L’Encéphale, 2006 ;
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879-82, cahier 4 Hypothèse neuro-développementale de la schizophrénie
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ques. Lorsque se développe un processus schizophréni-
que, on observe des perturbations de cette élimination des
connexions synaptiques.
Ceci a été confirmé par des travaux réalisés en IRM :
chez les adolescents, on observe une phase d’augmen-
tation de substance grise, puis une diminution, qui serait
plus importante chez les adolescents schizophrènes.
Feinberg (3) propose l’hypothèse d’une perturbation de
ce programme d’élimination des connexions synaptiques
chez l’adolescent schizophrène (en particulier, un excès
d’élimination au niveau du cortex pré-frontal pourrait se
produire). Parmi les arguments en faveur de cette hypo-
thèse, on peut citer la diminution des dendrites des cellules
pyramidales dans le cortex pré-frontal et une réduction
des interneurones GABAergiques (4, 12).
Un autre mécanisme invoqué est celui de la perturba-
tion des processus de myélinisation, puisque la fin de la
myélinisation est tardive, jusqu’à 30 ans, et ce d’autant
plus qu’on est plus proche des régions du cortex pré-fron-
tal et du cortex associatif. L’imagerie par diffusion de ten-
sion (TDI) pourrait permettre une meilleure visualisation
de ces anomalies éventuelles de la myéline.
CONCLUSION
L’hypothèse neuro-développementale précoce, au
cours de la vie intra-utérine, apparaît ainsi séduisante,
mais certaines questions peuvent remettre en cause cette
hypothèse, comme l’aggravation possible de certaines
anomalies cérébrales au cours de l’évolution de la mala-
die, comme l’absence de signes prémorbides aisément
détectables dans 70 % des cas chez les sujets schizoph-
rènes (contre 15 % des cas chez les sujets atteints de schi-
zophrénie infantile), comme le manque de spécificité de
ces signes prémorbides, ou encore comme la diversité de
l’expression clinique de la maladie, indiquant que d’autres
facteurs plus tardifs pourraient également intervenir.
En faveur de l’hypothèse neuro-développementale plus
tardive, on retient l’excès de perte de connexions synap-
tiques à l’adolescence, qui pourrait induire une perte de
plasticité neuronale et accroître ainsi la vulnérabilité des
neurones à des facteurs toxiques, traumatiques ou encore
simplement aux effets du vieillissement.
L’étude des interactions gènes/environnement apporte
des arguments en faveur de chacune de ces hypothèses
[pour revue voir Thibaut (14)].
Des interactions gènes/environnement très précoces
feraient intervenir, sur le plan génétique, certains gènes
impliqués dans le neuro-développement ou la plasticité
synaptique, comme la neuréguline, le DISC 1 ou la proline-
déshydrogénase (PRODH), et sur le plan environnemen-
tal, des facteurs obstétricaux reflétant une hypoxie chro-
nique ou simplement le retard de croissance fœtale lié à
d’autres facteurs, ou encore des facteurs viraux intra-uté-
rins. Les complications obstétricales à elles seules entraî-
nent une augmentation modérée du risque de schizo-
phrénie, avec un
odd ratio
de 2.
Les travaux réalisés à Rouen portant sur la région chro-
mosomique 22q11 montrent une possible implication de
cette région dans le développement de certaines schi-
zophrénies (8). Environ 10 % des schizophrènes présen-
tent des remaniements chromosomiques à l’état hétéro-
zygote dans la région 22q11 impliquant le gène codant la
proline déhydrogénase. Chez ces patients, il existe une
hyperprolinémie modérée.
Les mêmes remaniements chromosomiques, mais à
l’état homozygote, ont été retrouvés chez des sujets por-
teurs d’une hyperprolinémie de type I, c’est-à-dire
majeure, et présentant un retard mental et une épilepsie.
Les anomalies des patients présentant une schizophrénie
apparaissent donc, dans ce cas, intermédiaires entre des
perturbations neurotoxiques sévères par hyperprolinémie
majeure, et ce qui est observé chez le sujet normal. En
effet la proline est un acide aminé qui intervient dans la
synthèse du glutamate. On peut donc raisonnablement
penser qu’un arrêt sur la voie métabolique de la dégrada-
tion de la proline, lié au dysfonctionnement de la proline
déshydrogénase, peut conduire en aval à un déficit de syn-
thèse du glutamate, et en amont à une accumulation des
taux de proline dans certaines régions du cerveau. Or,
chez l’animal, la présence de quantités excessives de pro-
line dans la région de l’hippocampe pourrait activer les
mécanismes excito-toxiques glutamatergiques et accroî-
tre l’apoptose.
Des interactions gène/environnement tardives
feraient
intervenir, sur le plan génétique, des gènes impliqués
dans le dysfonctionnement du système dopaminergique
(comme celui de la COMT) ou encore des gènes impliqués
dans les processus de myélinisation ou d’élimination
synaptique (associés à une perte de plasticité neuronale
qui accroîtrait la vulnérabilité neuronale à des facteurs
toxiques ou traumatiques). Sur le plan environnemental,
des facteurs toxiques comme la consommation régulière
de cannabis, (surtout si l’âge de début de la consommation
est précoce ou si la dose absorbée de THC est importante)
pourraient ainsi interagir avec des facteurs génétiques de
susceptibilité pour contribuer à l’apparition de symptômes
schizophréniques.
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