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La varénicline : espoir et réalités
Réflexions sur le traitement pharmacologique de la dépendance tabagique
Varenicline: hopes and realities. Reflections about
medications used to help people quitting tobacco
G. Lagrue*
Mots-clés : Dépendance tabagique, Varénicline.
Key words: Smoking dependance, Varenicline.
Un nouveau médicament “antitabac” vient d’être mis sur le marché, lancé
à grands renforts d’actions de marketing et de relais médiatiques. Comme
cela s’était déjà produit antérieurement pour les médications nicotiniques, les
gommes, les timbres, et aussi le bupropion, cette nouvelle a suscité un grand
engouement. Les journalistes, toujours avides de sensationnel, ont annoncé le
traitement “miracle”, la “pilule antitabac”. De nombreux fumeurs, en difficultés avec le tabac, se sont précipités pour en demander la prescription à leur
médecin, dans l’espoir de résoudre les problèmes auxquels ils se sentaient
confrontés. La mise sur le marché de la varénicline a en plus, hasard heureux,
coïncidé avec l’application, au 1er février 2007, du décret sur les interdits.
Cette décision, dont l’intérêt est majeur, a contribué à motiver de nombreux
fumeurs à une tentative d’arrêt. Sur les trois derniers mois, les ventes de timbres, gommes et autres médications nicotiniques ont explosé et la varénicline
a suivi. En deux mois, près de 100 000 traitements ont été vendus ! Mais
c’est généralement un feu de paille et, plus ou moins rapidement, les ventes
retombent et se stabilisent à un niveau variable selon l’efficacité du produit,
comme cela a été le cas avec les médications nicotiniques, et surtout avec le
bupropion. Premier bilan.
Varenicline is a new interesting medication used to help people stop smocking. It works by blocking the
pleasant effects of nicotine on the brain.As usual, media has announced the marketing of this medication
as a new “panacea”, an “anti-tobacco pill”, to help quitting tobacco. Its big success during the three first
months in France is partly due to the “snowballing” effect of the enforcement of decrees of strickly no
smoking in public places on 1 february 2007. Just as for the sales of the other medications for smoking
cessation (patches, pills, gums and bupropion too).Will be a short-lived success ? It’s not certain. But it’s
the time for a first assessment...
dans sa structure moléculaire certains éléUne nouvelle approche
ments proches de la nicotine. La cytisine
pharmacologique
est utilisée depuis plus de 40 ans dans les
pays d’Europe de l’Est, en particulier la PoLa varénicline est une nouvelle médication logne, où elle est spécialisée sous le nom
dérivée de la “cytisine”, molécule extraite de Tabex® (comprimé à 1,5 mg). Une métad’une plante le Cytisa Viburnum et ayant analyse des résultats publiés dans ces pays
a été faite par J.F Etter. Dans des études
contrôlées, les pourcentages d’abstinence
* Centre de tabacologie, hôpital Albert-Chenevier,
94000 Créteil.
sont bons, avec des odds-ratios de 1,8 à 1,9
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Rappel concernant les propriétés
des agonistes*
Un agoniste total (par exemple la nicotine) provoque une réponse identique à
celle de l’agoniste naturel (ici l’acétylcholine), c’est-à-dire l’ouverture complète du canal ionique avec la production
du neurotransmetteur (ici la dopamine).
La réponse à un agoniste partiel dépend
de la quantité de l’agoniste :
– en présence de l’agoniste, le canal ionique
est ouvert en permanence, l’agoniste partiel
va diminuer l’ouverture du canal : il se comporte alors comme un antagoniste ;
– en l’absence de l’agoniste, le canal est
fermé et l’agoniste partiel va amener une
semi-ouverture du canal ionique, avec
une production du neurotransmetteur,
mais plus faible que celle de l’agoniste.
Ainsi, quel que soit l’état initial du canal,
la résultante de l’action de l’agoniste partiel est un état de semi-ouverture du canal ionique. L’agoniste partiel peut donc
avoir deux actions différentes :
– soit réduire une activité importante ;
– soit générer une production du neurotransmetteur, mais plus faible que celle de
l’agoniste.
