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La dépression : des pratiques aux théories 10
Santé mentale en Lombardie.
Organisation et activité de la
psychiatrie de secteur
M. Percudani
U.O. Psichiatria n° 62 – Ospedale di Bollate (Milano)
A.O. « G. Salvini » – Garbagnate Milanese
En Italie, comme dans la plupart des
pays occidentaux, l’organisation des
soins en psychiatrie a basculé d’une
prise en charge de type asilaire à la
psychiatrie de secteur. Cette mutation, dénommée « désinstitutionalisation », s’est opérée de différentes
manières selon les pays. En Italie,
une législation spécifique (en 1978 :
la loi 180) a fait de la psychiatrie de
secteur le cadre de l’organisation des
soins en psychiatrie. Cette loi a interdit toute nouvelle admission dans
les hôpitaux psychiatriques publics à
partir de décembre 1981 et établi les
nouveaux services de la psychiatrie
de secteur afin d’offrir les soins nécessaires à une population définie
selon des délimitations géographiques. Cette loi est une directive
générale sans que soit défini son
mode d’exécution. Les régions ont
donc assumé la mise en œuvre de
cette transition.
ORGANISATION DE LA SANTÉ
MENTALE EN LOMBARDIE
La Lombardie, au Nord de l’Italie,
est la région la plus riche et la plus
peuplée avec environ neuf millions
d’habitants. La santé mentale régionale est subdivisée en quinze
Conflit d’intérêt : aucun.
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
Autorités Locales de Soins, définies
par une population d’environ
500 000 habitants. Celles-ci reçoivent un budget global pour les soins
à la population qui y réside : elles négocient avec les prestataires de soins
accrédités présents dans leur territoire, publics ou privés, et acquièrent ainsi les activités et les services
de psychiatrie disponibles pour leurs
habitants.
Depuis le premier plan régional de
santé mentale, au début des années
1980, la Lombardie a adopté un modèle organisationnel de psychiatrie de
secteur centré sur la multidisciplinarité des équipes. Celles-ci incluent
psychiatres, psychologues, infirmières, travailleurs sociaux et thérapeutes spécialisés en réhabilitation.
Elles sont dirigées par les psychiatres
consultants. Ce réseau est constitué
d’une part par 29 départements publics de santé mentale (65 unités de
psychiatrie de secteur chacune étant
assise sur un bassin de population de
120 000 habitants) et d’autre part
par des prestataires privés accrédités
travaillant avec des centres de jour et
des foyers résidentiels.
Un département de Santé Mentale
est l’organisation publique de référence pour tous soins psychiatriques
à la population d’un territoire défini :
soins de secteur, soins hospitaliers et
soins en foyers résidentiels. Ce Département assure les services de prévention de soins (la réponse à l’urgence, l’hospitalisation) et de
réhabilitation (incluant l’aide à l’insertion sociale). Il assure également
le dialogue avec les associations
d’usagers et de familles, avec les associations bénévoles caritatives, le
réseau social et les familles des patients. Il organise des interventions
spécifiques contre les maladies mentales sévères visant à réduire les rechutes et le développement de la
chronicité. Il collecte des données
épidémiologiques et évalue les activités et la formation continue des professionnels.
En Lombardie par exemple :
– le département de Santé Mentale
est dirigé par un directeur d’unité
psychiatrique travaillant au sein de
ce département,
– chaque unité de psychiatrie de secteur est dirigée par un psychiatre
consultant,
– elle comprend un service de psychiatrie au sein d’un hôpital général,
permettant des hospitalisations libres
ou sous contrainte,
– un ou plusieurs centres médicopsychologiques, permettant une prise en charge type hôpitaux de jour,
La dépression : des pratiques aux théories 10
M. Percudani
– et un ou plusieurs foyers résidentiels, dans lesquels les usagers bénéficient de programmes de réhabilitation et de soutien.
