Prise en charge de la dépression en soins primaires :

552
L’Encéphale,
33 :
2007, Septembre, cahier 1
MÉMOIRE ORIGINAL
Prise en charge de la dépression en soins primaires :
revue et perspectives
J.-Y. ROTGÉ
(1)
, J. TIGNOL
(1)
, B. AOUIZERATE
(1)
(1) Service Universitaire de Psychiatrie du Professeur Tignol, Centre Hospitalier Charles-Perrens, 121, rue de la Béchade, 33076 Bordeaux
cedex.
Travail reçu le 16 juin 2005 et accepté le 27 avril 2006.
Tirés à part :
J.-Y. Rotgé (à l’adresse ci-dessus).
Résumé.
La dépression est un trouble psychiatrique fré-
quent, aux répercussions fonctionnelles et sociales impor-
tantes, et qui tend à évoluer vers la chronicité. La majorité
des patients souffrant de ce trouble est prise en charge en
soins primaires par les médecins généralistes qui constituent
la plus grande part des prescripteurs d’antidépresseurs. Mal-
heureusement, il existe de nombreuses barrières à la détec-
tion et au traitement de la dépression, ainsi seule une minorité
de patients bénéficie d’un traitement à posologie efficace et
à durée suffisante. Il existe des évaluations de plusieurs pro-
grammes hétérogènes comprenant des interventions diri-
gées par des professionnels de santé mentale visant à amé-
liorer la prise en charge de la dépression en soins primaires.
Parmi ces programmes, on distingue des interventions uni-
ques qui semblent insuffisantes à elles seules, et des asso-
ciations d’interventions qui sont efficaces. Il s’agit d’associer
Improving the management of depression in primary care : review and prospects
Summary. Background
Depression is a common disorder, associated with significant social and functional impairment,
and whose natural course tends to chronicity. The majority of the patients suffering from this disorder are attended in
primary health care settings. General practitioners represent the greatest part of the prescribers of antidepressants. Unfor-
tunately, there are many barriers with detection and with the treatment of depression, thus only a minority of patients
profits from a treatment with effective posology and with sufficient duration.
Literature findings –
Several programs of
interventions directed by mental health professionals aim at improving the management of depression in primary care.
There are single interventions consisting of an educational program to physicians or a single intervention to the patient.
The assessments of an educational strategy find some contradictory results. Single interventions are not sufficient by
themselves. On the other hand, programs associating several interventions are effective. These associations consist of
an educational intervention to the physicians and an intervention or more to the patient treated by antidepressant. Inter-
ventions are generally carried out by nurses and supervised by a psychiatrist. Mental health professionals share their
informations with general practitioners. Interventions can be telephone or in « face to face ». Telephone interventions
have the advantage of a low cost and appear quite as relevant as interventions in « face to face ».
Results –
But the
effectiveness of these programs grows blurred in time, unless the program itself does continue. Moreover, this effective-
ness is variable according to the severity of symptomatology. Indeed, the interest of this type of programs for the patients
suffering from minor depression is limited. These various programs can be supplemented by the contribution of tools of
detection or assessment of the depressive symptomatology to general practitioners, like by the contribution of oral and/
or written informations to the patient concerning the disorder from which he suffers. The setting-up of such programs
represents a considerable cost but depression is itself responsible for an important cost for our society. Several estimates
concerning the setting-up of these programs find a good cost-effectiveness ratio ; it should facilitate their installation taking
into account their effectiveness.
Conclusion –
A close cooperation, based on the complementarity between general prac-
titioners and mental health professionals is required to improve the management of depression.
Key words :
Depression ; Primary care ; Intervention.
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une formation spécifique des médecins généralistes, et une
ou plusieurs interventions auprès d’un patient traité par anti-
dépresseur. La réussite d’une intervention repose sur une
collaboration étroite, durable et évolutive, basée sur la com-
plémentarité entre médecins généralistes et professionnels
de santé mentale.
Mots clés :
Dépression ; Soins primaires ; Intervention.
INTRODUCTION
La prise en charge de la dépression est, de nos jours,
un enjeu majeur de santé publique. En effet, ce trouble
psychiatrique connaît une forte prévalence vie entière : 5
à 12 % pour les hommes et 10 à 25 % pour les femmes.