Avant l’arrêt du tabac, la nicotine est présente, le canal est ouvert et le neurotransmetteur (exemple la dopamine) est produit
en forte quantité. Un agoniste partiel, la varénicline, va diminuer l’ouverture du canal,
et réduire la production de dopamine ; la
sensation de récompense et le renforcement
positif sont moindres : cela peut entraîner
une réduction de la consommation.
Après l’arrêt du tabac, en l’absence de nicotine, le canal est fermé et la dopamine
n’est plus produite, entraînant une sensation
de manque. L’agoniste partiel va ouvrir le
canal avec une efficacité intrinsèque plus
faible que celle de la nicotine, et insuffisante pour réduire le manque en cas de forte
dépendance.
* D’après le livre de S. Stahl. Psychopharmacologie essentielle. Médecine-Sciences Flammarion 2000;vol.1:82-94.
par rapport au placebo. Mais la méthodologie ne semble pas de qualité suffisante
(1). La cytisine est bien connue dans les
travaux pharmacologiques concernant les
récepteurs nicotiniques : c’est en effet un
agoniste partiel de ce récepteur.
La varénicline constitue une nouvelle approche pharmacologique du traitement de
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Vignette clinique : André P., 60 à 80 cigarettes par jour...
Monsieur André P., âgé de 62 ans, consulte au centre de tabacologie début avril 2007.
Son tabagisme est ancien, ayant débuté à l’âge de 14 ans, et devenu régulier dès 16
ans. Il a augmenté progressivement, atteignant 60 à 80 cigarettes par jour à 40 ans.
Plusieurs tentatives de sevrage ont été faites : l’une, avec les “timbres nicotine” est interrompue à la deuxième semaine en raison d’une réaction allergique très intense. Cela
s’est reproduit immédiatement lors de deux tentatives ultérieures. Il vient de faire une
cure de varénicline de trois mois. Dès la première semaine, il a réduit sa consommation
entre 20 et 30 cigarettes par jour. Cela s’est produit sans effort, car dès les premiers
jours, la fumée de tabac a perdu son goût et il n’a plus ressenti de plaisir. Mais à partir
de 30 cigarettes par jour, une sensation de besoin, de manque est apparue. Il a été obligé
de fumer, sans plaisir, dit-il. Après la fin du traitement (le 12 avril), la consommation
s’est élevée rapidement jusqu’à 50 cigarettes par jour (17 avril). Le goût du tabac et le
plaisir de fumer sont réapparus.
Cette évolution illustre bien les propriétés d’un agoniste partiel. En présence du tabagisme, l’action antagoniste de la varénicline intervient, avec pour conséquence une
diminution de la sensation de plaisir, c’est-à-dire du renforcement positif. Cela aboutit à
la réduction du nombre de cigarettes fumées. Mais en raison de l’intensité de la dépendance physique, en deçà de 30 cigarettes par jour, l’action agoniste partielle n’est pas
suffisante pour supprimer la sensation de manque. Le besoin oblige le sujet à augmenter
sa consommation. Devant cette situation, exceptionnelle en raison de l’intensité de la dépendance (score à 10 au test de Fagerström), le programme suivant lui a été proposé :
A Reprendre la varénicline aux doses usuelles en mesurant quotidiennement la consommation.
A Associer ultérieurement un traitement nicotinique. Les timbres ne pouvant être utilisés
en raison des antécédents allergiques, des substituts nicotiniques oraux sont conseillés,
utilisés à la demande chaque fois que survient le besoin de fumer. Avec 10 à 12 tablettes
à 1,5 mg par jour, l’arrêt complet est obtenu en moins d’une semaine.
la dépendance tabagique (DT). Comme la
cytisine, c’est un agoniste partiel, sélectif
des récepteurs nicotiniques α4-β2, commercialisé sous le nom de Champix®. La
varénicline intervient sur le mécanisme
essentiel de la DT, l’action de la nicotine
sur les récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine (R.NAch) présents dans le cerveau.
Ce récepteur est un canal ionique comportant 17 sous-unités dénommées α et β. Le
site principal d’action de la nicotine se situe
précisément sur les sous-unités α4-β2. Les
travaux de J.P. Changeux et de son équipe
ont démontré un fait essentiel : chez des
souris mutantes, dont les R.NAch sont dépourvus de la sous-unité β2, les propriétés
addictives et cognitives de la nicotine disparaissent (2).
