L’Encéphale (2012) 38, S85-S92 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Endophénotypes émotionnels et troubles bipolaires Emotional endophenotypes and bipolar disorder M. Duboisa,*, J.-M. Azorina, E. Fakraa, M. Adidaa, R. Belzeauxa aPôle Universitaire de Psychiatrie, Hôpital Sainte-Marguerite, 270, boulevard de Sainte Marguerite, 13274 Marseille cedex 9, France MOTS CLÉS Émotion ; Trouble bipolaire ; Endophénotype ; Évaluation subjective et électrophysiologique KEYWORDS Emotion; Bipolar disorder; Endophenotype; Subjective and physiological evaluation Résumé L’émotion peut être décrite comme un état affectif multidimensionnel, qui s’accompagne de diverses manifestations physiologiques, cognitives, expressives et subjectives. La perturbation des processus émotionnels et affectifs fait, par définition, partie du tableau clinique du trouble de l’humeur bipolaire. Peu de travaux sont orientés vers une compréhension du fonctionnement du sujet en phase d’euthymie, en se limitant à cette dimension affective particulière. L’objectif principal de notre étude est d’explorer le fonctionnement émotionnel chez les patients bipolaires en dehors de tout épisode maniaque ou dépressif, afin d’évaluer s’il s’agit d’un marqueur-trait. Nous avons recruté un groupe de 20 patients bipolaires normothymiques et un groupe de 15 témoins sains, auxquels nous avons fait passer une échelle validée d’évaluation subjective des émotions et mesuré la fréquence cardiaque et la réponse électrodermale pendant une procédure d’induction émotionnelle par séquences filmées. Les résultats montrent un ressenti émotionnel subjectif plus intense chez les patients pendant les films neutres, tandis que la valence attribuée aux films ne diffère pas entre les groupes. La fréquence cardiaque au repos et pendant induction est plus rapide chez les patients par rapport aux témoins. En outre, on ne retrouve pas de différence significative de réponse électrodermale. L’hypersensibilité pourrait être liée à une dysrégulation émotionnelle, possible endophénotype de la pathologie bipolaire, et nécessitant l’extension de l’expérimentation aux apparentés du 1er degré. © L’Encéphale, Paris, 2012 Summary Background. – Emotion can be described as a multidimensional affective state, accompanied with physiological, cognitive and subjective manifestations. Most bipolar patients spontaneously claim they have a higher sensitivity than average, which may lead to extreme emotional reactions, even during intercrisis periods. Few studies have focused on this particular affective dimension. Moreover, the emotional reactivity is a way to raise the question of bipolar patients’ vulnerability to stress during euthymic periods. The aim of this study is to examine the emotional reactivity of euthymic bipolar patients in comparison with a control group, using a test of emotional induction with short films, in order to determine whether this particular affective dimension can be a potential endophenotype. Our hypothesis is that euthymic bipolar patients have a higher emotional reactivity than controls. Method. 20 euthymic bipolar patients and 15 healthy control subjects were recruited. The emotional reactivity was assessed using a method of emotional induction, based on viewing a set of positive, negative and neutral short films. The subjects have to appreciate the valence (pleasant, unpleasant or neutral) and the arousal (degree of emotion triggered by *Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (M. Dubois) © L’Encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés. S86 M. Dubois et al. each film), while physiological parameters (heart rate and galvanic skin response) were measured. Results. – On average, euthymic bipolar patients report the same valence for each set of films and the same arousal to positive and negative movies as control subjects. Neutral pictures, however, were considered more moving by euthymic bipolar patients than by control subjects. Bipolar patient showed a higher heart rate than the control group, and no statistically difference was shown considering the galvanic skin response. Conclusion. – Euthymic bipolar patients seem to present an emotional hypereactivity which occurs especially during neutral situations.These