Psychopharmacothérapie des comorbidités psychiatriques chez les patients douloureux chroniques M. Braš

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L’Encéphale (2007) 33 Cahier 3, 859–62
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Psychopharmacothérapie
des comorbidités psychiatriques
chez les patients douloureux chroniques
M. Br
Psychiatric Clinic, University Hospital Osijek, CROATIA
Les interventions psychopharmacologiques sont une partie
essentielle de la prise en charge des patients présentant des
douleurs chroniques, aussi bien comme complément des
traitements analgésiques que comme traitement des trou-
bles psychiatriques comorbides. L’existence d’une dépen-
dance, de phénomènes de tolérance, et d’effets indésirables
avec les analgésiques milite en faveur de l’usage des psy-
chotropes en cas de comorbidité psychiatrique.
Un modèle des troubles douloureux est représenté par
le syndrome douloureux chronique, qui est une forme évo-
lutive fréquente (25 %) des douleurs chroniques. Il s’agit
d’un état douloureux complexe, multidimensionnel, carac-
térisé principalement par une douleur d’intensité moyenne
à sévère, un handicap, et une détresse psychosociale. Son
développement résulte d’une interaction complexe et
dynamique de facteurs biologiques, psychologiques, et
socio-culturels [15]. La probabilité de développer un syn-
drome de douleurs chroniques n’est pas reliée à l’intensité
de la douleur [1, 7], et les variables psychologiques sont les
meilleurs prédicteurs de l’évolution de ces troubles [4, 5].
Les médicaments psychotropes
comme adjuvant des analgésiques
Les douleurs chroniques, en particulier neuropathiques,
répondent souvent favorablement à deux types de psycho-
tropes : les antidépresseurs et les anticonvulsivants à pro-
priétés thymorégulatrices.
Le mécanisme exact de l’analgésie entraînée par les
antidépresseurs reste mal connu : les voies descendantes
de la douleur jouent un rôle important, mais de nombreux
autres mécanismes peuvent être impliqués.
La littérature sur l’analgésie par antidépresseurs mon-
tre que les antidépresseurs qui inhibent à la fois la recap-
ture de la sérotonine et celle de la noradrénaline
(tricycliques, IRSNA) pourraient être particulièrement ef -
caces pour soulager les douleurs neuropathiques [11] ; les
travaux concernant les ISRS sont moins concluants.
Les neuroleptiques n’ont pas d’indication évidente contre
la douleur, hormis une possible ef cacité sur les céphalées
migraineuses résistantes, en particulier de l’olanzapine.
Une analyse réalisée selon la méthodologie statistique du
NTT (nombre de patients à traiter pour observer un effet) a
été effectuée à partir de tous les essais thérapeutiques
contrôlés contre placebo impliquant un traitement de la
douleur neuropathique [13] ; elle montre que le nombre de
patients à traiter pour obtenir une diminution de la douleur
de 50 % chez un patient est de 2,6 pour les tricycliques, de
6,7 pour les ISRS, de 2,5 pour les anticonvulsivants bloqueurs
du canal sodique, de 4,1 pour les anticonvulsivants bloqueurs
du canal calcique (gabapentine), et de 3,4 pour les produits
mixtes opioïdes et mono-aminergiques (tramadol).
Le traitement des comorbidités
psychiatriques chez les patients
présentant des douleurs chroniques
La prise en compte des comorbidités psychiatriques est
essentielle pour un traitement ef cace des douleurs chro-
L’auteur n’a pas signalé de con its d’intérêts.
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niques ; le traitement de l’un sans l’autre entraîne une
souffrance chronique chez les patients, et des frustrations
chroniques chez les médecins…
Parmi les troubles de l’axe I du DSM IV, la dépression est
celui qui est le plus fréquemment associé à la douleur chro-
nique [2], certains auteurs rapportant des taux de préva-
lence approchant les 100 % de dépression chez les
douloureux chroniques.
