Achats compulsifs : traitements psychologiques et biologiques M. Lejoyeux

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L’Encéphale (2007) 33 Cahier 3, 873–5
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Achats compulsifs : traitements psychologiques
et biologiques
M. Lejoyeux
Hôpital Louis Mourier, Service de Psychiatrie, 178 rue des Renouillers, 92701 Colombes Cedex (France)
Les critères d’achats compulsifs ont été définis en 1994 par
Susan McElroy et al. [11], et révisés en 2000. Ils comprennent des préoccupations inadaptées pour des achats,
comme en témoigne au moins l’un des comportements suivants : soit préoccupations fréquentes pour des achats ou
impulsions d’acheter qui sont ressenties comme irrépressibles, intrusives et/ou n’ayant pas de sens ; soit achats fréquents au-delà des moyens du sujet, achats d’articles sans
besoin, shopping durant des périodes plus longues que
prévu. Les préoccupations, impulsions, ou comportements
d’achat entraînent une détresse marquée, prennent du
temps, interfèrent avec le fonctionnement occupationnel
ou social, ou entraînent des problèmes financiers (faillite,
incapacité à acquitter le montant de ses dettes). Enfin, les
critères d’achats pathologiques précisent que les achats
excessifs ou les comportements de shopping ne surviennent
pas uniquement durant des périodes de manie ou d’hypomanie [1, 4, 5, 11].
Traitement de la comorbidité
psychiatrique
La prise en charge de la comorbidité psychiatrique est le
premier temps du traitement des comportements d’achats
compulsifs. Cette comorbidité est fréquente [1], marquée
surtout par la comorbidité dépressive (plus de 60 % des
cas), mais aussi par les addictions aux drogues, les attaques
de panique, la dépendance à l’alcool, ou la boulimie.
Une étude dont les résultats ont été publiés en 1997 et
en 2000 [9] a évalué de façon systématique les achats compulsifs ainsi que les autres troubles du contrôle des impulsions, parmi 119 patients déprimés hospitalisés. Tous les
patients remplissaient les critères d’épisode dépressif
majeur, les patients présentant un état maniaque étant
exclus de l’étude. Outre les critères diagnostiques d’achats
compulsifs et une échelle quantitative spécifique
(Lejoyeux), tous les patients avaient été évalués par un
questionnaire de recherche de sensation de Zuckerman et
un questionnaire d’impulsivité de Barratt.
La comparaison des sujets déprimés avec ou sans comportements d’achats montre que les acheteurs pathologiques sont plus jeunes (39 ans vs 47 ans, p < 0,005), sont
plus volontiers des femmes (p = 0,005), ont plus volontiers
des dépressions récurrentes (76 % vs 54 %, p = 0,01), présentent moins fréquemment des troubles bipolaires (10 %
vs 24 %, p = 0,05), et présentent plus fréquemment une
boulimie (21 % vs 7 %, p = 0,03), une kleptomanie (10 % vs
1 %, p = 0,03), ou une dépendance aux benzodiazépines
(29 % vs 6 %, p = 0,001) ; en revanche, la dépendance à la
nicotine ne différait pas significativement dans les deux
groupes (55 % vs 42 %, p = 0,12) [8, 9].
Traitement pharmacologique
des comportements d’achats pathologiques
Les antidépresseurs sérotoninergiques ont été proposés
dans le traitement médicamenteux des patients présentant
* Auteur correspondant.
E-mail : [email protected]
L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts.
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
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20 mg/j, et était ensuite augmenté tous les 15 jours par
paliers de 20 mg/j ; la posologie moyenne à l’issue de
l’essai était de 35,4 + 21,4 mg/jour. Les sujets inclus (24 au
total, 22 femmes et 2 hommes), d’un âge moyen de 43,7 +
8,1 ans, avaient pour la plupart des comportements de
shopping compulsif depuis au moins une vingtaine d’années. Le traitement a entraîné chez les sujets une amélioration rapide et marquée à la fois sur la version « shopping »
de l’échelle Y-BOCS et sur l’échelle CGI-amélioration ; 71 %
des sujets étaient considérés comme répondeurs, avec des
scores « très améliorés » ou « considérablement améliorés » sur la CGI-amélioration.
