.JTFTBVQPJOU U J O T . FTBV QPJ La varénicline : espoir et réalités Réflexions sur le traitement pharmacologique de la dépendance tabagique Varenicline: hopes and realities. Reflections about medications used to help people quitting tobacco G. Lagrue* Mots-clés : Dépendance tabagique, Varénicline. Key words: Smoking dependance, Varenicline. Un nouveau médicament “antitabac” vient d’être mis sur le marché, lancé à grands renforts d’actions de marketing et de relais médiatiques. Comme cela s’était déjà produit antérieurement pour les médications nicotiniques, les gommes, les timbres, et aussi le bupropion, cette nouvelle a suscité un grand engouement. Les journalistes, toujours avides de sensationnel, ont annoncé le traitement “miracle”, la “pilule antitabac”. De nombreux fumeurs, en difficultés avec le tabac, se sont précipités pour en demander la prescription à leur médecin, dans l’espoir de résoudre les problèmes auxquels ils se sentaient confrontés. La mise sur le marché de la varénicline a en plus, hasard heureux, coïncidé avec l’application, au 1er février 2007, du décret sur les interdits. Cette décision, dont l’intérêt est majeur, a contribué à motiver de nombreux fumeurs à une tentative d’arrêt. Sur les trois derniers mois, les ventes de timbres, gommes et autres médications nicotiniques ont explosé et la varénicline a suivi. En deux mois, près de 100 000 traitements ont été vendus ! Mais c’est généralement un feu de paille et, plus ou moins rapidement, les ventes retombent et se stabilisent à un niveau variable selon l’efficacité du produit, comme cela a été le cas avec les médications nicotiniques, et surtout avec le bupropion. Premier bilan. Varenicline is a new interesting medication used to help people stop smocking. It works by blocking the pleasant effects of nicotine on the brain.As usual, media has announced the marketing of this medication as a new “panacea”, an “anti-tobacco pill”, to help quitting tobacco. Its big success during the three first months in France is partly due to the “snowballing” effect of the enforcement of decrees of strickly no smoking in public places on 1 february 2007. Just as for the sales of the other medications for smoking cessation (patches, pills, gums and bupropion too).Will be a short-lived success ? It’s not certain. But it’s the time for a first assessment... dans sa structure moléculaire certains éléUne nouvelle approche ments proches de la nicotine. La cytisine pharmacologique est utilisée depuis plus de 40 ans dans les pays d’Europe de l’Est, en particulier la PoLa varénicline est une nouvelle médication logne, où elle est spécialisée sous le nom dérivée de la “cytisine”, molécule extraite de Tabex® (comprimé à 1,5 mg). Une métad’une plante le Cytisa Viburnum et ayant analyse des résultats publiés dans ces pays a été faite par J.F Etter. Dans des études contrôlées, les pourcentages d’abstinence * Centre de tabacologie, hôpital Albert-Chenevier, 94000 Créteil. sont bons, avec des odds-ratios de 1,8 à 1,9 Le Courrier des addictions (9) ­– n° 3 – juillet-août-septembre 2007 80 Rappel concernant les propriétés des agonistes* Un agoniste total (par exemple la nicotine) provoque une réponse identique à celle de l’agoniste naturel (ici l’acétylcholine), c’est-à-dire l’ouverture complète du canal ionique avec la production du neurotransmetteur (ici la dopamine). La réponse à un agoniste partiel dépend de la quantité de l’agoniste : – en présence de l’agoniste, le canal ionique est ouvert en permanence, l’agoniste partiel va diminuer l’ouverture du canal : il se comporte alors comme un antagoniste ; – en l’absence de l’agoniste, le canal est fermé et l’agoniste partiel va amener une semi-ouverture du canal ionique, avec une production du neurotransmetteur, mais plus faible que celle de l’agoniste. Ainsi, quel que soit l’état initial du canal, la résultante de l’action de l’agoniste partiel est un état de semi-ouverture du canal ionique. L’agoniste partiel peut donc avoir deux actions différentes : – soit réduire une activité importante ; – soit générer une production du neurotransmetteur, mais plus faible que celle de l’agoniste. Avant l’arrêt du tabac, la nicotine est présente, le canal est ouvert et le neurotransmetteur (exemple