Dépressions et âges de la vie Discussion P. Chevallier Médecin généraliste, Paris La société adolescente est née dans les années cinquante. Réponse adaptée à la disparition des rites d’intégration des enfants par la société des adultes ? On pouvait le croire. En moins de cinquante ans on découvre des adolescents dépressifs. Ceci peut autant les questionner individuellement tout autant que nous devons nous interroger nous-même. Pourquoi ? Au moins, parce que les adolescents d’hier sont les adultes d’aujourd’hui. Au plus parce que le seul modèle qu’on ait pour connaître et soigner cette population adolescente, c’est nous-même par rapport à nous-même. Par ailleurs les travaux de recherche qui s’intéressent à cette population restent très rares. Les études (2,4,5) nous enseignent, malgré les difficultés de repérage, que la prévalence de la dépression légère serait de l’ordre de 14 % dans les populations soignées, celles de la forme modérée de 8 % et de la forme sévère de 1 à 9 %. Cette variabilité est liée à des critères diagnostiques qui restent peu codif iés et standardisés (tableau 1). Devant les difficultés, déjà soulignées par le Dr Huerre, pour cerner la frontière entre « normal » et pathologique chez les adolescents, l’importance du repérage des préoccupations dépressives est apparue de façon officielle dans un certain nombre de publications. Non pas le « j’ai le blues du vendredi soir à cause d’un bouton sur le nez et je vais déplaire à tout le monde en boom » mais bien la préoccupation dépressive qui empêche l’adolescent d’être à l’aise dans les diverses situations de sa vie tout en sachant que l’adolescence s’accompagne forcément d’un malaise physiologique. Les médecins généralistes ont développé leurs recherches spécifiques. Ils se sont posées la question de situations et non pas de classification de maladies. De ce fait, la dépression n’existe pas en médecine générale, mais les dépressions : femmes qui sont en situation dépressive, sujets âgés en situation dépressive, adolescents en situation dépressive. Le malêtre par opposition au bienêtre. Les signes de la maladie ne sont souvent pas les mêmes pour chaque tranche d’âge. DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES En ce qui concerne le diagnostic de dépression, on connaît les critères du DSM-IV et de la CIM 10 qui distinguent la dépression légère, modérée et sévère, distinctions destinées essentiellement à la recherche. L’auteur n’a pas déclaré de conflits d’intérêt. © L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés. TABLEAU 1. — Prévalence des préoccupations dépressives et de la dépression chez les adolescents de 10 à 20 ans. Préoccupations dépressives Prévalence 20 % Dépression Légère Modérée Sévère 14 % 8% 1 %-9 % L’Encéphale (2008) Hors-série 2, 5-7 Comme cela a déjà été souligné, la sémiologie est probablement différente pour l’adolescent. La prévalence de ce mal-être, de ces préoccupations dépressives serait de l’ordre de 20 % (tableau 1). La dépression de l’adolescent peut ainsi être considérée comme un problème de santé des populations. En France, l’observatoire de la médecine générale (3) tient au quotidien un registre des constatations des médecins généralistes avec un codage approprié aux soins primaires et proche de la Classification Inter nationale des Soins Primaires, 2e version (CISP2). Les adolescents dépressifs ne représentent que 0,01 % des clientèles des médecins généralistes (figure 1). Les études étrangères récentes montrent que les problèmes psychosociaux sont parmi les 5 plus fréquents que ce soit en Nouvelle-Zélande, en Australie aux USA (1). La première question qui se pose est : s’ils existent, où sont ces adolescents dépressifs ? En tout cas il y a une distorsion entre les informations fournies par les systèmes utilisés en milieu professionnel et la connaissance spécialisée. Y aurait-il un moyen d’harmoniser tous les soignants ? Quoi qu’il en soit, le fait que l’adolescent est en souffrance, confronté à un