– Cependant, il est difficile, pour le
chercheur comme pour le praticien,
de comprendre comment l’histoire
naturelle de la dépression peut aller
jusqu’à la démence et nous sommes
dans l’incapacité de prédire l’évolu-
tion de certaines formes de dépres-
sion vers telle ou telle maladie dé-
mentielle.
LES SYMPTÔMES
DE L’ÉPISODE DÉPRESSIF
« CARACTÉRISÉ »
ET LE SUJET ÂGÉ
Une seconde difficulté est la repré-
sentation de la vieillesse qui accom-
pagne la banalisation de la sympto-
matologie dépressive aux âges
avancés. Un certain nombre de cri-
tères de l’épisode dépressif sont
spontanément acceptés chez le sujet
âgé. Les personnes âgées non dépri-
mées peuvent se sentir ralenties, fati-
guées avec des troubles du sommeil,
moins d’appétit et réduire leurs acti-
vités ou centres d’intérêt.
Chez le sujet âgé comme chez l’adul-
te, les symptômes de l’épisode dé-
pressif « caractérisé » sont :
– Diminution marquée de l’intérêt.
– Troubles du sommeil et de l’appétit.
– Ralentissement ou agitation psy-
chomotrice.
– Fatigue et perte d’énergie.
– Humeur dépressive.
– Troubles cognitifs.
– Sentiments d’indignité ou culpabi-
lité excessive.
– Idées suicidaires.
Yvonne Frocell a montré chez des
sujets déprimés très âgés (de plus de
90 ans) que les critères de l’EDM
caractérisé sont adaptés à cette po-
pulation, à condition que l’on retrou-
ve humeur dépressive et troubles
cognitifs. Il est alors difficile de faire
la différence entre dépression et dé-
mence.
UNE FONCTION DÉPRESSIVE ?
La dépression, chez le sujet âgé ex-
posé à des pertes répétées, pourrait
lui permettre de se retrouver ou en-
core de se rassembler psychique-
ment, de mieux contrôler son envi-
ronnement. C’est le modèle du deuil.
La dépression aurait une fonction de
séparation des objets d’investisse-
ment, d’un rôle tenu, c’est-à-dire
une fonction de réorganisation de
l’identité, des rapports à l’autre.
Peut-être, permettrait-elle un accès
à un vieillissement pacifié ?
LES PROBLÈMES PRATIQUES
Les ruptures de suivi ajoutent une
difficulté pratique dans la prise en
charge du patient dépressif avec
troubles cognitifs : le patient oublie
ses RDV de consultation, ou encore
ses médicaments, et il est en difficul-
té pour évoquer sa symptomatologie.
Le généraliste est naturellement en-
clin à orienter ce type de patient vers
le spécialiste, ceci génère une forme
de rupture et induit un risque de réci-
dive dépressive avec majoration des
troubles cognitifs.
Une autre difficulté est l’annonce de
la maladie déficitaire chez un patient
déprimé. Une dernière enfin est celle
des iatropathologies.
L’ÉVALUATION
DES FONCTIONS COGNITIVES
• Le MMSE doit être pratiqué.
• La dépression s’accompagne de
troubles exécutifs et attentionnels. Et
ce d’autant plus que le sujet a ou qui
risque d’avoir un trouble déficitaire
constitué. Ces symptômes sont re-
trouvés aussi bien dans le trouble dé-
pressif que dans le trouble déficitaire.
Le suivi de l’évolution a tout son inté-
rêt : une aggravation progressive ou
une absence d’amélioration avec le
traitement antidépresseur sont en fa-
veur d’une évolution déficitaire. Il
n’existe pas de consensus quant aux
tests à pratiquer. Selon Myrphy F.C.
et al. (5), les tests recommandés
sont :
– pour les troubles exécutifs : Fluen-
ce, code, similitude, Stroop,
– et pour les troubles attentionnels :
TMT, Empans.
•L’amélioration par l’indiçage aux
5 mots de Dubois (facile à pratiquer
lors de l’examen clinique) (annexe 1)
ou à l’épreuve de Grober et Buschke
(nécessitant une évaluation spéciali-
sée) est un élément en faveur de
l’hypothèse dépression.
• Ce n’est ni la mémoire épisodique
ni la mémoire sémantique qui per-
mettent d’évaluer le risque d’évolu-
tion vers une pathologie déficitaire,
mais c’est la mémoire autobiogra-
phique. Il existe au sein de cette mé-
moire un phénomène nommé le phé-
nomène de surgénéralisation (selon
les modèles de Conway et de
Williams : (1, 3) qui est l’attribution
d’une valence généraliste à un sou-
venir ou à un stimulus spécifique. Ce
phénomène s’illustre par le fait qu’à
une question précise, le patient ré-
pond de façon très générale sans in-
dexer précisément dans le temps,
sans préciser le contexte, l’histoire,
les stimuli sensoriels. Il existe aussi
une banalisation des souvenirs même
lorsqu’ils présentent une valence
émotionnelle forte, traumatique ou
positive. Ce phénomène semble être
évocateur d’une symptomatologie
dépressive et non déficitaire. En ef-
fet alors que le patient déprimé sur-
généralise le souvenir, c’est-à-dire
qu’il le diffuse, qu’il le dilue dans une
masse de souvenirs, le patient défici-
taire confond le souvenir avec
d’autres choses. C’est donc en par-
lant avec les patients de leur histoire
au cours d’un entretien clinique qu’il
y a le plus de chances de distinguer
J. Pellerin L’Encéphale (2008) Hors-série 3, S17-S20
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La dépression : des pratiques aux théories 10