la dopamine) est produit en forte quantité. Un agoniste partiel, la varénicline, va diminuer l’ouverture du canal, et réduire la production de dopamine ; la sensation de récompense et le renforcement positif sont moindres : cela peut entraîner une réduction de la consommation. Après l’arrêt du tabac, en l’absence de nicotine, le canal est fermé et la dopamine n’est plus produite, entraînant une sensation de manque. L’agoniste partiel va ouvrir le canal avec une efficacité intrinsèque plus faible que celle de la nicotine, et insuffisante pour réduire le manque en cas de forte dépendance. * D’après le livre de S. Stahl. Psychopharmacologie essentielle. Médecine-Sciences Flammarion 2000;vol.1:82-94. par rapport au placebo. Mais la méthodologie ne semble pas de qualité suffisante (1). La cytisine est bien connue dans les travaux pharmacologiques concernant les récepteurs nicotiniques : c’est en effet un agoniste partiel de ce récepteur. La varénicline constitue une nouvelle approche pharmacologique du traitement de .JTFTBVQPJOU .JTFT BVQPJOU Vignette clinique : André P., 60 à 80 cigarettes par jour... Monsieur André P., âgé de 62 ans, consulte au centre de tabacologie début avril 2007. Son tabagisme est ancien, ayant débuté à l’âge de 14 ans, et devenu régulier dès 16 ans. Il a augmenté progressivement, atteignant 60 à 80 cigarettes par jour à 40 ans. Plusieurs tentatives de sevrage ont été faites : l’une, avec les “timbres nicotine” est interrompue à la deuxième semaine en raison d’une réaction allergique très intense. Cela s’est reproduit immédiatement lors de deux tentatives ultérieures. Il vient de faire une cure de varénicline de trois mois. Dès la première semaine, il a réduit sa consommation entre 20 et 30 cigarettes par jour. Cela s’est produit sans effort, car dès les premiers jours, la fumée de tabac a perdu son goût et il n’a plus ressenti de plaisir. Mais à partir de 30 cigarettes par jour, une sensation de besoin, de manque est apparue. Il a été obligé de fumer, sans plaisir, dit-il. Après la fin du traitement (le 12 avril), la consommation s’est élevée rapidement jusqu’à 50 cigarettes par jour (17 avril). Le goût du tabac et le plaisir de fumer sont réapparus. Cette évolution illustre bien les propriétés d’un agoniste partiel. En présence du tabagisme, l’action antagoniste de la varénicline intervient, avec pour conséquence une diminution de la sensation de plaisir, c’est-à-dire du renforcement positif. Cela aboutit à la réduction du nombre de cigarettes fumées. Mais en raison de l’intensité de la dépendance physique, en deçà de 30 cigarettes par jour, l’action agoniste partielle n’est pas suffisante pour supprimer la sensation de manque. Le besoin oblige le sujet à augmenter sa consommation. Devant cette situation, exceptionnelle en raison de l’intensité de la dépendance (score à 10 au test de Fagerström), le programme suivant lui a été proposé : A Reprendre la varénicline aux doses usuelles en mesurant quotidiennement la consommation. A Associer ultérieurement un traitement nicotinique. Les timbres ne pouvant être utilisés en raison des antécédents allergiques, des substituts nicotiniques oraux sont conseillés, utilisés à la demande chaque fois que survient le besoin de fumer. Avec 10 à 12 tablettes à 1,5 mg par jour, l’arrêt complet est obtenu en moins d’une semaine. la dépendance tabagique (DT). Comme la cytisine, c’est un agoniste partiel, sélectif des récepteurs nicotiniques α4-β2, commercialisé sous le nom de Champix®. La varénicline intervient sur le mécanisme essentiel de la DT, l’action de la nicotine sur les récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine (R.NAch) présents dans le cerveau. Ce récepteur est un canal ionique comportant 17 sous-unités dénommées α et β. Le site principal d’action de la nicotine se situe précisément sur les sous-unités α4-β2. Les travaux de J.P. Changeux et de son équipe ont démontré un fait essentiel : chez des souris mutantes, dont les R.NAch sont dépourvus de la sous-unité β2, les propriétés addictives et cognitives de la nicotine disparaissent (2). La varénicline a une action nicotine-like partielle. Elle prend la place de la nicotine sur ces récepteurs et réduirait ainsi à la fois le renforcement positif, la