Anxiété et rythmes circadiens C. André

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L’Encéphale (2009) Supplément 2, S76–S79
j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e m - c o n s u l t e . c o m / p r o d u i t / e n c e p
Anxiété et rythmes circadiens
C. André
Consultations du Service Hospitalo-Universitaire, 7 rue Cabanis, Centre Hospitalier Sainte Anne, 75674 Paris cedex 14
MOTS CLÉS
Anxiété ;
Rythmes circadiens ;
Régulation
émotionnelle
Résumé Les données sur l’anxiété et les rythmes circadiens sont encore parcellaires. Nous disposons de
davantage d’éléments à propos des cycles des affects, positifs ou négatifs, qui peuvent nous permettre
de mieux comprendre les oscillations de l’anxiété, et de mettre en place des stratégies psychothérapiques
de prévention centrées sur la régulation émotionnelle.
KEYWORDS
Anxiety ;
Circadian rhythms ;
Emotional regulation
Abstract Information about anxiety and circadian rhythms is still patchy. We know more about positive
or negative affect cycles which can help us to better understand oscillations in anxiety and to establish
psychotherapeutic preventative strategies based on emotional regulation.
Remarques cliniques
En matière de rythmes circadiens, certains témoignages littéraires sont très éclairants pour la clinique. Par exemple
Cioran, dans ses Carnets : « Depuis de longues années, le
matin au réveil, à la place du cerveau, sensation d’une
steppe. » Ou Gustave Thibon, dans son essai L’Illusion
féconde : « Grimace de la mort brusquement apparue ce
matin, m’étreignant de ses griffes puis me relâchant dans
la vie. Le chat peut s’offrir le luxe de prendre son temps :
il sait que la souris ne lui échappera pas ». Ou encore le
témoignage du philosophe Clément Rosset : « Quant à moi
je suis incapable de dire l’horreur que j’éprouve certains
* Auteur correspondant.
E-mail : [email protected]
Conflits d’intérêts : none.
© L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés.
matins pendant une heure, au moment de quitter mon lit.
Je souffre, mais d’aucune chose ; rien n’est cause de douleur dans les images, les pensées qui défilent alors que je
suis mi-éveillé. Elles s’accompagnent néanmoins d’une
décharge de souffrance absolument indescriptible ». Et
enfin Francis Scott Fitzgerald, dans sa nouvelle autobiographique La Fêlure : « Mais à trois heures du matin un colis
oublié prend une importance aussi tragique qu’une condamnation à mort, et le remède est sans effet - et dans la nuit
véritablement noire de l’âme, il est toujours, jour après
jour, trois heures du matin ».
Ces citations soulignent bien l’existence chez les patients
de moments dans la journée particulièrement pénibles. Une
Anxiété et rythmes circadiens
citation de Goethe, dans Vérité et Poésie, souligne à quel
point le dégoût de la vie est comme un défaut de participation aux rythmes de la nature : « Tout l’agrément de la vie
est fondé sur le retour des objets extérieurs. L’alternance
du jour et de la nuit, des saisons, des fleurs et des fruits, et
de tout ce qui vient à nous par périodes fixes, dont nous
pouvons et devons jouir, voilà les vrais ressorts de la vie
terrestre. Plus nous sommes ouverts à ces plaisirs, et plus
nous nous sentons heureux : mais si la diversité de ces phénomènes s’agite sous nos yeux sans que nous y participions,
si nous ne sommes pas réceptifs à ces douces tentations,
alors survient le plus grand mal, la plus grave maladie : l’on
considère la vie comme un poids nauséeux ».
Il existe donc, comme le montre la littérature, une réalité clinique de ces modulations de nos souffrances, anxieuses ou dépressives, en fonction de l’heure du jour.
Données existantes
dans les troubles anxieux
Il existe finalement assez peu de données dans la littérature sur la chronobiologie des troubles anxieux. On a par
exemple décrit dans le trouble panique une intensité et
une fréquence des crises un peu plus importantes le matin
et en début d’après-midi. On a noté que dans le trouble
anxieux généralisé, les symptômes anxieux s’amplifient le
matin jusqu’à un pic en milieu de journée, puis diminuent
[3]. Mais ces travaux restent très parcellaires.
Une des difficultés de recueil des données cliniques sur
les rythmes circadiens dans les troubles anxieux provient
probablement du rapport qu’ont les patients anxieux avec
toute leur vie affective, leurs émotions, leurs affects, leurs
humeurs, leurs états d’âme : du fait d’une sorte d’intolérance à la souffrance, ils tendent à réprimer ce qu’ils ressentent.
Les études de psychologie expérimentale confirment ce
fait : une étude de Campbell-Sills et al. [1] montre que par
rapport à des sujets contrôles, les patients anxieux et/ou
dépressifs, face à la projection de films induisant des émotions négatives, répriment davantage leurs émotions durant
la projection, alors que (ou parce que) justement ils présentent un inconfort accru pendant et après la projection
tel qu’objectivé par les mesures physiologiques. Le mécanisme cognitif en jeu pourrait être qu’ils jugent leurs états
émotionnels comme non acceptables.