La varénicline a une action nicotine-like
partielle. Elle prend la place de la nicotine
sur ces récepteurs et réduirait ainsi à la fois
le renforcement positif, la récompense,
et partiellement le renforcement négatif,
c’est-à-dire la sensation de manque et le
syndrome de sevrage. En fait, le mécanisme
d’action d’un agoniste partiel rend difficile
l’interprétation de ses effets thérapeutiques
éventuels chez un fumeur : ceux-ci seront
différents si le sujet fume encore ou au
contraire s’il arrête de fumer (voir encadré
p. 82).
À la phase initiale du traitement, avant l’arrêt du tabac, la varénicline diminuerait la
sensation de récompense, réduisant ainsi le
renforcement positif. Après l’arrêt, l’effet
agoniste peut réduire le manque, mais de façon insuffisante dans le cas de dépendance
forte. C’est ce qu’illustre la vignette clinique
(encadré ci-dessus).
Il serait donc très important de connaître l’évolution du tabagisme la première
semaine, mais ces effets ne sont habituellement pas notés dans les protocoles. Au
cours des essais du bupropion, un fait a
été constaté chez des fumeurs ayant reçu le
produit actif : dès le troisième ou quatrième
jour, le plaisir de la cigarette a disparu, son
goût est devenu désagréable. L’observation
rapportée dans la vignette clinique suggère
qu’il pourrait en être de même pour la varénicline. Il serait très intéressant d’étudier ce
phénomène et de voir s’il est prédictif d’un
arrêt ultérieur.
Des études obéissant aux règles des essais
thérapeutiques ont été mises en place aux
États-Unis puis en Europe, comparant varénicline, bupropion et placebo après 3 mois
de traitement. Elles ont d’abord porté sur
l’action à court terme et sur les résultats à
un an (3).
Tableau I.
% d’abstinents
Varénicline
Bupropion Placebo
à 3 mois
44 %
30 %
18 %
à 12 mois
22 %
16 %
10 %
Ainsi, l’action de la varénicline se révèle
significativement supérieure à celles du bupropion et du placebo dans un traitement
de 3 mois. Comme dans tous les essais
thérapeutiques, portant sur trois mois, il
y a toujours un pourcentage important de
rechutes entre trois et douze mois, de l’ordre de 50 %, mais comparable pour chaque
groupe : le bénéfice relatif acquis persiste.
Le deuxième essai a étudié les effets d’un
traitement prolongé. Il a porté sur cent sujets abstinents après trois mois de traitement
par la varénicline. Ils ont alors reçu pour les
trois mois suivants, soit la varénicline, soit
un placebo.
Tableau II.
% abstinents
Varénicline Placebo
entre 3 et 6 mois
45 %
18 %
entre 3 et 12 mois
22 %
8%
Ces résultats confirment l’intérêt d’un traitement prolongé de la varénicline comme
pour le bupropion et pour le traitement
nicotinique (TN). Dans toutes ces études,
l’administration de varénicline a été associée à une prise en charge psychologique
(psychological counseling, c’est-à-dire une
application des stratégies comportementales et cognitives), avec un suivi régulier.
Tableau III. Résultats de la varénicline en fonction du degré de dépendance physique.
Dépendance physique (FNDT)
Fin de traitement 12 semaines
52 semaines
Varénicline
Placebo
OR
Varénicline
Placebo
OR
Légère (score 0-3)
55,1
18,9
5,6
27,9
12
2,8
Importante (score > 7)
35,9
9,6
5,3
20,5
10,3
2,2
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Comme avec le TN et le bupropion, la prise
de poids a été ralentie et différée.
Les effets contraires sont, comme on pouvait s’y attendre, comparables à ceux du
TN : les troubles les plus fréquents, causes
possibles d’arrêt, sont des nausées, des
céphalées, des insomnies, une augmentation de l’activité onirique, c’est-à-dire les
symptômes observés en cas de surdosage
de nicotine. Dans de rares cas (3 %), l’arrêt
brutal de la varénicline a été suivi d’irritabilité et de troubles du sommeil, ce qui
peut être interprété comme un syndrome
de sevrage. La constipation (8 % des cas),
signalée comme effet contraire de la varénicline, est plus vraisemblablement liée à
l’arrêt du tabac (5). Enfin, la varénicline est
contre-indiquée au cours de la grossesse et
de l’allaitement.