L’importance des taux de rechute et de récidive en fait un
trouble qui tend à la récurrence, voire à la chronicité. Au
moins 60 % des sujets ayant souffert d’un épisode dépres-
sif vont en connaître un second. Ce chiffre augmente avec
le nombre d’épisodes passés. Ainsi les patients qui ont
présenté trois épisodes ont 90 % de risque d’en dévelop-
per un quatrième (2). Les conséquences psychosociales
de la dépression sont à l’origine d’une diminution de la
qualité de vie et des capacités productives ; les personnes
ayant souffert d’un trouble dépressif dans les douze mois
perdent trois à quatre fois plus de jours de travail que les
personnes n’ayant souffert d’aucun trouble psychiatrique
(28, 50). En 2020, la dépression deviendrait la deuxième
des affections à fort retentissement fonctionnel à travers
le monde, juste derrière les cardiopathies ischémiques
(31). L’impact sociétal de ce trouble est important. Le coût
global de la dépression est évalué à 44 milliards $ par an
aux États-Unis (13). En l’an 2000, la dépression repré-
sente un coût global de plus de 9 milliards £ au Royaume-
Uni, comprenant un coût direct de « seulement »
370 millions £ et un coût indirect 23 fois plus élevé, essen-
tiellement lié aux conséquences professionnelles et psy-
chosociales. La perte de près de 110 millions de jours de
travail et 2 500 suicides sont imputables aux troubles
dépressifs (47).
Or la majorité des personnes souffrant de dépression
est prise en charge en soins primaires, essentiellement
par les médecins généralistes (28). La prévalence des
troubles dépressifs dans une population de patients con-
sultant en soins primaires est de 11,7 %. De tous les trou-
bles psychiatriques concernant cette population, les trou-
bles dépressifs sont les plus fréquents, suivis des troubles
anxieux (10,2 %). Parmi les patients dépressifs consultant
en soins primaires, un peu plus de la moitié est reconnue
comme tels. Seule une minorité de ces patients est invitée
à consulter un spécialiste. Parmi les patients détectés,
seule la moitié d’entre eux bénéficie d’un traitement médi-
camenteux, plus souvent de type anxiolytique ou hypno-
tique qu’antidépresseur (24, 54).
En France, comme en Europe, on retrouve une situation
similaire concernant la prise en charge de la dépression
(11, 28, 50, 51). Les médecins généralistes représentent
60 % des prescripteurs d’antidépresseurs. La grande
majorité des antidépresseurs est prescrite et/ou consom-
mée pendant une durée insuffisante et une grande partie,
en particulier les tricycliques, à des posologies
a priori
inefficaces (33). Pourtant, ces dernières années la con-
sommation de psychotropes, en particulier anxiolytiques
et antidépresseurs, a fortement augmenté (32). La déci-
sion d’arrêter le traitement est prise par le patient dans la
moitié des cas et par le médecin dans l’autre moitié. Une
fois sur deux, cette décision est justifiée par une amélio-
ration clinique. Cet usage du médicament ne suit pas les
recommandations internationales en matière de traite-
ment de la dépression et de prévention des rechutes et
des récidives (3).
Il peut s’avérer délicat pour les médecins généralistes
de reconnaître une dépression chez un de leurs patients.
Certes, la capacité de détecter, et donc de prendre en
charge un trouble dépressif, dépend de la formation et de
l’expérience des médecins généralistes, de la qualité des
relations entretenues avec le patient et du temps de con-
sultation (4, 6, 25, 53). Mais au-delà de ces différents para-
mètres, les fréquentes comorbidités somatiques et/ou
psychiatriques peuvent compliquer la démarche diagnos-
tique, mais aussi aggraver le pronostic du patient (10, 26).
L’étude ESEMeD (
The European Study of the Epidemio-
logy of Mental Disorders
) trouve que 53,1 % des épisodes
dépressifs majeurs survenus sur une période de 12 mois
sont associés à un autre trouble psychiatrique, notamment
le trouble dysthymique, le trouble anxieux généralisé et le
trouble panique (10).
