L’Encéphale (2009) 35, 612—613 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP NOUS AVONS LU POUR VOUS Justice, un extraordinaire gâchis. De la justice vindicative à la justice réhabilitante. P. Delteil (avec la collaboration de Danielle Delteil). L’Harmattan (2006). Voici donc un rôle de titre, pour le moins provoquant, quand on pense que notre pays est régi par des lois remontant à la révolution française. Mais nous sommes au sein d’une évolution rapide de la société et l’on peut comprendre qu’il y ait des acteurs désireux de sonner l’alarme. Bonne chose dans un pays au sein d’un monde en pleine évolution. Alors la justice, le crime, le désir d’écraser l’autre ? Tout cela dans une société en pleine évolution : il y a des faits qui font réfléchir. Il y a 30 ans j’étais chef de service d’un centre médicopsychologique qui introduisait la thérapeutique dans une prison comptant mille entrants par an. Chaque entrant faisant l’objet d’un rapide examen psychologique, nous comptions tous les ans 4 % d’agresseurs sexuels. Chiffre qui est passé après une dizaine d’années à 15 %, puis 25 %, devenu le pourcentage général des prisonniers en France. La sanction suffirait-elle à restreindre ce mode d’agression, et bien d’autres qui comportent des données psychologiques ? Non, nous dit clairement Pierre Delteil dans sa conclusion. Il faut repérer les nombreuses perturbations psychoaffectives des prisonniers et se donner les moyens de les traiter. D’où un livre qui se montre parfois violent à l’encontre de la situation actuelle, mais passe en revue à la fois l’histoire de la justice à l’égard des comportements antisociaux et les nouvelles données pathologiques. Ce qui est implicite dans ce livre c’est la nécessité d’un abord réaliste de la vie sociale conçue en tenant compte du fonctionnement psycho organique de l’être humain, évidemment complexe et évolutif. Il ne peut y avoir de ruptures catégorisées entre justice — psychiatrie et services sociaux. Ainsi se sont créés les centres ressources, dont le premier, sous la direction de André Ciavaldini, desservant toute une région allant des Alpes à l’Auvergne, vient de voir le jour. Ce sont avec ces notions en tête qu’on peut lire avec compréhension le livre de Pierre Delteil. 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009. Ainsi peut-on comprendre le cas de Guy, homme de 37 ans, évoluant entre prison et service psychiatrique, qui finit par se suicider : « seul un centre de traitement judiciaire spécialisé aurait pu remplir efficacement une telle mission » (p. 28). Alors Pierre Delteil fera le tour des comportements en cause identifiant des syndromes divers, depuis la compulsion névrotique, les psychopathes, le proxénétisme, l’infanticide, les violences sexuelles, les tueurs en série, les pervers sexuels. . . Après avoir cité le cas des « personnalités délinquantes lucides et déterminées » (la délinquance pure en somme), il évoquera pour la pathologie « une grande immaturité du Moi, des mécanismes de clivage plus ou moins accentués, une difficulté à assumer leurs comportements déviants et une dépendance affective d’intensité variable » (p. 125). Tout au long de son texte l’auteur donnera de multiples exemples concrets, ce qui rend la lecture de ce livre très prenante et compréhensive. La nécessité d’une réforme est formellement évoquée à maintes reprises. Quelques chiffres sont évocateurs : 30 % des détenus seraient en fait des malades mentaux. Chiffre en relation avec le fait qu’en quelques années le taux d’irresponsabilité des inculpés (article 122-1 du Code pénal remplaçant l’article 64) est passé de 17 % à moins de 1 % (p. 141). On saisit là toute l’ampleur des conséquences d’une analyse du fonctionnement pathologique. Bien sûr se posent alors les problèmes thérapeutiques. On été évoqués dans le livre l’existence des 26 services médicopsychologiques régionaux (SMPR) (p. 141). Mais il y a grand besoin d’aller plus loin. Moi-même, responsable du SMPR de Grenoble (en fait : Varces), j’ai fait part à plusieurs reprises des récidives de sujets ayant été