Prise en charge des tumeurs germinales de pronostic grave :

Correspondances en Onco-Urologie - Vol. II - n° 2 - avril-mai-juin 2011
78
dossier thématique
Testicules :
formes graves
et mauvais pronostics
Prise en charge des tumeurs germinales
de pronostic grave :
les formes de mauvais pronostic
Treatment of patients with poor risk germ cell tumors
C. Massard*
L’
utilisation des associations de chimiothérapie
à base de cisplatine permet de guérir plus de
80 % des patients atteints d’une tumeur ger-
minale, même au stade métastatique. La majorité des
patients (70 à 90 % des cas) atteints de tumeurs ger-
minales avancées au stade métastatique présentent
une réponse complète avec l’utilisation en première
intention d’une association de chimiothérapie à base
de cisplatine de type BEP (1, 2). À ce jour, 2 problèmes
persistent dans la prise en charge des tumeurs germi-
nales avancées : le traitement des patients atteints de
formes dites de mauvais pronostic” et le traitement
des rechutes (l’une des avancées majeures de la fin
des années 1990 a été l’élaboration d’une classifica-
tion pronostique par l’International Germ-Cell Cancer
Consensus Group [IGCCCG]) [3]. Cette classification
(tableau) identifie 3 groupes pronostiques sur la base
de 3 critères :
la localisation de la tumeur primitive ;
le taux sérique des marqueurs tumoraux ;
la présence de métastases viscérales extrapulmo-
naires.
Les patients affectés au groupe de bon pronostic ont
une probabilité élevée de guérison ; ceux du groupe de
pronostic intermédiaire et ceux du groupe de mauvais
pronostic ont une probabilité de survie à 3 ans de 81 %
et de 50 % respectivement.
Depuis l’identification d’un groupe de patients atteints
de tumeurs germinales non séminomateuses (TGNS) de
mauvais pronostic, un certain nombre de tentatives ont
été faites pour améliorer leurs chances de guérison (4).
Depuis sa publication princeps, en 1987, dans le New
England Journal of Medicine, par l’équipe d’Indiana-
polis, le protocole de chimiothérapie standard utilisé
en cas de TGNS de mauvais pronostic consiste en
l’administration de 4 cycles associant le cisplatine,
la bléomycine et l’étoposide (BEP). Ce protocole de
chimiothérapie a montré sa supériorité par rapport au
protocole PVB associant le cisplatine, la vinblastine et
la bléomycine (5).
Par la suite, les tentatives pour améliorer les résultats
du protocole BEP ont été centrées sur l’augmentation
de l’intensité de la dose de chimiothérapie (6-8), la
chimiothérapie à fortes doses avec un support de cel-
lules souches hématopoïétiques autologues (9, 10),
l’intégration de l’ifosfamide dans la chimiothérapie de
première ligne (11, 12) et le développement de proto-
coles doses-denses alternés (13, 14).
Plusieurs études ont testé l’hypothèse selon laquelle
la chimiothérapie à haute dose avec greffe de moelle
pourrait avoir un bénéfice dans le sous-groupe de
patients de mauvais pronostic. Ainsi, J.P. Droz (Institut
Gustave-Roussy) a mené l’un des premiers essais ran-
domisés testant la chimiothérapie à haute dose par
cisplatine dans les TGNS de mauvais pronostic. Cette
* Institut de cancérologie
Gustave-Roussy, Villejuif.
»
La chimiothérapie à base de cisplatine et la résection chirurgicale
des masses résiduelles ont permis de guérir plus de 80 % des
patients ayant une tumeur germinale métastatique. Cependant,
20 % des sujets présentent une rechute, en particulier ceux
ayant une forme grave selon la classification internationale de
l’IGCCCG, définie en 1997 et fondée sur le site primitif, la présence
de métastases viscérales et le taux des marqueurs tumoraux.
Pour ces patients au pronostic défavorable, différentes stratégies
ont été étudiées ces dernières années : intensification avec
chimiothérapie à hautes doses, chimiothérapie dose-dense,
nouvelles chimiothérapies. À ce jour, le traitement standard de
ces formes graves reste la chimiothérapie par 4 cycles de BEP
définie il y a plus de 20 ans, avec une résection des masses
tumorales résiduelles. Linclusion de ces patients dans les essais
thérapeutiques est une priorité.