De plus, la mise en avant de symp-
tômes physiques, de douleurs, de fatigue, ou encore de
troubles du sommeil par les patients, ne permet pas de
détecter une dépression si des questions explicites ne
sont pas posées sur l’humeur (23, 55). Et contrairement
à une grande partie des troubles somatiques, il n’existe
pas pour les troubles psychiatriques de tests biologiques
spécifiques à visée diagnostique.
D’autres difficultés peuvent être rencontrées pour
détecter une dépression, notamment la variabilité de
l’expression clinique. L’irritabilité, l’agitation psychomo-
trice, ou les plaintes somatiques, par exemple, peuvent
dominer le tableau clinique chez l’enfant, alors que chez
la personne âgée, ce sont les troubles cognitifs qui peu-
vent être au premier plan et mimer une démence.
L’expression clinique de la dépression peut également
varier selon l’origine ethnique du patient. De même, plus
d’un quart des patients dépressifs consultant en soins pri-
maires souffrent de dépression avec caractéristiques aty-
piques (réactivité de l’humeur et deux ou plus des symp-
tômes suivants : prise de poids ou augmentation de
l’appétit, hypersomnie, membres en « plomb », et sensi-
bilité au rejet) (2, 14).
Par ailleurs, la maladie mentale et ses traitements res-
tent encore stigmatisés dans nos sociétés, en partie à
cause de messages inappropriés véhiculés par les
médias. Cette situation peut expliquer que certains
patients cachent des symptômes psychiatriques à leur
médecin, et ce d’autant plus que la symptomatologie pro-
pre à la dépression tend à renforcer une vision négative
du trouble et de la personne qui en souffre. Des idées
J.-Y. Rotgé
et al.
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reçues concernant les psychotropes peuvent augmenter
la réticence à la prise correcte d’un traitement médica-
menteux, surtout si ce dernier est prescrit sur plusieurs
mois ou années (1).
Les troubles dépressifs sont communs et ont des réper-
cussions individuelles sévères. Malheureusement, trop
souvent, des traitements dont on connaît l’efficacité et la
bonne tolérance ne sont pas utilisés ou le sont à des poso-
logies trop faibles ou sur une durée insuffisante. Devant
ces différents constats, il apparaît nécessaire de dévelop-
per une collaboration étroite entre les professionnels de
santé mentale et les médecins généralistes. Il ne s’agit pas
tant de redéfinir le rôle des médecins de famille, mais de
réfléchir aux possibilités d’améliorer la détection, la prise
en charge et le pronostic fonctionnel des patients souffrant
de dépression par des interventions efficaces menées de
concert avec des équipes psychiatriques. L’enjeu est
d’envergure puisqu’il s’agit de diminuer la symptomatolo-
gie dépressive à la phase aiguë et d’amoindrir les consé-
quences individuelles et sociétales à long terme de la
dépression.
Dans cette revue, nous prenons en considération les
principaux articles publiés dans la littérature internationale
proposant différents programmes visant à améliorer la
prise en charge de la dépression en soins primaires. Nous
nous proposons de détailler dans un premier temps des
études évaluant l’efficacité d’interventions uniques. Ces
interventions sont menées par des professionnels de
santé mentale et se font auprès du médecin généraliste
ou du patient. Dans un deuxième temps, nous donnons
les résultats d’essais randomisés évaluant des associa-
tions d’interventions. Puis, après la discussion de ces
résultats, nous évoquons quelques perspectives possi-
bles de leur application.
REVUE DE LA LITTÉRATURE
Les modalités évolutives de la dépression et les difficultés
rencontrées pour sa bonne prise en charge contribuent au
développement de programmes d’interventions similaires à
ceux évalués pour d’autres maladies chroniques. Ainsi, un
grand nombre de programmes, hétérogènes, d’interven-
tions des professionnels de santé mentale visant à améliorer
la prise en charge de la dépression en soins primaires fait
l’objet d’études dans la littérature internationale. On distin-
gue des interventions uniques auprès du médecin ou du
patient lui-même et des interventions multiples, associant le
plus souvent une formation des praticiens et d’autres types
d’actions destinées aux patients. Ces interventions peuvent
être directes (entretien, téléphone, etc.) ou indirectes (maté-
riel éducationnel, vidéo, etc.).