récompense, et partiellement le renforcement négatif, c’est-à-dire la sensation de manque et le syndrome de sevrage. En fait, le mécanisme d’action d’un agoniste partiel rend difficile l’interprétation de ses effets thérapeutiques éventuels chez un fumeur : ceux-ci seront différents si le sujet fume encore ou au contraire s’il arrête de fumer (voir encadré p. 82). À la phase initiale du traitement, avant l’arrêt du tabac, la varénicline diminuerait la sensation de récompense, réduisant ainsi le renforcement positif. Après l’arrêt, l’effet agoniste peut réduire le manque, mais de façon insuffisante dans le cas de dépendance forte. C’est ce qu’illustre la vignette clinique (encadré ci-dessus). Il serait donc très important de connaître l’évolution du tabagisme la première semaine, mais ces effets ne sont habituellement pas notés dans les protocoles. Au cours des essais du bupropion, un fait a été constaté chez des fumeurs ayant reçu le produit actif : dès le troisième ou quatrième jour, le plaisir de la cigarette a disparu, son goût est devenu désagréable. L’observation rapportée dans la vignette clinique suggère qu’il pourrait en être de même pour la varénicline. Il serait très intéressant d’étudier ce phénomène et de voir s’il est prédictif d’un arrêt ultérieur. Des études obéissant aux règles des essais thérapeutiques ont été mises en place aux États-Unis puis en Europe, comparant varénicline, bupropion et placebo après 3 mois de traitement. Elles ont d’abord porté sur l’action à court terme et sur les résultats à un an (3). Tableau I. % d’abstinents Varénicline Bupropion Placebo à 3 mois 44 % 30 % 18 % à 12 mois 22 % 16 % 10 % Ainsi, l’action de la varénicline se révèle significativement supérieure à celles du bupropion et du placebo dans un traitement de 3 mois. Comme dans tous les essais thérapeutiques, portant sur trois mois, il y a toujours un pourcentage important de rechutes entre trois et douze mois, de l’ordre de 50 %, mais comparable pour chaque groupe : le bénéfice relatif acquis persiste. Le deuxième essai a étudié les effets d’un traitement prolongé. Il a porté sur cent sujets abstinents après trois mois de traitement par la varénicline. Ils ont alors reçu pour les trois mois suivants, soit la varénicline, soit un placebo. Tableau II. % abstinents Varénicline Placebo entre 3 et 6 mois 45 % 18 % entre 3 et 12 mois 22 % 8% Ces résultats confirment l’intérêt d’un traitement prolongé de la varénicline comme pour le bupropion et pour le traitement nicotinique (TN). Dans toutes ces études, l’administration de varénicline a été associée à une prise en charge psychologique (psychological counseling, c’est-à-dire une application des stratégies comportementales et cognitives), avec un suivi régulier. Tableau III. Résultats de la varénicline en fonction du degré de dépendance physique. Dépendance physique (FNDT) Fin de traitement 12 semaines 52 semaines Varénicline Placebo OR Varénicline Placebo OR Légère (score 0-3) 55,1 18,9 5,6 27,9 12 2,8 Importante (score > 7) 35,9 9,6 5,3 20,5 10,3 2,2 81 Le Courrier des addictions (9) ­– n° 3 – juillet-août-septembre 2007 .JTFTBVQPJOU U J O T . FTBV QPJ Comme avec le TN et le bupropion, la prise de poids a été ralentie et différée. Les effets contraires sont, comme on pouvait s’y attendre, comparables à ceux du TN : les troubles les plus fréquents, causes possibles d’arrêt, sont des nausées, des céphalées, des insomnies, une augmentation de l’activité onirique, c’est-à-dire les symptômes observés en cas de surdosage de nicotine. Dans de rares cas (3 %), l’arrêt brutal de la varénicline a été suivi d’irritabilité et de troubles du sommeil, ce qui peut être interprété comme un syndrome de sevrage. La constipation (8 % des cas), signalée comme effet contraire de la varénicline, est plus vraisemblablement liée à l’arrêt du tabac (5). Enfin, la varénicline est contre-indiquée au cours de la grossesse et de l’allaitement. Intérêts et limites Des données complémentaires ont été apportées lors du récent congrès Nicotine and Tabacco Research, de février 2007. Une métaanalyse a confirmé l’efficacité vis-à-vis du placebo (OR : 2,80) et du bupropion (OR : 1,19). Des effets positifs sont obtenus aussi bien pour les dépendances faibles que