieux, etc.).
Ainsi, avec la contestation révolutionnaire,
c’est aussi le rôle des forces armées au sein de
l’État et de la société qui est contesté, posant la
question de savoir qui détient l’usage légitime de
la force et pour quoi faire.
Contestation populaire
et guérillas révolutionnaires
Un premier bilan des révolutions du
printemps 2011 serait incomplet s’il n’abordait
pas les dimensions militaires du « printemps
arabe », car la guerre révolutionnaire est une
des multiples facettes de la révolution. Ignorer
les aspects « combattants » des printemps
arabes, c’est également faire abstraction d’une
partie de l’univers de compréhension politique
des sociétés de la région. La région est basée
avant tout sur des régimes « polémiques » et
non « politiques », au sens où le mode normal
de gestion des rapports sociaux passe par la
violence et non par le débat démocratique.
Une grande partie des référents politiques et
idéologiques des sociétés arabes sont liés aux
luttes d’indépendance et aux multiples épisodes
du conflit israélo-palestinien.
Au cours des trois dernières années, des
similitudes ont pu être notées dans la manière dont
certains mouvements contestataires, au départ
pacifiques, ont fait le choix de la militarisation,
à l’image des oppositions libyenne, yéménite ou
encore syrienne. Ces similitudes s’expliquent
par plusieurs facteurs, au premier rang desquels
le fait que les missions des forces armées des
régimes en place étaient surtout orientées vers
la sécurité intérieure et la répression. Selon la
nature plus ou moins autoritaire des régimes, la
dureté de la répression a grandement différé d’un
pays à l’autre, la Libye et la Syrie apparaissant
comme les cas les plus dramatiques.
L a r ec om p os it ion d u M oye n - Ori e n t a p rè s l e s p ri n t e m p s a ra b e s
Ensuite, les faits d’armes de groupes
« résistants » comme le Hezbollah ou le Hamas
inspirèrent sans nul doute les mouvements
contestataires qui basculèrent dans la lutte armée.
On vit ainsi les oppositions armées reprendre à
leur compte des techniques de guérilla utilisées
par le Hezbollah et le Hamas – recours aux armes
antichars, construction de roquettes artisanales,
etc. –, quand ces derniers n’intervinrent pas
directement sur les théâtres d’opérations pour
appuyer un camp ou aider à la formation des
combattants.
L’influence des puissances étrangères
sur les mouvements contestataires, aussi bien
en termes politiques que financiers ou encore
logistiques, contribua largement à la militarisation
de certaines oppositions. Les combattants de la
Brigade libyenne, après la fin de l’opération en
Libye, arrivèrent ainsi en Turquie pour aider à la
formation de l’Armée syrienne libre, alors que des
combattants palestiniens liés au Hamas venaient
de Gaza combattre en Libye. Le nouveau pouvoir
libyen transféra d’ailleurs de nombreuses armes,
fournies par les puissances occidentales, aux
combattants du Hamas à la suite de la guerre.
Le déplacement des combattants et des
armements d’un théâtre d’opérations vers un
autre, au nom d’une solidarité « arabe » ou au
nom d’un jihad transnational pour les formations
liées à Al-Qaida, a contribué à la complication
des conflits, en créant des multiples guerres
dans la guerre au fur et mesure que se formaient
de nouvelles milices armées où affluaient les
combattants étrangers. La fragmentation des
oppositions armées a atteint un tel niveau qu’elle
pose désormais la question du risque d’éclatement
de certaines entités nationales en différentes
sous-entités autonomes, plus ou moins homogènes
au plan confessionnel et ethnique.
Les groupes armés se sont également dotés
de moyens de communication et ont appris à
médiatiser leurs opérations, en suivant le modèle
pionnier d’Al-Manar, la chaîne du Hezbollah. La
couverture médiatique des conflits a connu un
véritable tournant au printemps 2011 en faisant
de Skype et de YouTube les relais privilégiés de
l’information. Des images et des témoignages
sortis d’un contexte très local, difficilement
vérifiables, furent propulsés instantanément à
un niveau global. Le visage du correspondant
de guerre devint celui d’un anonyme racontant
sa part de vérité du conflit, sans aucune prise de
distance, objectivité ou analyse.
Les médias devinrent peu à peu les relais de
la propagande des différentes parties, ce qui leur
a valu la dénomination de « bouq » (trompette).
Al-Jazeera et Al-Arabiya furent les porte-voix
des oppositions, alors que les médias nationaux
ou liés à la sphère d’influence russo-iranienne
continuèrent de soutenir les thèses des régimes en
place. De médias de guerre, on passa rapidement
aux médias en guerre, suivant ainsi la voie lancée
par les médias du Hezbollah ou du Hamas.
Vers une décomposition
étatique au Moyen-Orient ?
Les différentes facettes, politiques et
militaro-sécuritaires, des printemps arabes ont eu
un impact certain sur les rapports de force dans
la région. On a ainsi vu certaines alliances se
rompre et de nouveaux rapprochements s’opérer.
La Turquie a définitivement rompu ses liens avec
le régime de Damas, ce dernier a mis fin à sa
relation avec le Hamas. La Turquie et le Qatar se
sont rapprochés, la Russie et l’Iran aussi. L’axe
turco-qatari, favorable aux Frères musulmans,
appuyé par certaines puissances occidentales,
s’oppose à un axe irano-russe, qui prétend à un
rôle de contrepoids aux influences américanoisraéliennes dans la région. L’Arabie saoudite,
depuis le début de l’année 2013, mais surtout à
la faveur du changement de pouvoir en Égypte,
tente d’incarner une troisième voie.
Or, la série d’offensives lancées à partir
du début du mois de juin 2014 par la mouvance
sunnite radicale l’État islamique en Irak et
au Levant (EIIL) en Irak et en Syrie est venue
compliquer une situation régionale déjà très
tendue. Le soutien apporté par certaines
franges de la population sunnite irakienne
aux combattants de l’EIIL exprime moins une
conjonction idéologique qu’un fort ressentiment
à l’égard du pouvoir fédéral de Bagdad, accusé
de favoriser les chiites et de servir les intérêts du
puissant voisin iranien. Cette réaction armée qui
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
109
Regards sur le MONDE
émane des régions à majorité sunnite sert aussi
bien les intérêts de l’Arabie saoudite que ceux
des Kurdes irakiens. La rapidité avec laquelle
les combattants de l’EIIL se sont emparés de
Mossoul, puis ont progressé le long de l’Euphrate
en direction de Bagdad, a mis en lumière la
fragilité de l’unité de l’armée irakienne.
À l’inverse, les unités militaires kurdes
(Peshmerga), qui sont très vite apparues comme
la seule force locale capable d’affronter l’EIIL,
pourraient profiter du vide laissé par la débandade
de l’armée irakienne dans les provinces du Nord
pour tenter de regrouper au sein d’un même espace
géographique contigu des Kurdistans irakien et
syrien. Désormais, l’EIIL menace de prendre
Bagdad ainsi que certains territoires sur la frontière
jordanienne. L’EIIL, qui a profité du début de la
période du ramadan pour prendre le nom d’« État
islamique » et proclamer son chef, l’émir Abou
Bakr al-Baghdadi, nouveau « calife », constitue
un défi aussi bien pour les intérêts américains
qu’iraniens et pourrait paradoxalement favoriser
un rapprochement, au moins ponctuel, entre les
deux puissances.
Les « révolutions » arabes, et les conflits
qu’elles ont suscités, ont indéniablement
contribué à compliquer l’équation régionale. Les
mécanismes conflictuels liés au conflit israéloarabe, qui avaient dessiné les rapports de force
de la région depuis le milieu du xxe siècle, ont été
relégués au second plan pour laisser place à un
affrontement, plus ou moins ouvert, entre deux
systèmes d’alliances aux projets radicalement
antagonistes. Au clivage entre les sunnites et les
chiites, qui avait émergé à la faveur de la crise
irakienne au milieu des années 2000, est venu se
superposer un duel entre les États-Unis et la Russie
dont la crise syrienne a révélé toute l’ampleur.
La crise ukrainienne a démontré l’ambition
de la Russie de retrouver le rôle de puissance
mondiale qu’avait l’Union soviétique. Toutefois,
il ne faudrait pas conclure trop vite à un retour de
la guerre froide. L’activisme russe à l’égard des
dossiers syrien et ukrainien expriment, au-delà des
rodomontades sur la « Nouvelle Russie », le refus
de Moscou d’abandonner, sans contrepartie, ce qui
reste du dispositif stratégique soviétique au MoyenOrient et de la zone d’influence traditionnelle de la
Russie en Europe centrale et orientale.
110
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Les nouvelles tensions régionales cachent
en réalité un enjeu plus important, celui
de la remise en cause des États-nations « à
l’européenne » nés du démembrement progressif
à partir du xixe siècle de l’Empire ottoman. Les
conflits des Balkans des années 1990 et 2000
avaient déjà mis en évidence les risques issus
de l’implosion de ces entités géographiques
« arbitraires ». Le démantèlement de l’État
irakien après 2003 et les affrontements
confessionnels qui en ont résulté ont étendu le
phénomène au Levant et à la Mésopotamie.
En fragilisant les États-nations issus des
accords Sykes-Picot (1916), les printemps
arabes ont libéré des revendications nationalistes
et confessionnelles qui avaient été étouffées
par les régimes après les indépendances. Les
soulèvements révolutionnaires de 2011 ont
réveillé la mosaïque ottomane des « nations ».
Le conflit syrien et ses répercussions irakiennes
démontrent que la matérialité des frontières
des États-nations dans cette partie de la région
s’estompe. Ce sont les bases de la souveraineté
nationale qui risquent dorénavant de s’effondrer
pour laisser place à des nations ou à des États
considérés comme « naturels ».