Intérêts et limites
Des données complémentaires ont été apportées lors du récent congrès Nicotine and Tabacco Research, de février 2007. Une métaanalyse a confirmé l’efficacité vis-à-vis du
placebo (OR : 2,80) et du bupropion (OR :
1,19). Des effets positifs sont obtenus aussi
bien pour les dépendances faibles que pour
les dépendances sévères (évaluées par le
test de Fagerström). Il en est de même que
le nombre de cigarettes soit faible ou important. L’action sur le syndrome de manque peut être insuffisante si la dépendance
physique est importante et les pourcentages
d’abstinence sont plus faibles dans cette situation (4).
L’ensemble de ces résultats permet de souligner à la fois l’intérêt et les limites actuelles
de cette nouvelle molécule :
 Il est évidemment important pour les médecins de pouvoir disposer d’un nouveau
médicament réellement actif pour l’arrêt du
tabac. La varénicline peut ainsi constituer
un recours lorsque les autres médications
sont contre-indiquées, ont échoué ou ont
donné des effets contraires (par exemple
une allergie au timbre). Également lorsque
l’attrait de la nouveauté contribue à inciter
le fumeur à une tentative d’arrêt.
 Le traitement par la varénicline revient
en fait à donner une médication qui a, de
par sa nature, des effets voisins de ceux
de la nicotine. Dans les recommandations
de l’AMM, l’administration concomitante
d’un substitut nicotinique a entraîné une
diminution significative de la pression artérielle systolique et la survenue de nausées,
de céphalées, de lipothymie. Ce sont, en
fait, des symptômes de surdosage nicotinique. Il serait important de savoir si ces
troubles ont été observés chez les fumeurs
les moins dépendants, ce qui est vraisemblable.
 Les doses de la varénicline sont obligatoirement fixes alors que celles de la nicotine
peuvent être modulées et adaptées au degré
de dépendance (6) : avec une telle stratégie, les pourcentages d’arrêt sont beaucoup
plus élevés, ayant atteint 100 % à deux mois
dans l’étude de Dale (7), et près de 75 % à
3 mois dans l’expérience de Créteil. Ainsi
le timbre nicotine, avec l’adaptation des
doses et l’association aux substituts oraux,
peut donner actuellement des résultats supérieurs à ceux du bupropion ou de la varénicline, tout au moins dans leurs modalités
actuelles d’utilisation. Il serait fallacieux de
vouloir comparer les résultats de la varénicline à ceux du timbre nicotine. Si, comme
cela a été fait dans les essais du bupropion,
on utilise pour la nicotine les doses standards initiales de l’AMM, les conclusions
obtenues sont évidemment faussées : dans
l’expérience clinique quotidienne et dans
les recommandations récentes de l’Afpssaps, pour avoir l’efficacité maximale, les
doses doivent être adaptées au degré de dépendance (6).
 Dans les fortes dépendances, des troubles psychiatriques et/ou l’usage d’autres
substances sont présents dans près de la
moitié des cas. Ils doivent obligatoirement
être analysés et leur présence modifie les
indications thérapeutiques. On ne connaît
pas les résultats éventuels de la varénicline
dans cette situation, non plus que ses interactions avec les médications alors utilisées,
antidépresseurs, anxiolytiques, thymorégulateurs…
 La varénicline constitue, certes, un progrès, à la fois pour le traitement et pour la
compréhension du mécanisme de la dépendance tabagique, en confirmant le rôle essentiel de la nicotine, mais sa place réelle
parmi les médications du sevrage tabagique reste encore à préciser. Les données
pharmacologiques pourraient conduire à
proposer, à titre d’hypothèse, l’attitude suivante pour l’emploi de cette nouvelle médication : utilisation dans un premier temps
de la varénicline seule, avec pour objectif
de réduire le renforcement positif. Très rapidement, en cas de dépendance physique
importante (score > 7 au FTND*) ou en
cas d’apparition de symptômes de sevrage,
l’association de substituts nicotiniques avec
des modalités est à étudier.