results partly corroborate other authors outcomes, using a new and more ecologic methodology through an emotional induction by short films. While results of subjective evaluation are significant, results of physiological evaluation are controversial and need further exploration. This emotional hypereactivity during intercrisis periods allow us to understand the basal emotional functioning of bipolar patients, and could be linked with an emotional dysregulation, potential endophenotype of the bipolar disorder. It could have several clinical and research applications, particularly in the study of the emotional functioning of bipolar patients’ first degree relatives. © L’Encéphale, Paris, 2012 Introduction Le domaine des émotions a fait l’objet de nombreux travaux de recherche par le passé. Les premières réflexions concernant les rapports entre les émotions et le corps ont fortement influencé les conceptions modernes. Cependant, les controverses suscitées par l’étude des émotions rendent difficile une définition exhaustive du terme d’émotion. Les processus émotionnels humains peuvent être étudiés grâce à l’étude de leur exacerbation chez des sujets souffrant d’une pathologie psychiatrique particulière : le trouble bipolaire. Le trouble bipolaire est une pathologie fréquente, sa prévalence variant de 1 à 5 % selon les études. Elle est caractérisée par l’alternance de phases d’euthymie, c’est-àdire de phases de rémission symptomatique, avec des phases aigues de décompensation thymique, de polarités inverses, pendant lesquelles l’humeur est, soit anormalement élevée lors d’un accès maniaque, soit anormalement diminuée lors d’un accès dépressif. Un accès maniaque peut être concomitant d’un accès dépressif lors d’un accès mixte. Les dysfonctionnements des processus émotionnels ont été étudiés lors des phases de décompensation du trouble bipolaire. Cependant, le fonctionnement de ces processus est peu connu lorsque les patients sont en rémission symptomatique. Le niveau d’investigation émotionnel sélectionné ici utilise à la fois des mesures qualitatives et quantitatives de la subjectivité émotionnelle et l’étude de deux composantes physiologiques de l’émotion : la fréquence cardiaque et la réponse électrodermale, l’ensemble des paramètres ayant été mesuré pendant une procédure d’induction émotionnelle. Concept d’endophénotype Une stratégie alternative consiste à étudier, comme phénotype, des traits neurobiologiques élémentaires ou « endophénotypes », associés à la maladie et stables dans le temps quel que soit le stade évolutif de la maladie. L’hypothèse qui sous tend cette approche est la suivante : différents facteurs génétiques de susceptibilité seraient responsables de différents phénotypes neurobiologiques mesurables qui, chacun à leur niveau, augmenteraient le risque de développer la maladie. Cette approche présente 2 avantages pour les études génétiques. Elle permet d’identifier des sous groupes de patients plus homogènes sur le plan des hypothèses génétiques et la probabilité est beaucoup plus grande que ces phénotypes neurobiologiques intermédiaires obéissent à un déterminisme plus simple. Les endophénotypes sont des traits infracliniques, marqueurs de vulnérabilité génétique à la maladie chez les apparentés non atteints de patients [1]. Le terme « endophénotype » est l’équivalent dans la littérature des expressions « phénotype intermédiaire », « trait subclinique » et « marqueur de vulnérabilité » Les critères actuellement retenus pour caractériser un endophénotype sont dérivés de ceux proposés par Gershon et al. [2] : • stabilité (dans le temps et indépendant des stades de la maladie) ; • association familiale (co-transmission des endophénotypes aux apparentés non atteints) ; • co-ségrégation ; • crédibilité clinique et biologique ; • reproductibilité. La démarche endophénotypique est un concept développé en réactions aux difficultés d’abord des mécanismes étiologiques et génétiques des troubles psychiatriques, dont les troubles bipolaires. Ils ne sont pas exclusifs à la psychiatrie, mais dans son champ, ils peuvent être des mesures biochimiques, endocriniennes, neurophysiologiques, neuro-anatomiques, cognitives ou neuropsychologiques [3] qui présentent certaines particularités. La