Cycles des humeurs et affects
Pour mieux comprendre les rythmes de l’anxiété, il faut
peut-être « redescendre » un cran plus bas, au niveau des
affects, et percevoir l’anxiété comme un « trouble émotionnel » au sens large. Il existe différents arguments pour
sortir de la séparation peu satisfaisante entre troubles
anxieux et troubles dépressifs. Le concept de « dérégulation émotionnelle » globale dans ces troubles s’appuie par
exemple sur la fréquence de l’expression anxieuse dans les
troubles dépressifs sévères et de la fréquence de l’expression dépressive dans les troubles anxieux sévères.
S77
Watson [9] propose d’instaurer dans le futur DSM-V une
catégorie « Troubles émotionnels », au sein de laquelle on
distinguerait les « Bipolar disorders » (trouble bipolaire I et
II, cyclothymie), les « Distress disorders » (épisodes dépressifs majeurs, dysthymie, anxiété généralisée, stress posttraumatique) et les « Fear disorders » (trouble panique,
agoraphobie, phobie sociale, phobie spécifique).
Cette réflexion pourrait être particulièrement utile
pour proposer aux patients vulnérables des programmes de
prévention de rechute par maintien de l’équilibre émotionnel, dans les périodes de rémission ou dans les périodes
pré-dépressives ou pré-anxieuses.
Autre point important en clinique : les études de recueil
de l’intensité des activations émotionnelles sur des périodes
données, en population générale et chez les patients présentant des troubles affectifs d’intensité modérée, montrent
que ce sont les modifications d’humeur qui prédominent,
avec des émotions d’arrière-plan, de faible intensité, plus
durables et généralement mixtes, qu’on pourrait définir
comme des « émotions subtiles ». Le concept d’affects pourrait ainsi être plus pertinent que celui d’émotion pour comprendre la dynamique des troubles anxieux et dépressifs.
Un autre point important est la relative indépendance
entre les affects positifs et les affects négatifs, comme par
exemple dans le modèle tripartite de Clark [2] et Watson [9]
(Tableau 1).
Les travaux de psychologie étudiant en population
générale les évolutions journalières des niveaux des affects
positifs ou négatifs montrent une relative stabilité des
affects négatifs, qui semblent ne pas obéir à une horloge
interne circadienne ; à l’inverse, les affects positifs sont
maximaux dans la journée puis diminuent à partir du soir
(Fig. 1). Ceci semble d’ailleurs plus lié à l’heure à partir du
lever qu’à l’heure « absolue » du jour.
On constate également une évolution parallèle de la
courbe de température corporelle avec la courbe de la
variation des affects positifs (Fig. 2).
Les cycles de l’humeur ont un impact cognitif : chez des
sujets sains, l’évaluation pluri-quotidienne de la perception d’un problème montre qu’en moyenne, le même problème est considéré comme plus sérieux l’après-midi que
le matin [7]. Une rythmicité plus longue a également été
étudiée, avec par exemple des affects négatifs plus marqués en début de semaine, et diminuant progressivement
au fur et à mesure qu’on approche de la fin de semaine,
soulignant l’importance des synchronisateurs sociaux.
Les conclusions de ces recherches sont que nos affects
positifs semblent assez fortement dépendants de rythmes
Tableau 1 Affects et troubles anxieux et dépressifs.
Modèle tripartie [2]
Anxiété
Dépression
Affects
positifs
Affects
négatifs
Activité neurovégétative
Normaux
Bas
Augmentés
Augmentés
Augmentée
Normale
S78
C. André
Retour à la pathologie
0.5
0.4
0.3
Mood levels
0.2
0.1
0
–0.1
–0.2
Negative affect
Positive affect
–0.3
–0.4
am
9
M
id
pm
-3
-M
id
pm
6
3
pm
-6
pm
-9
pm
pm
-3
on
No
6
am
am
-N
-9
am
oo
m
–0.5
Times of day
Figure 1 Variations diurnes des affects positifs et négatifs
(d’après [8]).
0.4
0.2
Mean levels
0
–0.2
Negative affect
Positive affect
Body temperature
–0.4
Recommandations de prise en charge
–0.6
–0.8
PM
PM
0
:0
11
9
:0
0
PM
:0
0
PM
7
5
:0
0
PM
:0
3
:0
0
0
1
:0
11
0
PM
AM
AM
0
:0
9
7
:0
0
AM
–1
Times of day
Divers travaux ont étudié la régulation des affects, des
états d’âme, des émotions. On sait par exemple que les
sujets sans pathologie avérée ayant une tendance dysphorique (ressentant fréquemment des états d’âme négatifs,
une inquiétude, un ressentiment, de la tristesse) ont une
réactivité cognitive accrue aux humeurs négatives et une
réactivité moindre aux humeurs positives, ce qui constitue
une entrave aux mécanismes dits de « capitalisation positive » des affects agréables [10].