Le risque d’implosion de certaines entités
nationales n’est donc pas à écarter, notamment
dans le cas de la Syrie, de l’Irak, de la Libye ou
encore du Yémen. Or, l’éclatement d’un pays
bénéficiant d’une position centrale au ProcheOrient, tel que la Syrie, déstabiliserait gravement
ses voisins et donnerait un nouvel élan à des
luttes indépendantistes que les États de la région
se sont ingéniés à étouffer depuis plusieurs
décennies. Le risque est d’autant plus important
que les mouvements révolutionnaires de 2011
ont fait la preuve de l’influence déterminante que
pouvaient exercer les acteurs non étatiques tant
au niveau national que régional.
Les printemps arabes ont sans aucun doute
constitué un événement politique majeur pour
les sociétés arabes. Ils vont certainement donner
lieu à de nouveaux soubresauts révolutionnaires,
la révolution se déroulant le plus souvent sous la
forme d’un cycle au cours duquel se succèdent
révolutions et contre-révolutions. ■
Les questions internationales à L’ÉCRAN
> Zero Dark Thirty :
polémiques autour du récit
de la mort de Ben Laden
Grégory Boutherin *
Ayant toujours su faire de l’histoire l’une de ses matières
premières, c’est fort logiquement que le cinéma – mais
est docteur en droit public, chargé de
également la télévision avec des séries comme Over
mission au Centre d’études stratégiques
There, 24 heures chrono ou Homeland – a fait sienne
aérospatiales de l’armée de l’air .
l’ère post-11 Septembre en portant à l’écran quelques
scénarios sur fond de lutte contre le terrorisme,
de guerre en Afghanistan ou en Irak. Réalisé par la réalisatrice et scénariste
américaine Kathryn Bigelow, Zero Dark Thirty (2013) retrace la longue traque
d’Oussama Ben Laden par la CIA, finalement conclue par son exécution
au Pakistan en mai 2011. Acclamé par la critique, surtout dans les pays
anglophones, le film n’en a pas moins donné lieu à une série de controverses.
* Grégory Boutherin
1
Nombre des productions cinématographiques ou télévisuelles consacrées à
l’après-11 Septembre ont largement été saluées
par les critiques et primées par les académies,
y compris par la plus prestigieuse d’entre elles
qui, en 2010, a remis pas moins de six Oscars
à Démineurs (The Hurt Locker) de Kathryn
Bigelow, faisant d’elle la première femme
oscarisée dans les catégories « meilleur film » et
« meilleur réalisateur ».
Il est alors un récit qui se devait d’être
porté à l’écran, celui de la chasse à l’homme qui
s’intensifia au lendemain du 11 septembre 2001
pour s’achever, une décennie plus tard, avec l’élimination d’Oussama Ben Laden. Un peu plus de
trois ans après le succès de Démineurs, Kathryn
Bigelow refit équipe avec le scénariste Mark
Boal pour porter à l’écran cet épisode de l’histoire immédiate.
Zero Dark Thirty se veut toutefois bien
plus qu’une œuvre fictionnelle « inspirée d’une
Les propos et réflexions exprimés dans ce texte n’engagent que
leur auteur.
histoire vraie », ses auteurs annonçant un récit
« basé sur des comptes rendus de faits réels ».
Cette simple annonce affichée en ouverture du
film crée alors une attente de vérité. Mais ce
qui fait la force de cette production est aussi à
la source de controverses à propos de la véracité
des faits rapportés, en particulier la question de
savoir si les techniques d’interrogatoire renforcées (Enhanced Interrogation Techniques, EIT)
utilisées par la CIA, autrement dit la torture,
avaient ou non directement permis de remonter
la piste jusqu’à Ben Laden comme le laissaient
entendre K. Bigelow et M. Boal.
Comment faut-il alors comprendre et
regarder ce film ? S’agit-il d’un récit méticuleux
de cette traque, d’un travail de journaliste porté
sur grand écran ? Est-il cette « première ébauche
historique consacrée à la mort de Ben Laden »,
comme l’affirme sa réalisatrice 2, ou n’est-ce
qu’un tableau peint à grands traits, une fictionnalisation, des principaux événements ayant conduit
1
2
Interview réalisée par Olivier Delcroix, Le Figaro, 22 janvier 2013.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
111
Les questions internationales à L’ÉCRAN
jusqu’à cette nuit de mai 2011 au cours de laquelle
les Navy Seals 3 élimineront Oussama Ben Laden ?
Un récit sous tension
Comme tout film relatant un événement
historique majeur, Zero Dark Thirty a ceci de
particulier que son intrigue et son dénouement
sont connus de tous les spectateurs avant même
la projection. A priori, point n’est alors question
de suspense. Pourtant, son intensité n’est en rien
écornée. Aussi bien intrinsèque que contextuelle,
la tension est peut-être d’ailleurs ce qui caractérise le mieux cette production.
Elle l’entoura tout d’abord, diffuse, dès
la phase d’écriture, puisqu’il s’agissait initialement de raconter la bataille de Tora Bora
(décembre 2001), au cours de laquelle Ben Laden
avait réussi à fuir, en adaptant le récit de Dalton
Fury (Kill Ben Laden). Mais voilà que le 1er mai
2011 une opération permit de tuer Oussama Ben
Laden. Un chapitre de l’histoire se clôt avec
succès et Hollywood ne pouvait passer à côté.
Changement de plan dans les bureaux
de la production. Si K. Bigelow décide alors de
raconter de l’intérieur le long chemin jusqu’à ce
raid, elle se heurte toutefois à nombre de difficultés : « Je pensais que le film qui deviendrait
Zero Dark Thirty ne verrait jamais le jour. Le but,
qui était de faire un film moderne, rigoureux sur le
contre-terrorisme autour de l’une des missions les
plus importantes et classifiées de l’histoire américaine, était suffisamment exaltant et valable, ou
du moins le semblait. Mais il y avait trop d’obstacles, trop de secrets et de dirigeants politiques
qui semaient des embûches sur le chemin 4 ».
La tension est ensuite intrinsèque, voire
constitutive du film qui débute sur fond noir, avec,
en extraits sonores, de brefs échanges téléphoniques que des occupants du World Trade Center
eurent en ce matin du 11 Septembre quelques
instants avant que les tours ne s’effondrent. Passé
cet écran, la première scène ouvre sur une séance
3
Les Seals (acronyme de Sea, Air, Land : « mer, air et terre ») sont
la principale force spéciale de la marine de guerre des États-Unis
(US Navy).
4
« Kathryn Bigelow addresses Zero Dark Thirty torture criticism », Los Angeles Times, 15 janvier 2013.
112
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
d’interrogatoire, de torture, d’un terroriste par
un officier de la CIA. Si l’entrée en matière est
intense et marque les esprits, le film se déroule
ensuite dans une esthétique de sourdine, avec un
ralentissement du rythme témoignant de l’attente
et du temps long de cette décennie faite de pistes,
de désillusions, d’espoirs et de fausses routes, le
tout cadencé par les attentats qui se poursuivent à
Khobar (2004), Londres (2005), Islamabad (2008),
Khost (2012)... Ce faux rythme, qui contribue à
entretenir la tension, se poursuit jusqu’à la scène
de l’assaut, filmée en angles subjectifs à travers les
lunettes de vision nocturne des opérateurs américains, d’une durée sensiblement équivalente à la
réalité. Kathryn Bigelow filme alors de manière
tendue, coupée, alerte, intense, avec une manifeste
intention de reconstitution.
Là est justement la raison pour laquelle
les tensions accompagneront également la sortie
du film qui a vu naître nombre de polémiques.
Alors que l’accueil général du public avait été
plutôt positif, que de nombreuses nominations
ont suivi – dont quatre aux Golden Globes et
cinq aux Oscars –, que le film a reçu de très
nombreux prix, les controverses ne se sont pas
fait attendre – certains y verront même la principale raison expliquant que Zero Dark Thirty soit
passé à côté du succès annoncé aux Oscars 2013.
Il n’y obtiendra que la statuette récompensant le
meilleur montage son (partagée avec Skyfall).
Si, d’un point de vue esthétique, les critiques
semblent s’accorder sur les mérites du film, ce sont
les libertés que le scénario aurait prises à l’égard
de la réalité qui ont posé problème et conduit à de
virulentes réactions. Point névralgique et récurrent
de ces dernières, le rôle crucial que le film attribuerait aux techniques d’interrogatoire renforcées
dans l’obtention du renseignement ayant permis
de remonter jusqu’à Ben Laden.
Au-delà de l’esthétique,
un film controversé
L’efficacité des techniques
d’interrogatoire renforcées en débat
Le film s’ouvre brutalement sur Ammar,
détenu dans un black site de la CIA. Exténué,
Z e ro D ar k Thir ty : p olém iq ue s a u t o u r d u ré c i t d e l a m o r t d e B e n L a d e n
affamé, et déjà visiblement brutalisé, il refuse toute
collaboration, voire fait preuve de mépris à l’égard
de Dan, l’officier chargé de l’interroger. Celui-ci
aura alors recours, à trois reprises, à diverses
techniques de torture : privation de sommeil, mise
à nu, enfermement dans une boîte, waterboarding. Ammar finira par révéler le nom de celui qui
s’avérera être le courrier de Ben Laden, son seul
contact avec le monde extérieur.
Les deux principaux reproches formulés
à l’encontre du film tiennent à l’absence de
regard critique sur ces méthodes et au fait de
laisser entendre qu’elles auraient été efficaces
pour remonter jusqu’à Ben Laden. Les journalistes ne furent pas peu nombreux à s’insurger et
Kathryn Bigelow elle-même ne fut pas épargnée.