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Des biais de sélection
Depuis maintenant près de vingt ans, de
très nombreuses études ont été publiées
concernant les résultats obtenus par les médications ayant pour objectif l’aide à l’arrêt
du tabac. Seules se sont révélées actives, les
différentes formes de substituts nicotiniques
(timbres, gommes, pastilles, inhaleur…), le
bupropion et la varénicline. Mais cette efficacité n’est que relative.
Une première réserve d’ordre général doit
être faite : ces essais thérapeutiques sont
toujours réalisés sur des populations sélectionnées avec de nombreux critères d’exclusion : ce sont des fumeurs en bon état général, indemnes de complications somatiques
et, en particulier, de celles liées au tabac,
en l’absence de tout trouble psychiatrique
connu et, en particulier, d’états dépressifs.
Or toutes ces situations sont rencontrées
chez plus d’un fumeur sur deux, dans les
consultations de tabacologie, comme le
montre le registre national des centres de
tabacologie (CDT) (8). Les sujets ainsi sélectionnés sont donc différents des fumeurs
vus dans les consultations. Il est indispensable d’adapter les données de ces essais à
la réalité quotidienne, à “la vraie vie”. Les
résultats risquent d’être moins favorables.
Ces essais thérapeutiques concernent essentiellement des sujets plus ou moins
volontaires pour une tentative d’arrêt et
les résultats ne peuvent évidemment pas
être extrapolés à l’ensemble des fumeurs.
Certes, les conditions extérieures, tels les
interdits ou l’espoir d’une nouvelle chance
d’arrêt, conduisent certains à faire une tentative, mais une forte motivation personnelle reste un des éléments essentiels du
succès, et 20 % seulement des fumeurs sont
réellement prêts à l’arrêt. Nous connaissons encore très mal les facteurs capables
d’influencer la motivation profonde et la
confiance en soi pour l’arrêt, deux éléments
essentiels lors d’une tentative de sevrage.
Les traitements médicamenteux actuels de
la dépendance tabagique interviennent essentiellement à la phase initiale. Ils agissent
sur les symptômes de sevrage, présents
lorsqu’il existe une dépendance physique.
Les populations incluses dans ces études sont constituées de fumeurs dont les
consommations moyennes dépassent 15 cigarettes par jour dans la majorité des cas
et qui ont donc une dépendance physique.
Les résultats relatifs par rapport au groupe
* FTND : Fagerström Test for Nicotine Dependance (version
de 1991 à dix questions).
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placebo sont d’autant plus favorables que la
dépendance physique est plus importante
(4). Mais celle-ci peut manquer. Ces médications n’influencent pas ou peu, au moins
dans les stratégies actuelles d’utilisation,
l’addiction au sens large du terme, c’està-dire la perte du contrôle de la consommation. Celle-ci peut exister en l’absence
de toute dépendance physique et persister
après disparition de celle-ci. L’addiction a
pour traduction essentielle le craving, c’està-dire la pulsion irrésistible à reprendre une
cigarette. Les facteurs responsables en sont
multiples : les circonstances de l’environnement, les “stimuli évocateurs” ou “déclencheurs” (la cue reactivity). Également
les situations émotionnelles, le plus souvent
négatives, tous les événements stressants,
mais également positifs : fêtes, détente…
Le mécanisme du craving est différent de
celui du syndrome de sevrage et les processus neurobiologiques responsables impliqueraient les systèmes GABAergiques et
glutamatergiques, ainsi que les récepteurs
dopaminergiques D3. Des médications spécifiques seraient alors nécessaires, tels certains “anticonvulsivants” (topiramate, gabapantine, valproate)… (8) ou des molécules
agissant sur les récepteurs D3 (tel le BP897)
(9). Des résultats expérimentaux et cliniques
s’inscrivent en faveur de ce concept.
