L’Encéphale (2013) 39, 432—438 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP PSYCHOPATHOLOGIE Symptomatologie prémenstruelle, somatisation et anhédonie physique Premenstrual symptomatology, somatization and physical anhedonia M. Bridou ∗, C. Aguerre Département de psychologie, UFR arts et sciences humaines, université François-Rabelais, EA2114 « psychologie des âges de la vie », 3, rue des Tanneurs, 37041 Tours cedex 1, France Reçu le 10 avril 2011 ; accepté le 25 juin 2012 Disponible sur Internet le 8 octobre 2012 MOTS CLÉS Symptomatologie prémenstruelle ; Anhédonie physique ; Somatisation ; Dimension psychologique ∗ Résumé Introduction. — Des perturbations physiques, émotionnelles et/ou comportementales apparaissent fréquemment lors de la phase prémenstruelle chez de nombreuses femmes. D’intensité modérée à forte, ces symptômes variés viennent parfois entraver le fonctionnement personnel, social et/ou professionnel habituel en générant une souffrance physique et émotionnelle significative. Malgré des liens solides associant la dépressivité et les troubles prémenstruels, la dimension psychologique de la symptomatologie prémenstruelle reste encore méconnue. Objectif. — L’objectif de cette étude est d’examiner les liens éventuels entre une symptomatologie prémenstruelle modérée et certains modes de traitement des informations corporelles et émotionnelles, à savoir la somatisation et l’anhédonie physique. Méthode. — Cent cinq étudiantes en psychologie de l’université de Tours (France) ont été invitées à remplir les versions francophones du Menstrual Distress Questionnaire, de la sous-échelle somatisation de la Symptom Check-List 90 et de la Physical Anhedonia Scale. Résultats. — Les principaux résultats révèlent que la symptomatologie prémenstruelle est corrélée positivement avec la somatisation et négativement avec l’anhédonie physique. La capacité des femmes à éprouver du plaisir et la tendance à somatiser seraient susceptibles de participer à l’émergence d’une symptomatologie prémenstruelle. Conclusion. — Ces résultats nous permettent d’enrichir nos connaissances sur l’origine et la nature de la symptomatologie prémenstruelle qui seraient à la fois physiologique, psychologique et sociale afin d’adapter et élargir les options thérapeutiques en proposant, en parallèle aux traitements médicamenteux spécifiques, des interventions psychologiques basées sur des techniques cognitives et comportementales visant une décentration et une réattribution des symptômes physiques. © L’Encéphale, Paris, 2012. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Bridou). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2012. http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2012.08.003 Symptomatologie prémenstruelle, somatisation et anhédonie physique KEYWORDS Premenstrual symptomatology; Physical anhedonia; Somatization; Psychological dimension 433 Summary Introduction. — Physical (headache, abdominal pain, e.g.), emotional (irritability, diminution of self-esteem, e.g.) and/or behavioral disturbances (fatigue, decrease of libido, e.g.) appear frequently during the premenstrual phase of menstrual cycles. Of moderate to severe intensity, these varied symptoms sometimes hinder the usual personal, social and/or professional functioning by generating significant suffering. Thus, premenstrual syndrome (PS) and premenstrual dysphoric disorder (PDD) are closely related to depressive disorders in many prior studies. In spite of solid links associating depression with premenstrual disorders in the literature, the psychological dimension of the premenstrual symptomatology still remains underestimated. Objective. — The objective of this study is to examine the nature of possible relationships between a moderate premenstrual symptomatology and different modes of information processing with physical and emotional stimuli, such as somatization and physical anhedonia, well-known symptoms of depressive disorders. Method. — One hundred and five students in psychology from the François Rabelais university (France), aged between 18 to 50 years old (M = 20.98, SD = 3.43), were invited to fill in French versions of the Menstrual Distress Questionnaire [25] (Moos, 1991), the somatization subscale of the Symptom Check-List 90 [26] (Derogatis & Cleary, 1977), and the Physical Anhedonia