Les autres comorbidités psychiatriques notables des
pathologies douloureuses chroniques sont les troubles liés
aux abus de substance, les troubles somatoformes, les
troubles anxieux, ainsi que, de façon moins fréquente, des
troubles psychotiques, schizophréniques, délirants chroni-
ques ou encore affectifs bipolaires.
La prise en charge de ces comorbidités psychiatriques
implique d’une part leur évaluation, d’autre part la mise
en place et le maintien d’une alliance thérapeutique, en n
la mise en œuvre des thérapeutiques spéci ques que sont
la chimiothérapie psychotrope (polymédicamentation
rationnelle) et la psychothérapie.
L’évaluation
L’évaluation de la douleur et de la pathologie psychiatrique
comorbide chez un patient douloureux chronique nécessite
de rechercher les facteurs algogènes, de quanti er l’inten-
sité de la douleur, sa fréquence, sa durée, de préciser sa
localisation et ses caractéristiques, ainsi que l’histoire
détaillée de la douleur. Il faut également rechercher les
facteurs prédisposants, les facteurs précipitants, les fac-
teurs d’entretien de la douleur, de même que les comorbi-
dités usuelles. Il faut en n procéder à un examen physique
et à une évaluation psychosociale.
Le diagnostic psychiatrique
L’établissement du diagnostic psychiatrique nécessite de
faire l’historique de la maladie actuelle et des symptômes
présents, l’anamnèse psychiatrique, y compris thérapeuti-
que, l’anamnèse de la pathologie médicale et d’éventuels
abus de substance, la recherche d’antécédents psychiatri-
ques familiaux, l’évaluation du développement psychoso-
cial de l’individu, de ses stratégies principales de coping,
de ses modes de réaction à des événements de vie anté-
rieurs. Le bilan somatique doit être connu, en particulier
les examens complémentaires. En n, le risque suicidaire
doit être évalué, la douleur chronique étant un facteur de
risque important.
L’alliance thérapeutique
L’alliance thérapeutique est d’autant plus importante
qu’elle conditionne l’observance du traitement. Une rela-
tion de con ance constructive entre le patient et le méde-
cin favorise l’ef cacité du traitement, et sa sécurité
d’emploi, en particulier lors d’associations médicamenteu-
ses multiples. Il est nécessaire que le patient et le médecin
communiquent de façon ef cace sur les effets indésirables
des traitements, leur toxicité, les interactions médicamen-
teuses, et les cibles thérapeutiques. L’éducation du patient
concernant ses troubles psychiatriques, ses douleurs, et les
liens entre eux, doit être systématique, et si besoin, être
étendue à certains membres de la famille.
Le traitement médicamenteux
Un principe essentiel doit être respecté dans le traitement
conjoint de la douleur et des comorbidités psychiatriques :
le nombre de médicaments utilisés doit être restreint
autant que possible (en prenant également en compte les
contraintes de coût…).
Certains psychotropes sont ef caces sur les douleurs
neuropathiques. Le mécanisme d’action de ces produits
paraît impliquer à la fois la sérotonine et la noradrénaline,
qui jouent un rôle dans la perception de la douleur et dans
la régulation de l’humeur. Les voies descendantes de la
douleur modulent les sensations douloureuses périphéri-
ques qui sont relayées vers le cerveau par les voies noci-
ceptives médullaires : elles inhibent la transmission de la
douleur et agissent comme un système analgésique endo-
gène ; or la sérotonine et la noradrénaline sont des modu-
lateurs clés pour les voies descendantes de la douleur, et
des anomalies de ces neurotransmetteurs, telles qu’elles
sont observées dans la dépression, peuvent également
altérer le fonctionnement des voies nociceptives descen-
dantes et donc la perception de la douleur.
