États dépressifs du sujet âgé J. Pellerin TROUBLE AFFECTIF

TROUBLE AFFECTIF
ET ÉVOLUTION DÉMENTIELLE
Comment évaluer les fonctions co-
gnitives chez le sujet déprimé ?
Dans la littérature, cette question est
posée sous la forme de protocoles de
recherche visant à savoir comment
repérer, par l’évaluation neurocogni-
tive, les patients évoluant vers une
pathologie démentielle parmi une po-
pulation de sujets âgés présentant un
trouble affectif.
En pratique, la question est différen-
te. Il s’agit de mieux caractériser le
type de dépression (il faut distinguer
maladies dépressives et symptoma-
tologie dépressive) pour connaître le
risque d’évolution démentielle.
On peut définir trois voies d’évolu-
tion démentielle (figure 1) :
L’apparition de troubles cognitifs,
même sous forme modérée (Mild Co-
gnitive Impairment) chez des patients
déprimés ou avec des antécédents de
dépressions, oriente plus volontiers
vers une évolution démentielle.
L’apparition d’une symptomatolo-
gie d’allure maniaque ou frontale,
qu’il ait existé auparavant un trouble
bipolaire ou non, doit faire recher-
cher une démence fronto-temporale.
Cette pathologie est caractérisée par
l’émergence de troubles du compor-
tement, avec désinhibition, alors que
les fonctions mnésiques sont relati-
vement préservées.
Les patients bipolaires âgés bénéfi-
cient ou ont longtemps bénéficié d’un
traitement par lithium. La littérature
est ambiguë à propos, du possible effet
neuroprotecteur des sels de lithium.
Cette thérapeutique peut aussi inhiber
certaines kinases favorisant la synthè-
se de protéines tau impliquées dans la
neuropathologie des démences.
Par ailleurs, le lithium est difficile à
manier chez le sujet âgé, en raison
du risque de toxicité (déshydrata-
tions plus fréquentes, fonction rénale
altérée avec l’âge, fréquence des
traitements diurétiques instaurés par
exemple pour traiter une hyperten-
sion artérielle).
La dépression vasculaire est carac-
térisée par une apathie au premier
plan. Elle atteint préférentiellement
les hommes : ce sont eux qui présen-
tent des facteurs de risque cérébro-
vasculaires. Des anomalies vasculaires
cérébrales sont présentes à l’imagerie.
Ce type de dépression est également
à risque d’évoluer vers une démence.
En résumé :
La comorbidité – trouble affectif
et MCI – est une situation très à
risque d’évolution démentielle.
Nous savons reconnaître la dé-
pression chez les patients qui présen-
tent une démence qu’elle soit vascu-
laire, d’Alzheimer, fronto-temporale,
ou qu’il s’agisse d’une maladie à
corps de Lewy.
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
Conflit d’intérêt : aucun.
La dépression : des pratiques aux théories 10
Hôpital Charles Foix, 94200 Ivry-sur-Seine
États dépressifs du sujet âgé
J. Pellerin
Troubles
bipolaires
(lithium)
Dépression(s)
Dépressions
vasculaires
Démence
Syndrome
frontal
MCI
Apathie
FIG. 1. — Voies d’évolution démentielle des troubles affectifs.
Cependant, il est difficile, pour le
chercheur comme pour le praticien,
de comprendre comment l’histoire
naturelle de la dépression peut aller
jusqu’à la démence et nous sommes
dans l’incapacité de prédire l’évolu-
tion de certaines formes de dépres-
sion vers telle ou telle maladie dé-
mentielle.
LES SYMPTÔMES
DE L’ÉPISODE DÉPRESSIF
« CARACTÉRISÉ »
ET LE SUJET ÂGÉ
Une seconde difficulté est la repré-
sentation de la vieillesse qui accom-
pagne la banalisation de la sympto-
matologie dépressive aux âges
avancés. Un certain nombre de cri-
tères de l’épisode dépressif sont
spontanément acceptés chez le sujet
âgé. Les personnes âgées non dépri-
mées peuvent se sentir ralenties, fati-
guées avec des troubles du sommeil,
moins d’appétit et réduire leurs acti-
vités ou centres d’intérêt.
Chez le sujet âgé comme chez l’adul-
te, les symptômes de l’épisode dé-
pressif « caractérisé » sont :
Diminution marquée de l’intérêt.
Troubles du sommeil et de l’appétit.
Ralentissement ou agitation psy-
chomotrice.
Fatigue et perte d’énergie.
Humeur dépressive.
Troubles cognitifs.