Dans une lettre ouverte à l’intention de la réalisatrice, la journaliste Naomi Wolf ira jusqu’à
la comparer à Leni Riefenstahl 5. D’autres, à
l’image de la journaliste d’investigation Jane
Mayer qui évoquera une « publicité mensongère
pour la simulation de noyade », regretteront que
le film ne s’interroge à aucune reprise sur ces
techniques, qu’il ne reflète à aucun moment les
débats qu’elles ont soulevés 6.
S’il est vrai que Zero Dark Thirty adopte
une approche froide, distante à l’égard de ces
méthodes, laissant le spectateur gérer lui-même
ses sentiments, de la même manière que l’officier de la CIA Maya (Jessica Chastain) dont on
perçoit le malaise dans les premières scènes,
reste qu’allusion est faite aux commissions
d’enquête et à l’évolution du climat politique. Un
plan passe d’ailleurs sur la diffusion de l’interview accordée par le président Obama, nouvellement élu, le 16 novembre 2008 à Steve Kroft
dans l’émission 60 minutes de CBS, y affirmant
clairement que les États-Unis ne torturent pas et
qu’« il en va du redressement de la réputation
morale de l’Amérique ».
Si les réactions ne furent pas moins marquées
dans le monde du cinéma, elles ont également été
le fait de responsables politiques et en particulier
des sénateurs Dianne Feinstein (présidente de la
Naomi Wolf, « A letter to Kathryn Bigelow on Zero Dark
Thirty’s apology for torture », The Guardian, 4 janvier 2013.
6
Jane Mayer, « Zero Conscience in Zero Dark Thirty », The New
Yorker, 14 décembre 2012.
commission du Sénat sur le renseignement), Carl
Levin (président de la commission sur les forces
armées) et John McCain. Les trois sénateurs ont
ainsi adressé une lettre au PDG de Sony Pictures,
distributeur du film, dans laquelle ils lui ont fait
savoir que Zero Dark Thirty est « largement
inexact et induit en erreur en laissant penser que
la torture a permis d’obtenir des informations
ayant conduit à la localisation d’Oussama Ben
Laden ». Ils y soulignent que la torture doit être
bannie parce qu’elle est inefficace pour obtenir
du renseignement mais aussi parce qu’elle est – et
à fort juste titre – interdite par les conventions de
Genève, parce que c’est un « affront à l’honneur
national de l’Amérique », et d’ailleurs de toute
démocratie, et « parce que c’est mal ». Elle est
finalement ni plus ni moins qu’une inacceptable
perte de valeurs.
La commission présidée par D. Feinstein a
en outre récemment achevé un rapport (classifié)
de 6 300 pages attestant que ces programmes
n’ont pas permis à la CIA d’apprendre l’existence ou le nom du courrier d’Oussama Ben
Laden 7. Michael Morell, ancien directeur de
5
7
Greg Miller, Adam Goldman, Ellen Nakashima, « CIA misled
on interrogation program, Senate report says », The Washington
Post, 31 mars 2014.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
113
Les questions internationales à L’ÉCRAN
la CIA, fut de son côté un peu moins catégorique : « Le film crée la fausse impression que
les techniques d’interrogatoire renforcées
qui faisaient partie intégrante de notre ancien
programme de détention et d’interrogatoire
étaient la clé pour trouver Ben Laden. Cette
impression est fausse […]. La vérité est que de
nombreux flots de renseignement ont conduit les
analystes de la CIA à conclure que Ben Laden
était caché à Abbottabad. Certains provenaient
de détenus soumis aux techniques renforcées,
mais il y avait également de nombreuses autres
sources 8. »
On peut bien sûr rappeler que ce n’est
pas pour mettre fin aux souffrances, physiques
ou psychologiques qu’Ammar coopérera mais
parce qu’il sera piégé par la ruse de Maya. La tête
recouverte d’un hijab (témoignage de respect à
son égard) elle lui fera croire autour d’un repas
convivial, qu’il avait déjà commencé à trahir,
bien qu’il l’ait oublié du fait de 96 heures de
veille forcée. De même, le film montre l’inutilité de ces méthodes pour prévenir les attentats de
Khobar et de Londres.
Peut-on dès lors considérer que Zero Dark
Thirty est un plaidoyer pour la torture ? Le scénariste Mark Boal se défendra en expliquant que
« ce qu’oublient les détracteurs du film c’est
que ces événements se sont déroulés. Les gens
s’empoignent sur un plan théorique sur l’utilisation de la torture, mais ils oublient que ça s’est
passé comme ça » 9.
Kathryn Bigelow rappela pour sa
part avoir « toujours été une pacifiste » qui
« [s’]associe à toutes les manifestations contre
l’usage de la torture et, plus simplement, contre
toute forme de traitement inhumain ». Elle se
demanda également si ces critiques ne devraient
pas plutôt viser « ceux qui ont institué et ordonné
ces politiques » et expliqua que « la torture
était, comme nous le savons tous, employée
durant les premières années de la traque. Cela
« Statement to Employees from Acting Director Michael
Morell », 21 décembre 2012 (https://www.cia.gov/news-information/press-releases-statements/2012-press-releasese-statements/message-from-adcia-zero-dark-thirty.html).
9
« Zero Dark Thirty, Mark Boal juge les critiques déloyales », Le
Figaro, 22 janvier 2013.
ne signifie pas qu’elle ait été la clé pour trouver
Ben Laden. Cela signifie que c’est une partie de
l’histoire que l’on ne peut ignorer » 10. À ceci
près, comme l’explique le journaliste Peter
Bergen, que « Zero Dark Thirty ne porte pas
sur la guerre contre le terrorisme, il porte sur la
traque de Ben Laden » 11.
L’accès aux sources :
les polémiques se poursuivent
Comme si cela ne suffisait pas, le film a fait
l’objet d’enquêtes de la part de l’administration
américaine. L’une d’elle fut déclenchée suite à
une lettre qu’adressa aux inspecteurs généraux
de la CIA et du département de la Défense
Peter King, député républicain de New York et
président de la commission sur la sécurité nationale de la Chambre des représentants. Peter King
y fit notamment part de ses inquiétudes sur les
fuites dont aurait bénéficié l’équipe du film.
Comme le releva en effet un rapport préliminaire
de l’inspection générale du département de la
Défense, publié en juin 2013 par le Project on
Government Oversight, Mark Boal aurait participé à une réception au cours de laquelle le directeur de la CIA, Léon Panetta, aurait divulgué le
nom de l’unité qui a conduit le raid et de son
commandant ainsi que des informations classifiées, n’ayant pas eu connaissance a priori de la
présence du scénariste dans la salle.
Une autre enquête, conduite par la
commission du Sénat sur le renseignement, s’est
intéressée aux contacts que l’équipe du film
avait pu avoir avec des responsables de la CIA.
Il s’agissait de savoir si ces derniers avaient ou
non transmis des informations sensibles mais
également s’ils avaient contribué à donner un
sentiment d’efficacité aux techniques d’interrogatoire renforcées. Hasard des calendriers, c’est
au lendemain de la cérémonie des Oscars 2013,
une déception pour l’équipe du film, que la
sénatrice Dianne Feinstein a annoncé la fin de
l’enquête au motif que la commission n’avait
« pas besoin de demander de plus amples infor-
8
114
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Kathryn Bigelow, op. cit.
Peter Bergen, « Washington is overreacting to Zero Dark
Thirty », Time, 24 janvier 2013.
10
11
Z e ro D ar k Thir ty : p olém iq ue s a u t o u r d u ré c i t d e l a m o r t d e B e n L a d e n
mations » puisque la CIA avait répondu aux
différentes requêtes.
2 heures 30
pour une décennie :
réalité versus fiction
La question de l’accès aux sources renvoie
évidemment à celle de l’exactitude des faits
rapportés. Avec pour scénariste un journaliste
d’investigation 12, Zero Dark Thirty se situe à
mi-chemin entre fiction et réalité. C’est d’ailleurs ce flou, cette difficile qualification, ce
chevauchement des genres qui ouvrent la porte
aux controverses. S’il s’inspire de faits réels, et
nombre d’événements et de détails présentés
le sont, s’il s’appuie sur une véritable enquête
journalistique, s’il se veut un premier témoignage
d’un fait historique, le film n’en reste pourtant
pas moins une œuvre cinématographique.
Les personnages et leurs modèles
Tous portent en eux une part de réel.
Certains font directement référence à de
véritables individus, comme Leon Panetta
(directeur de la CIA), Jonathan Banks (chef
de poste de la CIA à Islamabad), Jennifer
L. Matthews qui fut tuée dans l’attentat de
Khost, ou Roger, dit « Le Loup » (chef du
National Counterterrorism Center) 13. D’autres
personnages en revanche sont moins identifiables, comme Ammar (Reda Kateb) qui serait
inspiré d’Ammar al-Baluchi, véritable neveu de
Khalid Sheikh Mohammed, qui aurait effectivement contribué à remonter la piste du courrier
sans avoir pour autant été soumis au waterboarding 14, et/ou de Mohammed al-Qahtani ainsi
que le suppose Peter Bergen 15. C’est également
le cas du personnage de Stephen Dillane qui
s’inspirerait tout autant de John Brennan (qui fut
Jordan Michael Smith, « The Many Faces of Mark Boal », The
Nation, 14 juin 2013.
Greg Miller, « At CIA, a convert to Islam leads the terrorism
hunt », The Washington Post, 24 mars 2012.
14
Matthew Kaminski, « The Art and Politics of Zero Dark
Thirty », Wall Street Journal, 15 février 2013.
15
Peter Bergen, « Zero Dark Thirty: Did torture really net bin
Laden? », CNN.com, 11 décembre 2012.
12
directeur du National Counterterrorism Center
puis conseiller du président Obama pour le
contre-terrorisme et actuel directeur de la CIA)
que de Tom Donilon, qui fut conseiller pour la
sécurité nationale.