ensemble de facteurs qui peuvent être des déterminants de dépression. ADOLESCENT EN SOUFFRANCE DANS LA FAMILLE Nous médecins de famille, observons en premier les adolescents en souffrance. A-t-on les moyens de mieux détecter cette souffrance ? D’aller plus loin dans le repérage des difficultés des adolescents ? Quelle est la valeur d’alerte de l’échec scolaire ? Est-ce que les surdoués sont en souffrance ? La toxicomanie avec diverses pratiques est souvent observée en consultation de médecine générale : est-ce un facteur confondant ou bien prédictif ? Il faut aménager des pratiques spécifiques de la médecine générale : aborder le repérage d’une dépression avec un ado- Prévalence par tranche d’âge pour l’année 2005 pour tous les patients dépression 7,0 Poucentage de patients 5,0 4,0 3,0 2,0 1,0 5,6 4,2 2,8 1,4 0,0 00-01 02-09 10-19 20-29 30-39 40-49 50-59 60-69 70-79 80-89 90-99 0,0 Prévalence par tranche d’âge pour l’année 2005 pour tous les patients humeur dépressive 00-01 02-09 10-19 20-29 30-39 40-49 50-59 60-69 70-79 80-89 90-99 Poucentage de patients Dépressions et âges de la vie P. Chevallier Tranche d’âge Tranche d’âge FIG. 1 — Prévalence de la dépression et de l’humeur dépressive par tranche d’âge. S6 lescent au moment d’une vaccination contre une maladie sexuellement transmissible, comme l’hépatite B. En effet des enquêtes menées en milieu scolaire ont montré en 2000, une couverture vaccinale en classe de 3e (cohortes de naissance 1983-1987, âge 1317 ans) de 66,6 %. (Données DREES, non publiées). L’adolescence est donc un âge sensible, moment où le médecin généraliste peut effectuer un travail d’éducation à la santé physique et morale. Il faut saisir les opportunités de déceler les modifications du comportement et chercher quels comportements peuvent être révélateurs de dépression. Y a-t-il des moyens à mettre en place le diagnostic de dépression aiguë grave caractérisée (CIM 10) de l’adolescent à hospitaliser ? Quels seraient les signes de préoccupations dépressives, de dépression légère ou modérée (CISP2) de l’adolescent dans sa famille ? Quelle prise en charge pour éviter que la dépression n’évolue vers sa forme torpide voire suicidaire ? PRISE EN CHARGE DES ADOLESCENTS DÉPRIMÉS Aujourd’hui, la majorité des molécules antidépressives n’ont pas une AMM chez l’adolescent et leur prescription constitue donc un risque pour le médecin. Quel lien peut-on mettre entre les médecins au service de ces jeunes patients pour essayer de trouver la bonne réponse thérapeutique ? Quelles compétences peut-on mettre au service de chaque adolescent souffrant pour l’aider au travers d’une approche holistique, à trouver une réponse à ses besoins ? Au moment de la souffrance de l’adolescent, que doit être notre rôle ? Et enfin, qui doit prendre en charge les adolescents déprimés ? Est-ce le médecin généraliste comme il le fait pour le patient hypertendu ou diabétique de type II ? Discussion Références 1. Bindman AB, Forrest CB, Britt H, Crampton P, Majeed A. Diagnostic scope of and exposure to primary care physicians in Australia, New Zealand, and the United States : cross sectional analysis of results from three national surveys BMJ, doi:10.1136/bmj.39203.658970.55 (published 15 May 2007) 2. Corcos M, Bochereau D, Clervoy P et al. Troubles maniacodépressifs à l’adolescence. Encyclop Méd Chir Psychiatrie 1998 ; 37-214-A-50. 3. http://omg.sfmg.org/content/donnees/donnees.php Consultation 01/12/2007 4. Institut national de la santé et de la recherche médicale. Choquet M, Ledoux S, Menke H. La santé des adolescents : approche longitudinale des consommations de drogues et des troubles somatiques et psychosomatiques. Paris : La Documentation française ; 1988. 195. Marcelli D. Adolescences et dépressions polyptyque. Paris : Masson ; 1990. 5. Levy JC, Deykin EY. Suicidality, depression, and substance abuse in adolescence. Am J Psychiatry 1989 ; 146 (11) : 1462-7. S7 Dépressions et âges de la vie L’Encéphale (2008) Hors-série 2, 5-7