Mots-clés : Tumeur germinale – Mauvais pronostic – IGCCCG
– Chimiothérapie à hautes doses – Essais thérapeutiques.
Keywords: Germ cell tumor – Poor risk – IGCCCG – High dose chemo-
therapy – Clinical trials.
Points forts
Correspondances en Onco-Urologie - Vol. II - n° 2 - avril-mai-juin 2011
79
Prise en charge des tumeurs germinales de pronostic grave : les formes de mauvais pronostic
étude, qui a inclus 115 patients, n’a montré aucun
bénéfice avec une augmentation des doses de chimio-
thérapie (14).
Lintergroupe américain a également conduit une étude
évaluant l’intérêt de l’intensification chez les patients
de pronostic défavorable en première ligne de trai-
tement. De 1994 à 2003, 219 patients ont été rando-
misés entre un traitement standard par 4 cycles de BEP
(111/219) et un traitement par 2 cycles de BEP suivis
de 2 intensifications (High Dose Chemotherapy, HDCT)
associant du carboplatine et de l’étoposide (108/219).
À l’origine, l’étude avait été prévue pour ninclure que
des patients du groupe poor prognosis, mais, compte
tenu d’un problème de recrutement, il a été décidé
en 1997 d’inclure aussi des patients avec un pronostic
intermédiaire. Le taux de réponse complète à 1 an nest
pas statistiquement différent entre les 2 bras (52 % après
2 BEP + 2 HDCT versus 48 % après 4 BEP) [15].
Enfin, l’essai de l’EORTC 30974, récemment publié par
G. Daugaard, a inclus 131 patients randomisés entre
4 cycles de BEP et un traitement par cisplatine-éto-
poside-ifosfamide suivi d’intensification. Cette étude
a dû être arrêtée prématurément compte tenu des
difficultés d’inclusion, et elle n’a pas pu montrer de
bénéfice de la chimiothérapie à haute dose dans cette
indication (16).
Pour mieux adapter le traitement à la chimio-sensibilité
tumorale, plusieurs équipes ont cherché à savoir si la
décroissance lente des marqueurs tumoraux pouvait
permettre d’identifier les patients chez lesquels le traite-
ment conventionnel risque d’échouer. Plusieurs études
rétrospectives ont établi ce fait (17-19). Récemment,
R.J. Motzer et al. ont montré la valeur pronostique de
la décroissance des marqueurs au cours du traitement
dans une étude prospective comparant en première
ligne une chimiothérapie HD à un traitement conven-
tionnel (15).
De plus, le suivi de la décroissance des marqueurs
tumoraux peut être utilisé pour guider le traitement
de chimiothérapie. En cas de bonne décroissance des
marqueurs, une chimiothérapie classique de type BEP
est poursuivie. En cas de mauvaise décroissance des
marqueurs, des alternatives thérapeutiques peuvent
être évaluées dans le cadre d’essais thérapeutiques,
telles que la chimiothérapie HD, la chimiothérapie
dose-dense ou l’addition de nouvelles molécules (ifos-
famide, paclitaxel, oxaliplatine, etc.), comme dans l’essai
GETUG13, coordonné par K. Fizazi (Institut Gustave-
Roussy) [encadré].
Enfin, une meilleure connaissance de la biologie des
tumeurs germinales pourrait permettre de proposer de
nouvelles thérapies moléculaires ciblant des altérations
Tableau. Classification pronostique internationale de consensus des tumeurs germinales.