pour les dépendances sévères (évaluées par le test de Fagerström). Il en est de même que le nombre de cigarettes soit faible ou important. L’action sur le syndrome de manque peut être insuffisante si la dépendance physique est importante et les pourcentages d’abstinence sont plus faibles dans cette situation (4). L’ensemble de ces résultats permet de souligner à la fois l’intérêt et les limites actuelles de cette nouvelle molécule : Il est évidemment important pour les médecins de pouvoir disposer d’un nouveau médicament réellement actif pour l’arrêt du tabac. La varénicline peut ainsi constituer un recours lorsque les autres médications sont contre-indiquées, ont échoué ou ont donné des effets contraires (par exemple une allergie au timbre). Également lorsque l’attrait de la nouveauté contribue à inciter le fumeur à une tentative d’arrêt. Le traitement par la varénicline revient en fait à donner une médication qui a, de par sa nature, des effets voisins de ceux de la nicotine. Dans les recommandations de l’AMM, l’administration concomitante d’un substitut nicotinique a entraîné une diminution significative de la pression artérielle systolique et la survenue de nausées, de céphalées, de lipothymie. Ce sont, en fait, des symptômes de surdosage nicotinique. Il serait important de savoir si ces troubles ont été observés chez les fumeurs les moins dépendants, ce qui est vraisemblable. Les doses de la varénicline sont obligatoirement fixes alors que celles de la nicotine peuvent être modulées et adaptées au degré de dépendance (6) : avec une telle stratégie, les pourcentages d’arrêt sont beaucoup plus élevés, ayant atteint 100 % à deux mois dans l’étude de Dale (7), et près de 75 % à 3 mois dans l’expérience de Créteil. Ainsi le timbre nicotine, avec l’adaptation des doses et l’association aux substituts oraux, peut donner actuellement des résultats supérieurs à ceux du bupropion ou de la varénicline, tout au moins dans leurs modalités actuelles d’utilisation. Il serait fallacieux de vouloir comparer les résultats de la varénicline à ceux du timbre nicotine. Si, comme cela a été fait dans les essais du bupropion, on utilise pour la nicotine les doses standards initiales de l’AMM, les conclusions obtenues sont évidemment faussées : dans l’expérience clinique quotidienne et dans les recommandations récentes de l’Afpssaps, pour avoir l’efficacité maximale, les doses doivent être adaptées au degré de dépendance (6). Dans les fortes dépendances, des troubles psychiatriques et/ou l’usage d’autres substances sont présents dans près de la moitié des cas. Ils doivent obligatoirement être analysés et leur présence modifie les indications thérapeutiques. On ne connaît pas les résultats éventuels de la varénicline dans cette situation, non plus que ses interactions avec les médications alors utilisées, antidépresseurs, anxiolytiques, thymorégulateurs… La varénicline constitue, certes, un progrès, à la fois pour le traitement et pour la compréhension du mécanisme de la dépendance tabagique, en confirmant le rôle essentiel de la nicotine, mais sa place réelle parmi les médications du sevrage tabagique reste encore à préciser. Les données pharmacologiques pourraient conduire à proposer, à titre d’hypothèse, l’attitude suivante pour l’emploi de cette nouvelle médication : utilisation dans un premier temps de la varénicline seule, avec pour objectif de réduire le renforcement positif. Très rapidement, en cas de dépendance physique importante (score > 7 au FTND*) ou en cas d’apparition de symptômes de sevrage, l’association de substituts nicotiniques avec des modalités est à étudier. Le Courrier des addictions (9) ­– n° 3 – juillet-août-septembre 2007 82 Des biais de sélection Depuis maintenant près de vingt ans, de très nombreuses études ont été publiées concernant les résultats obtenus par les médications ayant pour objectif l’aide à l’arrêt du tabac. Seules se sont révélées actives, les différentes formes de substituts nicotiniques (timbres, gommes, pastilles, inhaleur…), le bupropion et la varénicline. Mais cette efficacité n’est que relative. Une première réserve d’ordre général doit être faite : ces essais thérapeutiques sont toujours réalisés sur des populations sélectionnées avec de nombreux