Scale [28] (Chapman et al., 1976). Pearson correlation coefficients were calculated and a multiple regression analysis was conducted with Statistica software. Results. — Main results reveal that premenstrual symptomatology is positively related to somatization (r = 0.58; P < 0.001) and negatively to physical anhedonia (r = −0.27; P < 0.05). Physical anhedonia ( = −0.20; P < 0.05) and somatization ( = 0.55; P < 0.001) may take part in the appearance of a premenstrual symptomatology. Conclusion. — These results allow us to enrich our knowledge on the origin and the nature of the premenstrual symptomatology, which would be physiological, psychological and social, in order to adapt and widen the therapeutic options by proposing, in parallel with the specific medical treatments, psychological interventions based on cognitive and behavioral techniques aiming a decentralization and a restructuration of the physical symptoms. © L’Encéphale, Paris, 2012. Introduction De nombreuses femmes se plaignent régulièrement de perturbations physiques et/ou émotionnelles variées, survenant préférentiellement lors de la phase lutéale du cycle menstruel, encore appelée « phase prémenstruelle ». Les perturbations les plus fréquemment citées peuvent être regroupées en trois catégories distinctes [1] : les « perturbations comportementales » (fatigabilité, diminution de la libido, etc.) ; les « perturbations psychologiques » (irritabilité, baisse de l’estime de soi, etc.) ; et les « perturbations physiques » (maux de tête, douleurs abdominales, etc.). Bien que ces impondérables soient plutôt décrits comme gênants et/ou contrariants, ils sont généralement de faible intensité et ne vont pas nécessairement jusqu’à entraver le bon déroulement des activités quotidiennes habituelles. Nonobstant ces faits non alarmants, force est parfois de constater que les perturbations de la phase prémenstruelle se manifestent de manière trop récurrente (plusieurs cycles consécutifs), et/ou avec une intensité fulgurante (apparition brutale de symptômes d’intensité modérée à forte), induisant un certain nombre de répercussions négatives suffisamment importantes pour nuire à la qualité de vie, telles qu’une diminution substantielle de la productivité au travail, un taux d’absentéisme élevé, ainsi qu’un recours massif aux soins médicaux et aux traitements médicamenteux [2,3]. On parle alors de « syndrome prémenstruel » (SP), faisant référence à : « un ensemble polysymptomatique de signes psychologiques et/ou physiques survenant électivement avant les règles et cédant avec celles-ci » [4]. Notons que ce type de diagnostic peut être posé uniquement s’il existe une période rigoureusement asymptomatique au début de chaque cycle [5]. Le « trouble dysphorique prémenstruel » (TDP) représente quant à lui la forme la plus sévère du SP avec des symptômes particulièrement marqués (au moins six symptômes par cycle) et des conséquences délétères sur le bon déroulement de la vie quotidienne [6]. Certaines recherches tendent à montrer que le SP et le TDP ne sont pas aussi rares que l’on pourrait le penser au sein de la population générale. Plusieurs études évoquent, dans 5 à 8 % des cas, des symptomatologies modérées et sévères ayant des répercussions importantes sur la vie quotidienne nécessitant, par là même, le recours à un avis médical et à un traitement [7,8]. En France, une récente étude épidémiologique menée auprès de 2863 femmes en âge de procréer indique que 12,2 % d’entre elles répondraient aux critères du SP [9]. Notons par ailleurs que 40,5 % des femmes de cette étude expérimenteraient régulièrement un certain nombre de symptômes prémenstruels sans que l’on puisse évoquer un diagnostic de SP [9], suggérant une proportion plus importante de femmes concernées par une détresse prémenstruelle que présupposée. Les études portant sur le SP insistent habituellement sur l’importance des variations de l’humeur dans la 434 symptomatologie prémenstruelle. Il a en effet été constaté que les femmes éprouvaient des niveaux de dépression significativement plus élevés pendant la phase prémenstruelle comparativement aux autres phases du cycle menstruel [10,11]. Outre une humeur dysphorique, d’autres symptômes généralement associés aux troubles de l’humeur ont pu être identifiés chez les femmes se plaignant d’une symptomatologie