Interventions uniques
A priori
, améliorer la détection et le traitement des trou-
bles dépressifs en soins primaires devrait passer par une
formation spécifique des médecins généralistes.
L’évaluation d’un programme de formation des méde-
cins de l’île suédoise de Gotland (56 000 habitants,
18 médecins généralistes) est devenue une référence
classique (39, 40). Il s’agit d’un programme relativement
exhaustif recouvrant différents points de la prise en charge
des troubles dépressifs (étiopathogénie, séméiologie,
prévention, traitement médicamenteux, psychothérapie,
expression clinique chez l’enfant et la personne âgée, etc.)
communiqué sur deux années, en 1983 et 1984. À la suite
de ces séminaires, en 1985, les auteurs trouvent une dimi-
nution significative des jours d’hospitalisation pour
dépression et une augmentation significative des pres-
criptions d’antidépresseurs. De même, le nombre de sui-
cides a significativement diminué par rapport aux années
précédentes. Cette diminution est également significative
en comparaison avec l’évolution du nombre de suicides
en Suède. En 1988, c’est-à-dire trois ans après la fin du
programme, le nombre de suicides et de jours d’hospita-
lisation tendent à retrouver les chiffres précédant la mise
en place de l’intervention. Les prescriptions d’antidépres-
seurs continuent d’augmenter en 1988, ce qui est expliqué
par les auteurs par une meilleure détection de la dépres-
sion dans les années précédentes et par l’identification de
candidats à un traitement prophylactique.
Ces résultats sont, en partie, corroborés par une étude
randomisée canadienne (57). On étudie deux groupes de
médecins de famille : 22 médecins suivent une session de
trois heures en petit groupe de deux à quatre et 20 médecins
ne reçoivent aucune formation. Lors de la session de for-
mation, les médecins reçoivent une information sur l’épidé-
miologie de la dépression et des explications concernant
les recommandations de la
Canadian Medical Association
(CMA)
en matière de détection et de traitement des troubles
dépressifs ; puis les praticiens sont invités à discuter des
cas cliniques préparés, mais aussi à discuter de leurs pro-
pres expériences lorsqu’ils ont rencontré des difficultés à
diagnostiquer ou à traiter un épisode dépressif chez un de
leurs patients. Les 20 médecins n’ayant pas suivi la forma-
tion reçoivent par courrier une copie des recommandations
de la CMA sans instructions associées. Une évaluation des
patients est faite au moment du diagnostic et à six mois.
Le nombre de diagnostics de dépression portés par les
médecins et le nombre de visites sont également examinés.
Les résultats montrent une augmentation, non significative,
des diagnostics de dépression, une augmentation signifi-
cative de la consommation d’antidépresseurs à 6 mois, et
l’absence de différence significative concernant le nombre
de visites. Il n’y a pas de différence significative des scores
de dépression au moment du diagnostic et à six mois, mais
on trouve une différence significative concernant le gain du
score de dépression sur les six mois en faveur des patients
pris en charge par les médecins ayant suivi la formation.
Un des intérêts de cette étude est de montrer qu’un pro-
gramme de formation des médecins généralistes a un
impact sur la prise de traitements antidépresseurs.
Contrairement à ces études qui sont en faveur de l’effi-
cacité d’une formation spécifique des médecins généra-
listes, des essais randomisés donnent des résultats néga-
tifs (30, 47). Par exemple, l’étude de Thompson
et al.