Dépression et douleur
La dépression n’est pas un simple « trouble mental ». Elle est
un état somatique et mental composé de symptômes émo-
tionnels et physiques. La douleur et la dépression partageant
des voies neurochimiques et des mécanismes communs, la
douleur peut être en fait un symptôme cardinal de la dépres-
sion, plutôt qu’une condition comorbide. Parmi les symptô-
mes physiques de la dépression, on retrouve fréquemment
des douleurs diffuses, des céphalées, des douleurs dorsales
ou cervicales, des douleurs musculo-squelettiques.
Le taux de dépression apparaît 3 à 4 fois plus élevé
parmi les patients atteints de douleurs chroniques que dans
la population générale [14]. Par ailleurs, la dépression a
été souvent retrouvée, dans les études, comme l’un des
meilleurs prédicteurs de l’intensité de la douleur ou de son
aggravation [6]. La douleur est d’ailleurs l’un des symptô-
mes les plus courants de dépression en pratique médicale,
la prévalence de la dépression augmentant parallèlement
avec le nombre de localisations douloureuses, et les symp-
tômes douloureux régressant avec le traitement de la
dépression.
Une étude réalisée sous l’égide de la World Federation
for Mental Health en 2005 dans 5 pays (Brésil, Canada,
Mexique, Allemagne et France) a interrogé un total de
377 sujets âgés de 18 ans ou plus, avec un diagnostic de
dépression et un traitement antidépresseur en cours, et
756 praticiens (psychiatres ou généralistes). Un diagnostic
précoce et un traitement visant à la fois les symptômes
physiques douloureux et les symptômes émotionnels aug-
mentaient les chances de guérison ; les praticiens considé-
raient comme important de traiter les symptômes physiques
douloureux de la dépression, mais un grand nombre d’entre
eux avait une mauvaise perception de la meilleure façon
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d’obtenir une résolution complète des symptômes. De plus
une proportion importante des patients (40 %) comme des
praticiens (31 %) exprimaient une insatisfaction quant aux
traitements antidépresseurs actuels.
Une étude de GE Simon et al. [12] réalisée sur 1 146
sujets suivis en médecine générale a montré que 69 % des
patients dépressifs rapportaient des symptômes physiques
inexpliqués comme plainte principale ; plus de 40 % des
sujets déprimés présenteraient des douleurs chroniques
somatiques, contre 10 % chez les non déprimés [10] ; par
ailleurs, 30 % des patients déprimés auraient présenté des
symptômes physiques durant plus de 5 ans avant de rece-
voir un diagnostic approprié [8].
Mécanismes neurobiologiques de la dépression
et de la douleur, mécanismes d’action
des antidépresseurs
Les perturbations des systèmes sérotoninergique et nora-
drénergique sont associées, dans la dépression comme dans
la douleur, à une activation du système des récepteurs au
NMDA (N-méthyl-d-aspartate).
Dans la douleur chronique, les antidépresseurs pour-
raient avoir un effet analgésique direct, par une action
monoaminergique ; ils pourraient également agir sur la
douleur en traitant les « dépressions masquées » dans les-
quelles la douleur est un symptôme dépressif ; en n, ils
peuvent également réduire différents symptômes liés à la
douleur (troubles du sommeil, de l’appétit…) qui favorisent
la détresse psychologique, les comorbidités psychiatriques,
et le handicap physique.
Prise en charge de la dépression chez les patients
douloureux chroniques
Lorsque la dépression est sévère, elle doit être traitée
avant de débuter le traitement du syndrome douloureux
chronique ; lorsqu’elle est légère ou modérée, les traite-
ments de la dépression et de la douleur doivent être mis en
place de façon simultanée.
Si les antidépresseurs tricycliques sont les plus ef caces
sur la douleur [9], leur ratio béné ce/risque doit être soi-
gneusement examiné.
Les IRS sont bien tolérés et d’un maniement facile, mais
ils ne semblent pas aussi ef caces que les tricycliques, et
doivent par ailleurs être prescrits avec précaution, du fait
du risque de syndrome sérotoninergique, en cas d’associa-
tion avec les IMAO, mais aussi avec les triptans, et avec le
tramadol.