Traitement des autres troubles addictifs
Parmi les troubles du contrôle des impulsions, le trouble
achats compulsifs et le trouble explosif intermittent sont
les plus fréquents ; beaucoup plus rares sont le jeu pathologique, la kleptomanie, la trichotillomanie, et la pyromanie (Fig. 1) [11, 12].
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Je
des comportements d’achats pathologiques. Une étude
contrôlée contre placebo de la fluvoxamine a par exemple
été menée chez des acheteurs compulsifs [13]. Un total de
37 sujets a été inclus, 23 sujets terminant l’étude. Il s’agissait d’un essai en double aveugle réalisé durant 13 semaines. Une comorbidité psychiatrique actuelle ou passée
était retrouvée chez 74 % des sujets. Aucune mesure de
l’évolution n’a pu mettre en évidence de différence entre
le produit actif et le placebo. Le taux de placebo répondeur était particulièrement élevé, ce qui pourrait être lié
au bénéfice comportemental entraîné par une évaluation
quotidienne ; ce taux élevé interdisait une conclusion
quant à un éventuel effet bénéfique du médicament.
Un autre essai réalisé avec la fluvoxamine en double
aveugle contre placebo dans le traitement des achats compulsifs [2] a été réalisé chez des patients non déprimés suivis en ambulatoire pour un trouble d’achats compulsifs.
Après une semaine de wash-out en simple aveugle sous placebo, les sujets ont été assignés de façon randomisée vers
un groupe fluvoxamine (12 sujets) ou vers un groupe placebo (11 sujets). La durée de l’essai était de 9 semaines, la
dose de produit actif pouvant aller jusqu’à 300 mg/j. À
l’issue de l’essai, 50 % des sujets sous fluvoxamine et 63 %
des sujets sous placebo présentaient à l’évaluation par la
CGI le score « très amélioré » ou « considérablement amélioré ». Bien que 33 % des sujets sous flovoxamine aient été
considérés comme « considérablement améliorés », contre
18 % seulement sous placebo, il n’était donc pas possible
de conclure à une supériorité statistiquement significative
de la fluvoxamine sur le placebo quant à l’évolution du
trouble.
Un essai de citalopram chez des acheteurs pathologiques (shopping compulsif) a été réalisé lors d’une phase en
ouvert tout d’abord, suivie d’une phase d’interruption de
traitement en double aveugle [7]. La durée de la phase
d’essai en ouvert était de 7 semaines, celle de la phase
d’interruption de traitement en double aveugle de 9 semaines. Le traitement actif consistait en 20 mg de citalopram,
avec la possibilité pour l’investigateur d’augmenter jusqu’à
60 mg. Les sujets répondeurs étaient définis comme étant
« très améliorés » ou « considérablement améliorés » sur
l’échelle CGI-amélioration et ayant une diminution d’au
moins 50 % de leur score à la sous-échelle « achats » de
l’échelleY-BOCS. Ces sujets répondeurs étaient alors randomisés et recevaient, en double aveugle, soit un traitement
par citalopram à la dose reçue à la semaine 7, soit un placebo. Sur la population étudiée, 63 % des sujets remplissaient les critères de sujets répondeurs. Sur les 15 sujets
qui ont participé à la seconde phase de l’étude, 5 sur 8 de
ceux placés sous placebo, soit 63 %, ont rechuté dans les
9 semaines, contre 0 sur 7 des patients randomisés vers le
groupe qui poursuivait le citalopram. Néanmoins, la significativité de l’étude est limitée par le faible nombre de
sujets inclus dans la seconde partie.
Une étude du citalopram en ouvert a été menée chez
des sujets présentant des comportements de shopping
compulsif [6]. Les sujets inclus étaient âgés de plus de
18 ans et remplissaient les critères de shopping compulsif.