Tumeurs non séminomateuses Séminomes
BON PRONOSTIC
Tumeur primitive rétropéritonéale ou testiculaire
et pas de métastases autres que pulmonaires
et bons marqueurs :
αFP <1 000ng/ml
et hCG < 5 000 UI/l (1 000 ng/ml)
et LDH < 1,5 x N
Quel que soit le site primitif
et pas de métastases
autresquepulmonaires
et αFP normale,
quelle que soit hCG,
quelle que soit LDH
56 % des tumeurs non séminomateuses
Survie sans récidive à 5 ans : 89 %
Survie globale à 5 ans : 92 %
90 % des séminomes
Survie sans récidive à 5 ans : 82 %
Survie globale à 5 ans : 86 %
PRONOSTIC INTERMÉDIAIRE
Tumeur primitive rétropéritonéale ou testiculaire
et pas de métastases autres que pulmonaires
et marqueurs intermédiaires :
1 000 ng/ml < αFP < 10 000 ng/ml
ou 5 000 UI/l < hCG < 50 000 UI/l
ou 1,5 x N < LDH < 10 x N
Quel que soit le site primitif
et présence de métastases
autresquepulmonaires
et αFP normale,
quelle que soit hCG,
quelle que soit LDH
28 % des tumeurs non séminomateuses
Survie sans récidive à 5 ans : 75 %
Survie globale à 5 ans : 80 %
10 % des séminomes
Survie sans récidive à 5 ans : 67 %
Survie globale à 5 ans : 72 %
MAUVAIS PRONOSTIC
Tumeur médiastinale
ou tumeur testiculaire ou rétropéritonéale primitive
avec présence demétastases autres que pulmonaires
oumauvais marqueurs :
αFP > 10 000 ng/ml
ou hCG > 50 000 UI/l
ou LDH > 10 x N
16 % des tumeurs non séminomateuses
Survie sans récidive à 5 ans : 41 %
Survie globale à 5 ans : 48 %
αFP : alpha-fœtoprotéine ; hCG : hormone chorionique gonadotrope ; LDH : lactate déshydrogénase ; N : normale.
Encadré. Étude de phase III randomisée GETUG13 : stratégie adaptée au
pronostic pour l’usage d’une chimiothérapie dose-dense chez les patients
atteints de TGNS disséminées de mauvais pronostic.
Cet essai, coordonné par le PrK.Fizazi (Institut Gustave-
Roussy), est ouvert aux inclusions en France et permet
d’adapter la stratégie de traitement chez des patients
atteints de TGNS de mauvais pronostic.
Un traitement par BEP est instauré et, en fonction de la
décroissance des marqueurs tumoraux après 1cycle,
les patients sont traités de la façon suivante :
– en cas de décroissance favorable : les patients
continuent le traitement pour un total de 4cycles
de BEP ;
– en cas de décroissance défavorable : les patients
sont randomisés entre le traitement standard (4cycles
de BEP au total) et un traitement par chimiothérapie
dose-dense.
Correspondances en Onco-Urologie - Vol. II - n° 2 - avril-mai-juin 2011
80
dossier thématique
Testicules :
formes graves
et mauvais pronostics
moléculaires impliquées dans le processus oncologique.
Récemment, il a été montré que des mutations de BRAF
et des activations de la voie de réparation de l’ADN
pourraient être des cibles intéressantes.
Conclusion
Même si le pronostic des tumeurs germinales reste
globalement très favorable, il existe clairement un
sous-groupe de malades au pronostic défavorable,
identifié par des critères cliniques et biologiques
validés dans la classification de l’IGCCCG de 1997,
qui permet de guider la thérapeutique. Le traite-
ment standard reste à ce jour une chimiothérapie
par 4 cycles de BEP, avec chirurgie des masses rési-
duelles. Linclusion de ces patients dans des pro-
tocoles théra peutiques (intensification, protocole
GETUG13) est une priorité pour permettre d’amé-
liorer leur devenir.
1.
Culine S, Kramar A, Biron P et al. Chemotherapy in adult
germ cell tumors. Crit Rev Oncol Hematol 1996;22(3):229-63.
2.Bosl GJ, Motzer RJ. Testicular germ-cell cancer. N Engl J Med
1997;337(4):242-53.
3.
International Germ Cell Consensus Classification: a pro-
gnostic factor-based staging system for metastatic germ cell
cancers. International Germ Cell Cancer Collaborative Group.
J Clin Oncol 1997;15:594-603.
4.
Bower M, Newlands ES, Holden L et al. Treatment of men
with metastatic non-seminomatous germ cell tumours with
cyclical POMB/ACE chemotherapy. Ann Oncol 1997;8(5):477-83.
5.Williams SD, Birch R, Einhorn LH et al. Treatment of dis-
seminated germ-cell tumors with cisplatin, bleomycin, and
either vinblastine or etoposide. N Engl J Med 1987;316:1435-40.