Si le film ne se construit pas autour d’un
super-héros 16, un personnage se détache toutefois, K. Bigelow et M. Boal ayant fait le choix
non d’un regard panoramique ou d’angles
multiples mais d’une perspective personnelle,
du vécu, de la perception et de la quête, choix
qui sont également ceux de Maya. Si le personnage de Jessica Chastain – inspiré d’un officier
de la CIA – porte en quelque sorte le film, il n’en
demeure pas moins mystérieux. Peu d’informations nous sont livrées sur Maya, seules de rares
allusions nous restituent sa vie. Elle semble
même n’en avoir aucune en dehors de l’Agence.
Elle s’est donnée une mission et la poursuit avec
ténacité, voire en fait une affaire personnelle,
affirmant après l’attentat de Khost « je vais tuer
Ben Laden ». Hésitante au début, en retrait et
presque frêle dans son tailleur noir lorsqu’elle
assiste pour la première fois à l’interrogatoire
d’Ammar, Maya se fond rapidement dans cet
univers âpre, s’endurcit tout au long du film.
Si pour certains ce personnage désencombré de tout questionnement personnel, dont
la dimension intérieure est à peine esquissée,
sert parfaitement les besoins du film – car ce ne
sont pas les ressorts émotionnels qui intéressent
K. Bigelow, mais bien le récit de la traque –,
d’autres y ont vu « une machine froide, sans
passé ni famille, ni ami, ni amant, peut-être
sans principe. Rien n’explique son implication féroce, maniaque, dans la recherche de Ben
Laden » 17. Lorsque le chef d’Al-Qaida est tué,
le vide affectif de cette Maya sans attache se
fait plus profond. La suite de l’histoire – dans la
vraie vie – est encore plus complexe, comme le
raconte un article du Washington Post revenant
en particulier sur l’ego démesuré de la véritable
Maya 18.
13
Kathryn Bigelow, op. cit.
Didier Péron, « Star traque », Liberation.fr, 22 janvier 2013.
18
Greg Miller, « In Zero Dark Thirty, she’s the hero; in real life,
CIA agent’s career is more complicated », The Washington Post,
10 décembre 1012.
16
17
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
115
Les questions internationales à L’ÉCRAN
Si, contrairement à ses précédents films,
K. Bigelow accorde ici une place centrale
aux femmes, cela ne relève pas du hasard.
L’explication tient au fait qu’elles ont véritablement joué un rôle central dans cette traque 19.
En revanche, le fait que les personnages soient
finalement peu nombreux pourrait laisser penser
que seuls quelques individus y ont été impliqués.
Or cela n’est que le fait d’une nécessité cinématographique. Jose Rodriguez, ancien responsable des Counterterrorism Center et National
Clandestine Service de la CIA, explique ainsi
que si le mérite revient en effet « à une poignée
d’officiers, principalement des femmes […], les
succès et les échecs de cette mission furent le fait
de nombreux individus » 20.
Les forces comme les échecs :
une approche globale
Dès lors que l’on regarde au-delà des trois
scènes de torture, on peut constater que Zero
Dark Thirty repose sur une approche globale du
renseignement. On y voit par exemple le rôle
central des drones pour des missions d’observation dans la durée, celui du renseignement d’origine électromagnétique, à travers notamment les
écoutes téléphoniques, et bien évidemment celui
du renseignement humain, à travers de longues
filatures, des repérages, de la surveillance d’axes
routiers, etc. Le film expose en outre toutes les
difficultés liées à l’analyse du renseignement,
expliquant à quel point cela peut être complexe
de l’exploiter, de distinguer renseignement utile,
des « bruits » et fausses pistes.
Il est également frappant de remarquer
que les échecs qu’ont connus les États-Unis
au cours de cette décennie sont exposés sans
retenue. De ce point de vue, Zero Dark Thirty ne
saurait apparaître comme un énième plaidoyer
pro-américain dont Hollywood a le secret. Certes
il témoigne de l’étendue des moyens, humains,
matériels, financiers, dont le pays dispose. Certes
le raid des Seals est efficace, bref, brutal, sans
19
Jean-Dominique Merchet, « Cette “bande de nanas” qui a
coincé Ben Laden », Marianne, 29 janvier 2013.
20
Jose A. Rodriguez Jr., « A CIA veteran on what Zero
Dark Thirty gets wrong about the bin Laden manhunt », The
Washington Post, 4 janvier 2013.
116
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
appel. Certes la technologie mise en œuvre est
avancée. Mais le film n’est pas un étalage à la
gloire d’une Amérique toute-puissante. Bien loin
de cela, il n’hésite pas à montrer toutes les difficultés qu’ont eues les États-Unis, ni même les
faiblesses, la lenteur de l’administration, l’inertie
du processus décisionnel, voire l’incapacité à
prévenir certains attentats.
Lorsqu’il réunit son équipe au lendemain de
l’attentat de Khost qui coûta la vie à sept officiers
de la CIA, George (Mark Strong) a cette phrase
qui résonne comme un aveu de faiblesse : « On
dépense des milliards de dollars. Il y a des morts.
Et on n’est toujours pas près de vaincre notre
ennemi. Ils nous ont attaqués, au sol en 1998, par
la mer en 2000, par les airs en 2001. Ils ont assassiné 3 000 de nos concitoyens de sang froid. Ils
ont massacré nos éléments avancés. »
Plus qu’une fiction,
moins qu’un documentaire
Zero Dark Thirty est donc très ambigu.
Si les critiques furent nombreuses, c’est bien
parce qu’il leur a ouvert la porte. D’emblée ses
auteurs l’ont présenté comme une œuvre dépassant la fiction, appelant un traitement brut des
faits, dépourvu de tout sentimentalisme. Ce
seul fait crée une attente de vérité. Qui plus est,
K. Bigelow et M. Boal n’ont eu de cesse durant
la promotion du film d’insister sur son réalisme
le qualifiant l’une de « reported film », l’autre de
« docu-drama » 21.
Or, certaines libertés prises avec les faits
l’éloignent de la réalité, de sorte que les premiers
acteurs le perçoivent comme « une dramatisation, et non une représentation réaliste des
faits » 22. Mark Boal expliquera alors que « sauf si
on réalise un documentaire, à un moment donné,
il faut retirer le costume de journaliste et passer
celui de scénariste […]. C’est bien d’un film
qu’il s’agit, et pour rendre compte d’une chasse à
l’homme qui a duré dix ans en 2 heures 30, il faut
être efficace » 23.
Ann Hornaday, « Zero Dark Thirty and the new reality of
reported filmmaking », The Washington Post, 13 décembre 2012.
22
Statement to Employees, op. cit.
23
Clara Beaudoux, « Zero Dark Thirty : quand la réalité devient
fiction », France Info, 22 janvier 2013.
21
Z e ro D ar k Thir ty : p olém iq ue s a u t o u r d u ré c i t d e l a m o r t d e B e n L a d e n
Le manque de cohérence est assez
frappant : M. Boal et K. Bigelow conservent
une marge d’ambiguïté considérable, n’assumant pleinement aucune des positions. Ni totalement fictionnel ni rigoureusement documentaire,
Zero Dark Thirty baigne entre deux eaux. C’est
précisément là que réside le principal danger
selon Graham Allison, professeur à la Harvard’s
John F. Kennedy School of Government : « Ce
film, affirme-t-il, façonnera plus largement
la vision qu’ont les Américains de la guerre
contre Al-Qaida que les montagnes de livres et
d’articles de référence 24. »
●●●
Que Zero Dark Thirty ait suscité autant
de débats n’est en rien étonnant. Mais quelle
24
Graham Allison, « Zero Dark Thirty has the facts wrong – and
that’s a problem, not just for the Oscars », Christian Science
Monitor, 22 février 2013.
que soit la position à laquelle chacun se rallie,
on ne devrait toutefois pas perdre de vue ce
simple fait : tout cela tourne autour d’une œuvre
cinématographique, avec son lot de libertés
et de dramatisation. Si elle se veut, comme sa
réalisatrice l’affirme, une « première ébauche
historique consacrée à la mort de Ben Laden »,
là n’est pas son unique vocation. Un film, aussi
historique que soit son propos, vise notamment
et surtout à divertir et séduire son public. À cet
égard, nous avons là une réussite, aussi bien
d’un point de vue narratif que d’une approche
purement cinématographique. Prenons finalement Zero Dark Thirty pour ce qu’il est, à savoir
un film – « le théâtre est le théâtre, pas une
scrupuleuse présentation des faits » 25.
Mark Bowden, « Zero Dark Thirty Is Not Pro-Torture », The
Atlantic, 3 janvier 2013.
25
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Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
117
Documents de RÉFÉRENCE
> De la Pologne martyre
à la Pologne messie
Adam Mickiewicz (1798-1855)
Jules Michelet (1798-1874)
Czesław Miłosz (1911-2004)
Tadeusz Mazowiecki (1927-2013)
Trois des quatre extraits qui suivent sont l’œuvre de Polonais, un d’un Français,
Jules Michelet, l’historien romantique pleurant le martyre d’une nation outragée
par l’histoire. Entre une Europe interdite et une Russie impétueuse, l’histoire de la
Pologne racontée par ses penseurs et ses amis oscille entre le messianisme d’un
peuple sûr de sa préséance intellectuelle et morale parmi les Slaves et la plainte
d’une nation suppliciée.