Sentiments d’indignité ou culpabi-
lité excessive.
Idées suicidaires.
Yvonne Frocell a montré chez des
sujets déprimés très âgés (de plus de
90 ans) que les critères de l’EDM
caractérisé sont adaptés à cette po-
pulation, à condition que l’on retrou-
ve humeur dépressive et troubles
cognitifs. Il est alors difficile de faire
la différence entre dépression et dé-
mence.
UNE FONCTION DÉPRESSIVE ?
La dépression, chez le sujet âgé ex-
posé à des pertes répétées, pourrait
lui permettre de se retrouver ou en-
core de se rassembler psychique-
ment, de mieux contrôler son envi-
ronnement. C’est le modèle du deuil.
La dépression aurait une fonction de
séparation des objets d’investisse-
ment, d’un rôle tenu, c’est-à-dire
une fonction de réorganisation de
l’identité, des rapports à l’autre.
Peut-être, permettrait-elle un accès
à un vieillissement pacifié ?
LES PROBLÈMES PRATIQUES
Les ruptures de suivi ajoutent une
difficulté pratique dans la prise en
charge du patient dépressif avec
troubles cognitifs : le patient oublie
ses RDV de consultation, ou encore
ses médicaments, et il est en difficul-
té pour évoquer sa symptomatologie.
Le généraliste est naturellement en-
clin à orienter ce type de patient vers
le spécialiste, ceci génère une forme
de rupture et induit un risque de réci-
dive dépressive avec majoration des
troubles cognitifs.
Une autre difficulté est l’annonce de
la maladie déficitaire chez un patient
déprimé. Une dernière enfin est celle
des iatropathologies.
L’ÉVALUATION
DES FONCTIONS COGNITIVES
Le MMSE doit être pratiqué.
La dépression s’accompagne de
troubles exécutifs et attentionnels. Et
ce d’autant plus que le sujet a ou qui
risque d’avoir un trouble déficitaire
constitué. Ces symptômes sont re-
trouvés aussi bien dans le trouble dé-
pressif que dans le trouble déficitaire.
Le suivi de l’évolution a tout son inté-
rêt : une aggravation progressive ou
une absence d’amélioration avec le
traitement antidépresseur sont en fa-
veur d’une évolution déficitaire. Il
n’existe pas de consensus quant aux
tests à pratiquer. Selon Myrphy F.C.
et al. (5), les tests recommandés
sont :
pour les troubles exécutifs : Fluen-
ce, code, similitude, Stroop,
et pour les troubles attentionnels :
TMT, Empans.
L’amélioration par l’indiçage aux
5 mots de Dubois (facile à pratiquer
lors de l’examen clinique) (annexe 1)
ou à l’épreuve de Grober et Buschke
(nécessitant une évaluation spéciali-
sée) est un élément en faveur de
l’hypothèse dépression.
Ce n’est ni la mémoire épisodique
ni la mémoire sémantique qui per-
mettent d’évaluer le risque d’évolu-
tion vers une pathologie déficitaire,
mais c’est la mémoire autobiogra-
phique. Il existe au sein de cette mé-
moire un phénomène nommé le phé-
nomène de surgénéralisation (selon
les modèles de Conway et de
Williams : (1, 3) qui est l’attribution
d’une valence généraliste à un sou-
venir ou à un stimulus spécifique. Ce
phénomène s’illustre par le fait qu’à
une question précise, le patient ré-
pond de façon très générale sans in-
dexer précisément dans le temps,
sans préciser le contexte, l’histoire,
les stimuli sensoriels. Il existe aussi
une banalisation des souvenirs même
lorsqu’ils présentent une valence
émotionnelle forte, traumatique ou
positive. Ce phénomène semble être
évocateur d’une symptomatologie
dépressive et non déficitaire. En ef-
fet alors que le patient déprimé sur-
généralise le souvenir, c’est-à-dire
qu’il le diffuse, qu’il le dilue dans une
masse de souvenirs, le patient défici-
taire confond le souvenir avec
d’autres choses. C’est donc en par-
lant avec les patients de leur histoire
au cours d’un entretien clinique qu’il
y a le plus de chances de distinguer
J. Pellerin L’Encéphale (2008) Hors-série 3, S17-S20
S 18
La dépression : des pratiques aux théories 10
une symptomatologie déficitaire
d’une symptomatologie dépressive.
