Endophénotypes émotionnels et troubles bipolaires S87
D’un point de vue clinique, il est diffi cile pour ces sujets
de maîtriser leur propre expérience émotionnelle. Le patient,
qu’il soit en phase maniaque ou dépressive, éprouve des
émotions d’une intensité inappropriée au contexte.
Il existe ainsi un trouble de la perception des émotions
d’autrui. C’est ainsi que Getz et al. [4] retrouvent un
défi cit de la reconnaissance des émotions chez les patients
maniaques, par rapport à des sujets contrôles.
Les phases euthymiques des troubles bipolaires sont
classiquement défi nies comme étant indemnes de troubles
psychiatriques graves. Cependant, il semble désormais
établi que de nombreux patients présentent des symptômes
résiduels et/ou des troubles comorbides dans cette période
intercritique [5].
Peu de travaux sont orientés vers une compréhension
du fonctionnement de la personne dans ce contexte, en se
limitant à une dimension affective spécifi que.
Quelques auteurs ont montré dans leurs travaux une
altération des processus de reconnaissance et de la genèse
des émotions chez les patients bipolaires en phase asymptoma-
tique [3,6,7]. Néanmoins, les études chez ces patients sont peu
nombreuses et les résultats obtenus parfois contradictoires.
Selon certains auteurs, les diffi cultés de gestion du
stress des patients bipolaires sont des manifestations du
dysfonctionnement de leur réactivité émotionnelle en
phase de normothymie. Johnson [8] a publié une revue de
la littérature scientifi que sur le sujet. Cet auteur a mis en
évidence la sensibilité accrue des patients bipolaires à leur
environnement, en comparaison à des sujets contrôles. Il a
souligné les conséquences sur les processus attentionnels, le
traitement et la gestion des tâches du quotidien. Lovejoy et
Steurwald [9] ont montré que la variabilité des auto-évalua-
tions des affects journaliers, chez des patients diagnostiqués
comme appartenant au spectre bipolaire, à l’euthymie, était
supérieure à celle mesurée chez des sujets contrôles. Les
mesures des auto-évaluations et des indices psychophysiolo-
giques ont mis en évidence une hyperréactivité émotionnelle
aux stimuli positifs chez les patients souffrant de trouble
bipolaire.
Ainsi, les patients bipolaires, à l’euthymie, ressentent
les émotions induites par les stimuli environnementaux, plus
fréquemment et plus intensément que les sujets contrôles.
Van den Bulke [10] et M’Bailara [11] ont évalué la labilité
et l’intensité des affects chez des patients euthymiques.
Ils ont mis en évidence, chez les patients bipolaires, une
intensité du vécu des émotions et une labilité émotionnelle,
supérieures à celles des sujets témoins. Cependant, dans
leurs études, ils évaluent les patients avec des auto-ques-
tionnaires et introduisent une part de subjectivité.
L’étude de la réactivité émotionnelle dans les troubles
bipolaires pose donc la question du concept de trait ou
d’état. En effet, Phillips et al. [12] se demandent si les
anormalités des processus émotionnels dans les troubles
bipolaires représentent un trait caractéristique de la maladie
ou un état caractéristique d’un accès thymique particulier,
au sein même des troubles bipolaires.
Étude clinique de la réactivité
émotionnelle chez des patients bipolaires
euthymiques
L’objectif principal de cette étude est d’explorer le fonction-
nement émotionnel chez les patients bipolaires en dehors
de tout épisode maniaque ou dépressif, afi n d’évaluer s’il
s’agit d’un marqueur trait. Nous faisons l’hypothèse de la
persistance de perturbations de la réactivité émotionnelle
par rapport à des sujets témoins.
Pour tester cette hypothèse, les émotions ont été
étudiées par une méthode d’induction émotionnelle par
séquences fi lmées, en utilisant 2 outils complémentaires :
• une échelle « subjective » d’évaluation des émotions après
induction émotionnelle ;
• une mesure « objective », électrophysiologique, c’est-
à-dire la mesure de la fréquence cardiaque et de la
conductance cutanée pendant l’induction émotionnelle.
Méthodologie
Échantillon
L’échantillon de cette étude est composé de deux groupes : le
premier est constitué de patients bipolaires normothymiques
(selon les critères de la section des troubles de l’humeur de
la DIGS [20]), recrutés lors de consultations de psychiatrie
d’adulte à Marseille. Les patients inclus ont signé un consente-
ment éclairé. Le second groupe est constitué de sujets témoins
indemnes de troubles bipolaires et recrutés par voie d’affi che.
Le groupe patient ne devait pas, au moment de l’évalua-
tion, remplir les critères d’un épisode dépressif majeur ou
d’un accès maniaque, mixte ou hypomane selon les critères
du DSM-IV.
L’échantillon final est composé de 35 sujets dont
20 patients et 15 témoins.
Outils cliniques
Tous les sujets sont évalués en utilisant la section « troubles
de l’humeur » de la DIGS [13], entretien semi-structuré qui
reprend les critères diagnostiques du DSM-IV. La normothymie
a par ailleurs été vérifi ée par la passation d’une échelle
d’évaluation d’intensité de la dépression, la MADRS [14] et
d’une échelle d’évaluation de la manie, la YMRS [15].
Procédure d’induction émotionnelle
L’expérience consiste à évaluer la réactivité émotionnelle
des personnes face à un stimulus émotionnel visuel, à
savoir la présentation de 8 fi lms à valence positive, neutre
ou négative, extraits de la batterie de Philippot [16]. Ce
protocole évalue successivement deux types de variables :
des variables subjectives (valence et éveil), et des variables
électrophysiologiques (fréquence cardiaque et réponse
électrodermale).
La mesure de la fréquence cardiaque est obtenue par la
pose d’électrodes sur le thorax (3 électrodes : l’une sous la
clavicule droite, une au niveau médio-sternal et une sur le
grill costal gauche). La mesure de la réponse électrodermale
est obtenue par la pose d’électrodes sur la 2e phalange des
3e et 4e doigts de la main non-dominante.
Les électrodes sont branchées à des câbles connecteurs,
eux-même reliés à l’appareil de mesure (Biopac Systems).
Le protocole comporte 2 étapes : baseline et
expérimentation.
• baseline : pendant cette étape d’une durée de 2 minutes,
nous avons recueilli les valeurs de la fréquence cardiaque