Prise en charge des tumeurs germinales de pronostic grave :

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Testicules :
formes graves
et mauvais pronostics
dossier
thématique
Prise en charge des tumeurs germinales
de pronostic grave :
les formes de mauvais pronostic
Treatment of patients with poor risk germ cell tumors
C. Massard*
»»La chimiothérapie à base de cisplatine et la résection chirurgicale
P o i nt s f o rt s
des masses résiduelles ont permis de guérir plus de 80 % des
patients ayant une tumeur germinale métastatique. Cependant,
20 % des sujets présentent une rechute, en particulier ceux
ayant une forme grave selon la classification internationale de
l’IGCCCG, définie en 1997 et fondée sur le site primitif, la présence
de métastases viscérales et le taux des marqueurs tumoraux.
Pour ces patients au pronostic défavorable, différentes stratégies
ont été étudiées ces dernières années : intensification avec
chimiothérapie à hautes doses, chimiothérapie dose-dense,
nouvelles chimiothérapies. À ce jour, le traitement standard de
ces formes graves reste la chimiothérapie par 4 cycles de BEP
définie il y a plus de 20 ans, avec une résection des masses
tumorales résiduelles. L’inclusion de ces patients dans les essais
thérapeutiques est une priorité.
Mots-clés : Tumeur germinale – Mauvais pronostic – IGCCCG
– Chimiothérapie à hautes doses – Essais thérapeutiques.
Keywords: Germ cell tumor – Poor risk – IGCCCG – High dose chemo­
therapy – Clinical trials.
L’
* Institut de cancérologie
Gustave-Roussy, Villejuif.
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utilisation des associations de chimiothérapie
à base de cisplatine permet de guérir plus de
80 % des patients atteints d’une tumeur germinale, même au stade métastatique. La majorité des
patients (70 à 90 % des cas) atteints de tumeurs germinales avancées au stade métastatique présentent
une réponse complète avec l’utilisation en première
intention d’une association de chimiothérapie à base
de cisplatine de type BEP (1, 2). À ce jour, 2 problèmes
persistent dans la prise en charge des tumeurs germinales avancées : le traitement des patients atteints de
formes dites “de mauvais pronostic” et le traitement
des rechutes (l’une des avancées majeures de la fin
des années 1990 a été l’élaboration d’une classification pronostique par l’International Germ-Cell Cancer
Consensus Group [IGCCCG]) [3]. Cette classification
(tableau) identifie 3 groupes pronostiques sur la base
de 3 critères :
✓✓ la localisation de la tumeur primitive ;
✓✓ le taux sérique des marqueurs tumoraux ;
✓✓ la présence de métastases viscérales extrapulmonaires.
Les patients affectés au groupe de bon pronostic ont
une probabilité élevée de guérison ; ceux du groupe de
pronostic intermédiaire et ceux du groupe de mauvais
pronostic ont une probabilité de survie à 3 ans de 81 %
et de 50 % respectivement.
Depuis l’identification d’un groupe de patients atteints
de tumeurs germinales non séminomateuses (TGNS) de
mauvais pronostic, un certain nombre de tentatives ont
été faites pour améliorer leurs chances de guérison (4).
Depuis sa publication princeps, en 1987, dans le New
England Journal of Medicine, par l’équipe d’Indianapolis, le protocole de chimiothérapie standard utilisé
en cas de TGNS de mauvais pronostic consiste en
l’administration de 4 cycles associant le cisplatine,
la bléomycine et l’étoposide (BEP). Ce protocole de
chimiothérapie a montré sa supériorité par rapport au
protocole PVB associant le cisplatine, la vinblastine et
la bléomycine (5).
Par la suite, les tentatives pour améliorer les résultats
du protocole BEP ont été centrées sur l’augmentation
de l’intensité de la dose de chimiothérapie (6-8), la
chimiothérapie à fortes doses avec un support de cellules souches hématopoïétiques autologues (9, 10),
l’intégration de l’ifosfamide dans la chimiothérapie de
première ligne (11, 12) et le développement de protocoles doses-denses alternés (13, 14).
Plusieurs études ont testé l’hypothèse selon laquelle
la chimiothérapie à haute dose avec greffe de moelle
pourrait avoir un bénéfice dans le sous-groupe de
patients de mauvais pronostic. Ainsi, J.P. Droz (Institut
Gustave-Roussy) a mené l’un des premiers essais randomisés testant la chimiothérapie à haute dose par
cisplatine dans les TGNS de mauvais pronostic. Cette
Correspondances en Onco-Urologie - Vol. II - n° 2 - avril-mai-juin 2011
Prise en charge des tumeurs germinales de pronostic grave : les formes de mauvais pronostic
étude, qui a inclus 115 patients, n’a montré aucun
bénéfice avec une augmentation des doses de chimiothérapie (14).
L’intergroupe américain a également conduit une étude
évaluant l’intérêt de l’intensification chez les patients
de pronostic défavorable en première ligne de traitement. De 1994 à 2003, 219 patients ont été randomisés entre un traitement standard par 4 cycles de BEP
(111/219) et un traitement par 2 cycles de BEP suivis
de 2 intensifications (High Dose Chemotherapy, HDCT)
associant du carboplatine et de l’étoposide (108/219).
À l’origine, l’étude avait été prévue pour n’inclure que
des patients du groupe poor prognosis, mais, compte
tenu d’un problème de recrutement, il a été décidé
en 1997 d’inclure aussi des patients avec un pronostic
intermédiaire. Le taux de réponse complète à 1 an n’est
pas statistiquement différent entre les 2 bras (52 % après
2 BEP + 2 HDCT versus 48 % après 4 BEP) [15].
Enfin, l’essai de l’EORTC 30974, récemment publié par
G. Daugaard, a inclus 131 patients randomisés entre
4 cycles de BEP et un traitement par cisplatine-éto­
poside-ifosfamide suivi d’intensification. Cette étude
a dû être arrêtée prématurément compte tenu des
difficultés d’inclusion, et elle n’a pas pu montrer de
bénéfice de la chimiothérapie à haute dose dans cette
indication (16).
