J`achète donc je suis

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Le Devoir
L'Agenda, samedi 15 juin 2002, p. 19
La télévision
J'achète, donc je suis
Bilodeau, Martin
Après l'écoute de la télévision, le magasinage est le passe-temps préféré
des Américains. Nul doute que la statistique s'applique à nous, bien que
Le Magasinage, à quel prix?, produit par la BBC et que Canal Vie décline
pour nous en deux volets d'une heure, n'entre pas dans les détails
géographiques.
En effet, pour les besoins de ce documentaire fascinant, qui nous fait voir
l'acte d'acheter sous un angle inédit, le réalisateur-producteur Graham
Strong a promené son regard dans tout l'Occident anglo-saxon, d'Oxford à
Las Vegas, en passant par Londres et Edmonton, pour illustrer combien le
magasinage a pris, au fil des ans, valeur d'affirmation identitaire. Pourquoi
les gens achètent-ils plus que ce que leur dictent leurs besoins? Quel
phénomène cérébral fait passer l'humain en mode bêta (relais du
subconscient) lorsqu'il franchit la porte d'un centre commercial? À
l'inverse, comment ces cibles mouvantes, que représentent les clients,
sont-elles appâtées et ensuite manipulées par les commerçants? Sommesnous maîtres de nos gestes ou victimes de nos pulsions?
Tant de questions auxquelles une armée de spécialistes - anthropologues
et stratèges publicitaires, chercheurs en marketing et consommateurs
compulsifs, béhavioristes et consultants - tentent de répondre par des
données scientifiques, des témoignages et des hypothèses.
Dans le premier volet du documentaire, on nous expose comment le
shopping au supermarché est affecté par notre histoire individuelle et
familiale. Comment, en effet, notre regard se promène d'un produit
reconnaissable à un autre, fidèle aux marques qu'employaient nos parents.
Par exemple, un spécialiste du comportement en supermarché a disposé,
entre deux marques populaires de l'allée des céréales, un étalage de
canettes de bière. Personne, pas même les employés du supermarché, n'a
remarqué leur présence. Autre exemple passionnant: des boîtes de soupe,
marquées en solde à 0,79 $, sont en grande partie ignorées par les
consommateurs. On ajoute alors, sous l'écriteau, une note indiquant:
"Limite de 12 par personne", et voilà les boîtes qui s'envolent.
On savait déjà que les hommes et les femmes ont un rapport très différent
avec le magasinage. Un spécialiste précise: "Les hommes entrent dans un
magasin comme un commando vient kidnapper une victime." Les
consommateurs compulsifs sont le plus souvent des femmes, comme en
témoignent ces images glanées pendant la rencontre d'un groupe de
soutien. Des spécialistes seraient d'ailleurs sur le point d'imputer cette
compulsion à une insuffisance de sérotonine dans le cerveau. Les pilules
s'en viennent; seulement... il faudra les acheter.
Si le premier volet porte davantage sur le comportement du
consommateur, le second se penche plus précisément sur
l'environnement commercial et la configuration des centres commerciaux.
Le documentaire nous fait ainsi visiter les grands centres de Las Vegas (le
Forum, inspiré de la mythologie grecque), d'Edmonton (le plus grand au
monde), de Minneapolis (où on célèbre des mariages devant les clients qui
applaudissent) et d'Oxford, ce dernier ayant été inspiré à son architecte
par le grand bazar d'Istanbul, où les aliments et produits sont disposés en
une mosaïque de couleurs et une symphonie d'odeurs. "L'odorat est la
nouvelle frontière du commerce au détail", confirme un s
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