Alors que le grand poète Adam Mickiewicz proclame, dans sa première leçon au
Collège de France, les apports éminents de l’âme polonaise à la pensée européenne
et à la défense du continent, son collègue Jules Michelet dresse un portrait teinté de
romantisme d’une Pologne foulée aux pieds par les trois empires qui se partagèrent sa
dépouille. Dans cet affront fait à l’existence d’une nation qui se veut intrinsèquement
européenne, la Russie porte d’après lui une lourde responsabilité, dont témoigne
encore Czesław Miłosz, le poète et essayiste dissident polonais, prix Nobel de
littérature en 1980, lorsque, aux débuts de la guerre froide, le rapprochement avec
le communisme russe entraîna la ruine d’une indépendance nationale récemment
recouvrée. À cet égard, le Premier ministre Tadeusz Mazowiecki, à l’heure de la
souveraineté reconquise, présente l’Europe comme un espoir, sans rien cacher de
l’amertume d’un peuple qui s’est senti trahi par les siens.
Un destin slave et européen
Adam Mickiewicz (1840)
« […] Le désir de se rapprocher du reste
de l’Europe, de former des liens étroits avec les
nations de l’Occident, n’est nulle part aussi vif,
aussi général que chez les peuples slaves.
Parmi ces peuples, les uns ont obéi au
droit des capitulaires, d’autres suivent encore
aujourd’hui le Code Napoléon ; tous, ils ont reçu
de l’Europe la religion, l’organisation militaire,
les arts et les métiers, et ont réagi matériellement sur l’Occident. Cependant, ils sont encore
aujourd’hui presque inconnus sous le rapport
moral et intellectuel. L’esprit européen semble
les tenir au seuil et les écarter de la communion chrétienne. N’ont-ils donc aucun élément
de civilisation qui leur soit propre ? N’ont-ils
118
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
donc rien rapporté au trésor commun des
richesses intellectuelles, des biens moraux de la
chrétienté ? Le doute, à cet égard, serait pour les
Slaves une grande injustice.
Afin de prouver le droit qu’ils ont d’appartenir à la communauté chrétienne, les Slaves
essaient depuis quelque temps de prendre
eux-mêmes la parole, de parler votre langue, de
pousser leurs œuvres dans le courant de votre
littérature. Mais cet essai, jusqu’ici entrepris
dans l’intérêt d’une personne, d’une opinion
ou d’un parti, n’ayant pas réussi, on commence
à comprendre que, pour fixer l’attention des
peuples de l’Occident, distraits par tant de
secousses, si diversement préoccupés, il ne suffit
De l a Po l o g n e m a r t y re à l a Po l o g n e m e s s i e
pas de leur montrer çà et là quelques points
lumineux ; mais qu’il faut leur découvrir tout le
champ de la littérature slave. […]
[…]
L’histoire moderne des Slaves est étroitement liée à celle des nations de l’Occident.
Dans les temps peu éloignés, on a vu une armée
slave (l’armée russe) sur tous les champs de
bataille, dans toutes les capitales de l’Europe.
Cette armée, partout où elle mettait le pied,
était sûre de rencontrer une autre armée slave
(les légions polonaises) qui, sortant de dessous
terre comme une ombre vengeresse, se dressait
devant elle en Italie, la suivait du Niémen à
Moscou, puis revenait lui barrer le passage à la
Bérésina et sous les murs de Paris. Et après la
chute du héros du siècle, quand toute l’Europe
fut tranquille, on la vit de nouveau surgir tout
à coup, frapper l’armée russe dans ses cantonnements, engager avec elle une lutte terrible,
remplir le monde de bruit, ébranler les peuples
de sa race ; et les autres, amis ou ennemis, les
enflammer d’une brûlante inimitié ou d’une
sympathie plus brûlante encore ; disparaître,
enfin, en laissant derrière elle un long retentissement de douleur et de gloire. Partout
l’aigle de Russie s’est rencontré avec l’aigle de
Pologne ; toujours derrière le hurra russe s’est
fait entendre le cri de guerre des Polonais. Si
nous tournons nos regards vers le passé, qu’entendons-nous encore ? sinon l’écho répété
de cette lutte où les deux armées combattent
souvent pour une cause en apparence étrangère, où elles ne portent point leurs propres
couleurs, où elles se reconnaissent seulement,
a dit un poète, à la vigueur des coups ; de cette
lutte qu’un Russe, le prince Wiazemski, a
appelée “Une Thébaïde sans fin”.
[…]
L’Occident croit que le Nord lui doit tout
ce qu’il possède de lumière ; il peut y avoir, en
effet, beaucoup de ses semences dans un état
de végétation et d’épanouissement conforme à
la nature du sol. Mais il y pourrait reconnaître
aussi la préexistence de plusieurs découvertes,
qu’il regarde comme exclusivement siennes.
Notre naturaliste Zaluzianski, cent cinquante
ans avant Linné, avait observé le sexe des
plantes. Çiolek, surnommé Vitellio, a trouvé,
dès le xiii e siècle, une théorie de l’optique,
appuyée sur les mathématiques. Je passe sous
silence d’autres illustrations, pour arriver à
celui de nos savants qui est le plus généralement
connu, à Nicolas Kopernik, qui a saisi les lois
du monde solaire.
Nous chercherons à nous expliquer
comment, dans un pays peu avancé en civilisation, des penseurs ont pu s’élever à cette tension
d’intelligence ; comment ce qui est partout le
résultat d’un long travail, et ne se rencontre
qu’après des recherche scientifiques sans
nombre, semble, là, le produit d’une divination, et a pu apparaître à l’aurore même de la
science. Nos pays étant agricoles, nous verrons
que la botanique a dû naturellement occuper les
méditations des hommes et s’enrichir des observations qui circulaient dans le domaine public.
Vitellio dit, dans la préface de ses œuvres,
que c’est en regardant briller les vagues de la
petite rivière qui passe devant sa maison, qu’il a
conçu, pendant les heures de repos champêtre,
les premières idées de son système. Un grand
écrivain français a dit que Kopernik, lisant
la Bible, est arrivé à la haute pensée du vrai
système solaire : cette conjecture peut ne pas
être sans fondement. Mais un de nos compatriotes a deviné le vrai mobile, la vraie analogie
de ces découvertes ; il a eu raison de dire que
Kopernik a trouvé les lois du monde physique
comme la nation polonaise a pressenti celles
du mouvement du monde moral. Kopernik a
détruit les anciens préjugés en montrant que
le soleil est le foyer central des planètes ; la
nation polonaise a lancé sa patrie autour d’une
grande unité ; la même inspiration qui a fait de
Kopernik un grand philosophe a fait de la nation
polonaise le Kopernik du monde moral. » ■
Extraits de la « Première leçon d’Adam Mickiewicz
au Collège de France le 22 décembre 1840 », parue
dans Les Slaves. Cours professé au Collège de France
par Adam Mickiewicz. Tome premier. Les pays slaves
et la Pologne. Histoire et littérature, Au comptoir
des imprimeurs unis, Paris, 1849, pages 4 et 11 à 13.
[Nota bene : la graphie des noms propres du document
d’origine a été respectée.]
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
119
Documents de RÉFÉRENCE
On ne tue pas une nation
Jules Michelet (1863)
« Nous l’avons dit ailleurs, l’Europe n’est
point un assemblage fortuit, une simple juxtaposition de peuples, c’est un grand instrument
harmonique, une lyre, dont chaque nationalité
est une corde et représente un ton. Il n’y a rien
là d’arbitraire ; chacune est nécessaire en ellemême, nécessaire par rapport aux autres. En ôter
une seule, c’est altérer tout l’ensemble, rendre
impossible, dissonante ou muette, cette gamme
des nations.
Il n’y a que des fous furieux, des enfants
destructeurs qui puissent oser mettre la main sur
l’instrument sacré, œuvre du temps, de Dieu,
de la nécessité des choses, attenter à ces cordes
vives, concevoir la pensée impie d’en détruire
une, de briser à jamais la sublime harmonie
calculée par la Providence.
[…]
L’ignorance, la préoccupation excessive de ce qui est près de nous, la profonde
attention qu’on donne à des objets minimes,
en négligeant toute grande chose, ont seules
empêché, jusqu’ici, d’observer les conséquences
effroyables qu’a eues le meurtre de la Pologne, la
suppression de la France du Nord.
On en a caché une partie à force de
mensonges. C’est un fait prodigieux, et pour
humilier à jamais l’esprit humain, que le monde
des lumières et de la civilisation ait pu, depuis
un demi-siècle, se laisser tromper là-dessus.
[…]
En ces profondes ténèbres qu’ils avaient
faites, les meurtriers sont venus et ils ont bravement juré sur le corps de la victime : “Il n’y a
pas eu de Pologne : elle n’existait pas… Nous
n’avons tué que le néant.”
Puis, voyant la stupéfaction de l’Europe,
son silence, et que plusieurs semblaient les
croire, ils ont ajouté froidement : “Du reste,
existât-elle, elle a mérité de périr… S’il y a eu
une Pologne, c’était une puissance du moyen
âge, un État rétrograde, voué (c’est là ce qui nous
blesse) aux institutions aristocratiques.
120
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
– Moi, dit la Prusse, je suis la civilisation.
– Et moi, dit la Russie (ou du moins
ses amis le disent pour elle), moi, je suis une
puissance amie du progrès, sous forme absolutiste, une puissance révolutionnaire.”
Il n’est pas de mensonges hardis par
lesquels les amis des Russes n’aient insulté,
depuis vingt ans surtout, au bon sens de
l’Europe.
[…]
Phénomène terrible pour le monde, mais
surtout pour la Russie elle-même. L’idée russe
a faibli en elle, et elle n’a pas pris l’idée de
l’Europe ; elle a perdu son rêve, qui était une
autorité paternelle, et elle ignore la loi, cette
mère des nations.
Que serait-ce si elle n’avait encore, pour
la tirer de ce néant où elle descend, une sœur
qui comprend les deux autorités (la paternité
et la loi) ; cette sœur, l’aînée des Slaves, dans
laquelle est leur vie la plus intense ; cette sœur
dont le génie a grandi, s’est approfondi sous
la verge de la Providence et dans l’épreuve du
destin ?