critères d’exclusion : ce sont des fumeurs en bon état général, indemnes de complications somatiques et, en particulier, de celles liées au tabac, en l’absence de tout trouble psychiatrique connu et, en particulier, d’états dépressifs. Or toutes ces situations sont rencontrées chez plus d’un fumeur sur deux, dans les consultations de tabacologie, comme le montre le registre national des centres de tabacologie (CDT) (8). Les sujets ainsi sélectionnés sont donc différents des fumeurs vus dans les consultations. Il est indispensable d’adapter les données de ces essais à la réalité quotidienne, à “la vraie vie”. Les résultats risquent d’être moins favorables. Ces essais thérapeutiques concernent essentiellement des sujets plus ou moins volontaires pour une tentative d’arrêt et les résultats ne peuvent évidemment pas être extrapolés à l’ensemble des fumeurs. Certes, les conditions extérieures, tels les interdits ou l’espoir d’une nouvelle chance d’arrêt, conduisent certains à faire une tentative, mais une forte motivation personnelle reste un des éléments essentiels du succès, et 20 % seulement des fumeurs sont réellement prêts à l’arrêt. Nous connaissons encore très mal les facteurs capables d’influencer la motivation profonde et la confiance en soi pour l’arrêt, deux éléments essentiels lors d’une tentative de sevrage. Les traitements médicamenteux actuels de la dépendance tabagique interviennent essentiellement à la phase initiale. Ils agissent sur les symptômes de sevrage, présents lorsqu’il existe une dépendance physique. Les populations incluses dans ces études sont constituées de fumeurs dont les consommations moyennes dépassent 15 cigarettes par jour dans la majorité des cas et qui ont donc une dépendance physique. Les résultats relatifs par rapport au groupe * FTND : Fagerström Test for Nicotine Dependance (version de 1991 à dix questions). .JTFTBVQPJOU .JTFT BVQPJOU placebo sont d’autant plus favorables que la dépendance physique est plus importante (4). Mais celle-ci peut manquer. Ces médications n’influencent pas ou peu, au moins dans les stratégies actuelles d’utilisation, l’addiction au sens large du terme, c’està-dire la perte du contrôle de la consommation. Celle-ci peut exister en l’absence de toute dépendance physique et persister après disparition de celle-ci. L’addiction a pour traduction essentielle le craving, c’està-dire la pulsion irrésistible à reprendre une cigarette. Les facteurs responsables en sont multiples : les circonstances de l’environnement, les “stimuli évocateurs” ou “déclencheurs” (la cue reactivity). Également les situations émotionnelles, le plus souvent négatives, tous les événements stressants, mais également positifs : fêtes, détente… Le mécanisme du craving est différent de celui du syndrome de sevrage et les processus neurobiologiques responsables impliqueraient les systèmes GABAergiques et glutamatergiques, ainsi que les récepteurs dopaminergiques D3. Des médications spécifiques seraient alors nécessaires, tels certains “anticonvulsivants” (topiramate, gabapantine, valproate)… (8) ou des molécules agissant sur les récepteurs D3 (tel le BP897) (9). Des résultats expérimentaux et cliniques s’inscrivent en faveur de ce concept. Des études complémentaires ont évalué les résultats de la poursuite du traitement. Pour les médications nicotiniques, une métaanalyse des résultats a montré qu’un traitement prolongé au-delà des trois mois traditionnels réduisait le pourcentage des rechutes (11). Dans l’exemple de la Lung Health Study, certains fumeurs ont pu maintenir leur abstinence tabagique en poursuivant les apports nicotiniques par gommes jusqu’à 5 ans (12). Dans notre expérience clinique quotidienne, nous rencontrons souvent des fumeurs qui conservent pendant des années un traitement nicotinique oral à des doses de 10 à 15 gommes (ou équivalents) par jour. Beaucoup disent utiliser la gomme comme la cigarette : le matin pour calmer le besoin, dans la journée en cas de stress, après le café ou dans les situations nécessitant un travail intellectuel, parfois, surtout chez la femme, comme coupe-faim. Ces ex-fumeurs sont restés dépendants à la nicotine sous forme de substituts oraux. Ce sont, dans la plupart des cas dans l’expérience de