dicapée pour se déplacer et surtout,
elle se plaint de troubles mnésiques :
incapacité de se souvenir de ce qu’el-
le allait chercher d’une pièce à
l’autre, perte de repères ou mélange
les dates et les jours, fausses recon-
naissances dans son entourage, ou-
blie fréquemment ce qu’elle devait
faire ou les rendez-vous, laisse la
porte de son appartement ouverte et
est cambriolée, perd ses clefs, oublie
une casserole sur le gaz et risque de
mettre le feu à l’immeuble etc.
Elle consulte 1 an après le décès de son
mari et la réapparition des troubles dé-
crits ci-dessus, car elle a gardé le
même médecin, appelé « traitant » de-
puis, qui estimait que son état était lié
à la mort de son mari et se contentait
de lui prescrire du Lexomil pour dor-
mir et différentes benzodiazépines in-
terchangeables dans la journée. Il refu-
sait tout recours à un psychiatre
estimant que ce n’était pas nécessaire
(selon les dires de la patiente). Malgré
ses demandes, elle n’avait eu pour
toute réponse que d’aller consulter le
même neurologue, « spécialiste des
syndromes extrapyramidaux sous
10 mg de Déroxat », ce qu’elle refusa
et exigea d’avoir « une lettre pour me
consulter », – lettre qu’elle oublia
d’ailleurs lors de la consultation –, par
un acte manqué significatif, et qui di-
sait « l’examen clinique du jour met en
évidence une dépression réactionnelle
à la mort de son mari, demande de
psychothérapie ».
On note aussi l’apparition récente
d’un diabète de type II, plus ou
moins équilibré, en raison de la com-
pliance au traitement très fantaisiste
de la patiente du fait de son état psy-
chique, avec une perte de poids de
8 kg en 6 mois et une HTA qui serait
équilibrée par des bêtabloquants.
Si la symptomatologie dépressive est
évidente et justifie un traitement
adapté, la problématique cognitive
l’inquiète plus encore, car la patiente
a eu une mère qui a présenté tôt des
signes de démence et qui a été inter-
née en hôpital psychiatrique vers
l’âge de 55 ans pour mourir 20 ans
plus tard dans un état végétatif ; on
aurait dit à la patiente que sa mère
souffrait de la maladie d’Alzheimer,
ces éléments dont elle n’avait pas
parlé à son médecin, majorant ses
craintes de finir comme sa mère de-
vant ses troubles mnésiques.
Un traitement antidépresseur par
IRSNA est mis en route avec un hyp-
notique non BZD et surtout un ren-
dez-vous est obtenu rapidement au-
près d’un « centre d’investigation des
maladies liées à la démence » qui sur
2 jours établit ou affine un diagnostic
par toute une batterie de tests psy-
chologiques spécifiques et des tests
neurologiques ainsi qu’un EEG. On
ne retiendra que quelques résultats :
mini mental test de Folstein 22/30
avec atteinte de l’orientation tempo-
relle, de l’attention, du calcul et de la
mémoire de rappel différée ; la mé-
moire de rappel différée est satisfai-
sante sans troubles majeurs de la mé-
moire sémantique ni du raisonne-
ment et du jugement, le MMES ne
met pas en évidence de signe de ma-
ladie d’Alzheimer. La conclusion
étant : « trouble cognitif touchant la
mémoire de rappel immédiat ainsi
que l’orientation temporelle, associé
à des « ictus mnésiques » évoquant un
contexte anxio-dépressif ».
Très rapidement, la malade peut à
nouveau dormir, sortir de chez elle et
conduire en moins d’un mois, alors
qu’elle se voyait condamnée à de-
mander l’aide de sa voisine. Elle a re-
trouvé l’appétit et équilibré son dia-
bète, n’a plus peur de l’avenir et fait
à nouveau des projets à « l’Université
des seniors », n’a plus d’idées suici-
daires et ses douleurs de tendinite se
sont estompées.
Les troubles mnésiques persistent
sous forme d’oublis banals liés à
l’âge : elle ferme sa porte ou son ro-
binet de gaz quand elle s’en va, s’est
fait des repères mnémotechniques et
est surtout rassurée de ne pas évo-
luer comme sa mère. Les angoisses
qui étaient massives ont pratique-
ment disparu sans l’usage de BZD,
contre-indiquées chez le sujet âgé du
fait du risque de chutes, de confusion
et de troubles mnésiques.
Effet secondaire du traitement : dé-
çue par les 2 épisodes qui l’on fait
beaucoup souffrir, elle a changé de
« médecin-dit-traitant ».
La dépression : des pratiques aux théories 11
S 30
H. Sontag L’Encéphale (2009) Hors-série 3, S29-S30