Sans elle, sans cette infortunée Pologne
qu’on croit morte, la Russie n’aurait aucune
chance de résurrection.
Elle pourrait troubler l’Europe, l’ensanglanter encore, mais cela ne l’empêcherait pas
de s’enfoncer elle-même dans le néant et dans le
rien, dans les profondes boues d’une dissolution
définitive.
Au reste, la Russie le sent. Malgré son
atroce gouvernement, malgré le maître fou qui
l’enfonce aux abîmes, elle sent bien que tout
son espoir est dans cette pauvre Pologne. Elle le
sent ; elle se souvient de la fraternité. Ce souvenir
et ce sentiment sont à elle, Russie, sa légitimité,
et c’est pourquoi Dieu la sauvera.
Vivez, Pologne, vivez ! Le monde vous
en prie, toutes les nations ; nul n’en a plus
besoin que l’infortuné peuple russe. Le salut
de ce peuple et sa rénovation sont pour vous
De l a Po l o g n e m a r t y re à l a Po l o g n e m e s s i e
une glorieuse raison d’être. Plus il descend, ce
peuple, plus votre droit de vivre augmente, plus
vous devenez sacrée, nécessaire et fatale. » ■
Extraits de Jules Michelet, La Pologne martyr, É. Dentu,
Libraire-éditeur, Paris, 1863, chap. « Kosciusko »,
pages 9-10, 12-13 et 15-16.
La nation polonaise à l’épreuve du communisme
Czesław Miłosz (1953)
« Peut-on s’étonner de ce que nous ayons
considéré la Russie comme le pays où l’on avait
trouvé la solution de tous les problèmes qui nous
obsédaient, l’unique pays qui pût nous sauver
de malheurs aisément imaginables lorsqu’on
écoutait à la radio les discours de Hitler ? Il
n’était tout de même pas facile de se décider pour
le communisme. Cela signifiait un renversement
complet de la notion même de nationalité ; les
Polonais, pendant des siècles, étaient restés en
état de guerre permanent avec Moscou. Il y avait
eu une époque où les rois de Pologne avaient
poussé leurs expéditions jusque dans la “Rome de
l’Est”. Plus tard, la balance pencha vers Moscou
et enfin, pendant tout le xixe siècle, la Pologne fut
une province de l’empire des tsars. Pour accepter
le communisme, il fallait réduire ces conflits à
la seule rivalité des classes possédantes des deux
nations et oublier les antagonismes séculaires : la
nation des rois, de la noblesse et de la bourgeoisie
devait être reléguée au musée. Il fallait admettre
que la Pologne, après une courte période d’indépendance consécutive au traité de Versailles,
redeviendrait inévitablement une province russe
en cas de victoire du communisme. Les régions
polonaises de l’Est, ainsi que la ville où nous
habitions, seraient directement incorporées à
l’Union, car Moscou les considérait comme
partie intégrante des républiques biélorussiennes
et ukrainiennes. Quant au reste du territoire, il
deviendrait une nouvelle république soviétique.
Tel était le programme auquel les communistes
se ralliaient franchement.
Renoncer à la fidélité envers notre propre
pays et faire table rase des sentiments patriotiques inculqués à l’école et à l’université, tel
était le prix de l’accès au chemin du progrès. » ■
Extrait de Czesław Miłosz, La Pensée captive. Essai sur
les logocraties populaires, © Éditions Gallimard, Paris,
1953, pages 190-191.
Le retour à l’Europe
Tadeusz Mazowiecki (1990)
« Monsieur le Président, Mesdames,
Messieurs, l’Europe traverse une période exceptionnelle. Voilà qu’une partie du continent,
arrachée de sa souche il y a près d’un demisiècle, souhaite y revenir. Le retour à l’Europe !
Cette phrase fait ces temps-ci de plus en plus
carrière dans les pays d’Europe centrale et orientale. Les hommes politiques et les économistes
parlent de ce retour, de même, les gens de la
culture, quoiqu’il leur soit plus facile de rester
dans l’Europe : une Europe de l’esprit, une
Europe comprise comme une communauté de
valeurs et de traditions. Peut-être que le terme de
retour à l’Europe est trop faible pour définir le
processus que nous vivons ? Il faut parler plutôt
de la renaissance de l’Europe qui, en fait, a cessé
d’exister depuis Yalta.
Ma présence parmi vous est le signe de
cette renaissance. Elle est le signe de la renaissance d’un sentiment de communauté et de
solidarité européennes qui, par trop souvent,
furent oubliées dans le passé. Par ces propos,
je voudrais rappeler aussi tous ceux chez qui
le sentiment de communauté et de solidarité
européennes est resté vivant. Je pense à ceux
qui, à haute voix, avaient protesté publiquement
contre les coups de force tels que l’invasion de
la Hongrie en 1956 et de la Tchécoslovaquie
en 1968. Je pense aussi à tous nos amis occidentaux qui, après l’instauration de l’état de siège
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
121
Documents de RÉFÉRENCE
en 1981, nous apportaient une aide morale et
matérielle. À diverses périodes, dans les années
difficiles pour nous, les liens personnels ainsi
noués ont contribué à former un tissu des plus
précieux, qui est toujours là, et qui offre une base
inestimable pour rebâtir les éléments politiques
et économiques d’une authentique communauté
avec les autres pays de notre continent.
Les Polonais sont un peuple conscient de
leur appartenance à l’Europe, de leur “européanité”. Ils en sont conscients, à l’instar d’autres
peuples européens vivant au croisement des
cultures, à proximité des grandes puissances,
traversant des périodes d’existence politique
alternées de non-existence et de ce fait ayant
besoin de se renforcer dans leur identité.
Dans toutes ces réponses, l’Europe a toujours
constitué un point de référence. Une Europe que
les Polonais aimaient, et dont ils se sentaient
les défenseurs. L’idée d’être les “remparts de la
chrétienté”, et donc les remparts de l’Europe, était
restée vivante en Pologne pendant trois cents ans.
L’Europe est donc présente dans la conscience
polonaise en tant que valeur pour laquelle cela
vaut la peine de vivre, mais pour laquelle il faut
parfois mourir. Cette Europe, on lui en voulait
également, on lui faisait des reproches et ceci est
resté gravé jusqu’à ce jour dans notre conscience
collective. Nous continuons à voir en l’Europe
une valeur, la patrie de la liberté et de la loi, et
nous continuons à nous identifier fortement à
elle. Nous continuons à lui en vouloir pour Yalta,
pour la division de l’Europe, pour nous avoir
laissés de l’autre côté du rideau de fer.
Pourtant aujourd’hui, alors que le retour
à l’Europe, plus exactement la renaissance de
l’Europe en tant qu’entité, devient de plus en
plus réelle, nous nous demandons, de plus en
plus fréquemment, ce que nous avons à lui offrir,
quelle est aujourd’hui notre contribution au
trésor européen. Or, je pense que nous avons pas
mal à lui offrir. Notre contribution à l’Europe,
c’est à la fois notre force et notre faiblesse.
Nous sommes comme cet homme qui se
relève d’une grave maladie. Des années durant,
nous étions sous l’effet de la terrible pression
du totalitarisme, et nous avons tenu bon. Mais
nous sommes toujours en convalescence. Notre
122
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
économie est en crise et nous tâchons de la
relever, les institutions démocratiques de l’État
sont seulement en cours de reconstruction,
rendues à la vie. Mais nous avons des expériences
que nous n’oublierons pas et que nous allons
transmettre aux autres.
Si nous avons réussi à perdurer en tant
qu’entité, nous le devons, entre autres, à notre
profond attachement à certaines institutions
et à certaines valeurs relevant de la norme
européenne. Nous le devons à la religion et à
l’Église, à notre attachement à la démocratie
et au pluralisme, aux droits de l’homme et aux
libertés civiques, à l’idée de solidarité. Même
lorsque nous ne pouvions donner libre cours à
ces valeurs, lorsque nous ne pouvions les mettre
en application dans notre vie collective – nous
les appréciions, nous les aimions, nous luttions
pour elles – nous les connaissons, nous connaissons leur prix. Nous connaissons le prix de
l’“européanité”, de la norme européenne que les
Occidentaux d’aujourd’hui héritent sans même
payer de droits successoraux. Nous pouvons leur
rappeler ce prix. Nous apportons donc à l’Europe
notre foi en l’Europe.
[…]
Mais les processus se déroulant en Europe
centrale et orientale, tout porteurs de risques
qu’ils soient, constituent avant tout un incroyable
défi historique. Bien qu’il soit évident que ces
défis sont avant tout pour nous, pour les habitants
de l’Europe centrale, ils constituent également un
défi historique et une tâche pour l’ensemble de
l’Europe. Le champ d’action est vaste. Il y a une
place pour les Occidentaux qui voient le sens de
notre action et croient en notre objectif. Avec eux
– avec vous – il nous sera plus facile de réduire
la distance qui nous sépare. Le mur qui séparait
l’Europe libre de l’Europe inféodée a déjà été
abattu. Maintenant, il faut remblayer le fossé qui
existe entre l’Europe pauvre et l’Europe nantie.
Si l’Europe doit être notre “maison commune”
dans laquelle les uns ne vont pas fermer la porte
aux autres, des écarts aussi grands ne peuvent se
maintenir. Un grand travail nous attend tous.
Nous avons besoin aujourd’hui de nouveaux
indicateurs de direction qui sauraient orienter nos
De l a Po l o g n e m a r t y re à l a Po l o g n e m e s s i e
efforts vers une perspective européenne commune
qui n’exclurait personne et dans laquelle tous
retrouveraient leur intérêt. Il n’est pas facile
de tracer une telle direction car celle-ci doit se
dégager d’une réflexion et d’un travail collectifs. Mais puisque, sous nos yeux, naît dans votre
partie du continent l’Europe de l’après 1992, alors
pourquoi ne pas penser à un ensemble européen
de l’an 2000, à une Europe de l’an 2000. Quelle
Europe pourrions-nous imaginer de façon réaliste,
si nous unissions nos efforts ?