SERVICES ET ACTIVITÉS
La Lombardie comprend un réseau
de 65 unités de psychiatrie de secteur totalisent :
– 101 centres médico-psychologiques
(1 pour 78 000 habitants de plus de
14 ans),
– 820 lits en hôpital général
(1 pour 10 000 habitants),
– 160 places en foyers résidentiels
publics (1 pour 5 000 habitants)
– et 67 centres de jour, environ un
par unité de psychiatrie de secteur,
soit 983 places de jour soit (1 place
pour 8 000 habitants).
Si l’on rapporte ces chiffres à la dimension d’un secteur français de
80 000 habitants cela donnerait :
– 1 CMP,
– 8 lits d’hospitalisation libre ou sans
consentement,
– 15 lits de foyers,
– 10 places d’hôpital de jour.
À cela il faut ajouter les offres privées d’accueil et d’hébergement… :
en matière de foyers il semble que les
structures privées proposent autant
de possibilités que les structures publiques (soit 15 lits de plus pour un
secteur type français).
Il existe une norme théorique : 1,7
lits pour 5 000 habitants.
Au cours de l’année 2003, 110 486
usagers ont intégré la file active des
unités de psychiatrie de secteur (13,7
tous les 1 000 habitants âgés de plus
de 14 ans) : 88% par le centre médico-psychologique, 13 % hospitalisés
au moins une fois dans les lits en hôpital général et 3 % par les centres de
jours ou les foyers résidentiels.
Les admissions en unité de psychiatrie pour épisodes aigus sont
stables au fil des années (de 1995 à
S6
L’Encéphale (2008) Hors-série 3, S5-S8
2001). L’hospitalisation sous
contrainte représente 11 % de la totalité. Sur l’ensemble des patients,
26 % sont hospitalisés au moins
une fois dans l’année et 75 %
moins de 15 jours.
Les foyers résidentiels publics et privés sont destinés aux patients nécessitant des séjours à moyen ou long
terme. Ils se distinguent par les soins
qu’ils apportent : les foyers sociaux,
les foyers de soutien et les foyers de
réhabilitation. La supervision par des
soignants varie selon le type de
foyer : absente dans les foyers sociaux, alors que les soignants sont
présents 24 heures sur 24 dans les
foyers de réhabilitation. La présence
de soignants peut être de 12 ou de
24 heures sur 24 dans les foyers de
soutien.
Selon les données de 2003, il existe
243 foyers résidentiels accrédités en
Lombardie, respectivement 66 %
pour le domaine public et 34 % pour
le privé ; soit 2 752 de lits, respectivement en nombre de lits : 59 %
pour le public et 41 % pour le privé.
Le taux de lit par habitants de plus
de 14 ans est de 1,7 pour 5 000.
Quelques textes décrivent les modèles de soins en Lombardie : organisation, activités et coûts d’une unité
publique de soins psychiatrique dans
la région nord ouest de Milan (Magenta) (1). Un autre analyse l’utilisation des services et les coûts durant
24 mois pour une population ayant
eu un premier contact avec le centre
médico-psychologique de secteur de
Magenta (2). Un autre estime la probabilité qu’un patient abandonne les
soins et identifie des sous-groupes de
patients à risque de rompre avec les
soins (3).
Pour améliorer le système actuel, il
faudrait :
– intégrer les soins institutionnels et
non institutionnels dans un même
système afin d’améliorer l’utilisation
des ressources en santé mentale,
– ajuster les modèles de soins aux besoins des patients,
– créer des voies spécifiques selon la
clinique présentée par l’usager et développer des programmes individuels
de traitement,
– intégrer le traitement des patients
présentant des maladies mentales sévères et des besoins spécifiques complexes : développer la mise en place par
le secteur des « traitements intégrés »,
– réorganiser les soins psychiatriques
résidentiels,
– améliorer les prescriptions médicamenteuses.
À ce propos, une étude (4) examine
la prévalence et la distribution de la
prescription d’antidépresseurs en
Lombardie. Les données incluent
toutes les prescriptions remboursées
par le système de soins national au
sein de la population de cette région.