LES ÉCHELLES DE DÉPRESSION
L’évaluation de la dépression par les
échelles reconnues : MADRS, Hamil-
ton est utile. L’auto-évaluation, no-
tamment par la Geriatric Depression
Scale (GDS) ou simplement la mini-
GDS (les quatre premières questions
de la GDS) (annexe 2) est également
importante et apporte davantage que
la seule observation des différents
éléments du vécu dépressif. L’Échelle
de Cornell (annexe 3) est spécifique
de la dépression du sujet âgé ; elle se
remplit avec l’aide de l’entourage.
L’IRM CÉRÉBRALE
Le volume hippocampique est réduit
à la fois dans les pathologies défici-
taires même débutantes et dans la
dépression. Certaines données de la
littérature pourraient indiquer que la
réduction du volume hippocampique
peut être corrigée par le traitement
antidépresseur. Cependant la place
de l’IRM cérébrale n’est pas encore
définie. Elle est indispensable, malgré
la faible contribution au diagnostic
d’une première IRM chez un patient
déprimé présentant une plainte mné-
sique.
CYCLE DU CORTISOL
La théorie du stress inducteur de
démence par hypersécrétion de
l’axe corticotrope pourrait nous in-
citer suivre le cycle du cortisol, en
dosant le cortisol libre urinaire, voire
même par des tests de freination.
En effet les épisodes dépressifs ré-
pétés, prolongés, notamment chez
les patients bipolaires constituent
sans doute un facteur de risque
d’évolution vers une pathologie défi-
citaire.
TRAITEMENT D’ÉPREUVE
Il n’existe pas dans la littérature
d’études sur la pertinence ou la non
pertinence d’un traitement d’épreuve
chez un patient déprimé qui présente
des troubles cognitifs. Le modèle est-il
difficile à élaborer ? Ou alors cette
modalité de soin ne convient-elle pas ?
Références
1. Brittelbank AD
et al
., British Journal of Psychiatry
1993.
2. Clément JP, Nassif RF, Leger JM, Marchan F. Mise au
point et contribution à la validation d’une version
française brève de la Geriatric Depression Scale de
Yesavage. L’Encéphale 1997 ; XXIII : 91-9.
3. Conway MA et Pleydell-Pearce CW. The construction
of autobiographical memories in the self-memory
system. Psychol Revi 2000 ; 107 (2) : 261-88.
4. Dubois B. L’épreuve des cinq mots. Fiche tech-
nique. Neurologie-Psychiatrie-Gériatrie. Année 1.
Février 2001. p 40-42.
5. Murphy F.C.
et al
. British Journal of Psychiatry
2006.
L’Encéphale (2008) Hors-série 3, S17-S20 États dépressifs du sujet âgé
S 19
La dépression : des pratiques aux théories 10
ANNEXE I. — Le test de 5 mots.
(Dubois B. L’épreuve des cinq mots. Fiche technique.
Neurologie-Psychiatrie-Gériatrie. Année 1. Février 2001. p. 40-42.)
On présente au patient une liste de 5 mots et on lui demande de les lire à
haute voix et de les retenir. Ces 5 mots sont placés dans 5 catégories ; les
catégories ne sont pas présentées.
Étape d’apprentissage (rappel immédiat)
Présentation de la liste
Montrer la liste de 5 mots et dire : « Lisez cette liste de mots à haute
voix et essayer de les retenir. Je vous les redemanderai tout à l’heure. »
Une fois la liste lue et toujours présentée au patient (les catégories sont
masquées), lui dire : « Pouvez-vous me dire, tout en regardant la feuille, le
nom du fruit, du vêtement, etc. »
Contrôle de l’encodage = score d’apprentissage
Cacher la feuille et dire au patient « pouvez-vous me dire la liste des
mots que vous venez d’apprendre ? »
En cas d’oubli et seulement pour les mots oubliés, poser la question en
donnant la catégorie (indice) : « Quel est le nom du fruit, du vêtement, etc. »
Compter les bonnes réponses (avec ou sans indice) = score d’apprentissage.
Si le score est inférieur à 5, montrer à nouveau la liste de 5 mots et rap-
peler les catégories et les mots oubliés.
Si le score est égal à 5, l’enregistrement des mots a été effectif, on peut
passer à l’épreuve de mémoire.
Étape de mémoire (rappel différé)
Activité d’attention intercurrente
Son but est seulement de détourner l’attention du sujet pendant 3 à 5 minutes.
Étude de la mémorisation (rappel différé)
Demander au patient : « Pouvez-vous me redonner les 5 mots que vous
avez appris tout à l’heur ? »
Pour les mots oubliés, poser la question en donnant la catégorie (indice) :
« Quel est le nom du fruit, du vêtement, etc. »
Compter le nombre de bons mots rapportés : c’est le score de mémoire.