Ce ne sera certainement pas encore un
espace européen où circuleraient librement les
marchandises, les capitaux et les hommes, mais
cela pourrait être une Europe où les frontières et les
obstacles tarifaires seraient notablement abaissés,
une Europe entièrement ouverte aux jeunes.
Le sort de notre continent sera ce que seront les
jeunes Européens que nous aurons élevés.
Ce pourra être une Europe dans laquelle les
contacts entre créateurs et scientifiques favorisant la perméabilité des cultures nationales et,
en conséquence, leur rapprochement seront plus
riches qu’aujourd’hui.
Ce ne sera pas une Europe disposant d’une
monnaie commune, mais ce pourra être une
Europe où les économies seraient complémentaires, où la différence de niveau de vie serait
moins grande et les échanges économiques internationaux plus riches.
Ce pourrait être aussi une Europe dans
laquelle le climat serait sain, l’eau salubre et le
sol non pollué. Une Europe écologiquement
propre.
Mais avant toute chose, ce doit être une
Europe qui aura nettement progressé dans le
domaine du désarmement, une Europe qui
exercera sur l’ensemble du monde un impact
en tant que facteur de paix et de coexistence
internationale.
À y réfléchir, on pourra y trouver beaucoup
d’autres domaines de la vie sociale pouvant être
mieux arrangés par nous dans cette dernière
décennie du vingtième siècle. Il faut seulement
commencer le travail.
Il y a sur notre continent des structures
dans lesquelles un tel travail peut durer, car il
dure déjà, et ce depuis longtemps. L’une de
ces structures, c’est précisément le Conseil de
l’Europe, dont l’un des objectifs est l’aspiration
à une plus grande unité des pays membres, dans
le but de la défense et de la réalisation des idéaux
et des principes qui sont leur héritage commun,
et la promotion du développement économique
et social.
Pourtant aujourd’hui, alors qu’une telle
accélération a précisément eu lieu en Europe,
que les conditions se font jour pour que nous
puissions réfléchir sur ces questions en commun,
entre États, groupements et organisations, on
voit se dessiner la possibilité et le besoin de créer
des structures paneuropéennes qui prendraient
ces tâches en charge.
Je pense que le temps est venu de concrétiser l’idée de la “maison commune” et de la
“confédération européenne” lancée dernièrement par d’éminents hommes d’État. Il est temps
que soient créées des institutions englobant
réellement toute l’Europe. » ■
Extraits du discours de Tadeusz Mazowiecki [19272013], alors Premier ministre de la Pologne, au Conseil
de l’Europe le 30 janvier 1990.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
123
> Les questions internationales
sur Internet
Os’rodek Studiów
Wschodnich
www.osw.waw.pl/en
Fondé en 1990, le Centre
d’études orientales (Ośrodek Studiów
Wschodnich, OSW) est un institut de
recherche polonais à financement public
qui se consacre à l’étude du voisinage
oriental de la Pologne. Principal think
tank polonais consacré à l’environnement oriental du continent, il entend
présenter les spécificités du regard que
pose la Pologne sur cette région. Fort
d’une quarantaine de chercheurs et d’un
conseil de direction composé de diplomates et d’universitaires, le Centre est
un organisme gouvernemental qui joue
un rôle central dans la définition des
positions de politique étrangère de la
Pologne.
L’OSW publie en polonais et en
anglais des notes et des études consacrées aux pays de sa zone de compé-
tence ou aux enjeux transversaux
auxquels est confrontée la région.
Les principaux thèmes abordés sont
la politique de voisinage de l’Union
européenne, les stratégies énergétiques
et l’évolution politique des républiques
de l’ex-URSS. On y trouvera notamment un nombre conséquent d’analyses
publiées depuis le début de l’année 2014
reflétant la lecture polonaise de la crise
ukrainienne, de la politique étrangère de
la Russie ou des conflits gaziers.
monde et constituait l’un des principaux centres de la vie intellectuelle,
politique et religieuse de la diaspora
juive. Les collections conservées par
le YIVO sont à ce titre l’un des témoignages les plus conséquents sur cette
réalité qui ait survécu à la Shoah et à
l’occupation nazie.
Le site se présente à la fois comme
un projet éducatif et comme un outil
de recherche s’adressant aussi bien aux
amateurs désireux de s’informer sur
l’histoire de l’Europe centrale et orientale et du judaïsme qu’aux chercheurs
habitués à déchiffrer des manuscrits en
yiddish, en polonais ou en russe.
YIVO Digital Archive on
Jewish Life in Poland
www.polishjews.yivoarchives.org/
Créé en 1925 à Wilno (Vilnius)
comme Institut scientifique juif et
installé depuis 1940 à New York sous
le nom d’Institute for Jewish Research,
le YIVO, qui demeure connu sous
son acronyme yiddish d’origine, est
un centre d’étude de la langue, de
la culture et de l’histoire des Juifs
d’Europe de l’Est.
Lancé en mai 2014, le Digital
Archive on Jewish Life in
Poland est un projet matérialisé
par un site Internet qui rassemble
plusieurs milliers de pièces d’archives
manuscrites, photographiques,
cinématographiques et artistiques
sur la vie de la communauté juive de
Pologne avant la Seconde Guerre
mondiale.
La Pologne abritait alors la plus
importante communauté juive au
124
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Liste des CARTES et GRAPHIQUES
Le Royaume de Pologne-Lituanie (vers 1400)
L’Europe centrale et orientale (1740)
Les trois partages de la Pologne (1772, 1793 et 1795)
La disparition de la Pologne (XIXe siècle)
La Pologne (1918-1945)
Densité de population (2012)
Référendum relatif à l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne (2003)
La Pologne dans son environnement stratégique (juillet 2014)
Les coopérations autour de la mer Baltique (2014)
Fonds structurels en Pologne (2007-2013)
Les partis représentés à la Diète de 1989 à 2014
Pologne : régions rurales et régions urbaines (2014)
Élections européennes en Pologne (25 mai 2014)
Taux de chômage (2012)
PIB par habitant (2011)
Principaux partenaires commerciaux de la Pologne (2012)
Indice de développement humain (2012)
Dépenses totales de santé par habitant (2011)
Dépenses des administrations publiques consacrées à l’éducation (2010)
Dépenses en R&D (2011)
Part de la population ayant accès à Internet (2011)
p. 5
p. 5
p. 7
p. 7
p. 13
p. 26
p. 29
p. 39
p. 43
p. 45
p. 63
p. 65
p. 69
p. 78
p. 80
p. 81
p. 82
p. 82
p. 82
p. 82
p. 82
Liste des principaux ENCADRÉS
Pologne : quelques éléments chronologiques (Questions internationales)
Quelques personnalités polonaises (Questions internationales)
Pourquoi l’OTAN ? L’argumentaire polonais en faveur de l’intégration atlantique (Amélie Zima)
La Baltique : un espace de coopérations (Questions internationales)
L’adaptation de la politique d’emploi polonaise aux normes européennes (Amélie Bonnet)
Les États-Unis, garants « par défaut » de la sécurité polonaise ? (Romain Su)
Les relations germano-polonaises : vingt-cinq ans de nouveau voisinage (Dorota Dakowska)
Les relations judéo-polonaises à l’aune des enjeux de mémoire (Jean-Charles Szurek)
Pologne : quelques indicateurs statistiques
Varsovie, une capitale singulière (Lise Bourdeau-Lepage)
La place de l’Église catholique en Pologne (Anna Rochacka-Cherner)
p. 21
p. 27
p. 33
p. 43
p. 44
p. 53
p. 57
p. 71
p. 76
p. 84
p. 94
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
125
ABSTRACTS
Return to the Concert of Nations
Georges Mink
Fifteen years have gone by since Poland
joined NATO – on 12 March 1999 – and ten,
since it joined the European Union – 1 May 2004.
The liberal elites now in power wanted to make
these anniversaries one great celebration of the
success of Poland and the Poles, their return to
the European scene and, more broadly, to the
concert of nations. But these two dates are far
from the only ones to interest the authorities,
well aware that the weight of the past influences
political decisions, both internally and externally;
especially in dealings with neighbouring states.
Poland in the European Union
Ewa Kulesza and Christian Lequesne
One of the policy priorities for Donald
Tusk’s government since 2007 has been to make
Poland an actor that counts within the European
Union. This aim is rooted in an old historical
model, now being strongly reasserted. There is
no doubt that Poland’s European commitment
is stronger than it was when it joined the EU
in 2004. This qualitative jump has contributed
to Poland’s success story, which is blatant if the
country’s situation is compared to that of the
other new member states. However this choice,
intrinsically linked to the Civic Platform’s
presence in the government, is not irreversible.
Geopolitical Constraints
David Cadier
More than anywhere else in Europe,
geopolitical data determine Poland’s foreign
policy decisions. Historically, rivalries linked to
protecting or conquering territory have always
shaped Poland’s perception of the environment
and the formulation of the country’s diplomatic
choices. These characteristics are still evident
as much in the current definition of the national
interest as in sensitivity to changes in the regional
context.
tees derived from international cooperation.
Indeed, since its transition to democracy in
1989, the country has relied on cooperation with
Western structures for its security, mainly NATO
and the European Union. In a context of rising
tension with Russia over Ukraine, Poland is now
trying to convince the Atlantic Alliance, which it
sees as the first pillar in its security, to increase its
military presence on Polish soil.