prémenstruelle, tels qu’un net désintérêt pour les activités habituelles, une grande fatigabilité, un ralentissement psychomoteur, des troubles du sommeil, ou des difficultés de concentration [12—14]. Par ailleurs, on retrouve davantage de troubles dépressifs majeurs chez les femmes souffrant d’un TDP avéré [15,16]. Ainsi, le TDP est actuellement mentionné dans le DSM-IV [17] parmi les troubles de l’humeur non spécifiés, en l’attente de données provenant d’études complémentaires permettant de mieux le caractériser. Bien que plusieurs auteurs s’accordent pour considérer ce trouble comme une variante du trouble dépressif, certains d’entre eux s’interrogent sur le fait qu’il puisse s’agir bel et bien d’une entité clinique distincte [18,19], dans la mesure où les symptômes physiques éprouvés lors de la phase prémenstruelle seraient étroitement associés aux symptômes dépressifs ressentis lors de cette même phase [20]. Sur la base de ces constats, l’objectif de notre étude est d’examiner la nature des liens éventuels entre une symptomatologie prémenstruelle et certains modes de traitement des informations corporelles et émotionnelles fréquemment associés à des états dépressifs, à savoir la « somatisation » et l’« anhédonie ». D’une part, les états dépressifs sont bien connus chez des patients se plaignant de symptômes ou douleurs somatiques, que ceux-ci soient les fruits d’une lésion ou affection somatique réelle ou non. Par exemple, des scores élevés à l’échelle de somatisation ont été retrouvés chez les femmes dépressives atteintes d’un syndrome prémenstruel [21]. D’autre part, certains auteurs n’hésitent pas à considérer l’anhédonie comme un indicateur important, voire central, d’un état dépressif [22]. Méthode Les participants Les données ont été recueillies auprès de 105 étudiantes en psychologie de l’université de Tours, âgées de 18 à 50 ans (M = 20,98 ans, SD = 3,43). Elles ont été sollicitées en début de cours magistraux à l’université de Tours. Elles ont toutes donné explicitement leur accord écrit pour participer à l’étude et ont été invitées à remplir une batterie de questionnaires standardisés présentés ci-après. Les variables évaluées La symptomatologie prémenstruelle Il existe plusieurs outils permettant de mesurer la symptomatologie prémenstruelle subsyndromique qui concernerait de nombreuses femmes. Le choix du Menstrual Distress Questionnaire (MDQ ; [23]), pour cette étude, s’est toutefois imposé car il s’agit de l’instrument le plus connu et le plus cité dans la littérature portant sur les troubles M. Bridou, C. Aguerre prémenstruels [24]. De plus, il s’agit d’un outil pouvant être utilisé de manière rétrospective. Le MDQ est un auto-questionnaire de 47 items utilisé pour évaluer l’intensité et la prévalence de la symptomatologie apparaissant spécifiquement pendant le cycle menstruel et notamment pendant sa phase lutéale. Une analyse factorielle a permis de dégager huit facteurs pour la version originale anglophone : « douleur, concentration, changement de comportement, réaction autonome, rétention d’eau, affectivité négative, excitation/éveil et contrôle ». Les coefficients alpha de Cronbach oscillent entre 0,54 et 0,94 pour ces différents facteurs et la fiabilité test-retest semble satisfaisante [25]. À notre connaissance, il n’existe pas encore de version en langue française du MDQ. Une version francophone du MDQ a donc été créée par nos soins. Des analyses factorielles en composantes principales ont été effectuées pour vérifier la structure factorielle de cette version francophone. Ces analyses ont mis en évidence un modèle unifactoriel rassemblant l’ensemble des items et expliquant 27,60 % de la variance (valeur propre = 12,97). La fiabilité de cette version est relativement bonne (␣ de Cronbach = 0,93). Une structure factorielle reprenant les huit dimensions du MDQ a également été vérifiée (variance expliquée = 60,14 ; ␣ de Cronbach allant de 0,41 à 0,86). La somatisation Le Symptom Check-List 90-R (SCL 90-R ; [26]) est une échelle d’auto-évaluation de 90 items permettant de mesurer l’intensité de certains symptômes psychologiques et psychopathologiques. La version française du SCL 90-R a été publiée par Pariente et al. [27]. Neuf facteurs ont été identifiés : « somatisation, symptômes obsessionnels, sensibilité interpersonnelle ou