> XPress 6 Noir L’Encéphale (2007) Supplément 2, S76-S77 j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / e n c e p Discussion Ch. Passerieux Service hospitalo-universitaire de psychiatrie – Équipe Mixte INSERM ERI 15 – EA 4047 Versailles Saint-Quentin en Yvelines Hôpital André Mignot, 78157 Le Chesnay La remédiation cognitive : une approche novatrice En médecine, et tout particulièrement en psychiatrie, notre regard clinique se construit à partir de nos outils thérapeutiques. La clinique des états schizophréniques a été profondément transformée par les neuroleptiques, avec un accent mis sur les symptômes positifs et négatifs. La remédiation nous invite à un changement de regard pour la construction d’une clinique du fonctionnement des patients dans différents secteurs d’activité et de vie. C’est d’ailleurs ce changement de regard dont témoignent les équipes qui se sont engagées dans ce type d’approche thérapeutique. D’autre part, ces approches s’appuient, en tout cas pour une part d’entre elles, sur les données actuelles des neurosciences concernant le niveau cognitif des « mécanismes » en jeu. Enfin, le pari que d’autres disciplines ont fait avant nous (pour les pathologies cérébrales lésionnelles en particulier) est que l’exercice des fonctions cognitives défaillantes permet d’en améliorer le fonctionnement. Deux hypothèses sont possibles et complémentaires : soit la remise en marche des réseaux neuronaux qui portent normalement la fonction exercée ; soit le développement de stratégies palliatives, peut-être moins automatisées ou moins efficaces, mais qui permettent une certaine suppléance et qui seraient portées par d’autres réseaux neuronaux. Exemple d’une pratique de la remédiation cognitive : théorie de l’esprit et remédiation Il existe un grand nombre d’altérations du fonctionnement cognitif observées chez les patients, et dont la multitude de stratégies de remédiation, bien illustrée par la présentation du Dr Amado, est le reflet. De la pertinence de la cible dépend sans doute l’efficacité de ces actions ; un courant se développe rapidement qui oriente les actions de remédiation vers des compétences plus directement impliquées dans le fonctionnement social des patients comme les compétences en cognition sociale. C’est la direction dans laquelle nous avons orienté nos recherches que je souhaite vous présenter comme illustration aujourd’hui. Nous avons développé depuis de nombreuses années, dans l’équipe de Versailles, un modèle intégratif neurocognitif des troubles de la communication des patients schizophrènes, troubles qui constituent l’un des handicaps fonctionnels les plus importants et les plus spécifiques de ces maladies et nous avons apporté des éléments de validation à la chaîne pathogénique suivante : des troubles du traitement et de l’intégration du contexte sémantique (indices contextuels) perturbent les capacités de lecture des intentions d’autrui, l’ensemble sous-tendant les troubles de la relation et de la communication (Fig. 1). * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts. © L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés. 4490_13_Pa s s e r i e ux.76 4490_13_Passerieux.indd i ndd 76 1 2 / 1 2 / 0 710:04:24 12/12/07 10: 04: 24 > XPress 6 Noir Discussion S77 Erreurs dans l’attribution d’intentions à autrui Trouble du traitement des indices contextuels Troubles de la communication Figure 1 Modèle des troubles de la communication schizophrénique [1]. La suite logique de ces travaux a été d’en développer les retombées pratiques et en particulier une stratégie de remédiation, en parallèle avec les outils d’évaluation d’impact (marqueurs de processus) que nous avions validés. Notre choix a porté sur l’exercice de la capacité d’attribution d’intention à autrui, à la fois dans la capacité à générer des hypothèses et dans la capacité à sélectionner l’hypothèse la plus pertinente en fonction des éléments contextuels (modèle de Sperber et Wilson). Notre équipe a travaillé à la construction d’un matériel écologique (extraits de films) et qui suscite hautement la lecture intentionnelle. L’atelier de remédiation consiste en 10 séances durant lesquelles sont travaillés un ou deux extraits de film de difficulté croissante. La procédure consiste à visionner l’extrait de film sur lequel le groupe va travailler. Cet extrait pourra être revu autant de fois que nécessaire au cours de la séance de travail. Puis l’animateur propose une question et 5 réponses possibles, classées en très peu probable, peu probable, probable ou très probable. Le travail de l’atelier consiste à élaborer avec le patient les stratégies pertinentes qui permettent d’aboutir au classement proposé, en favorisant