
L’Encéphale, 2007 ;
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552-60, cahier 1 Prise en charge de la dépression en soins primaires : revue et perspectives
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une formation spécifique des médecins généralistes, et une
ou plusieurs interventions auprès d’un patient traité par anti-
dépresseur. La réussite d’une intervention repose sur une
collaboration étroite, durable et évolutive, basée sur la com-
plémentarité entre médecins généralistes et professionnels
de santé mentale.
Mots clés :
Dépression ; Soins primaires ; Intervention.
INTRODUCTION
La prise en charge de la dépression est, de nos jours,
un enjeu majeur de santé publique. En effet, ce trouble
psychiatrique connaît une forte prévalence vie entière : 5
à 12 % pour les hommes et 10 à 25 % pour les femmes.
L’importance des taux de rechute et de récidive en fait un
trouble qui tend à la récurrence, voire à la chronicité. Au
moins 60 % des sujets ayant souffert d’un épisode dépres-
sif vont en connaître un second. Ce chiffre augmente avec
le nombre d’épisodes passés. Ainsi les patients qui ont
présenté trois épisodes ont 90 % de risque d’en dévelop-
per un quatrième (2). Les conséquences psychosociales
de la dépression sont à l’origine d’une diminution de la
qualité de vie et des capacités productives ; les personnes
ayant souffert d’un trouble dépressif dans les douze mois
perdent trois à quatre fois plus de jours de travail que les
personnes n’ayant souffert d’aucun trouble psychiatrique
(28, 50). En 2020, la dépression deviendrait la deuxième
des affections à fort retentissement fonctionnel à travers
le monde, juste derrière les cardiopathies ischémiques
(31). L’impact sociétal de ce trouble est important. Le coût
global de la dépression est évalué à 44 milliards $ par an
aux États-Unis (13). En l’an 2000, la dépression repré-
sente un coût global de plus de 9 milliards £ au Royaume-
Uni, comprenant un coût direct de « seulement »
370 millions £ et un coût indirect 23 fois plus élevé, essen-
tiellement lié aux conséquences professionnelles et psy-
chosociales. La perte de près de 110 millions de jours de
travail et 2 500 suicides sont imputables aux troubles
dépressifs (47).
Or la majorité des personnes souffrant de dépression
est prise en charge en soins primaires, essentiellement
par les médecins généralistes (28). La prévalence des
troubles dépressifs dans une population de patients con-
sultant en soins primaires est de 11,7 %. De tous les trou-
bles psychiatriques concernant cette population, les trou-
bles dépressifs sont les plus fréquents, suivis des troubles
anxieux (10,2 %). Parmi les patients dépressifs consultant
en soins primaires, un peu plus de la moitié est reconnue
comme tels. Seule une minorité de ces patients est invitée
à consulter un spécialiste. Parmi les patients détectés,
seule la moitié d’entre eux bénéficie d’un traitement médi-
camenteux, plus souvent de type anxiolytique ou hypno-
tique qu’antidépresseur (24, 54).
En France, comme en Europe, on retrouve une situation
similaire concernant la prise en charge de la dépression
(11, 28, 50, 51). Les médecins généralistes représentent
60 % des prescripteurs d’antidépresseurs. La grande
majorité des antidépresseurs est prescrite et/ou consom-
mée pendant une durée insuffisante et une grande partie,
en particulier les tricycliques, à des posologies
a priori
inefficaces (33). Pourtant, ces dernières années la con-
sommation de psychotropes, en particulier anxiolytiques
et antidépresseurs, a fortement augmenté (32). La déci-
sion d’arrêter le traitement est prise par le patient dans la
moitié des cas et par le médecin dans l’autre moitié. Une
fois sur deux, cette décision est justifiée par une amélio-
ration clinique. Cet usage du médicament ne suit pas les
recommandations internationales en matière de traite-
ment de la dépression et de prévention des rechutes et
des récidives (3).
Il peut s’avérer délicat pour les médecins généralistes
de reconnaître une dépression chez un de leurs patients.
Certes, la capacité de détecter, et donc de prendre en
charge un trouble dépressif, dépend de la formation et de
l’expérience des médecins généralistes, de la qualité des
relations entretenues avec le patient et du temps de con-
sultation (4, 6, 25, 53). Mais au-delà de ces différents para-
mètres, les fréquentes comorbidités somatiques et/ou
psychiatriques peuvent compliquer la démarche diagnos-
tique, mais aussi aggraver le pronostic du patient (10, 26).
L’étude ESEMeD (
The European Study of the Epidemio-
logy of Mental Disorders
) trouve que 53,1 % des épisodes
dépressifs majeurs survenus sur une période de 12 mois
sont associés à un autre trouble psychiatrique, notamment
le trouble dysthymique, le trouble anxieux généralisé et le
trouble panique (10).
De plus, la mise en avant de symp-
tômes physiques, de douleurs, de fatigue, ou encore de
troubles du sommeil par les patients, ne permet pas de
détecter une dépression si des questions explicites ne
sont pas posées sur l’humeur (23, 55). Et contrairement
à une grande partie des troubles somatiques, il n’existe
pas pour les troubles psychiatriques de tests biologiques
spécifiques à visée diagnostique.
D’autres difficultés peuvent être rencontrées pour
détecter une dépression, notamment la variabilité de
l’expression clinique. L’irritabilité, l’agitation psychomo-
trice, ou les plaintes somatiques, par exemple, peuvent
dominer le tableau clinique chez l’enfant, alors que chez
la personne âgée, ce sont les troubles cognitifs qui peu-
vent être au premier plan et mimer une démence.
L’expression clinique de la dépression peut également
varier selon l’origine ethnique du patient. De même, plus
d’un quart des patients dépressifs consultant en soins pri-
maires souffrent de dépression avec caractéristiques aty-
piques (réactivité de l’humeur et deux ou plus des symp-
tômes suivants : prise de poids ou augmentation de
l’appétit, hypersomnie, membres en « plomb », et sensi-
bilité au rejet) (2, 14).
Par ailleurs, la maladie mentale et ses traitements res-
tent encore stigmatisés dans nos sociétés, en partie à
cause de messages inappropriés véhiculés par les
médias. Cette situation peut expliquer que certains
patients cachent des symptômes psychiatriques à leur
médecin, et ce d’autant plus que la symptomatologie pro-
pre à la dépression tend à renforcer une vision négative
du trouble et de la personne qui en souffre. Des idées