vulnérabilité, dépression, anxiété, hostilité, phobie, traits paranoïaques, traits psychotiques et symptômes divers ». Par ailleurs, Derogatis et Cleary [26] indiquent l’existence d’une consistance interne acceptable de l’échelle avec un alpha de Cronbach de 0,77. La fidélité test-retest est satisfaisante sur une durée de huit jours (coefficient de corrélation de 0,78). Dans cette étude, nous avons choisi de ne faire passer que la sous-échelle somatisation de la SCL 90-R qui comprend 12 items. L’anhédonie physique La Physical Anhedonia Scale (PAS ; [28]) est une échelle d’auto-évaluation de 61 items mise au point pour mesurer l’anhédonie physique. La capacité diminuée à éprouver du plaisir physique est définie, ici, par l’absence de plaisir lié à la nourriture, au toucher, aux odeurs, à l’activité sexuelle, à la température, aux mouvements, aux sons et aux sensations physiques en général. La PAS a été adaptée et validée en français par Loas et al. [29,30] qui ont mis en évidence une consistance interne satisfaisante. Les analyses statistiques L’ensemble des données a été saisi et analysé à l’aide du logiciel informatique STATISTICA version 9. Une analyse des coefficients de corrélation de Pearson a permis de préciser la Symptomatologie prémenstruelle, somatisation et anhédonie physique 435 Tableau 1 Moyennes et écart-types des scores obtenus au Menstrual Distress Questionnaire (MDQ), à la Physical Anhedonia Scale (PAS) et à la sous-échelle somatisation de la Symptom Check-List 90-R (SCL 90-R). Tableau 2 Corrélations entre les scores obtenus au Menstrual Distress Questionnaire (MDQ) et ceux obtenus à la Physical Anhedonia Scale (PAS) et à la sous-échelle somatisation de la Symptom Check-List 90-R (SCL 90-R). Questionnaires (n = 105) M SD Questionnaires (n = 105) PAS r MDQ Total Douleur Concentration Changement de comportement Réaction autonome Rétention d’eau Affectivité négative Excitation/Éveil Contrôle 102,02 18,28 13,66 11,80 28,48 5,55 5,22 4,86 SCL 90-R (Somatisation) r 6,94 9,77 18,39 11,55 9,65 3,01 3,47 7,49 4,92 3,44 MDQ Douleur Concentration Changement de comportement Réaction autonome Rétention d’eau Affectivité négative Excitation/Éveil Contrôle −0,27* −0,09 −0,16 −0,11 −0,20* −0,26* −0,26* −0,29* −0,22* 0,58** 0,46** 0,45** 0,35** 0,34** 0,30* 0,56** 0,26* 0,61** 15,08 7,17 7,26 5,43 PAS SCL 90-R (Somatisation) nature des relations entre les différentes variables de cette étude. Enfin, une analyse de régression linéaire multiple a été réalisée afin de déterminer les éventuelles variables explicatives de la symptomatologie prémenstruelle. Enfin, des tests t de Student ont été effectués afin d’étudier la significativité des coefficients de régression partielle réduits des prédicteurs supposés. Résultats Les scores moyens obtenus pour chaque questionnaire par les femmes interrogées dans cette étude sont présentés dans le Tableau 1. Les plaintes se centrent particulièrement sur les symptômes caractérisant les facteurs « douleur » et « affectivité négative », tels que des maux de ventre (40,26 %), des douleurs dans le dos (25,97 %), une fatigue (25,32 %), une irritabilité (20,13 %), un mal-être général (18,83 %), des sautes d’humeur (18,18 %), une attitude casanière (16,88 %) et des maux de tête (15,58 %). Les corrélations entre les différentes variables ont été étudiées pour déterminer la façon dont elles s’associent entre elles (Tableau 2). Ces résultats indiquent une corrélation négative (r = −0,27 ; p < 0,05) entre les scores moyens obtenus à l’échelle « d’anhédonie physique » (PAS) et ceux obtenus à l’échelle évaluant la « symptomatologie prémenstruelle » (MDQ). Plus particulièrement, les scores moyens à la PAS sont inversement proportionnels aux scores obtenus aux facteurs « réaction autonome » (nausées, bouffées de chaleur), « rétention d’eau » (prise de poids, problèmes de peau), « affectivité négative » (tension, changements d’humeur), « excitation/éveil » (excitation, sentiment de bien-être) et « contrôle » (bourdonnements dans les oreilles, augmentation du rythme cardiaque). De plus, les scores obtenus au MDQ, dans sa globalité (r = 0,58 ; p < 0,001) et pour chacune de ses sous-échelles, sont corrélés avec ceux obtenus à l’échelle de « somatisation » (SCL 90-R). Il n’existe pas de corrélation significative entre les scores * p < 0,05 ; ** p < 0,001. obtenus