Durant la période de l’étude,
404 238 usagers ont reçu des antidépresseurs. La prévalence de l’utilisation est de 2,85 pour 100 hommes et
5,92 pour 100 femmes. Et comme en
France là encore, les médecins généralistes sont les principaux prescripteurs. La prévalence d’utilisation
augmente progressivement avec
l’âge dans les deux sexes, avec les
taux les plus élevés chez les personnes âgées et très âgées (5) :
9,49 pour 100 habitants. En un an,
50 000 habitants ont été traités par
les services psychiatriques publics
pour anxiété et dépression, et
400 000 ont reçu un antidépresseur.
Il existe une large prescription d’antidépresseurs par les médecins généralistes. Il apparaît important de travailler avec ces derniers.
PLAN RÉGIONAL
DE SANTÉ MENTALE
Le dernier plan régional de Santé
Mentale en Lombardie (décret
17 513 du 17 mai 2004) a pour buts :
– d’élargir la santé mentale à de nouveaux domaines,
– de créer des comités de coordination de santé mentale pour chaque
secteur,
– de différencier des voies de soins,
– de développer des projets dans les
domaines suivants : intervention précoce dans la psychose, programmes
d’aide au travail, dépression et anxiété, double diagnostic,
– de réorganiser le soin résidentiel.
Le Département local de Santé
Mental en Italie
Les Comités Territoriaux de Santé
Mentale sont établis dans chaque
territoire par les Autorités Locales
de Soins en accord avec le département public de santé mentale incluant les prestataires privés accrédités, les municipalités et le secteur
non lucratif.
Ces comités sont constitués du directeur de l’Autorité Locale de
Soins, le directeur du Département
de Santé Mentale, les représentants
des prestataires privés accrédités, de
la conférence de maires, des associations et du secteur social, engagés
dans la santé mentale.
Les objectifs qui lui sont attribués
consistent à l’organisation d’une
Conférence Locale annuelle de Santé Mentale, l’élaboration tous les
trois ans de l’Accord Local de Santé
Mentale (réévalué chaque année), et
la mise en place de Tables rondes
concernant la formulation et l’exécution de projets de voies de thérapie
et de réhabilitation pour les usagers
du territoire.
Depuis le plan régional de 2004,
toutes les Autorités Locales de Soins
ont créé les Comités Territoriaux de
Santé Mentale ; l’Accord Local de
Santé Mentale est élaboré dans plus
de la moitié des territoires et tous les
Comités ont organisé les Tables
rondes.
Santé mentale en Lombardie. Organisation et activité de la psychiatrie de secteur
Principe de la psychiatrie à
l’italienne : le traitement intégré
Le « traitement intégré » des patients
présentant des troubles psychiatriques sévères est une mission spécifique pour le secteur. Cela doit être
un objectif pour les équipes, il doit
exister une unicité du projet de soins,
celui-ci ne doit pas être défini par
chaque service que l’usager rencontrera ; l’usager doit être pris en
compte dans ce projet et doit en être
partie prenante ; des programmes individuels de traitement doivent être
appliqués. Le traitement intégré du
secteur est considéré comme le
meilleur choix en terme de bonne
pratique clinique, de part la continuité thérapeutique, l’intégration du social et de la santé, et la possibilité
d’offrir des soins en contiguïté avec
le contexte socio-environnemental
de l’usager.
Le secteur à l’italienne
Le secteur de psychiatrie comporte
une équipe permettant d’appliquer
les programmes de « traitement intégré ». Cette équipe multidisciplinaire
est composée de psychiatres, de psychologues, d’infirmières spécialisées,
d’éducateurs et de techniciens de réhabilitation et travailleurs sociaux.
Ses activités comportent :
– La clinique ambulatoire : par l’entretien psychiatrique, les visites, la
psychothérapie, la pharmacothérapie. Cette clinique doit être centrée
sur l’usager et ses besoins, orientée
vers le développement d’une alliance
thérapeutique.
– La réhabilitation : par la resocialisation, les techniques de réhabilitation, et par les centres de jour.
– Les soins de support : par la relation au patient, par le support des aspects déficients, en étant focalisé sur
les aspects de fonctionnement psychosocial, et par les visites à domicile.
– L’intermédiation : visant à contrebalancer la marginalisation secondaire à la pathologie et à la stigmatisation. Les équipes utiliseront les
possibilités fournies par les agences
territoriales (services sociaux, structures de travail protégé, associations
caritatives), identifieront le réseau
potentiel informel en intégrant les aidants naturels, et informeront et
soutiendront les familles.
– La coordination : par la réflexion autour d’un cas unique visant à intégrer
les différentes dimensions et les différentes activités de prise en charge, les
différents individus participant au projet de soins et à assurer la continuité
de « programme intégré » de l’individu.
Depuis les dix dernières années, il
existe au sein du soin psychiatrique
résidentiel une extension progressive
de la durée de séjour et une réduction du turnover des patients. Le soin
psychiatrique résidentiel se transforme souvent en une solution d’hébergement et s’éloigne ainsi d’un projet
thérapeutique individuel. Prenant en
considération ses anomalies, le plan
régional identifie le besoin de requalifier les structures résidentielles en
mettant l’accent sur le programme
de soins et non plus sur la structure,
et en identifiant les trois principaux
domaines pour les programmes de
soins dans ses structures : soins de
réhabilitation, soins de soutien, domaine social. Chaque programme de
soin est caractérisé par une durée. Le
programme résidentiel de soin de réhabilitation ne doit pas dépasser
18 mois et nécessite exclusivement
une compétence en santé. Les programmes résidentiels de soins de
soutien ont une durée de 36 mois.
Enfin les programmes résidentiels sociaux ne sont pas fournis par des
structures de santé, ont des durées
variables (elles peuvent être courtes
mais parfois à vie) et nécessitent le
plus souvent qu’une solution adéquate d’hébergement soit trouvée.
S7
La dépression : des pratiques aux théories 10
L’Encéphale (2008) Hors-série 3, S5-S8
La dépression : des pratiques aux théories 10
M. Percudani
PROGRAMMES INNOVANTS
POUR LA SANTÉ MENTALE :
2005-2008
Afin de promouvoir le modèle organisationnel décrit dans le plan régional, a été établi un programme innovant pour la santé mentale
(2005-2008). Ce programme finance
les actions innovantes ayant pour but
d’améliorer :
– les soins de secteur,
– les soins résidentiels,
– la qualité de soins ou la formation.
Sur les 101 programmes soumis, 73 ont
été financés par une somme globale de
30 millions d’euros pour trois ans.
S8
L’Encéphale (2008) Hors-série 3, S5-S8
En conclusion, le plan régional de
Santé Mentale de la Lombardie est
orienté vers une réinstitutionalisation
– à l’instar de ce qui se passe dans
différents pays développés (6) – défi
de la psychiatrie de secteur pour les
prochaines années.
Références
1. Fattore G et al. Mental Health Care in Italy : organisational structure, routine clinical activity and costs
of a community psychiatric service in Lombardy region. International Journal of Social Psychiatry
(2000), Vol. 46, N° 4, 250-265.
2. Percudani M. et al. Service utilisation and costs of
first-contact patients in a community psychiatric service in Italy. European Psychiatry (2002), 17,
434-442.
3. Percudani M. et al. Monitoring community psychiatric services in Italy : differences between patients
who leave care and those who stay in treatment.
British Journal of Psychiatry (2002), 180, 254259.
4. Percudani M. et al. Antidepressant drug use in Lombardy, Italy : a population-based study. Journal of
Affective Disorders (2004), 83, 169-175.
5. Percudani M. Antidepressant drug prescribing
among elderly subjects : a population-based study.
International Journal of Geriatric Psychiatry
(2005), 20, 113-118.
6. Priebe S. et al. Reinstitutionalisation in mental
health care : comparison of data on service provision from six European countries. British Medical
Journal (2005), 330, 123-126.
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