Créteil, des sujets ayant des troubles anxieux et/ou dépressifs plus ou moins patents. Tout se passe comme si la nicotine constituait pour eux un psychotrope, à la fois anxiolytique et antidépresseur (13). Pour le bupropion, dans certaines études la prolongation du traitement sur plusieurs mois supplémentaires a augmenté le pourcentage de succès à un an. Il semble en être de même pour la varénicline. Mais qu’en sera-t-il à plus long terme, un an et plus ? Dans tous les essais effectués pour l’aide à l’arrêt du tabac, plusieurs faits essentiels concernant la dépendance tabagique ne sont pas pris en compte. Sa nature et son intensité sont variables d’un fumeur à l’autre et nous n’avons pas de tests permettant d’évaluer de façon précise ces différents aspects. La dépendance tabagique est une maladie chronique que nous traitons comme un processus aigu. Les causes et mécanismes en sont multiples et nous lui opposons une pharmacothérapie uniforme. L’heure est venue d’étudier des stratégies adaptées à toutes les caractéristiques de la dépendance tabagique… Un traitement sur mesure, à la carte ! Il n’y a pas et il n’y aura jamais de panacée pour l’arrêt du tabac : c’est un mythe encore trop répandu. n Références bibliographiques 1. Etter JF. Cytisine for smoking cessation.Arch Inter Med 2006;166:1653-9. Deux auto-alcootests anti-démarrage Brèves Saab, la firme suédoise et TruTouch Technologies, l’américaine, ont mis au point deux auto-éthylotests anti-démarrage : le premier, l’AlcoKey, (320 euros) déjà opérationnel sur certains modèles Saab, a reçu le soutien du ministère des Transports suédois. Avant de pouvoir démarrer son véhicule, le conducteur doit d’abord souffler dans l’embout du dispositif pendant environ trois secondes. Le souffle passe sur une minuscule sonde à l’intérieur de l’unité qui va immédiatement allumer une diode verte ou rouge sur l’AlcoKey. Le signal vert lève, par signal radio, le verrou électronique du moteur. Reste qu’il peut être déclenché par un passager et non par le conducteur. Le modèle américain, mis à disposition de la police américaine, dispose d’un capteur optique placé sur le volant ou le levier de vitesse qui permet, en 30 secondes, de quantifier le niveau 2. Granon S, Faure S, Changeux JP. Executive and social behaviors under nicotine receptor regulation. Proc Natl Acad Sci 2003;100:9596-601. 3. Jorenby D, Hays J, Rigotti N et al. Efficacy of varenicline on α4-β2 nicotinic acetylcholine partial agonist versus placebo or sustained release bupropion for smoking cessation. JAMA 2006;296:56-63. 4. Swartz S, Gonzales D, Billing C. The effect of nicotine dependence level on quit outcomes with varenicline: results of a pooled analysis of controlled trials. Proceeding of the Annual Meeting of Society for Research on Nicotine and Tobacco. Austin 2007:32. 5. Lagrue G, Cormier S, Mautrait C et al. Constipation à l’arrêt du tabac. Presse Med 2006;35:246-8. 6. Afssaps. Recommandations de bonnes pratiques cliniques. Les stratégies médicamenteuses et non médicamenteuses de l’aide à l’arrêt du tabac. Alcoologie-Addictologie 2003;25:S189-S202. 7. Lagrue G, Cormier S, Mautrait C. Les substituts nicotiniques : de la théorie à la pratique. Alcoologie-Addictologie 2005;27:125-30. 8. 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Les articles publiés dans Le Courrier des addictions le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. d’alcool dans le sang du conducteur “effectif”. www.trutouchtechnologies.com. www.saab.fr/main/FR/fr/pressreleases/7/index.shtml. In: Actualités Alcool, n° 33, www.inpes.sante.fr L’alcool, champion des retraits de permis La conduite sous l’empire de l’alcool est restée, en 2006, le principal motif de suspension administrative du permis de conduire avec 81 % de l’ensemble (soit 137 000 procédures). Un pourcentage en hausse de 6 % par rapport à 2005. Quant à la conduite sous stupéfiants, elle a, pour sa part, provoqué près de 2 500 suspensions administratives contre 2 083 en 2005 et 789 en 2004. Le nombre de retraits de permis pour excès de vitesse, en revanche, a atteint près de 30 000, soit une baise de 2 % par rapport à l’année d’avant. Ministère de l’Intérieur. 83 Le Courrier des addictions (9) ­– n° 3 – juillet-août-septembre 2007