M. Braš860
niques ; le traitement de l’un sans l’autre entraîne une
souffrance chronique chez les patients, et des frustrations
chroniques chez les médecins…
Parmi les troubles de l’axe I du DSM IV, la dépression est
celui qui est le plus fréquemment associé à la douleur chro-
nique [2], certains auteurs rapportant des taux de préva-
lence approchant les 100 % de dépression chez les
douloureux chroniques.
Les autres comorbidités psychiatriques notables des
pathologies douloureuses chroniques sont les troubles liés
aux abus de substance, les troubles somatoformes, les
troubles anxieux, ainsi que, de façon moins fréquente, des
troubles psychotiques, schizophréniques, délirants chroni-
ques ou encore affectifs bipolaires.
La prise en charge de ces comorbidités psychiatriques
implique d’une part leur évaluation, d’autre part la mise
en place et le maintien d’une alliance thérapeutique, enfi n
la mise en œuvre des thérapeutiques spécifi ques que sont
la chimiothérapie psychotrope (polymédicamentation
rationnelle) et la psychothérapie.
L’évaluation
L’évaluation de la douleur et de la pathologie psychiatrique
comorbide chez un patient douloureux chronique nécessite
de rechercher les facteurs algogènes, de quantifi er l’inten-
sité de la douleur, sa fréquence, sa durée, de préciser sa
localisation et ses caractéristiques, ainsi que l’histoire
détaillée de la douleur. Il faut également rechercher les
facteurs prédisposants, les facteurs précipitants, les fac-
teurs d’entretien de la douleur, de même que les comorbi-
dités usuelles. Il faut enfi n procéder à un examen physique
et à une évaluation psychosociale.
Le diagnostic psychiatrique
L’établissement du diagnostic psychiatrique nécessite de
faire l’historique de la maladie actuelle et des symptômes
présents, l’anamnèse psychiatrique, y compris thérapeuti-
que, l’anamnèse de la pathologie médicale et d’éventuels
abus de substance, la recherche d’antécédents psychiatri-
ques familiaux, l’évaluation du développement psychoso-
cial de l’individu, de ses stratégies principales de coping,
de ses modes de réaction à des événements de vie anté-
rieurs. Le bilan somatique doit être connu, en particulier
les examens complémentaires. Enfi n, le risque suicidaire
doit être évalué, la douleur chronique étant un facteur de
risque important.
L’alliance thérapeutique
L’alliance thérapeutique est d’autant plus importante
qu’elle conditionne l’observance du traitement. Une rela-
tion de confi ance constructive entre le patient et le méde-
cin favorise l’effi cacité du traitement, et sa sécurité
d’emploi, en particulier lors d’associations médicamenteu-
ses multiples. Il est nécessaire que le patient et le médecin
communiquent de façon effi cace sur les effets indésirables
des traitements, leur toxicité, les interactions médicamen-
teuses, et les cibles thérapeutiques. L’éducation du patient
concernant ses troubles psychiatriques, ses douleurs, et les
liens entre eux, doit être systématique, et si besoin, être
étendue à certains membres de la famille.
Le traitement médicamenteux
Un principe essentiel doit être respecté dans le traitement
conjoint de la douleur et des comorbidités psychiatriques :
le nombre de médicaments utilisés doit être restreint
autant que possible (en prenant également en compte les
contraintes de coût…).
Certains psychotropes sont effi caces sur les douleurs
neuropathiques. Le mécanisme d’action de ces produits
paraît impliquer à la fois la sérotonine et la noradrénaline,
qui jouent un rôle dans la perception de la douleur et dans
la régulation de l’humeur. Les voies descendantes de la
douleur modulent les sensations douloureuses périphéri-
ques qui sont relayées vers le cerveau par les voies noci-
ceptives médullaires : elles inhibent la transmission de la
douleur et agissent comme un système analgésique endo-
gène ; or la sérotonine et la noradrénaline sont des modu-
lateurs clés pour les voies descendantes de la douleur, et
des anomalies de ces neurotransmetteurs, telles qu’elles
sont observées dans la dépression, peuvent également
altérer le fonctionnement des voies nociceptives descen-
dantes et donc la perception de la douleur.
Dépression et douleur
La dépression n’est pas un simple « trouble mental ». Elle est
un état somatique et mental composé de symptômes émo-
tionnels et physiques. La douleur et la dépression partageant
des voies neurochimiques et des mécanismes communs, la
douleur peut être en fait un symptôme cardinal de la dépres-
sion, plutôt qu’une condition comorbide. Parmi les symptô-
mes physiques de la dépression, on retrouve fréquemment
des douleurs diffuses, des céphalées, des douleurs dorsales
ou cervicales, des douleurs musculo-squelettiques.
Le taux de dépression apparaît 3 à 4 fois plus élevé
parmi les patients atteints de douleurs chroniques que dans
la population générale [14]. Par ailleurs, la dépression a
été souvent retrouvée, dans les études, comme l’un des
meilleurs prédicteurs de l’intensité de la douleur ou de son
aggravation [6]. La douleur est d’ailleurs l’un des symptô-
mes les plus courants de dépression en pratique médicale,
la prévalence de la dépression augmentant parallèlement
avec le nombre de localisations douloureuses, et les symp-
tômes douloureux régressant avec le traitement de la
dépression.
Une étude réalisée sous l’égide de la World Federation
for Mental Health en 2005 dans 5 pays (Brésil, Canada,
Mexique, Allemagne et France) a interrogé un total de
377 sujets âgés de 18 ans ou plus, avec un diagnostic de
dépression et un traitement antidépresseur en cours, et
756 praticiens (psychiatres ou généralistes). Un diagnostic
précoce et un traitement visant à la fois les symptômes
physiques douloureux et les symptômes émotionnels aug-
mentaient les chances de guérison ; les praticiens considé-
raient comme important de traiter les symptômes physiques
douloureux de la dépression, mais un grand nombre d’entre
eux avait une mauvaise perception de la meilleure façon
4486_05_Br as. i ndd 8604486_05_Bras.indd 860 7/ 11/ 07 9: 48: 567/11/07 9:48:56
> XPress 6 Noir