aux échelles « d’anhédonie physique » (PAS) et de « somatisation » (SCL 90-R). Une analyse de régression multiple a été réalisée afin de spécifier la nature et le poids statistique des variables qui participent, en partie, à l’émergence d’une symptomatologie prémenstruelle teintée de symptômes psychologiques. Les coefficients de régression partielle réduits  ont été examinés pour chacune des variables supposées jouer un rôle dans la survenue d’une symptomatologie prémenstruelle (pour la PAS :  = −0,20 ; pour la SCL 90-R :  = 0,55). Afin d’étudier la significativité des coefficients de régression partielle réduits des prédicteurs supposés anhédonie et somatisation, des tests t de Student ont été effectués. Les résultats révèlent que les coefficients  de ces variables indépendantes sont significatifs (respectivement t = −2,53 ; p < 0,013 et t = 7,00 ; p < 0,0001). Ainsi, le modèle fait intervenir l’absence d’anhédonie et la somatisation comme prédicteurs d’une symptomatologie prémenstruelle. De plus, un coefficient de détermination R2 a été calculé afin de mettre en évidence le pourcentage de variation de la symptomatologie prémenstruelle expliqué de façon conjuguée par l’absence d’« anhédonie » et la « somatisation ». L’absence d’« anhédonie » et la « somatisation » expliquent plus de 37 % de la variance de la « symptomatologie prémenstruelle » (Fig. 1). Anhédonie (PAS) Somatisation (SCL 90-R) ß= -.20 Sévérité de la symptomatologie prémenstruelle (MDQ) ß= .55 Figure 1 Modèle de régression linéaire susceptible d’expliquer l’émergence de la symptomatologie prémenstruelle. 436 Discussion L’objectif de cette étude était d’étudier les liens éventuels entre la tendance à somatiser, l’incapacité de ressentir du plaisir physique et l’expression de symptômes prémenstruels. En premier lieu, une corrélation positive a pu être observée entre symptomatologie prémenstruelle et somatisation. Les femmes ayant généralement tendance à somatiser sont davantage enclines à se plaindre de symptômes pendant la phase lutéale de leur cycle menstruel. Ce résultat est à rapprocher des recherches actuelles qui associent le concept de somatisation à un style perceptivo-cognitif appelé « amplification somatosensorielle » [31,32]. Ce dernier est défini comme une propension à percevoir de manière sélective de nombreuses sensations corporelles, y compris les plus anodines et inoffensives, et à les interpréter comme les signes et symptômes d’une pathologie somatique plus ou moins sérieuse. Cela pourrait expliquer, du moins en partie, que les femmes ayant une forte propension à somatiser et à amplifier les sensations somatiques, quelles qu’elles soient, remarquent particulièrement les changements corporels qui surviennent préférentiellement durant la phase prémenstruelle et les interprètent négativement, augmentant de la sorte le nombre de plaintes s’y rapportant. Une corrélation négative a également pu être mise en évidence entre « l’anhédonie physique » et la « symptomatologie prémenstruelle ». Ce constat peut notamment s’expliquer par le fait que les menstruations sont susceptibles de perturber certaines activités physiques ou sensorielles potentiellement sources de plaisir (activités sportives et/ou sexuelles, par exemple). Durant cette période, une frustration pourrait naître chez certaines femmes, du fait de ne pas pouvoir pratiquer ou apprécier pleinement les activités qui leur procurent habituellement du plaisir. Dès lors, il s’ensuivrait une appréciation particulièrement négative des modifications physiques et physiologiques liées au cycle menstruel [33]. Cela pourrait notamment favoriser l’émergence et l’amplification des symptômes comportementaux et affectivo-émotionnels caractéristiques d’un trouble prémenstruel. Par conséquent, les femmes capables d’éprouver du plaisir physique rapporteraient davantage de plaintes au moment de la phase prémenstruelle, du fait de ne pas pouvoir profiter dans les meilleures conditions des sources habituelles de plaisir physique. Quelques données de la littérature peuvent venir étayer l’hypothèse selon laquelle les symptômes prémenstruels sont parfois vécus comme une entrave au bon déroulement des activités de la vie quotidienne, qu’elles soient plaisantes ou non. Notons tout d’abord à cet égard que des symptômes physiques prémenstruels plus importants sont