Pour mieux adapter le traitement à la chimio-sensibilité
tumorale, plusieurs équipes ont cherché à savoir si la
décroissance lente des marqueurs tumoraux pouvait
permettre d’identifier les patients chez lesquels le traitement conventionnel risque d’échouer. Plusieurs études
rétrospectives ont établi ce fait ­(17-19). Récemment,
R.J. Motzer et al. ont montré la valeur pronostique de
la décroissance des marqueurs au cours du traitement
dans une étude prospective comparant en première
ligne une chimiothérapie HD à un traitement conventionnel (15).
De plus, le suivi de la décroissance des marqueurs
tumoraux peut être utilisé pour guider le traitement
de chimiothérapie. En cas de bonne décroissance des
marqueurs, une chimiothérapie classique de type BEP
est poursuivie. En cas de mauvaise décroissance des
marqueurs, des alternatives thérapeutiques peuvent
être évaluées dans le cadre d’essais thérapeutiques,
telles que la chimiothérapie HD, la chimiothérapie
dose-dense ou l’addition de nouvelles molécules (ifosfamide, paclitaxel, oxaliplatine, etc.), comme dans l’essai
GETUG13, coordonné par K. Fizazi (Institut GustaveRoussy) [encadré].
Enfin, une meilleure connaissance de la biologie des
tumeurs germinales pourrait permettre de proposer de
nouvelles thérapies moléculaires ciblant des altérations
Correspondances en Onco-Urologie - Vol. II - n° 2 - avril-mai-juin 2011
Encadré. Étude de phase III randomisée GETUG13 : stratégie adaptée au
pronostic pour l’usage d’une chimiothérapie dose-dense chez les patients
atteints de TGNS disséminées de mauvais pronostic.
Cet essai, coordonné par le Pr K. Fizazi (Institut GustaveRoussy), est ouvert aux inclusions en France et permet
d’adapter la stratégie de traitement chez des patients
atteints de TGNS de mauvais pronostic.
Un traitement par BEP est instauré et, en fonction de la
décroissance des marqueurs tumoraux après 1 cycle,
les patients sont traités de la façon suivante :
– en cas de décroissance favorable : les patients
continuent le traitement pour un total de 4 cycles
de BEP ;
– en cas de décroissance défavorable : les patients
sont randomisés entre le traitement standard (4 cycles
de BEP au total) et un traitement par chimiothérapie
dose-dense.
Tableau. Classification pronostique internationale de consensus des tumeurs germinales.
Tumeurs non séminomateuses
Séminomes
BON PRONOSTIC
Tumeur primitive rétropéritonéale ou testiculaire
et pas de métastases autres que pulmonaires
et bons marqueurs :
αFP < 1 000 ng/ml
et hCG < 5 000 UI/l (1 000 ng/ml)
et LDH < 1,5 x N
Quel que soit le site primitif
et pas de métastases
autres que pulmonaires
et αFP normale,
quelle que soit hCG,
quelle que soit LDH
56 % des tumeurs non séminomateuses
Survie sans récidive à 5 ans : 89 %
Survie globale à 5 ans : 92 %
90 % des séminomes
Survie sans récidive à 5 ans : 82 %
Survie globale à 5 ans : 86 %
PRONOSTIC INTERMÉDIAIRE
Tumeur primitive rétropéritonéale ou testiculaire
et pas de métastases autres que pulmonaires
et marqueurs intermédiaires :
1 000 ng/ml < αFP < 10 000 ng/ml
ou 5 000 UI/l < hCG < 50 000 UI/l
ou 1,5 x N < LDH < 10 x N
Quel que soit le site primitif
et présence de métastases
autres que pulmonaires
et αFP normale,
quelle que soit hCG,
quelle que soit LDH
28 % des tumeurs non séminomateuses
Survie sans récidive à 5 ans : 75 %
Survie globale à 5 ans : 80 %
10 % des séminomes
Survie sans récidive à 5 ans : 67 %
Survie globale à 5 ans : 72 %
MAUVAIS PRONOSTIC
Tumeur médiastinale
ou tumeur testiculaire ou rétropéritonéale primitive
avec présence de métastases autres que pulmonaires
ou mauvais marqueurs :
αFP > 10 000 ng/ml
ou hCG > 50 000 UI/l
ou LDH > 10 x N
16 % des tumeurs non séminomateuses
Survie sans récidive à 5 ans : 41 %
Survie globale à 5 ans : 48 %
αFP : alpha-fœtoprotéine ; hCG : hormone chorionique gonadotrope ; LDH : lactate déshydrogénase ; N : normale.
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Testicules :
formes graves
et mauvais pronostics
dossier
thématique
moléculaires impliquées dans le processus oncologique.
Récemment, il a été montré que des mutations de BRAF
et des activations de la voie de réparation de l’ADN
pourraient être des cibles intéressantes.
Conclusion
Même si le pronostic des tumeurs germinales reste
globalement très favorable, il existe clairement un
sous-groupe de malades au pronostic défavorable,
identifié par des critères cliniques et biologiques
validés dans la classification de l’IGCCCG de 1997,
qui permet de guider la thérapeutique. Le traitement standard reste à ce jour une chimiothérapie
par 4 cycles de BEP, avec chirurgie des masses résiduelles. L’inclusion de ces patients dans des protocoles théra­peutiques (intensification, protocole
GETUG13) est une priorité pour permettre d’améliorer leur devenir.
■
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