la logique « commune » plutôt que la logique « personnelle » ; il est possible de procéder à un revisionnage de l’extrait à chaque fois que nécessaire pour retrouver les indices comportementaux et contextuels qui importent pour appuyer la stratégie. Nos résultats préliminaires montrent une amélioration des capacités de lecture intentionnelle de certains patients, mais également une amélioration de leurs capacités relationnelles au sens large. Un point est à souligner, inspiré par la littérature : dans cette méthode d’apprentissage, l’animateur donne d’emblée la bonne réponse. Le travail porte sur les stratégies pour y parvenir, sans laisser le sujet procéder par essais et erreurs. Il existe en effet des données convaincantes concernant l’intérêt de la méthode d’apprentissage sans erreur, développée en particulier par l’équipe de Kern et Liberman. Le bénéfice de cette méthode par rapport à la méthode classique par essai et erreur peut procéder d’un effet motivationnel classique de renforcement positif. Il est probable que des raisons cognitives contribuent également de manière spécifique au bénéfice particulier obtenu avec cette méthode par les schizophrènes : elle évite en effet de fixer en mémoire de « faux chemins », et elle réduit la difficulté de la tâche puisque, la « réponse-but » étant donnée, le travail peut se centrer sur les stratégies. Indications de la rémédiation cognitive De nombreux critères généraux d’indication ou de prédiction d’une bonne réponse ont été proposés, comme un 4490_13_Pa s s e r i e ux.77 4490_13_Passerieux.indd i ndd 77 niveau suffisant concernant des capacités cognitives de base (attention, fonctions exécutives, langage, mémoire…), des capacités d’apprentissage satisfaisantes, un niveau de motivation et de coopération suffisant. D’autres points importants entrent en jeu. D’une part, l’insight du patient par rapport à ses difficultés est, en matière globale de réhabilitation, probablement essentiel : on connaît l’atteinte spécifique de l’insight dans la schizophrénie ; de plus, les capacités d’insight des patients sont évolutives et leur développement constitue une bonne partie du travail que nous avons à conduire dans le suivi des patients. D’autre part, deux facteurs représentent sans doute des entraves importantes au fait de pouvoir bénéficier d’une approche de remédiation : la dépression, dont on connaît la fréquence dans les troubles schizophréniques, et qu’il est important de rechercher ; et un traitement mal adapté (sur ou sous dosé). Toutefois, les données concernant un gain spécifique lié à tel ou tel antipsychotique ne sont pas, aujourd’hui, solides. Au-delà de la question de l’efficacité des méthodes de remédiation (question qui n’a, à ce jour, que des réponses très partielles, bien qu’encourageante pour certaines approches), la question se posera, à terme, des critères de choix d’une approche parmi les différentes qui sont proposées. Certaines approches se distingueront, sans doute parce que plus centrées sur les déficits fonctionnels spécifiques des patients. Mais il faudra également préciser à quel moment une méthode a le plus de chances d’apporter des résultats positifs chez un patient donné. Ceci souligne l’intérêt d’approches séquentielles. L’évaluation des techniques de réhabilitation cognitive Il est probable que l’imagerie cérébrale tiendra à l’avenir une place essentielle dans l’évaluation de l’effet des stratégies de remédiation cognitive. La remédiation cognitive soutient en effet l’hypothèse d’une plasticité cérébrale chez les sujets schizophrènes. Cette hypothèse semble avoir été oubliée par les psychiatres depuis de nombreuses années, alors qu’elle est aujourd’hui fortement soutenue, en particulier dans les atteintes cérébrales lésionnelles, par les neurologues et les neuropsychologues. Des études d’évaluation de l’impact de la remédiation cognitive pourraient montrer la modification du fonctionnement cérébral après remédiation, soit par réapparition ou renforcement des patterns d’activation observés chez le sujet normal, soit par l’apparition de patterns d’activation différents, qui témoigneraient de la mise en place d’une adaptation et de stratégies cognitives palliatives. Références [1] Hardy-Baylé M-C, Sarfati Y, Passerieux C. The cognitive basis of disorganization symptomatology in schizophrenia and its clinical correlates : toward a pathogenetic approach to disorganization. Schizophr Bull 2003 ; 29 (3) : 459-71. [2] Kayser N, Sarfati Y, Besche C et al. Elaboration of a rehabilitation based on a pathogenetic hypothesis of « theory of mind » impairment in schizophrenia. Neuropsychol Rehabil 2006 ; 16 : 83-95. 1 2 / 1 2 / 0 710:04:29 12/12/07 10: 04: 29