(48)
L’Encéphale, 2007 ;
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met en place un programme de formation qui est dispensé
à 64 praticiens. Cette formation consiste en quatre heures
de séminaires associés à une vidéocassette. Il y a 88 pra-
ticiens dans le groupe contrôle. Les auteurs ne trouvent
pas de différence significative entre les deux groupes con-
cernant la capacité à reconnaître une dépression chez les
patients. À six semaines, il existe une différence signifi-
cative des scores de dépression en faveur des patients
reconnus dépressifs et soignés par les médecins ayant
bénéficié de la formation. Cette amélioration n’est pas
retrouvée à six mois. Mais la formation est soumise à l’éva-
luation de quatre experts indépendants, deux d’entre eux
se montrent critiques sur la pertinence du contenu de la
vidéocassette en matière de détection de la dépression,
et l’un d’eux estime que les méthodes et le contenu des
séminaires pour la reconnaissance et le diagnostic de la
dépression sont pauvres. Or une autre étude randomisée
qui compare les pratiques de médecins généralistes ayant
suivi deux programmes de formation différents souligne
l’importance du contenu et des modalités de ces forma-
tions. Dans cette étude, non seulement l’impact sur les
pratiques médicales est avéré, mais il est plus conséquent
pour les médecins ayant suivi la formation la plus complète
(27). Cette formation peut être complétée par des outils
d’aide au diagnostic tels que des questionnaires ou des
instruments informatiques.
À la différence des études citées ci-dessus, l’étude ran-
domisée de Wilkinson
et al.
(56) n’évalue pas l’impact d’un
programme de formation, mais une intervention directe
auprès des patients sans autre intervention associée. On
compare deux groupes de patients (n = 61) souffrant de
dépression, qui sont soignés et traités par leurs médecins
généralistes. Dans un des deux groupes, des infirmiers
ayant reçu une formation spécifique sur l’évaluation clini-
que et le traitement de la dépression interviennent auprès
des patients ; il n’y a pas d’intervention dans l’autre
groupe. Le but de l’intervention est d’améliorer l’obser-
vance du traitement par des conseils et des explications
sur les effets secondaires éventuels. Tous les médecins
de l’étude prescrivent le même antidépresseur et aucun
d’entre eux n’a bénéficié de formation spécifique. La durée
du traitement est de 8 semaines. La symptomatologie
dépressive des patients est évaluée par des questionnai-
res semi-structurés (
Nurse Assessment Interview
) à 7, 14,
28 et 56 jours. Aucune différence significative n’est mise
en évidence concernant l’observance du traitement, les
posologies moyennes de l’antidépresseur, le nombre de
visites des médecins, ni même les scores de dépression.
Certes, cette étude souffre de la petite taille de la cohorte
de patients ; néanmoins les résultats sont en faveur de
l’inefficacité d’une intervention unique auprès des patients
sans formation des médecins associée.
Une intervention unique visant à parfaire la formation des
médecins généralistes pour la prise en charge de la dépres-
sion, bien que faisant l’objet de résultats contradictoires,
peut être efficace. Mais cette efficacité n’apparaît pas suf-
fisante. Nous allons voir que la formation des médecins
constitue une première étape des programmes associant
une ou plusieurs interventions auprès du patient.
Interventions multiples
Plusieurs programmes associant différents types
d’interventions sont évalués lors d’essais randomisés (16,
17, 18, 19, 35, 55). Ils combinent une formation spécifique
des praticiens et une intervention directe d’un profession-
nel de santé mentale (infirmier et/ou psychologue, plus
rarement un psychiatre) auprès du patient. Une supervi-
sion par un psychiatre lorsque l’intervention est dirigée par
un infirmier ou un psychologue et/ou l’offre d’un matériel
éducatif au patient peuvent s’ajouter au contenu du pro-
gramme. Le plus souvent, les évaluations cliniques ainsi
que les conclusions des interventions auprès des patients
font l’objet d’un retour d’informations aux médecins trai-
tants. Bien que ce paramètre n’ait pas été évalué de façon
spécifique, il semble nécessaire à la bonne cohérence
d’un programme. Les résultats des évaluations de ces pro-
grammes montrent des différences significatives relatives
à la symptomatologie dépressive, l’observance du traite-
ment et la satisfaction du patient concernant la prise en
charge de son trouble dépressif, en faveur des groupes
« intervention »
versus
les groupes « soins habituels »
(
usual care
). Deux études de Katon
et al.