6.
Ozols RF, Ihde DC, Marston Linehan W et al. A randomized
trial of standard chemotherapy versus a high-dose chemo-
therapy regimen in the treatment of poor prognosis non-
seminomatous germ-cell tumors. J Clin Oncol 1988;6:1031-40.
7.Nichols CR, Williams SD, Loehrer PJ et al. Randomized study
of cisplatin dose intensity in poor-risk germ cell tumors: a
Southeastern Cancer Study Group and Southwest Oncology
Group protocol. J Clin Oncol 1991;9:1163-72.
8.Amato RJ, Odgen S, Sella A et al. A strategy for a 95% cure
rate in metastatic non-seminomatous germ cell tumors of the
testis. Proc Am Assoc Cancer Res 1992;33:221.
9.
Baume D, Pico JL, Droz JP et al. Value of high-dose chemo-
therapy followed by bone marrow autograft in non-semino-
matous germinal tumor with poor prognosis. Results of the
combination of cisplatinum, etoposide and cyclophosphamide
(PEC protocol). Bull Cancer 1990;77:169-80.
10.
Chevreau C, Droz JP, Pico JL et al. Early intensified chemotherapy
with autologous bone marrow transplantation in first line treatment
of poor risk non-seminomatous germ cell tumours. Preliminary
results of a French randomized trial. Eur Urol 1993;23:213-7.
11.Nichols CR, Catalano PJ, Crawford ED et al. Randomized
comparison of cisplatin and etoposide and either bleomycin
or ifosfamide in treatment of advanced disseminated germ cell
tumors: an Eastern Cooperative Oncology Group, Southwest
Oncology Group, and Cancer and Leukemia Group B Study.
J Clin Oncol 1998;16:1287-93.
12.De Wit R, Stoter G, Sleijfer DT et al. Four cycles of BEP ver-
sus four cycles of VIP in patients with intermediate-prognosis
metastatic testicular non-seminoma: a randomized study of
the EORTC Genitourinary Tract Cancer Cooperative Group.
European Organization for Research and Treatment of Cancer.
Br J Cancer 1998;78:828-32.
13.Fizazi K, Zelek L. One cycle every 3 or 4 weeks: is it obsolete?
A review of dose-dense chemotherapy in solid neoplasms. Ann
Oncol 2000;11:133-49.
14.Droz JP, Kramar A, Biron P et al. Failure of high-dose cyclo-
phosphamide and etoposide combined with double-dose
cisplatin and bone marrow support in patients with high-
volume metastatic nonseminomatous germ-cell tumours:
mature results of a randomised trial. Eur Urol 2007;51:739-46.
15.Motzer RJ, Nichols CJ, Margolin KA et al. Phase III rando-
mized trial of conventional-dose chemotherapy with or without
high-dose chemotherapy and autologous hematopoietic stem-
cell rescue as first-line treatment for patients with poor-progno-
sis metastatic germ cell tumors. J Clin Oncol 2007;25:247-56.
16.Daugaard G, Skoneczna IA, Aaas N et al. A randomized
phase III study comparing standard dose BEP with sequential
high-dose cisplatin, etoposide, ifosfamide (VIP) plus stem cell
support in males and poor prognosis germ cell cancer: an
intergroup study of EORTC, AUO and Grupo Germinal (EORTC
30974). Proc Am Soc Clin Oncol 2010;28:S345.
17.
Toner GC, Geller NL, Tan C et al. Serum tumor marker half-
life during chemotherapy allows early prediction of complete
response and survival in nonseminomatous germ cell tumors.
Cancer Res 1990;50:5904-10.
18.Murphy BA, Motzer RJ, Mazumdar M et al. Serum tumor
marker decline is an early predictor of treatment outcome in
germ cell tumor patients treated with cisplatin and ifosfamide
salvage chemotherapy. Cancer 1994;73:2520-6.
19.
Fizazi K, Culine S, Kramar A et al. Early predicted time to
normalization of tumor markers predicts outcome in poor-
prognosis nonseminomatous germ cell tumors. J Clin Oncol
2004;22(19):3868-76.
Références
1 / 3 100%

Prise en charge des tumeurs germinales de pronostic grave :

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !