Anxiété et rythmes circadiens S77
citation de Goethe, dans Vérité et Poésie, souligne à quel
point le dégoût de la vie est comme un défaut de participa-
tion aux rythmes de la nature : « Tout l’agrément de la vie
est fondé sur le retour des objets extérieurs. L’alternance
du jour et de la nuit, des saisons, des fl eurs et des fruits, et
de tout ce qui vient à nous par périodes fi xes, dont nous
pouvons et devons jouir, voilà les vrais ressorts de la vie
terrestre. Plus nous sommes ouverts à ces plaisirs, et plus
nous nous sentons heureux : mais si la diversité de ces phé-
nomènes s’agite sous nos yeux sans que nous y participions,
si nous ne sommes pas réceptifs à ces douces tentations,
alors survient le plus grand mal, la plus grave maladie : l’on
considère la vie comme un poids nauséeux ».
Il existe donc, comme le montre la littérature, une réa-
lité clinique de ces modulations de nos souffrances, anxieu-
ses ou dépressives, en fonction de l’heure du jour.
Données existantes
dans les troubles anxieux
Il existe fi nalement assez peu de données dans la littéra-
ture sur la chronobiologie des troubles anxieux. On a par
exemple décrit dans le trouble panique une intensité et
une fréquence des crises un peu plus importantes le matin
et en début d’après-midi. On a noté que dans le trouble
anxieux généralisé, les symptômes anxieux s’amplifi ent le
matin jusqu’à un pic en milieu de journée, puis diminuent
[3]. Mais ces travaux restent très parcellaires.
Une des diffi cultés de recueil des données cliniques sur
les rythmes circadiens dans les troubles anxieux provient
probablement du rapport qu’ont les patients anxieux avec
toute leur vie affective, leurs émotions, leurs affects, leurs
humeurs, leurs états d’âme : du fait d’une sorte d’intolé-
rance à la souffrance, ils tendent à réprimer ce qu’ils res-
sentent.
Les études de psychologie expérimentale confi rment ce
fait : une étude de Campbell-Sills et al. [1] montre que par
rapport à des sujets contrôles, les patients anxieux et/ou
dépressifs, face à la projection de fi lms induisant des émo-
tions négatives, répriment davantage leurs émotions durant
la projection, alors que (ou parce que) justement ils pré-
sentent un inconfort accru pendant et après la projection
tel qu’objectivé par les mesures physiologiques. Le méca-
nisme cognitif en jeu pourrait être qu’ils jugent leurs états
émotionnels comme non acceptables.
Cycles des humeurs et affects
Pour mieux comprendre les rythmes de l’anxiété, il faut
peut-être « redescendre » un cran plus bas, au niveau des
affects, et percevoir l’anxiété comme un « trouble émo-
tionnel » au sens large. Il existe différents arguments pour
sortir de la séparation peu satisfaisante entre troubles
anxieux et troubles dépressifs. Le concept de « dérégula-
tion émotionnelle » globale dans ces troubles s’appuie par
exemple sur la fréquence de l’expression anxieuse dans les
troubles dépressifs sévères et de la fréquence de l’expres-
sion dépressive dans les troubles anxieux sévères.
Watson [9] propose d’instaurer dans le futur DSM-V une
catégorie « Troubles émotionnels », au sein de laquelle on
distinguerait les « Bipolar disorders » (trouble bipolaire I et
II, cyclothymie), les « Distress disorders » (épisodes dépres-
sifs majeurs, dysthymie, anxiété généralisée, stress post-
traumatique) et les « Fear disorders » (trouble panique,
agoraphobie, phobie sociale, phobie spécifi que).
Cette réfl exion pourrait être particulièrement utile
pour proposer aux patients vulnérables des programmes de
prévention de rechute par maintien de l’équilibre émotion-
nel, dans les périodes de rémission ou dans les périodes
pré-dépressives ou pré-anxieuses.
Autre point important en clinique : les études de recueil
de l’intensité des activations émotionnelles sur des périodes
données, en population générale et chez les patients présen-
tant des troubles affectifs d’intensité modérée, montrent
que ce sont les modifi cations d’humeur qui prédominent,
avec des émotions d’arrière-plan, de faible intensité, plus
durables et généralement mixtes, qu’on pourrait défi nir
comme des « émotions subtiles ». Le concept d’affects pour-
rait ainsi être plus pertinent que celui d’émotion pour com-
prendre la dynamique des troubles anxieux et dépressifs.
Un autre point important est la relative indépendance
entre les affects positifs et les affects négatifs, comme par
exemple dans le modèle tripartite de Clark [2] et Watson [9]
(Tableau 1).
Les travaux de psychologie étudiant en population
générale les évolutions journalières des niveaux des affects
positifs ou négatifs montrent une relative stabilité des
affects négatifs, qui semblent ne pas obéir à une horloge
interne circadienne ; à l’inverse, les affects positifs sont
maximaux dans la journée puis diminuent à partir du soir
(Fig. 1). Ceci semble d’ailleurs plus lié à l’heure à partir du
lever qu’à l’heure « absolue » du jour.
On constate également une évolution parallèle de la
courbe de température corporelle avec la courbe de la
variation des affects positifs (Fig. 2).
Les cycles de l’humeur ont un impact cognitif : chez des
sujets sains, l’évaluation pluri-quotidienne de la percep-
tion d’un problème montre qu’en moyenne, le même pro-
blème est considéré comme plus sérieux l’après-midi que
le matin [7]. Une rythmicité plus longue a également été
étudiée, avec par exemple des affects négatifs plus mar-
qués en début de semaine, et diminuant progressivement
au fur et à mesure qu’on approche de la fi n de semaine,
soulignant l’importance des synchronisateurs sociaux.
Les conclusions de ces recherches sont que nos affects
positifs semblent assez fortement dépendants de rythmes
Tableau 1 Affects et troubles anxieux et dépressifs.
Modèle tripartie [2]
Affects
positifs Affects
négatifs Activité neuro-
végétative
Anxiété Normaux Augmentés Augmentée
Dépression Bas Augmentés Normale