Le Courrier des addictions (12) – n ° 2 – avril-mai-juin 2010 14
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À partir de là, différentes interactions sont pos-
sibles : les effets agonistes d’une substance in-
teragissent avec les effets agonistes de l’autre ;
les effets de manque de l’une interagissent avec
ceux de l’autre ; enfin les effets de manque de
l’une peuvent être influencés par les effets ago-
nistes de l’autre. Une étude chez 40 patients (8)
a montré que la méthadone et la nicotine ont en
commun des effets positifs (euphorie, stimula-
tion) et des effets négatifs (irritabilité, somno-
lence et dépression) en phase de sevrage, ce qui
conduit a maintenir une consommation impor-
tante de cigarettes avec forte inhalation, no-
tamment au moment des prises de méthadone
et surtout dans les moments d’attente comme
on peut l’observer en pratique quotidienne !
Enfin, les personnels de santé des centres ap-
paraissent eux-mêmes peu motivés à s’impli-
quer dans une telle action contre le tabagisme
pour de multiples raisons (1, 5, 16) : certains
sont fumeurs eux-mêmes et il serait intéres-
sant d’en connaître le nombre – les interdits
ne sont pas appliqués. Les substituts ne sont
pas fournis alors que la méthadone et la bupré-
norphine le sont. Les soignants n’ont pas reçu
la formation nécessaire. La situation semble
peu différente aux États-Unis où moins de 1
centre sur 3 offre une aide à l’arrêt (13).
Les conditions
de la réussite
Cette prise en charge spécifique ne pourrait
être réalisée que par une équipe pluridiscipli-
naire comportant : addictologues, psychiatres,
psychologues, généralistes… Les deux dépen-
dances, opioïdes-tabac, et leurs traitements
agonistes apportent un enseignement réci-
proque avec le constat de stratégies d’utilisa-
tion proches : il faut utiliser des posologies
adaptées idéalement modulées en fonction
des concentrations sanguines de méthadone
et de cotinine, marqueur principal des apports
nicotiniques. Le traitement doit être très pro-
longé, car les arrêts trop précoces sont tou-
jours suivis de rechutes. Les troubles psychia-
triques associés sont fréquents et doivent être
traités simultanément.
L’utilisation de la varénicline, agoniste partiel,
devrait être étudiée systématiquement (10), de
même que celle du bupropion (14).
En reprenant les idées de J.J. Déglon, il est
possible de proposer une interprétation gé-
nérale. Toute dépendance (ou addiction) est
une maladie chronique dont il faut comparer
la prise en charge à celle de l’hypertension ou
du diabète. Elle est le plus souvent le témoin
d’une souffrance psychologique ancienne et la
plupart du temps méconnue : si la souffrance
est moyenne, la cigarette et/ou l’alcool peu-
vent suffire. Si elle est forte, il y a en plus usage
du cannabis ou d’autres substances psychoac-
tives (cocaïne surtout). Si elle est très forte, il
y en aura plusieurs, dont l’héroïne.
La chronologie est presque toujours la même,
la cigarette étant la première drogue utili-
sée dans les pays occidentaux, en raison de
sa large disponibilité. Pour la dépendance à
l’héroïne, la méthadone ou la buprénorphine
corrigent les troubles et, dans certains cas, un
Mieux appréhender les consommations,
dévelopPer la recherche
Chez les fumeurs, le risque est d’autant plus grand qu’il y a association fréquente (+ de 1 cas sur 2) de
l’usage d’autres substances psychoactives, en particulier cannabis-alcool.
Les recherches à entreprendre sont multiples :
Tout d’abord faire un état des lieux avec prévalence réelle de l’usage des substances psychoactives.
Analyser les données neurobiologiques concernant l’interaction des diverses substances psy-
choactives sur la dépendance avec une étude précise du tabagisme : intensité avec utilisation de mar-
queurs (CO-cotinine), comorbidités psychiatriques, motivation à l’arrêt.
Ces données étant recueillies, mettre en place un essai thérapeutique multicentrique :
– en fournissant les médications nicotiniques et en adaptant les doses aux besoins réels en nicotine ;
– en prenant en charge simultanément les troubles psychiatriques éventuels ;
– en associant les thérapies cognitivo-comportementales et les entretiens motivationnels.
Essayer ponctuellement d’autres approches médicamenteuses, tout particulièrement la varénicline
en association.
Utiliser la stratégie de réduction du risque tabagique en se servant systématiquement des médica-
tions nicotiniques sous la forme de timbres.
traitement très prolongé (à vie ?) est néces-
saire. Il en est peut-être de même pour la ni-
cotine : certains ex-fumeurs utilisent de façon
prolongée gommes, pastilles ou inhaleur, tels
ceux atteints de BPCO dans la Lungh Health
Study. Dans l’expérience de Créteil, ces ex-
fumeurs ont le plus souvent des troubles an-
xieux-dépressifs associés.
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