80 G. Amara et al.
autres facteurs de risque, notamment les facteurs cardio-
vasculaires [4,31].
Cette prédisposition de la dépression à la démence
a été aussi étayée par des arguments neurobiologiques.
En effet, plusieurs différences morphologiques cérébrales
entre les déprimés et les témoins, tout âge confondu, ont
été retrouvées. Il s’agissait essentiellement d’une réduc-
tion du volume de l’amygdale [7], de l’hippocampe [7]
du striatum et du cortex préfrontal [12], ainsi qu’une
réduction de l’échogénicité des structures du raphé [5].
Chez le sujet âgé déprimé, il s’agissait surtout d’une
atrophie de l’hippocampe [3] et du cortex orbitofrontal
[22,35].
Ces atrophies localisées des structures cérébrales
seraient dues à un déficit de synthèse en facteurs neuro-
trophiques, à une accélération de l’apoptose [10,13], voire
même à une accumulation excessive des amyloïdes. En
effet, Butters et al. [6] ont recruté six patients âgés dépri-
més ayant gardé des altérations cognitives. Ils ont noté chez
trois parmi eux des anomalies au PET scan avec ligands spéci-
fiques pour les amyloïdes, équivalentes à celles observées
chez les patients ayant une maladie d’Alzheimer. De même,
Sun et al. [33] ont récemment démontré que certains
amyloïdes (Abeta 40) avaient un taux plasmatique plus
élevé chez les sujets âgés déprimés par rapport aux témoins.
La coexistence d’une dépression et d’un taux plasmatique
élevé de amyloïdes était associée à des troubles mnésiques
marqués par rapport aux sujets déprimés n’ayant pas ces
anomalies.
De même,certaines anomalies cérébrales du métabo-
lisme sérotoninergique, habituellement observées chez les
déprimés [32], ont été mises en évidence chez les sujets
ayant un MCI. En effet, Hasselbalch et al. [17] ont montré,
dans une étude comparative, l’existence d’un déficit des
transporteurs sérotoninergiques (5HT2 A) cérébraux chez 16
patients présentant un MCI. Le déficit de ces transporteurs
dans le striatum était corrélé aux scores de dépression et
d’anxiété chez ces patients.
Enfin, plusieurs études ont montré l’existence d’une alté-
ration des fonctions exécutives chez les sujets suivis pour
un trouble récurrent de l’humeur. Cette altération, qui
serait en rapport avec un dysfonctionnement frontostriatal,
semble plus marquée chez les sujets déprimés bipolaires et
expliquerait les troubles mnésiques et les troubles de déno-
mination fréquemment observés chez ces derniers [15,18].
Si les antidépresseurs permettent souvent de corriger les
anomalies anatomiques et biologiques observées chez les
déprimés [13], leur effet sur les altérations cognitives obser-
vées chez le sujet âgé déprimé est incertain. Dans ce cas,
un véritable processus démentiel débutant est fortement
suspecté [11].
Les anticholinestérasiques, connus pour leurs effets cog-
nitifs stimulants, démontrés dans la maladie d’Alzheimer
[16,24] mais aussi dans les troubles cognitifs de certaines
affections neurologiques [21,23], pourraient s’avérer utiles
dans les dépressions avec altération cognitive. En effet,
les anticholinestérasiques ont montré des effets thymiques
chez les patients déments [9,34]. Rozzini et al. [30], dans
un essai thérapeutique mené chez 135 patients atteints
d’une maladie d’Alzheimer d’intensité légère ou modérée,
ont évalué l’effet des anticholinestérasiques sur les symp-
tômes dépressifs. Ils ont noté une amélioration significative
indépendamment du niveau d’amélioration cognitive. Cum-
mings et al. [9], dans une revue récente de la littérature
qui s’est intéressée aux effets des anticholinestérasiques sur
les symptômes psychiatriques dans la maladie d’Alzheimer,
ont noté leur efficacité sur les symptômes affectifs et en
particulier sur l’apathie.
Chez M. T. nous avons retenu une démence débutante
devant le déficit cognitif persistant et la réponse partielle
aux antidépresseurs. Nous avons, ainsi, décidé d’associer un
anticholinestérasique à l’antidépresseur qui lui a été déjà
prescrit. L’évolution actuelle de M. T. n’est pas en faveur
du diagnostic initialement porté. Si le diagnostic de dépres-
sion est certain chez ce patient, le diagnostic étiologique
de l’altération cognitive chez lui est moins évident (MCI
préexistant ? syndrome dysexécutif associé ?).
L’association d’un anticholinestérasique à
l’antidépresseur prescrit chez notre patient avait per-
mis de rétablir ses capacités cognitives détériorées et
d’améliorer ses symptômes dépressifs.
Dans la littérature, une seule étude publiée récemment
s’est intéressée à l’effet des anticholinestérasiques dans la
dépression associée à une détérioration cognitive. Il s’agit
d’une étude contrôlée en double insu, réalisée sur 23 sujets
déprimés dont l’âge est supérieur à 50 ans et dont le
trouble associe une altération cognitive. Après 12 semaines
de traitement, les patients sous antidépresseur et donépé-
zil ont montré une meilleure amélioration cognitive dans
les tests neuropsychologiques (particulièrement les tests de
mémoire), comparés aux patients sous antidépresseurs et
placebo [28].
Conclusion
Plusieurs anomalies neurobiologiques surviennent chez le
sujet âgé déprimé. Ces anomalies augmenteraient le risque
de développer plus tard un état démentiel en particulier
chez les patients présentant un MCI.
Devant une dépression du sujet âgé avec altération
cognitive, l’association d’un anticholinestérasique semble
être une alternative intéressante en cas de réponse par-
tielle aux antidépresseurs. Elle permettrait d’une part,
l’obtention d’une rémission, et d’autre part, la prévention
de l’évolution vers la démence.
Des essais thérapeutiques sont nécessaires, dans l’avenir,
afin de mieux préciser l’indication des anticholinestéra-
siques dans la dépression du sujet âgé.
Références
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