remarqués chez les femmes enclines au perfectionnisme, fort probablement car elles tendent à percevoir les changements physiologiques apparaissant lors de la phase prémenstruelle comme des éléments perturbateurs restreignant leur latitude d’action optimale [34,35]. Force est par ailleurs de constater que la propension à se plaindre de symptômes prémenstruels tend à être associée à la « recherche de nouveauté », un trait de tempérament évoquant un comportement impulsif, une excitabilité et un engagement dans de nouvelles activités [36]. Les femmes avides de changements M. Bridou, C. Aguerre pourraient se sentir frustrées lors de la phase prémenstruelle du fait de ne pouvoir assouvir leurs besoins en la matière aussi bien qu’à l’ordinaire. Enfin, plusieurs études se sont intéressées aux bienfaits potentiels de l’exercice physique, dans le cadre de la prise en charge des formes modérées à sévères du syndrome prémenstruel [37—41]. Tout particulièrement, il s’avère que la course à pied ou la pratique de l’aérobic, pratiquées de manière régulière, diminueraient la sévérité de certains symptômes physiques prémenstruels et favoriseraient le maintien d’un sentiment de bien-être psychologique. La capacité à éprouver du plaisir durant notamment la pratique régulière d’un sport et/ou d’une activité physique donnée, est susceptible de modifier la perception des symptômes prémenstruels, décentrant l’attention des femmes de ces derniers en encourageant leur interprétation comme des variations physiologiques anodines. Conclusion Le caractère protéïforme de la symptomatologie prémenstruelle s’exprime notamment à travers ses composantes physiologiques, psychologiques et sociales. Ce constat se trouve renforcé par les résultats de cette étude qui soulignent la complexité des hypothèses étiopathogéniques susceptibles d’expliquer la symptomatologie prémenstruelle. Quoi qu’il en soit, cette étude comporte plusieurs écueils qui en limitent la portée. D’une part, l’échantillon interrogé ne permet peut-être pas d’élucider la nature des troubles prémenstruels avérés. Aussi, il faudrait compléter cette étude par des recherches menées au sein d’une population clinique présentant une symptomatologie prémenstruelle plus marquée, motivant le recours à des consultations médicales. D’autre part, l’utilisation d’une méthodologie rétrospective ne permet pas vraiment de parler de syndrome prémenstruel dont le diagnostic ne peut être posé que de manière prospective. Cette étude ne nous autorise donc pas à rendre compte de résultats spécifiant le SP ou le TDP à proprement parler, mais caractérisant plutôt une souffrance prémenstruelle plus discrète et subclinique, induisant des répercussions négatives moindres sur la vie quotidienne et sociale. En outre, rappelons que la mesure de la somatisation à l’aide de la SCL 90-R consiste à établir l’intensité d’une liste de symptômes physiques fréquemment retrouvés dans la symptomatologie prémenstruelle. Le recours à une autre échelle serait préférable pour limiter la redondance éventuelle des items, en vue d’augmenter leur spécificité. Il serait de surcroît intéressant, dans le cadre de prochaines recherches, d’élargir le champ de nos investigations en prenant en considération d’autres facteurs psychologiques et comportementaux susceptibles de jouer un rôle dans l’apparition et le maintien d’une symptomatologie prémenstruelle. Cet effort nous semble primordial pour parfaire la compréhension des troubles prémenstruels et ainsi mettre au point des prises en charge multimodales adaptées. En effet, les traitements médicamenteux tels que des psychotropes sont insuffisants pour traiter la plupart des patientes vues en consultation pour des troubles prémenstruels. Comme le préconisent certains auteurs [42], il est Symptomatologie prémenstruelle, somatisation et anhédonie physique tout particulièrement souhaitable de combiner une stratégie thérapeutique traitant les causes physiologiques (à l’aide de traitements médicamenteux ayant une efficacité notoire, [43]) avec des techniques cognitivo-comportementales, basées sur la réattribution des symptômes et la relaxation, ayant déjà fait leur preuve [44,45]. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Dickerson LM, Mazyck PJ, Hunter MH. Premenstrual syndrome. 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