Dépressions et troubles de la personnalité : inuences réciproques S125
Approche dimensionnelle
Les difcultés rencontrées dans l’étude catégorielle des trou-
bles de la personnalité et de la dépression justient l’utilisa-
tion de l’approche dimensionnelle. On a longtemps pensé
que certains traits de personnalité reétaient une vulnérabi-
lité à un état dépressif majeur, en partie à cause des facteurs
de risque partagés. Il existe un consensus de dénition de
personnalité normale à travers les « big ve » (Ouverture
– Conscience – Extraversion – Agréabilité – Neuroticisme), et
les études ont surtout porté sur le lien entre neuroticisme et
dépression [8-16].
Ainsi, le risque génétique pour l’apparition d’un état
dépressif majeur est important pour le neuroticisme,
modéré pour la conscience, faible pour l’ouverture, l’agréa-
bilité et l’extraversion. Le neuroticisme paraît être un fac-
teur de vulnérabilité génétique plus élevé chez l’homme
que la femme [7].
L’effet état (state effect) examine les modications de la
personnalité induites par l’état dépressif lui-même. Les sco-
res de neuroticisme et d’introversion sont plus élevés chez les
patients dépressifs que dans la population normale [7, 8].
L’évaluation par le questionnaire de Cloninger montre que
les scores de recherche de nouveauté, d’évitement du danger
et de transcendance sont plus élevés lors d’un état dépressif
majeur ; que le score d’évitement du danger est corrélé posi-
tivement à l’intensité de l’état dépressif majeur et au nom-
bre d’épisodes ; et que l’autodétermination est corrélée
négativement à l’intensité de l’état dépressif majeur [3-12].
Certains traits de personnalité seraient différents en
fonction des formes évolutives : le neuroticisme serait plus
élevé dans les dépressions à début précoce [16] donc récur-
rentes, le score d’extraversion serait plus bas dans les
dépressions chroniques [16]. Pour les dépressions mineures
et majeures du sujet âgé, un score élevé de neuroticisme
et un score bas de conscience seraient des facteurs de ris-
que [19]. Quant au risque suicidaire lors d’un état dépressif
majeur, un score élevé d’évitement du danger serait un
facteur de risque de passage à l’acte, tandis qu’un score
d’autodétermination faible et de transcendance élevé pré-
disposerait aux idées suicidaires [4].
En ce qui concerne la notion de « cicatrice dépressive »
qui favorise la récurrence, les troubles de la personnalité
post-morbides paraissent relativement proches des troubles
de la personnalité pré-morbides, leurs scores étant plus éle-
vés [11]. Ils sont peu spéciques : seul le score bas d’autodé-
termination entre les épisodes peut être retenu [12].
Dimensions de personnalité et réponse
au traitement antidépresseur
La question de la possible valeur prédictive des dimensions
de personnalité sur la qualité de réponse au traitement médi-
camenteux ou psychothérapique a souvent été soulevée. De
nombreuses études montrent que l’existence d’un trouble de
la personnalité diminue la réponse aux antidépresseurs, favo-
rise la rémission partielle et donc la récurrence :
Des scores élevés au neuroticisme et à l’évitement du
danger sont associés à une faible réponse au traitement
Ce modèle OCEAN de McCrae et Costa ne fait pas l’una-
nimité. Pour Eysenk, les dimensions fondamentales sont au
nombre de 2 + 1 : neuroticisme et extraversion, ± psychoti-
cisme ; pour Catell, elles sont au nombre de 16…
Nous retiendrons le modèle de Cloninger (1987) inté-
grant des dimensions tempéramentales (transmises généti-
quement) et caractérielles (acquises). Les dimensions
tempéramentales sont la recherche de la nouveauté, sous-
tendue par une activité dopaminergique (ressemblant à
l’extraversion d’Eysenk) ; l’évitement du danger, sous-
tendu par une activité sérotoninergique (similaire au neu-
roticisme d’Eysenk) ; et la dépendance à la récompense,
moins stable, en rapport avec une activité noradrénergique
centrale. En 1993, il ajoute une 4e dimension : la persis-
tance.
Les dimensions tempéramentales (acquises et évoluti-
ves) sont l’autodétermination, qui évalue la maturité indi-
viduelle ; la coopération, effet d’une maturation d’une
conscience sociale ; et la transcendance, dénie comme
une maturité spirituelle.
Dans ces modèles psychométriques, deux des cinq
dimensions fondamentales font l’unanimité : les « big two »
d’Eysenk, neuroticisme et extraversion. Pour le reste, l’ac-
cord est moins net sur le contenu des dimensions fonda-
mentales (facettes ou sous dimensions).
Conceptions actuelles
L’ère des classications diagnostiques et de la psychomé-
trie a vu se développer des études conrmant les liens
entre personnalité et dépression.
Les troubles de la personnalité sont fréquents chez les
patients présentant un état dépressif majeur actuel : 20 à
50 % chez les patients hospitalisés, 50 à 85 % des patients
déprimés ambulatoires [6].
La comorbidité d’un trouble de la personnalité et d’une
dépression est un facteur de sévérité du trouble dépressif :
symptômes dépressifs plus nombreux et plus intenses, plus
d’idéations et de passages à l’acte suicidaires, plus de
récurrences, hospitalisations plus fréquentes, survenues du
premier épisode dépressif plus précoce, conditions de vie
plus instables, comorbidités addictives plus fréquentes,
diminution de l’observance, moins bonne réactivité théra-
peutique aux traitements psychotropes et à la sismothéra-
pie [6].
Approche catégorielle
La nature des troubles de la personnalité associés aux états
dépressifs caractérisés est hétérogène. Les troubles du
cluster B sont les plus représentés. Ceux du cluster C ont
une prévalence très variable d’une étude à l’autre. Les
troubles du cluster A sont plus hétérogènes encore. La fré-
quence élevée des troubles du cluster B se retrouve aussi
dans les dysthymies, de même que, dans une moindre
mesure, ceux du cluster C (personnalité évitante).
Contrairement au modèle classique endogène/exogène,
des études conrment la coexistence de troubles de la per-
sonnalité chez 50 % des patients bipolaires, avec une fré-
quence particulière de la personnalité borderline [17].