Les inhibiteurs de la recapture de la noradrénaline et
de la dopamine (bupropion) semblent avoir un pro l favo-
rable sur les douleurs et sur la dépression. Les modulateurs
de la noradrénaline et de la sérotonine (mirtazapine) sem-
blent également posséder des effets analgésiques. Les
IMAO non sélectifs, comme la phénelzine apparaissent ef -
caces dans la douleur comme dans la dépression.
Les études chez l’animal comme chez l’homme ont
montré que les ISRNA ont une ef cacité analgésique supé-
rieure à celle des ISRS et des IRNA [3]. La venlafaxine, qui
présente des analogies structurales avec le tramadol, a un
effet signi catif sur les douleurs de type neuropathies dia-
bétiques et migraine. La duloxétine, qui a reçu l’agrément
de la FDA pour les douleurs neuropathiques, paraît égale-
ment capable de soulager les symptômes dépressifs et
anxieux. De nombreux cliniciens considèrent les ISRNA
comme le traitement de première intention pour les
patients souffrant de dépression et de douleur chronique,
surtout lorsqu’il s’agit d’une douleur neuropathique.
Anticonvulsivants thymorégulateurs
dans les pathologies douloureuses
L’ef cacité des anticonvulsivants thymorégulateurs est
établie dans le traitement des douleurs chroniques neuro-
pathiques. Les nouveaux produits sont plus utilisés actuel-
lement dans ces indications : topiramate, lamotrigine,
gabapentine.
Troubles somatoformes
La douleur est souvent un « ticket d’entrée » pour l’accès
aux soins médicaux. Les plaintes douloureuses sans étiolo-
gie médicale claire sont donc particulièrement fréquentes
dans les troubles somatoformes (trouble somatisation,
trouble conversif, hypochondrie, trouble douloureux, dys-
morphophobie…). Parmi les troubles somatoformes, le
trouble douloureux est un syndrome où la douleur est le
trait principal du tableau clinique, et a un retentissement
social et occupationnel important. Il est important d’en
évaluer la comorbidité anxieuse et dépressive, et de traiter
celle-ci le cas échéant.
Perspectives
Plusieurs pistes thérapeutiques paraissent prometteuses
pour l’avenir : la prégabaline, les médicaments stabilisa-
teurs de membrane, les stratégies thérapeutiques issues
des thérapies géniques, les molécules agissant sur le NMDA,
et celle agissant sur l’AMPA.
Dans tous les cas, les traitements pharmacologiques,
s’ils sont utiles, ne sont pas suf sants. Les interventions
psychothérapeutiques sont l’une des pierres angulaires de
la prise en charge des comorbidités psychiatriques, mais
aussi de la douleur elle-même : pour obtenir une ef cacité
thérapeutique optimale, il est important de recourir à une
approche multidisciplinaire.
Les thérapies comportementales et cognitives peuvent
être ef caces, en se centrant sur le fait que la perception
de la douleur in ue sur l’humeur, et que les changements
de l’humeur in uent sur la perception de la douleur.
Les techniques de relaxation, de biofeedback, d’hyp-
nose sont également utiles, de même que la psycho-éduca-
tion.
Conclusion
Une évolution conceptuelle a eu lieu durant la dernière
décennie en ce qui concerne les liens entre douleur et
dépression. On sait désormais que ces états partagent des
mécanismes et des voies neurobiochimiques communes.
Une identi cation aussi précoce que possible des comorbi-
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dités psychiatriques de la douleur ne peut qu’être béné -
que pour le patient.
Le choix de la chimiothérapie psychotrope implique de
prendre en compte les maladies somatiques sous-jacentes,
les interactions médicamenteuses éventuelles, et les
contre-indications des traitements.
Les consultations de psychiatrie de liaison ont un rôle
important dans une approche multidisciplinaire complète
de la douleur chronique, l’évaluation conjointe du psychia-
tre et de l’anesthésiologiste permettant une prise en charge
optimale, en particulier par l’intégration d’une dimension
psychothérapique.
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