L’Encéphale, 2007 ;
33 :
361-4, cahier 3 Vers une décomposition des troubles attentionnels schizophréniques
S 363
LES MULTIPLES FACETTES DE L’ATTENTION
Les circuits cérébraux mis en jeu par les processus
attentionnels ont, de longue date, fait l’objet de nombreu-
ses hypothèses à partir des constatations neuropsycho-
logiques et, plus récemment, des résultats de l’imagerie
cérébrale fonctionnelle. La connaissance de ces circuits
est maintenant suffisamment précise selon Posner et Fan
pour qu’il soit approprié d’utiliser la métaphore de l’organe
(17). Ainsi conceptualisé, « l’organe attentionnel » agirait
sur les autres systèmes neurocognitifs par une action top-
down pour faciliter certains traitements de l’information.
Trois systèmes seraient à l’origine des phénomènes atten-
tionnels et pourraient être isolés d’un point de vue anato-
mique, neurochimique, génétique et pathologique :
– le
système d’alerte
correspond au maintien d’un état
d’alerte ou de vigilance précédent l’apparition d’un stimu-
lus attendu ;
– le
système d’orientation
permet de filtrer les informa-
tions sensorielles ; dans la modalité visuelle, il s’agit prin-
cipalement de sélectivité spatiale sur une zone du champ
visuel ;
– le
contrôle exécutif
permet de résoudre les conflits
entre réponses contradictoires.
Il est intéressant de s’attarder sur ce modèle du fait de
développements expérimentaux ayant l’originalité de
s’appuyer sur un paradigme unique, « l’Attention Network
Test » (ANT), qui est conçu pour solliciter les trois systè-
mes attentionnels durant la même tâche, et ceci de
manière dissociable (4). Durant la tache, le sujet se voit
présenter des flèches (dites « cibles ») pouvant être orien-
tées à droite, à gauche ou bien, à la fois, à droite et à gau-
che. Selon la configuration, il doit répondre en pressant,
respectivement, soit le bouton droit, soit le bouton gauche,
soit les deux boutons. Le stimulus mêlant les deux direc-
tions est supposé entrainer un conflit cognitif et engager
particulièrement le contrôle exécutif. Les cibles sont pla-
cées sur l’écran soit au-dessus soit au-dessous d’une
croix centrale. Parfois, un indice sur la position de la cible,
et annonçant son arrivée, est fourni sous la forme d’un
symbole visuel. Trois conditions sont alors possibles : soit
aucun indice sur la position de la cible n’est fourni, soit un
indice congruent est fourni, soit un indice ininterprétable
est donné (par exemple, un symbole central). Par hypo-
thèse, le système d’alerte sera engagé dans les deux con-
ditions où un indice annonce l’apparition de la cible. En
revanche, le système d’orientation sera utilement mis en
jeu quand l’indice spatial sera congruent avec la position
des cibles. La mesure des temps de réaction tenant
compte de ces hypothèses permettrait de dégager trois
indices d’efficacité correspondant à l’opération des trois
réseaux attentionnels.
Chez le sujet normal, on constate que les indices ne
sont pas corrélés, ce qui suggère une certaine indépen-
dance de ces systèmes (4). De manière intéressante,
l’usage de l’imagerie fonctionnelle semble conforter l’exis-
tence de plusieurs réseaux individualisables. L’IRM fonc-
tionnelle permet de montrer que le réseau d’alerte mis en
jeu durant l’ANT mobilise un réseau neural comprenant
le sillon temporal supérieur gauche, le colliculus supérieur,
le thalamus, le cortex pariétal inférieur (3). Le réseau
d’orientation mettrait en jeu le cortex pariétal supérieur et
l’aire de motricité oculaire ou
frontal eye field
. Enfin, le con-
trôle exécutif active, entre autres, le cortex cingulaire anté-
rieur, ce qui confirme les résultats antérieurs de Thiel
et al.
(21).
Cette distinction sur des bases neurales entre plusieurs
sous-composantes attentionnelles met en avant l’impor-
tance du système de contrôle exécutif dont plusieurs
résultats expérimentaux montrent qu’il pourrait être sous
l’influence de facteurs neurochimiques et que ses perfor-
mances pourraient être déterminées par des facteurs
génétiques. Fan
et al.
ont comparé les coefficients de cor-
rélation au sein de paires de jumeaux monozygotes et
dizygotes pour les trois indices d’efficacité attentionnelle
de l’ANT (5). Les monozygotes présentent une corrélation
significative pour le réseau d’alerte (r = 0,46) mais surtout
pour le contrôle exécutif (r = 0,72). Par ailleurs, la qualité
du contrôle exécutif est significativement expliquée par le
polymorphisme du gène de la monoamine-oxydase (6).
En conséquence, certains aspects des phénomènes
attentionnels, comme le contrôle exécutif, peuvent, de
même que ce qui a été montré avec les formes à forte
charge cognitive du CPT, prétendre à être élevés au rang
d’endophénotypes.
Ces résultats sont particulièrement pertinents pour
l’étude de la pathologie schizophrénique si l’on considère
les résultats de Wang
et al.
qui indiquent que c’est juste-
ment le réseau de contrôle exécutif qui est le plus nette-
ment perturbé dans cette pathologie au côté, dans une
moindre mesure, de l’orientation (22). En effet, les déficits
attentionnels présentés par les patients semblent pouvoir
être mis en évidence plus précisément dans les conditions
durant lesquelles le niveau de demande en traitement de
conflit, ou bien en traitement contextuel et en mémoire de
travail est élevé. Or, ces conditions sont justement celles
produisant une forte implication des régions préfrontales
médianes dont fait partie le cortex cingulaire antérieur.
Ces régions sont classiquement le siège de déficits d’acti-
vation dans le cadre de la pathologie schizophrénique,
dans la plupart des conditions expérimentales. De plus,
ces régions sont sous l’influence de la transmission dopa-
minergique, ce qui pourrait expliquer en partie certains
effets des médications antipsychotiques sur la cognition
des patients.
CONCLUSIONS
Cet aperçu sur les recherches portant sur les systèmes
attentionnels et leurs perturbations dans la schizophrénie
démontrent l’importance heuristique des paradigmes
attentionnels tels que les CPT à forte charge cognitive ou
l’ANT pour l’étude de la pathologie. Il démontre aussi, ce
qui peut paraître une évidence, la nécessité de bien dif-
férencier les différents circuits qui contribuent au phéno-
mène subjectif et qui lui imposent ses caractéristiques
accessibles à l’investigation phénoménologique. Les neu-