D’autres travaux, comme ceux de Rottenberg et al. [6]
ont montré un émoussement de la réactivité émotionnelle
globale chez les déprimés, avec une réactivité moindre à l’induction d’humeur positive, mais aussi une réactivité moindre
à l’induction d’humeur négative : ceci va à l’appui d’une
interprétation selon laquelle la dépression est un désengagement émotionnel pour éviter de souffrir. En revanche, il existe
chez le déprimé une réactivité accrue à l’induction personnelle (souvenirs personnels marquants, positifs ou négatifs) vs
l’induction générale (films activateurs d’émotions).
On retrouve également une dérégulation émotionnelle
globale dans le trouble anxieux généralisé : les patients
anxieux, comparés à des non-anxieux, présentent une
intensité plus forte des réactions émotionnelles, une moindre capacité à comprendre leurs émotions, une moindre
capacité à réguler leurs émotions négatives, et une activation physiologique plus forte après un stimulus triste [4].
Figure 2 Variation des affects positifs et négatifs et de la
température corporelle (d’après [8]).
endogènes (plus que des événements de vie positifs), et de
l’état du corps, alors que les affects négatifs sont plus sensibles aux événements de vie adverses et aux ruminations.
Les ruminations, qu’on peut définir comme le fait de « se
focaliser de manière répétée, circulaire, et stérile, sur les
causes, les significations et les conséquences de nos problèmes, de notre situation, de notre état… » [5] sont de plus
en plus prises en compte comme cible dans les stratégies
psychothérapiques. Le plus souvent, pourtant, nous ne
sommes pas conscients de ces influences : ruminations,
rythmes endogènes, état du corps…
Certaines stratégies permettent d’améliorer les affects de
base : pour diminuer les affects négatifs, on recourt à l’évitement des situations déstabilisantes, et à des interventions
cognitives d’acceptation de l’affect négatif et de réévaluation de sa pertinence ; et pour favoriser les affects positifs, au
développement de l’exercice physique et du lien social.
Un objectif de prise en charge par rapport à ces patients
émotionnellement vulnérables, rejoignant la prise en
compte de rythmes circadiens dans leur symptomatologie,
est de leur apprendre des éléments de chronométrie affective. Il est toujours difficile d’observer ses propres états
d’âme, de faire une introspection fructueuse et fiable. Il
est ainsi difficile de prendre conscience dès qu’ils naissent
d’états émotionnels comme la colère, la tension intérieure…
Il est donc important d’apprendre aux patients à percevoir le moment, le seuil de déclenchement de l’émotion, des
ruminations d’anxiété, de tristesse ou de culpabilité, à évaluer l’amplitude de leurs réponses émotionnelles, à repérer
le délai entre le moment où une situation difficile s’est produite et le moment où ils se sont sentis affectés par cette
situation, et enfin à estimer le temps de récupération* :
c’est ce qu’on appelle la chronométrie affective.
Références
[1] Campbell-Sills L, Barlow DH, Brown TA et al. Acceptability
and suppressions of negative emotion in anxiety and mood
disorders Emotion 2006, 6 : 587-95.
[2] Clark LA, Watson D. Tripartite model of anxiety and depression : psychometric evidence and taxonomic implications. J
Abnormal Psychology 1991, 100 : 316-336.
* André C. États d’âme. L’apprentissage de la sérénité. Paris,
Odile Jacob, 2009.
Anxiété et rythmes circadiens
[3] Hopkins MB, Brown FM, Borkovec TD. Are there diurnal rythms
of anxiety ? Chronobiol Int. 2000, 17 : 229-231.
[4] Mennin DS, Heimberg RG, Turk CL et al. Preliminary evidence
for an emotion dysregulation model of generalized anxiety
disorder. Behav Res Ther. 2005, 43 : 1281-310.
[5] Miranda R, Nolen-Hoeksema S. Brooding and reflection : rumination predicts suicidal ideation at I year follow-up in a community sample. Behav Res Ther. 2007, 45 : 3088-3095.
[6] Rottenberg J, Gross JJ, Gotlib IH. Emotion context insensitivity in major depressive disorder J. Abnormal Psychol. 2005,
114 : 627-39.
S79
[7] Thayer RE. Problem perception, optimism, and related states
as a function of time of day (diurnal rhythm) and moderate
exercise : two arousal systems in interaction. Motivation and
Emotion 1978, 11 :19-36.
[8] Watson D. Mood and temperament. New York : Guilford Press,
2000.
[9] Watson D. Rethinking the mood and anxiety disorders : a
quantitative hierarchical model for DSM-V J Abnormal Psychology 2005, 114 : 522-36.
[10] Wenze SJ, Gunthert KC, Forand NR. Influence of dysphoria on
positive and negative cognitive reactivity to daily mood fluctuations Behav Res Ther. 2007, 45 : 915-27.
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