Reshuffling the National
Political Scene
Cédric Pellen
For the last ten years or so, Polish politics
have been dominated by the opposition between
two right-wing parties claiming the inheritance
of the former democratic opposition movement,
Solidarność: Civic Platform, on the one hand,
and Law and Justice, on the other. This atypical
bipolarisation of the political scene originated in
the way Poland emerged from Communism and
the gradual exhaustion of the previously structuring split between former Communists and
former members of Solidarność.
Twenty-five Years of Economic Change
Éric Brunat and Jacques Fontanel
Thanks to the implementation of a determined austerity policy, Poland has covered an
impressive amount of ground in a quarter of a
century, going in record time from a centrally
planned economy to an efficient market economy
meeting the criteria of the European Union. The
apparent ease with which the country weathered the violent world financial crisis that started
in 2008 shows just how resilient the Polish
economy is. Although extra reforms are needed,
its forecasted performances for 2014 confirm the
solidity of its progress.
The Greek Presidency
of the European Union: between
Rehabilitation and Singularity
Renaud Dorlhiac
Security and Defence Policy
Stanisław Parzymies
For the last few years, Poland has been
reassessing its defence capacity and the guaran126
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
Greece’s presidency of the European
Union in the first semester of 2014 came in a very
different context from its previous experience in
2003. The loss of momentum in the enlargement
of the union since the wave of new members
in 2004-2007 and the impact of the economic
and financial crisis of 2008 have weakened a
model which once enjoyed fervent support in the
country. Before then, Greece had been presented
in cultural and mythological terms as the foundation of the very Europe whose essence and
outlines are now challenged. This belief, deeply
rooted in Greek society, explains the violence of
the shock felt by the Greek population in 2008
with the intervention of international monetary
institutions and the upsurge of infuriating, persistent stereotypes about the character traits of
Northern and Southern Europeans.
Piecing Together the Middle East
after the Arab Spring
Xavier Hautcourt
What is now conventionally called the
“Arab Spring” created a major upheaval in North
Africa and the Middle East. The complexity of
these events reminds observers that revolution
has multiple facets and can be reinvented to suit
different times and places. Although the future
of the revolutionary cycle triggered by the 2011
revolutions is still uncertain, an initial assessment can be attempted.
Zero Dark Thirty: Polemics over
the Story of the Death of Bin Laden
Grégory Boutherin
The cinema has always used history as raw
material so it is quite logical that the film industry
– and television, with series like Over There, 24:
Live Another Day or Homeland – have appropriated the post-September 11 era, bringing to the
screen scenarios with the fight against terrorism,
the war in Afghanistan or Iraq as a background.
American film director and screenwriter Kathryn
Bigelow’s film, Zero Dark Thirty (2013), traces
the CIA’s long hunt of Osama Bin Laden, which
ended with his execution in Pakistan in May 2011.
The film met with critical acclaim, especially in
English-speaking countries, but has stirred up a
series of controversies.
Questions internationales no 69 – Septembre-octobre 2014
127
Vous avez
rendez-vous …
avec le monde
Déjà parus
no 68
no 67
no 66
no 65
no 64
no 63
nos 61-62
no 60
no 59
no 58
no 57
no 56
no 55
no 54
no 53
no 52
no 51
no 50
L’Été 14 : d’un monde à l’autre
L’espace : un enjeu terrestre
Pakistan : un État sous tension
Énergie : les nouvelles frontières
États-Unis : vers une hégémonie discrète
Ils dirigent le monde
La France dans le monde
Les villes mondiales
L’Italie : un destin européen
Le Sahel en crises
La Russie
L’humanitaire
Brésil : l’autre géant américain
Allemagne : les défis de la puissance
Printemps arabe et démocratie
Un bilan du XXe siècle
À la recherche des Européens
AfPak (Afghanistan-Pakistan)
no 49
no 48
no 47
no 46
no 45
no 44
no 43
no 42
no 41
no 40
no 39
no 38
no 37
no 36
no 35
no 34
no 33
no 32
no 31
no 30
no 29
no 28
no 27
no 26
no 25
no 24
no 23
no 22
no 21
À quoi sert le droit international
La Chine et la nouvelle Asie
Internet à la conquête du monde
Les États du Golfe
L’Europe en zone de turbulences
Le sport dans la mondialisation
Mondialisation : une gouvernance introuvable
L’art dans la mondialisation
L’Occident en débat
Mondialisation et criminalité
Les défis de la présidence Obama
Le climat : risques et débats
Le Caucase
La Méditerranée
Renseignement et services secrets
La mondialisation financière
L’Afrique en mouvement
La Chine dans la mondialisation
L’avenir de l’Europe
Le Japon
Le christianisme dans le monde
Israël
La Russie
Les empires
L’Iran
La bataille de l’énergie
Les Balkans et l’Europe
Mondialisation et inégalités
Islam, islams
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Questions
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- L’espace, un enjeu terrestre (n° 67)
- Pakistan : un État sous tension (n° 66)
- Énergie : les nouvelles frontières (n° 65)
- États-Unis : vers une hégémonie discrète (n° 64)
- Ils dirigent le monde…(n° 63)
- La France dans le monde (n° 61-62)
- Les villes mondiales (n° 60)
- L’Italie : un destin européen (n° 59)
- Le Sahel en crises (n° 58)
- La Russie au défi du XXIe siècle (n° 57)
- L’humanitaire (n° 56)
- Brésil : l’autre géant américain (n° 55)
- Allemagne : les défis de la puissance (n° 54)
- Printemps arabe et démocratie (n° 53)
- Un bilan du XXe siècle (n° 52)
- À la recherche des Européens (n° 51)
- AfPak (Afghanistan – Pakistan) (n° 50)
- À quoi sert le droit international (n° 49)
- La Chine et la nouvelle Asie (n° 48)
- Internet à la conquête du monde (n° 47)
- Les États du Golfe : prospérité & insécurité (n° 46)
- L’Europe en zone de turbulences (n° 45)
- Le sport dans la mondialisation (n° 44)
- Mondialisation : une gouvernance introuvable (n° 43)
- L’art dans la mondialisation (n° 42)
- L’Occident en débat (n° 41)
- Mondialisation et criminalité (n° 40)
- Les défis de la présidence Obama (n° 39)
- Le climat : risques et débats (n° 38)
- Le Caucase : un espace de convoitises (n° 37)
- La Méditerranée. Un avenir en question (n° 36)
- Renseignement et services secrets (n° 35)
- Mondialisation et crises financières (n° 34)
- L’Afrique en mouvement (n° 33)
- La Chine dans la mondialisation (n° 32)
- L’avenir de l’Europe (n° 31)
- Le Japon (n° 30)
- Le christianisme dans le monde (n° 29)
- Israël (n° 28)
- La Russie (n° 27)
- Les empires (n° 26)
- L’Iran (n° 25)
- La bataille de l’énergie (n° 24)
- Les Balkans et l’Europe (n° 23)
- Mondialisation et inégalités (n°22)
- Islam, islams (n° 21)
- Royaume-Uni, puissance du XXIe siècle (n° 20)
- Les catastrophes naturelles (n° 19)
- Amérique latine (n° 18)
- L’euro : réussite ou échec (n° 17)
- Guerre et paix en Irak (n° 16)
- L’Inde, grande puissance émergente (n° 15)
- Mers et océans (n° 14)
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Conception graphique
Studio des éditions DILA
Mise en page et impression DILA
Photo de couverture :
Vue de la vieille ville de Gdańsk
depuis la rivière Motława
© Fotolia / Katatonia
Page 2 de couverture
Terminal à containers
du port de commerce de Hong Kong
© PhotoAlto / James Hardy
IMPACT-ÉCOLOGIQUE
www.dila.premier-ministre.gouv.fr
PIC D’OZONE
IMPACT SUR L’ EAU
CLIMAT
213 mg eq C2 H4
2 g eq PO43840 g eq CO2
Pour un ouvrage
À paraître :
Cet imprimé applique l'affichage environnemental.
Avertissement au lecteur : Les opinions exprimées dans les contributions n’engagent que les auteurs.
© Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2014.
«En application de la loi du 11 mars 1957 (art. 41) et du Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, toute reproduction partielle ou
totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que
l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre.»
Questions
internationales
Septembre-octobre 2014
Dossier
La Pologne au cœur de l’Europe
Ouverture.
La Pologne ou le phénix de l’Europe
Serge Sur
Retour dans le concert des nations
Georges Mink
La Pologne au sein de l’Union européenne
Ewa Kulesza et Christian Lequesne
Les contraintes géopolitiques
David Cadier
Sécurité et politique de défense
Stanisław Parzymies
Les recompositions de la scène politique nationale
Cédric Pellen
Vingt-cinq ans de transformations économiques
Éric Brunat et Jacques Fontanel
Regards sur la culture polonaise
– La nouvelle scène artistique polonaise Anna Rochacka-Cherner
– Vers un renouveau du cinéma polonais Dorota Szeligowska
Et les contributions de
Amélie Bonnet, Lise Bourdeau-Lepage, Dorota Dakowska, Romain Su,
Jean-Charles Szurek et Amélie Zima
Chronique d’actualité
Le sport professionnel, un enjeu politique et économique
en « trompe-l’œil »
Jacques Fontanel
Questions européennes
Imprimé en France
Dépôt légal :
3e trimestre 2014
ISSN : 1761-7146
N° CPPAP : 0416B06518
DF 2QI00690
10 €
Printed in France
CANADA : 14.50 $ CAN
La présidence grecque de l’Union européenne :
entre réhabilitation et singularité
Renaud Dorlhiac
Regards sur le monde
La recomposition du Moyen-Orient après les printemps arabes
Xavier Hautcourt
Les questions internationales à l’écran
Zero Dark Thirty :
polémiques autour du récit de la mort de Ben Laden
Grégory Boutherin
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Documents de référence
Les questions internationales sur Internet
Abstracts
N° 69
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