(16, 17) dans
lesquelles l’intensité de la symptomatologie dépressive
est prise en compte trouvent une amélioration significative
de la symptomatologie dépressive dans le groupe
« intervention »
versus
le groupe « soins habituels » pour
les patients souffrant de dépression majeure. La diffé-
rence n’est pas significative pour les patients souffrant de
dépression mineure. L’ensemble de ces programmes est
efficace à la phase aiguë, bien que les résultats des études
de Katon
et al.
suggèrent que ces programmes ne sont
pas indiqués chez tous les patients selon la sévérité de la
symptomatologie dépressive.
L’efficacité de l’association de différentes interventions
à long terme est peu probante, des réévaluations de la
symptomatologie dépressive et de la consommation
d’antidépresseurs un an après la fin d’un programme trou-
vent des différences non significatives entre les patients
ayant bénéficié de tels programmes et les patients suivis
et soignés comme à l’habitude par leur médecin traitant
(29, 42, 52).
D’autres programmes ne contiennent pas d’interven-
tion directe en « face à face », mais des interventions par
téléphone. Dietrich
et al.
confirment les résultats précé-
dents (15, 22, 44, 49) et soulignent l’intérêt de l’apport d’un
suivi téléphonique pour des patients déprimés (trouble
dépressif majeur et trouble dysthymique) suivis et traités
par leurs médecins généralistes (8). Il s’agit d’une étude
randomisée incluant les 405 patients de 60 praticiens
séparés en deux groupes : 28 médecins et leurs patients
(n = 181), dits
usual care
, et 32 médecins et leurs patients
(n = 224), dits « intervention ». L’ensemble des médecins
suit une formation, sous forme de séminaires, sur le dia-
gnostic et l’évaluation du risque suicidaire. La formation
des médecins « intervention » est complétée par l’abord
des thèmes suivants : savoir modifier la prise en charge
pour obtenir la rémission, et tenir compte des scores de
dépression. La pratique des médecins et la symptomato-
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et al.
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logie dépressive sont évaluées à trois et à six mois par
des investigateurs non informés de la randomisation,
l’évaluation de l’intensité de la symptomatologie dépres-
sive se fait à l’aide de la
Hopkins Symptom Check-List
.
Les patients « intervention » sont appelés par un
« manager » ayant reçu une formation préalable (une infir-
mière ayant une expérience de psychiatrie ou de soins pri-
maires) dans la semaine qui suit la première consultation,
puis une fois par mois jusqu’à rémission de la symptoma-
tologie dépressive. Lors de ces entretiens téléphoniques,
le « manager » évalue le score de dépression à l’aide d’un
questionnaire
(The Patient Health Questionnaire-9)
et
donne des conseils pour améliorer l’estime de soi et
l’observance du traitement. Un psychiatre référent
appelle, une fois par semaine, le « manager ». Lors de cet
appel, le « manager » présente au psychiatre les nou-
veaux patients, le résultat des entretiens téléphoniques et
du score de dépression ; ensuite le psychiatre donne ses
conseils, notamment thérapeutiques. Après quoi, le
« manager » appelle le médecin généraliste pour l’infor-
mer de son évaluation clinique avec le score de dépres-
sion retrouvé et lui transmettre les conseils du psychiatre.
Les résultats de l’étude montrent une augmentation signi-
ficative des taux de réponse au traitement (diminution de
50 % du score initial de dépression) ainsi que des taux de
rémission (score inférieur à 0,5 à la
Hopkins symptom
check-list
) à 3 et 6 mois pour les patients « intervention »,
mais il n’y a pas de différence significative concernant
l’observance du traitement. Par ailleurs, on note en faveur
du groupe « intervention » une augmentation significative
du nombre de patients interrogés par leurs médecins sur
la présence d’idées suicidaires. Les patients « interven-
tion » bénéficient d’un suivi plus soutenu par leur médecin
généraliste : le nombre de contacts, que ce soit par visite
ou par appels téléphoniques, est significativement plus
élevé dans le groupe « intervention ».
En plus de l’amélioration clinique attendue, les intérêts
de cette étude sont l’observation d’une modification nota-
ble de la pratique des médecins, et un faible coût et une
facilité de mise en place de ce programme qui pourraient
permettre sa généralisation (7, 9). Dans d’autres études
évaluant également l’intérêt d’un support téléphonique
(15, 49), les appels sont hebdomadaires, alors que dans
l’essai randomisé de Dietrich ils sont mensuels. La fré-
quence des appels téléphoniques n’est pas étudiée de
façon spécifique, mais les taux de réponse au traitement
à six mois sont similaires dans les essais cités.