traités sérieusement pendant plusieurs années. C’est dire l’importance du travail à faire encore, tant du point de vue théorique que pratique. Des approches diverses sont réalisées, avec plus ou moins de succès lorsque les perturbations psychologiques ne sont pas importantes. Lorsque celles-ci sont évidentes, deux modes d’abord sont utilisés, identifiés spécialement dans le livre. Nous avons lu pour vous En premier lieu, le mien, inspiré de la psychanalyse. Non pas l’écoute traditionnelle, capable de faire revivre des souvenirs demeurés inconscients. Mais un abord pluridisciplinaire du patient, avec partage des affects entre intervenants afin de saisir les vécus de ce patient qui ne peut les exploiter clairement. En fait, c’est accéder à des relations perturbantes très précoces dans la vie de l’enfant. Relations donnant lieu à un mécanisme de « clivage » qui masque le nœud de la perturbation psychique. Travail difficile donc pour aller au plus profond du fonctionnement mental du patient. Une seconde approche est celle des thérapies « cognitivocomportementales », d’une efficacité certaine mais en demeurant plus superficielle, à vrai dire à un moindre coût de temps et d’énergie dépensés pour obtenir des résultats. Les deux approches sont donc valables mais à une profondeur différente. Tout dépend dans un pays des acteurs et de la mise en place concrète des techniques. Les Canadiens francophones ont opté pour la pratique et la diffusion du cognitivisme. C’est ainsi qu’invité royalement 15 jours chez eux pour participer à l’enseignement, je ne suis même pas cité dans le livre dirigé par Jocelyne Aubut (sauf dans la bibliographie du chapitre rédigé par des Français). Les dernières pages du livre de Pierre Delteil, faisant le point par rapport à une situation difficile, proposent de manière très réaliste une complétude par la prise en charge thérapeutique, sans pour autant mettre de côté l’importance de l’apport sanctionnel pour des actes antisociaux. Tout cela donne à réfléchir sur la nature de la pathologie et la manière de l’aborder, face à la complexité de la nature humaine sans cesse en évolution, demandant à revoir périodiquement nos concepts de base. 613 Les troubles bipolaires. De la cyclothymie au syndrome maniaco-dépressif, C. MirabelSarron, I. Leygnac-Solignac. Dunod, Paris (2009) Objets d’une intense médiatisation dans le milieu médical depuis plusieurs années, les troubles bipolaires sont désormais plus présents à l’esprit des cliniciens, ce qui est une bonne chose : ce trouble fréquent (environ 2 % de la population générale) est souvent diagnostiqué avec pas mal de retard (qu’on évalue à environ dix ans en moyenne). Et une fois diagnostiqué, les difficultés pour une prise en charge optimale ne manquent pas, comme dans la plupart des vulnérabilités chroniques. Le livre de Christine Mirabel-Sarron et Isabelle LeygnacSolignac propose une synthèse très complète, précisément centrée sur ces difficultés de prise en charge. Après de brefs rappels sur la clinique et les traitements médicamenteux, l’essentiel du livre (220 pages sur 250) est consacré à la manière dont les cliniciens vont pouvoir améliorer l’accompagnement de leurs patients bipolaires. La dimension psychoéducative est donc largement abordée (déceler les réticences autour du diagnostic et du traitement médicamenteux), ainsi que les techniques comportementales lors des phases dépressives, ou prodromiques. La question de la prévention des rechutes est évidemment l’objet d’un gros chapitre. Tel quel, ce manuel représente une excellente synthèse du savoir que doit posséder chaque clinicien pour offrir à ses patients bipolaires les meilleures chances de stabilisation, dans le cadre d’une bonne alliance thérapeutique. C. Balier Le Mollad, 38120 Proveyzieux, France C. André Consultations, service SHU, centre hospitalier Sainte-Anne, 7, rue Cabanis, 75014 Paris, France Adresse e-mail : [email protected] Disponible sur Internet le 23 octobre 2009 Disponible sur Internet le 22 octobre 2009 doi:10.1016/j.encep.2009.07.002 doi:10.1016/j.encep.2009.07.001