> XPress 6 Noir L’Encéphale (2007) 33 Cahier 3, 863–6 j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / e n c e p Structure dimensionnelle des psychoses : relations avec les catégories diagnostiques et contribution à l’étude des endophénotypes D. Dikeos Athens University Medical School (Grèce) L’étude du tableau clinique des différentes psychoses a permis d’établir les distinctions bien connues entre les principaux diagnostics psychiatriques depuis les auteurs classiques (Kraepelin, Leonhard…). Les subdivisions de ces diagnostics principaux ont été réalisées en fonction de caractéristiques symptomatologiques spécifiques. Par la suite, ces sous-groupes symptomatologiques ont été étudiés selon diverses dimensions associées : l’allure évolutive, les conséquences fonctionnelles, les réponses aux traitements. Sur un plan étiologique, il est difficile de suggérer des liens spécifiques entre un facteur étiologique et un tableau clinique particulier si l’on considère la maladie comme une entité unique. En revanche, le démembrement des principales psychoses en sous-groupes mieux définis pourrait permettre de mieux attribuer à un symptôme ou un groupe de symptômes donnés une étiologie spécifique. De nombreuses recherches visent ainsi à établir de possibles corrélations entre un phénotype et des mécanismes biologiques. En s’appuyant sur les phénotypes, il est de cette façon possible d’envisager des recherches étiologiques, en se penchant sur les liens entre symptômes et mode d’entrée dans la maladie, évolution, co-morbidité… On peut également étudier les liens entre les phénotypes et la neurotransmission ou d’autres fonctions du système nerveux central : mesure des taux de neurotransmetteurs ou de leurs métabolites dans le sang, les urines, ou le LCR, études d’imagerie structurale ou fonctionnelle, de neurophysiologie, de neuropsychologie. Les études génétiques sont parmi les plus intéressantes dans ce domaine : étude de l’héritabilité de sous-types cliniques ou de symptômes particuliers, association de ces différents sous-types ou symptômes avec des loci spécifiques. Enfin, le phénotype peut être étudié dans ses relations avec le traitement, avec la recherche de la spécificité de certains traitements pour certains sous-types, et avec l’étude des mécanismes d’action spécifiques de ces médicaments. Sous-groupes de schizophrénies L’étude de sous-groupes symptomatiques a conduit à la définition des différentes dimensions de la schizophrénie, s’appuyant sur les sous-facteurs retrouvés aux échelles d’évaluation de la symptomatologie schizophrénique. Le regroupement en deux sous-groupes de symptômes (positifs et négatifs) a laissé place à une analyse en trois facteurs (positif, négatif et désorganisation), puis, même si elle paraît parfois moins opérationnelle, à une structure en cinq facteurs, correspondant à cinq sous-groupes symptomatiques : la symptomatologie positive ou de distorsion de la réalité, la symptomatologie déficitaire et de ralentissement psychomoteur, la symptomatologie de désorganisation ou d’altération cognitive, la symptomatologie maniaque ou d’excitation, et la symptomatologie dépressive. Il faut noter que ces dimensions sont également applicables à des patients ne souffrant pas de schizophrénie. L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts. © L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés. 4486_06_Di ke os . i ndd 4486_06_Dikeos.indd 863 863 7 / 1 1 / 0 79:49:11 7/11/07 9: 49: 11 > XPress 6 Noir 864 D. Dikeos Étude de la structure dimensionnelle des psychoses Les objectifs de l’étude que nous avons mise en place étaient d’identifier les principales dimensions symptomatiques chez les patients psychotiques, d’examiner la distribution des dimensions selon le critère des catégories diagnostiques, et d’examiner les corrélations existant entre les dimensions obtenues et d’autres caractéristiques cliniques. L’échantillon de patients étudié comportait un total de 191 sujets, dont 128 étaient schizophrènes (67 % d’hommes, âge moyen de 35 +/– 10 ans), 43 étaient atteints de psychose affective (35 % d’hommes, âge moyen de 41 +/– 11 ans), 8 de trouble schizo-affectif (75 % d’hommes, âge moyen de 36 +/– 4,6 ans), et 12 d’autres psychoses (75 % d’hommes, âge moyen de 42 +/– 17 ans). Les facteurs extraits grâce à l’analyse des différents symptômes montrent une structure à 5 facteurs, correspondant au découpage classique : manie, distorsion de la réalité, dépression, désorganisation, dimension négative (Tableau 1). Les résultats de cette étude sur la distribution des symptômes dans les troubles psychotiques montrent que pour les 5 dimensions étudiées, les scores des patients souffrant de schizophrénie ont une distribution beaucoup plus large que les scores des patients souffrant de psychoses affectives. La dimension de manie est celle qui discrimine de la meilleure façon entre les groupes de patients schizophrènes et de patients bipolaires. Les scores de dépressions sont moindres chez les sujets souffrant de schizophrénie que parmi les patients qui souffrent de psychoses affectives, tandis qu’à l’inverse les scores de distorsion de la réalité et de désorganisation sont plus élevés au sein du groupe des schizophrénies que dans celui des psychoses affectives. Les scores de la dimension négative ont une distribution bimodale chez les sujets atteints de schizophrénie, tandis qu’ils sont autour des valeurs moyennes pour les patients souffrant de psychoses affectives. Une seconde partie de l’analyse a concerné les corrélations entre ces cinq dimensions cliniques et d’autres caractéristiques de la maladie, comme le niveau de fonctionnement pré morbide, les troubles de la personnalité pré morbides, l’âge et le mode de début, le retentissement fonctionnel, l’absence de rémission, ou encore une évolution défavorable, avec détérioration cognitive ou absence de réponse au traitement. Les analyses de régression statistique ont été contrôlées pour le sexe et pour l’âge, et en partie pour le diagnostic. Après ajustement statistique pour le diagnostic, la dimension de manie apparaît ainsi reliée à une meilleure 4486_06_Di ke os . i ndd 4486_06_Dikeos.indd 864 864 qualité de la rémission, un début brutal, un meilleur fonctionnement social prémorbide. La distorsion de la réalité était liée à l’absence de facteur de stress manifeste avant l’apparition des troubles. La dépression était corrélée avec une altération plus marquée du fonctionnement durant les épisodes. La désorganisation était reliée à l’existence de stresseurs avant l’entrée dans la maladie, à un mauvais ajustement professionnel prémorbide, à une moins bonne qualité des rémissions. Enfin, la dimension négative était corrélée avec une évolution défavorable, une moins bonne qualité des rémissions, un début insidieux, une adaptation prémorbide de mauvaise qualité, l’existence de troubles de la personnalité prémorbides, l’absence de réponse au traitement neuroleptique, et