Des études complémentaires ont évalué les
résultats de la poursuite du traitement. Pour
les médications nicotiniques, une métaanalyse des résultats a montré qu’un traitement prolongé au-delà des trois mois traditionnels réduisait le pourcentage des rechutes (11). Dans l’exemple de la Lung Health
Study, certains fumeurs ont pu maintenir
leur abstinence tabagique en poursuivant
les apports nicotiniques par gommes jusqu’à 5 ans (12). Dans notre expérience clinique quotidienne, nous rencontrons souvent des fumeurs qui conservent pendant
des années un traitement nicotinique oral à
des doses de 10 à 15 gommes (ou équivalents) par jour. Beaucoup disent utiliser la
gomme comme la cigarette : le matin pour
calmer le besoin, dans la journée en cas de
stress, après le café ou dans les situations
nécessitant un travail intellectuel, parfois,
surtout chez la femme, comme coupe-faim.
Ces ex-fumeurs sont restés dépendants à la
nicotine sous forme de substituts oraux. Ce
sont, dans la plupart des cas dans l’expérience de Créteil, des sujets ayant des troubles anxieux et/ou dépressifs plus ou moins
patents. Tout se passe comme si la nicotine
constituait pour eux un psychotrope, à la
fois anxiolytique et antidépresseur (13).
Pour le bupropion, dans certaines études
la prolongation du traitement sur plusieurs
mois supplémentaires a augmenté le pourcentage de succès à un an. Il semble en être
de même pour la varénicline. Mais qu’en
sera-t-il à plus long terme, un an et plus ?
Dans tous les essais effectués pour l’aide
à l’arrêt du tabac, plusieurs faits essentiels
concernant la dépendance tabagique ne sont
pas pris en compte. Sa nature et son intensité
sont variables d’un fumeur à l’autre et nous
n’avons pas de tests permettant d’évaluer de
façon précise ces différents aspects. La dépendance tabagique est une maladie chronique
que nous traitons comme un processus aigu.
Les causes et mécanismes en sont multiples et
nous lui opposons une pharmacothérapie uniforme. L’heure est venue d’étudier des stratégies adaptées à toutes les caractéristiques de
la dépendance tabagique… Un traitement sur
mesure, à la carte ! Il n’y a pas et il n’y aura
jamais de panacée pour l’arrêt du tabac : c’est
un mythe encore trop répandu.
n
Références bibliographiques
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Deux auto-alcootests anti-démarrage
Brèves
Saab, la firme suédoise et TruTouch Technologies, l’américaine,
ont mis au point deux auto-éthylotests anti-démarrage : le premier,
l’AlcoKey, (320 euros) déjà opérationnel sur certains modèles Saab,
a reçu le soutien du ministère des Transports suédois. Avant de
pouvoir démarrer son véhicule, le conducteur doit d’abord souffler dans l’embout du dispositif pendant environ trois secondes. Le
souffle passe sur une minuscule sonde à l’intérieur de l’unité qui
va immédiatement allumer une diode verte ou rouge sur l’AlcoKey. Le signal vert lève, par signal radio, le verrou électronique du
moteur. Reste qu’il peut être déclenché par un passager et non par
le conducteur. Le modèle américain, mis à disposition de la police
américaine, dispose d’un capteur optique placé sur le volant ou le
levier de vitesse qui permet, en 30 secondes, de quantifier le niveau
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Imprimé en France - EDIPS - Quétigny - Dépôt
légal 3e trimestre 2007 - © décembre 1998
- DaTeBe édition. Les articles publiés dans Le
Courrier des addictions le sont sous la seule
responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de
traduction, d’adaptation et de reproduction
par tous procédés réservés pour tous pays.
d’alcool dans le sang du conducteur “effectif”.
www.trutouchtechnologies.com. www.saab.fr/main/FR/fr/pressreleases/7/index.shtml. In: Actualités Alcool, n° 33, www.inpes.sante.fr
L’alcool, champion des retraits de permis
La conduite sous l’empire de l’alcool est restée, en 2006, le principal
motif de suspension administrative du permis de conduire avec 81 %
de l’ensemble (soit 137 000 procédures). Un pourcentage en hausse
de 6 % par rapport à 2005. Quant à la conduite sous stupéfiants, elle
a, pour sa part, provoqué près de 2 500 suspensions administratives
contre 2 083 en 2005 et 789 en 2004. Le nombre de retraits de permis
pour excès de vitesse, en revanche, a atteint près de 30 000, soit une
baise de 2 % par rapport à l’année d’avant. Ministère de l’Intérieur.
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