Le traitement par citalopram était débuté à la posologie de
Figure 1 Troubles du contrôle des impulsions
Une étude comparant des étudiants présentant des
achats compulsifs ou n’en présentant pas montre que les
acheteurs pathologiques sont significativement de plus gros
fumeurs (7,4 cigarettes par jour en moyenne chez les acheteurs pathologiques, vs 4,4 chez les non acheteurs pathologiques [p = 0,01]). En revanche, l’âge, le sexe ratio, la
consommation journalière d’alcool ou les scores de jeu
pathologique ne différaient pas significativement entre les
deux groupes.
Traitements psychothérapiques
des acheteurs compulsifs
La première étape de la prise en charge psychothérapique
des sujets présentant des achats compulsifs, en particulier
pour les traitements de type cognitivo-comportementaux,
est une auto-évaluation soigneuse des comportements
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pathologiques visés par la thérapie. L’échelle d’évaluation
des achats pathologiques (Buying Rating Scale, 10) permet
cette évaluation (Fig. 2).
70 %
61 %
60 %
50 %
40 %
chez les contrôles. En revanche, d’autres items ne différaient pas significativement chez les acheteurs compulsifs
et chez les contrôles, comme par exemple la prise en
compte de l’influence constante de la publicité (19 % vs
19 %), le changement fréquent du choix de la boutique
(19 % vs 32 %), la recherche des soldes ou promotions (57 %
vs 32 %), la proportion d’achats effectués durant les soldes
(26 % vs 19 %), ou le pourcentage d’achats effectués au
comptant plutôt qu’à crédit (72 % vs 86 %).
Conclusion
30 %
22 %
18 %
15 %
20 %
9%
10 %
0%
Dépression
Dépendance
aux drogues
Attaques de panique
Alcoolodépendance
Boulimie
Figure 2 Comorbidité psychiatrique des achats
pathologiques [1]
Il est également important d’évaluer les conséquences
négatives de l’achat compulsif, en particulier la dépression
(même s’il est difficile de déterminer si celle-ci est la cause
ou la conséquence des achats compulsifs), l’anxiété et la
colère, les tentatives de suicide, les troubles liés à l’abus
d’alcool, le comportement antisocial, ainsi que les conséquences familiales.
La prise en charge comportementale des achats compulsifs comporte un agenda des achats effectués, une évaluation des émotions provoquées par les achats, des tâches
comportementales comme par exemple d’entrer dans un
magasin sans acheter, des tâches d’entraînement aux aptitudes sociales. Il faut toutefois noter qu’il n’existe pas à ce
jour d’étude permettant de valider un type ou un autre de
psychothérapie comportementale.
Le versant cognitif de la thérapie cognitivo-comportementale des achats compulsifs comporte l’évaluation des
cognitions associées aux achats, la mise en évidence de
l’illusion d’euphorie liée à l’achat, la correction du cercle
vicieux entre dépression et achats, la prise de conscience
des cognitions liées à la crainte de perdre une opportunité
d’achat, et enfin une auto-évaluation des authentiques
besoins d’objets.
Une étude ayant comparé les achats chez des sujets
contrôles (N = 31) et chez des acheteurs compulsifs (N = 21)
a montré chez ces derniers un pourcentage de shopping
réalisé seul de 85 %, vs 61 % chez les contrôles, un ratio
d’achats nécessaires/cadeaux faits à soi-même de 49 %, vs
71 % chez les contrôles, un pourcentage d’achats liés aux
exigences d’un statut social de 14 % vs 2 % chez les contrôles, un pourcentage d’achats définis comme des occasions
essentielles de 31 % vs 15 % chez les contrôles, un pourcentage d’achats utilisés moins que prévus de 57 % vs 16 %
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Dans la prise en charge des troubles d’achats pathologiques
ou compulsifs, la prise en compte des comorbidités est
essentielle, en particulier la comorbidité dépressive, mais
aussi les troubles liés à l’abus d’alcool, ou les autres troubles addictifs, comme la boulimie [3] ou le jeu pathologique.
Les traitements spécifiques sont surtout les thérapies
cognitivo-comportementales individuelles, et les thérapies
familiales ou de groupe. Les antidépresseurs, en particulier
les IRS, ont un effet modéré ; en revanche, les programmes
intégrés de prise en charge de tels troubles sont particulièrement prometteurs.
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