L’étude randomisée de Simon
et al.
(45) compare trois
groupes de patients souffrant de dépression et pris en
charge en soins primaires. Le premier groupe ne fait l’objet
d’aucune intervention. Dans le deuxième, il existe un sup-
port téléphonique tout à fait comparable à celui de l’étude
ci-dessus, si ce n’est que les contacts sont limités à trois
et que le « manager » intervient uniquement pour évaluer
la symptomatologie clinique et améliorer l’observance du
traitement. Dans le troisième groupe, en plus du support
téléphonique, les patients participent à huit séances struc-
turées de thérapie cognitivo-comportementale. Les méde-
cins généralistes reçoivent les résultats des évaluations
faites par le « manager » et des conseils d’adaptation thé-
rapeutique, mais ils ne bénéficient pas de formation spé-
cifique. Après l’évaluation par des investigateurs non infor-
més de la randomisation, on trouve de meilleurs taux de
réponses au traitement (amélioration de 50 % du score de
dépression) à six mois dans les deux groupes où les inter-
ventions sont mises en place
versus
le groupe sans inter-
vention. Mais la différence n’est pas significative entre le
groupe de patients bénéficiant du support téléphonique et
le groupe sans intervention. Cela peut s’expliquer par la
fréquence et le contenu des appels téléphoniques, ou par
l’absence de formation spécifique des médecins généra-
listes, et confirmerait alors les conclusions de l’étude de
Wilkinson
et al.
citée ci-dessus (56). Un autre résultat
remarquable de cette étude concerne le nombre de
patients consommant un antidépresseur à posologie adé-
quate sur les 90 derniers jours, évalué à six mois. Il existe
une différence significative en faveur du groupe bénéficiant
du support téléphonique
versus
le groupe sans interven-
tion, mais il n’y a pas de différence significative entre le
groupe associant le support téléphonique et une psycho-
thérapie structurée, et le groupe sans intervention. Même
si dans cette étude les résultats plaident pour une meilleure
efficacité en termes de taux de réponse au traitement pour
un programme associant un support téléphonique et une
psychothérapie structurée comparée au support télépho-
nique seul, il faut noter l’absence de formation spécifique
des médecins généralistes et les limitations du contenu
des interventions téléphoniques dans cette étude. De plus,
au-delà du coût représenté par l’association du support
téléphonique et d’une psychothérapie, les guidelines con-
cernant la prise en charge de la dépression ne recomman-
dent l’association d’une psychothérapie et d’un traitement
médicamenteux à la phase aiguë que dans certains cas
particuliers (3). Une autre étude à trois bras ne trouve pas
d’efficacité significativement supérieure concernant l’amé-
lioration clinique à six mois entre les patients bénéficiant
d’un support téléphonique et ceux bénéficiant de l’asso-
ciation de ce support et d’un soutien social (15).
La plupart des programmes ont une durée de quelques
mois et leurs bénéfices s’estompent dans l’année qui suit
leur arrêt. L’étude randomisée de Rost
et al.
(36) évalue
l’efficacité d’un programme d’interventions mis en place
sur une période de 24 mois. Les interventions consistent
en une formation des médecins et une intervention menée
par un infirmier auprès des patients. La formation des
médecins est centrée sur les recommandations en matière
de traitement de la dépression publiées par l’
Agency for
Health Care Policy and Research (US Department of
Health and Human Services).
L’intervention auprès des
patients est divisée en une intervention initiale de six mois,
suivie d’une intervention de continuation du septième au
vingt-quatrième mois. Lors de la première phase, les infir-
miers évaluent la symptomatologie dépressive, donnent
des informations concernant les traitements et organisent
des contacts de suivi. Lors de la deuxième phase, les con-
tacts entre infirmiers et patients sont téléphoniques. Il s’agit
de permettre aux patients en rémission de poursuivre leur
traitement conformément aux recommandations, et aux
1 / 9 100%

Prise en charge de la dépression en soins primaires :

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