une mauvaise adaptation professionnelle prémorbide. D’autres corrélations ont été retrouvées, sans contrôle statistique pour le diagnostic : la manie était corrélée à l’absence de trouble de la personnalité préalable, à une moindre détérioration du fonctionnement global, à une meilleure évolution, à l’existence de facteurs de stress avant le début de la maladie. La distorsion de la réalité était reliée à une détérioration cognitive, à une rémission de mauvaise qualité, à une mauvaise adaptation sociale prémorbide, à un âge de début plus précoce, à une moins bonne évolution. La dépression était corrélée à une meilleure allure évolutive globale, et la désorganisation à une détérioration cognitive et à une moins bonne évolution (Tableau 2 et Tableau 3). Conclusion Plusieurs informations peuvent être tirées de ces données. Le modèle à cinq facteurs semble offrir un équilibre satisfaisant entre la puissance explicative et l’économie de moyens, dans l’explication des données concernant les patients psychotiques. Les troubles bipolaires apparaissent être un construct beaucoup plus solide, c’est-à-dire moins hétérogène, que la schizophrénie. La dimension maniaque est la variable qui a le meilleur pouvoir discriminant entre la schizophrénie et les psychoses affectives. Enfin, la dimension négative apparaît bimodale dans la schizophrénie, et est associée de façon étroite avec de nombreuses caractéristiques cliniques, liées au mode de début, à l’évolution ou à la réponse au traitement. En se fondant sur ces constatations, on peut avancer que la dimension négative est la caractéristique clinique la plus robuste pour les travaux de recherches s’appuyant sur des endophénotypes dans les troubles psychotiques. 7 / 1 1 / 0 79:49:15 7/11/07 9: 49: 15 > XPress 6 Noir Structure dimensionnelle des psychoses : relations avec les catégories diagnostiques… 865 Tableau 1 Contribution des items à chaque facteur discours explosif activité excessive emballement de la pensée élation de l’humeur augmentation de la sociabilité diminution du besoin de sommeil distractibilité imprudences humeur irritable augmentation de l’estime de soi idées délirantes de grandeur hallucinations auditives à la troisième personne hallucinations auditives pensée dirigée voix persécutrices/accusatrices, autres hallucinations divulgation de la pensée écho de la pensée insertion de la pensée idées délirantes de passivité retrait de la pensée perte de plaisir perte d’énergie/fatigue dysphorie auto-dépreciation excessive difficultés de concentration problèmes de sommeil problèmes d’appétit/et/ou de poids idéation suicidaire idées délirantes de culpabilité troubles de la pensée formelle positive discours difficile à comprendre incohérence comportement bizarre affects inappropriés absence d’insight idées délirantes diffuses idées délirantes structurées idées délirantes bizarres catatonie autres idées délirantes affects émoussés trouble de la pensée formelle négatifs restriction des affects ralentissement de l’activité 4486_06_Di ke os . i ndd 4486_06_Dikeos.indd 865 865 Manie Distance à la réalité 0,80 0,78 0,77 0,76 0,73 0,73 0,71 0,57 0,50 0,48 0,41 – 0,12 – 0,12 – 0,17 – 0,21 – 0,18 – 0,25 – 0,18 – 0,16 – 0,18 0,01 – 0,09 – 0,09 0,82 – 0,14 0,02 – 0,20 – 0,25 – 0,29 – 0,01 – 0,26 – 0,22 – 0,26 0,22 0,27 0,14 0,12 0,18 0,09 0,25 0,04 – 0,14 – 0,12 – 0,05 0,03 0,02 0,07 – 0,49 – 0,56 – 0,44 0,29 – 0,09 – 0,13 – 0,23 – 0,29 – 0,35 0,17 0,75 0,72 0,67 0,62 0,56 0,52 0,49 