Résultats
C’est le total : score d’apprentissage + score de mémoire qui doit être égal
à 10.
Il existe un trouble de la mémoire dès qu’un mot a été oublié. L’indiçage
permet de différentier un trouble mnésique d’un trouble de l’attention lié à
l’âge ou à l’anxiété, dépression, etc.
Dans une population, générale âgée, les valeurs totales < 10 ont une sensibilité
de 63 % et une spécificité de 91 % avec une valeur prédictive de 11,4 (jim.fr).
Objet Catégories/Indice (à masquer)
Rose
Éléphant
Chemise
Abricot
Violon
Fleur
Animal
Vêtement
Fruit
Instrument de musique
J. Pellerin L’Encéphale (2008) Hors-série 3, S17-S20
S 20
La dépression : des pratiques aux théories 10
ANNEXE 2. — Mini-GDS (GDS : Geriatric Depression Scale).
Clément JP, Nassif RF, Leger JM, Marchan F.
Mise au point et contribution à la validation d’une version française brève
de la Geriatric Depression Scale de Yesavage. L’Encéphale 1997 ; XXIII : 91-9.
La version brève de la « Geriatric Depression Scale » est un outil de dépistage d’une dépression. Elle ne permet pas de porter un diagnostic de dépression.
Poser les questions au patient en lui précisant que, pour répondre, il doit se resituer dans le temps qui précède, au mieux une semaine, et non pas dans la vie
passée ni dans l’instant présent.
Cotation
Si score total égal ou supérieur à 1, très forte probabilité de dépression.
Si score total = 0, très forte probabilité d’absence de dépression.
1
2
3
4
Vous sentez-vous souvent découragé(e) et triste ?
Avez-vous le sentiment que votre vie est vide ?
Êtes-vous heureux (se) (bien) la plupart du temps ?
Avez-vous l’impression que votre situation est désespérée ?
oui = 1
oui = 1
oui = 0
oui = 1
non = 0
non = 1
non = 0
non = 0
ANNEXE 3. — Échelle de Cornell.
Il faut coter chaque item et en faire l’addition selon le score suivant :
a = impossible à évaluer, 0 = absent, 1 = modéré ou intermittent, 2 = sévère.
TOTAL :

sur 38 Nombre de a : ………….
A. Symptômes relatifs à l’humeur
1
2
3
4
Anxiété, expression anxieuse, ruminations, soucis.
Tristesse, expression triste, voix triste, larmoiement.
Absence de réaction aux événements agréables.
Irritabilité, facilement contrarié, humeur changeante
a
a
a
a
0
0
0
0
1
1
1
1
2
2
2
2
B. Troubles du comportement
5
6
7
8
Agitation, ne peut rester en place, se tortille, s’arrache les cheveux.
Ralentissement, lenteur des mouvements, du débit verbal, des réactions.
Nombreuses plaintes somatiques (coter 0 en présence de symptômes gastro-intestinaux exclusifs).
Perte d’intérêt, moins impliqué dans les activités habituelles (coter seulement si le changement est survenu brusquement, il y a moins d’un mois).
a
a
a
a
0
0
0
0
1
1
1
1
2
2
2
2
C. Symptômes somatiques
9
10
11
Perte d’appétit, mange moins que d’habitude.
Perte de poids, (coter 2 si elle est supérieure à 2,5 kg en 1 mois).
Manque d’énergie, se fatigue facilement, incapable de soutenir une activité (coter seulement si le changement est survenu brusquement, c’est-à-dire il y a
moins d’un mois).
a
a
a
0
0
0
1
1
1
2
2
2
D. Fonctions cycliques
12
13
14
15
Variations de l’humeur dans la journée, symptômes plus marqués le matin.
Difficultés d’endormissement, plus tard que d’habitude.
Réveils nocturnes fréquents.
Réveil matinal précoce, plus tôt que d’habitude.
a
a
a
a
0
0
0
0
1
1
1
1
2
2
2
2
E. Troubles idéatoires
16
17
18
19
Suicide, pense que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, souhaite mourir.
Auto-dépréciation, s’adresse des reproches à lui-même, peu d’estime de soi, sentiment d’échec.
Pessimisme, anticipation du pire.
Idées délirantes congruentes à l’humeur, idées délirantes de pauvreté, de maladie ou de perte.
a
a
a
a
0
0
0
0
1
1
1
1
2
2
2
2
1 / 4 100%

États dépressifs du sujet âgé J. Pellerin TROUBLE AFFECTIF

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !