L’encéphale, 1929: 492-497 L’Encéphale, 2010; 36
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du somnifène était absolument quotidien et le malade l’absorbait plusieurs fois par jour sans
jamais mesurer les doses prises.
Deux modalités d’absorption correspondant à deux actions nettement distinctes étaient
utilisées.
Au début, lors des périodes d’excitation, puis plus tard continuellement mais tou-
jours exclusivement le soir avant de se coucher une dose forte qu’on peut estimer à 100
ou 200gouttes. Elle provoque un sommeil profond incoercible avec insensibilité presque
complète aux excitations extérieures, extrémités froides, ronement. Il cessait spontanément
au bout de 7 ou 8 heures. Après un court instant de malaise que le malade combattait par des
ablutions froides et du café noir, apparaissait un état remarquable de bien-être, de sub-exci-
tation contrastant avec les impressions de malaise, d’obnubilation, de céphalées considérées
comme accompagnant habituellement le réveil des sommeils provoqués par les barbituriques.
D’autre part, au début, lors des périodes de dépression, puis plus tard continuellement,
en partie pour entretenir l’état que nous allons décrire, en partie pour combattre les malaises
causés par le barbiturisme, le malade fut amené à en prendre le jour. En effet, « au réveil, je
trouvais ainsi – dit le malade – « pour mon travail une lucidité particulière qui était encore
accrue par l’emploi dans la journée de trois ou quatre doses faibles de somnifène (d’environ
20 gouttes chacune). Ces faibles doses prises dans la journée toutes les trois ou quatre heures
environ n’avaient donc aucun effet calmant mais, au contraire, un effet excitant. »
À plusieurs reprises à la suite de l’absorption de doses inconnues mais certainement
massives, le malade présenta des accidents d’ivresse barbiturique typique dont les symptômes
dysarthrie, titubation, léger degré de confusion et d’obnubilation, etc., sont déjà classiques et
sur lesquels nous ne nous arrêterons pas.
Sous l’inuence de ces doses croissantes apparaît « une déplorable altération du carac-
tère du jugement et de l’affectivité du malade. Les petits signes de l’état maniaque, très
légers autrefois, sont à présent exagérés multipliés, rendant impossible la vie sociale et la
vie de famille et compromettant sans remède la situation du malade... activité croissante et
désordonnée, grande facilité de travail, optimisme, esprit d’entreprise exagéré, aventureux,
prodigalité, et surtout esprit agressif, querelleur. Le malade rend la vie impossible aux siens,
surtout à sa femme, à son père, à son frère, à sa belle famille. Des scènes violentes éclatent
fréquemment pour les plus futiles motifs. Cet esprit agressif s’étend aux étrangers, employés,
fonctionnaires publics, et attire au malade quelques querelles fâcheuses difciles à apaiser et
laissant chez autrui des ressentiments. » Dans l’été 1928, le malade dort extrêmement peu
malgré des doses croissantes de somnifène. Etourdi le soir par le coup de massue d’une dose
de 200 à 300 gouttes il se réveille en sursaut vers deux heures du matin, absorbe du café très
fort et saute à son bureau où il produit un travail excessif mais désordonné et dont les effets ne
sont pas toujours heureux. La vie devient intolérable. Le malade en outre, compromet et ruine
sa situation. Il se rend compte de son état et accepte de se soumettre à une cure de sevrage et
de désintoxication.
Déjà une fois en septembre 1927, le malade avait tenté spontanément de se sevrer. « Or
au bout de neuf ou dix jours, se trouvant dans un état très pénible... angoisse, irritabilité,
dépression et se trouvant en outre habiter seul à la maison, la malade a eu trois nuits de suite
des hallucinations imprévues de la vue, de l’ouïe, très fortes, très précises et très alarmantes.
Il voyait et entendait la nuit entière sa femme, ses parents, avec une telle netteté qu’il doutait
encore au matin de la réalité de ses apparitions. »
Sa famille nous a appris que lors de cette cure, les phénomènes oniriques avaient été très
marqués, le malade allant jusqu’à se lever la nuit convaincu que l’on cambriolait sa fabrique,
c’est dire qu’il a été à la limite des réactions médico-légales.
Lorsque le malade s’est coné à nos soins en juillet 28, il présentait au point de vue mental
un état hypomaniaque typique. Surtout excitation psychique se traduisant par une véritable