0,48 0,47 0,08 0,02 – 0,05 – 0,10 0,10 – 0,03 0,00 0,18 – 0,12 0,26 0,35 0,23 0,04 0,25 0,25 0,36 0,36 0,07 – 0,07 – 0,06 0,08 0,10 0,18 0,02 Désorganisation Symptômes négatifs 0,11 0,20 0,16 0,15 0,18 0,23 0,05 0,19 0,06 0,25 0,18 0,03 – 0,06 – 0,02 – 0,13 0,08 – 0,20 0,07 0,02 0,11 – 0,06 0,36 0,38 0,08 – 0,25 – 0,22 – 0,16 – 0,21 – 0,06 – 0,11 0,12 – 0,17 – 0,04 – 0,40 – 0,43 0,11 – 0,02 – 0,11 0,02 0,04 0,09 – 0,16 0,22 0,31 0,09 0,76 0,73 0,67 0,64 0,64 0,64 0,61 0,55 0,37 – 0,22 – 0,26 – 0,19 0,05 – 0,19 – 0,24 – 0,14 – 0,04 – 0,03 0,17 0,22 0,02 0,04 0,01 0,34 0,16 – 0,09 0,11 0,22 0,28 – 0,19 0,27 0,28 0,14 – 0,13 – 0,02 0,00 – 0,15 0,03 – 0,12 – 0,04 0,07 0,08 0,64 0,61 0,55 0,53 0,51 0,45 0,42 0,41 0,40 0,38 0,38 0,11 0,20 0,17 0,12 0,01 0,11 0,08 – 0,02 0,01 0,23 0,07 0,10 – 0,06 0,09 0,04 0,02 – 0,09 0,15 0,16 – 0,11 – 0,09 – 0,20 0,13 – 0,02 – 0,15 0,17 0,20 0,00 – 0,06 – 0,09 0,18 – 0,06 0,20 0,79 0,72 0,72 0,38 Dépression 7 / 1 1 / 0 79:49:15 7/11/07 9: 49: 15 > XPress 6 Noir 866 D. Dikeos Tableau 2 Corrélation des scores dimensionnels avec les autres caractéristiques cliniques (statistiques exploratoires, non contrôlées pour le diagnostic) mauvais ajustement professionnel prémorbide (t, N = 165) mauvais ajustement social prémorbide(t, N = 177) trouble de la personnalité prémorbide(t, N = 171) stresseurs avant le début des troubles(t, N = 188) âge de début des troubles (r, N = 188) mode de début (plus insidieux) (rho, N = 130) aggravation durant les épisodes/exacerbation (rho, N = 190) mauvaise rémission ou absence de rémission (t, N = 182) détérioration(t, N = 187) absence de réponse aux neuroleptiques (t, N = 181) évolution (péjorative) (rho, N = 182) Mania Real dist Depress Disorg Negativ – 2,98** – 5,22*** – 3,83*** 2,49* 0,01 – 0,29*** 0,09 – 6,04*** – 7,16*** – 1,37 – 0,36*** 0,82 2,26* 1,27 – 2,74** – 0,16* 0,06 0,06 3,15*** 4,04*** 1,78 0,18* – 0,57 – 0,27 1,2 0,25 0,03 – 0,02 0,12 – 1,2 – 1,59 – 1,29 – 0,17* 4,35*** 1,85 1,68 1,86 – 0,03 0,11 0,14 3,92*** 3,40*** 0,89 0,26*** 2,94* 3,32** 3,25** – 0,47 – 0,03 0,35*** 0,03 3,74*** 1,11 2,96** 0,43*** Tableau 3 Correlation of dimension scrores with other clinicla characteristics (regression β ; contrôlée pour le sexe, l’âge, et le diagnostic) Mania mauvais ajustement professionnel prémorbide mauvais ajustement social prémorbide trouble prémorbide de la personnalité stresseurs avant le début des troubles âge de début des troubles mode de début (plus insidieux) aggravation durant les épisodes/ exacerbation mauvaise rémission ou absence de rémission détérioration absence de réponse aux neuroleptiques évolution (péjorative) 4486_06_Di ke os . i ndd 4486_06_Dikeos.indd 866 866 Real dist Depress Disorgan Negativ – 0,42 ± 0,37 0,13 ± 0,26 – 0,07 ± 0,22 0,68 ± 0,27* 0,5 ± 0,20* – 0,7 ± 0,32* 0,24 ± 0,24 0,01 ± 0,20 0,18 ± 0,24 0,54 ± 0,19** – 0,45 ± 0,36 0,24 ± 0,26 0,31 ± 0,22 0,27 ± 0,26 0,52 ± 0,20* 0,32 – 1,08 – 0,71 ± 0,47 ± 0,75 ± 0,30* – 0,26 – 0,39 – 0,19 ± 0,33 ± 0,47 ± 0,19 1,18 0,69 0,31 ± 0,45* ± 0,57 ± 0,25 0,04 0,36 0,82 ± 0,32 ± 0,45 ± 0,20*** 0,48 ± 0,46 0,37 – 0,83 – 0,35 0,14 ± 0,41* ± 0,57 ± 0,24 ± 0,84 0,44 ± 0,51 0,82 ± 0,45 0,89 ± 0,59 – 1,15 – 0,67 ± 0,44* ± 0,55 0,55 0,26 ± 0,33 ± 0,44 – 0,15 0,2 ± 0,30 ± 0,36 0,8 0,07 ± 0,34* ± 0,44 – 0,56 – 0,52 ± 0,46 ± 0,29 0,44 0,11 ± 0,34 ± 0,21 – 0,39 – 0,21 ± 0,28 ± 0,18 0,31 0,29 ± 0,33 ± 0,22 1,19 – 0,08 ± 0,35*** ± 0,38 0,63 1,12 ± 0,25* ± 0,19*** 7 / 1 1 / 0 79:49:16 7/11/07 9: 49: 16