première étape de validation d’un endophénotype consiste donc à montrer qu’il s’agit d’un marqueur-trait de la pathologie étudiée. Il paraît ainsi pertinent d’étudier les processus émotionnels chez les patients bipolaires en phase d’euthymie, afin d’en dégager les caractéristiques spécifiques et le caractère endophénotypique. Trouble bipolaire et émotions La perturbation des processus émotionnels et affectifs fait, par définition, partie du tableau clinique du trouble bipolaire. Endophénotypes émotionnels et troubles bipolaires D’un point de vue clinique, il est difficile pour ces sujets de maîtriser leur propre expérience émotionnelle. Le patient, qu’il soit en phase maniaque ou dépressive, éprouve des émotions d’une intensité inappropriée au contexte. Il existe ainsi un trouble de la perception des émotions d’autrui. C’est ainsi que Getz et al. [4] retrouvent un déficit de la reconnaissance des émotions chez les patients maniaques, par rapport à des sujets contrôles. Les phases euthymiques des troubles bipolaires sont classiquement définies comme étant indemnes de troubles psychiatriques graves. Cependant, il semble désormais établi que de nombreux patients présentent des symptômes résiduels et/ou des troubles comorbides dans cette période intercritique [5]. Peu de travaux sont orientés vers une compréhension du fonctionnement de la personne dans ce contexte, en se limitant à une dimension affective spécifique. Quelques auteurs ont montré dans leurs travaux une altération des processus de reconnaissance et de la genèse des émotions chez les patients bipolaires en phase asymptomatique [3,6,7]. Néanmoins, les études chez ces patients sont peu nombreuses et les résultats obtenus parfois contradictoires. Selon certains auteurs, les difficultés de gestion du stress des patients bipolaires sont des manifestations du dysfonctionnement de leur réactivité émotionnelle en phase de normothymie. Johnson [8] a publié une revue de la littérature scientifique sur le sujet. Cet auteur a mis en évidence la sensibilité accrue des patients bipolaires à leur environnement, en comparaison à des sujets contrôles. Il a souligné les conséquences sur les processus attentionnels, le traitement et la gestion des tâches du quotidien. Lovejoy et Steurwald [9] ont montré que la variabilité des auto-évaluations des affects journaliers, chez des patients diagnostiqués comme appartenant au spectre bipolaire, à l’euthymie, était supérieure à celle mesurée chez des sujets contrôles. Les mesures des auto-évaluations et des indices psychophysiologiques ont mis en évidence une hyperréactivité émotionnelle aux stimuli positifs chez les patients souffrant de trouble bipolaire. Ainsi, les patients bipolaires, à l’euthymie, ressentent les émotions induites par les stimuli environnementaux, plus fréquemment et plus intensément que les sujets contrôles. Van den Bulke [10] et M’Bailara [11] ont évalué la labilité et l’intensité des affects chez des patients euthymiques. Ils ont mis en évidence, chez les patients bipolaires, une intensité du vécu des émotions et une labilité émotionnelle, supérieures à celles des sujets témoins. Cependant, dans leurs études, ils évaluent les patients avec des auto-questionnaires et introduisent une part de subjectivité. L’étude de la réactivité émotionnelle dans les troubles bipolaires pose donc la question du concept de trait ou d’état. En effet, Phillips et al. [12] se demandent si les anormalités des processus émotionnels dans les troubles bipolaires représentent un trait caractéristique de la maladie ou un état caractéristique d’un accès thymique particulier, au sein même des troubles bipolaires. Étude clinique de la réactivité émotionnelle chez des patients bipolaires euthymiques L’objectif principal de cette étude est d’explorer le fonctionnement émotionnel chez les patients bipolaires en dehors S87 de tout épisode maniaque ou dépressif, afin d’évaluer s’il s’agit d’un marqueur trait. Nous faisons l’hypothèse de la persistance de perturbations de la réactivité émotionnelle par rapport à des sujets témoins. Pour tester cette hypothèse, les émotions ont été étudiées par une méthode d’induction émotionnelle par séquences filmées, en utilisant 2 outils complémentaires : • une échelle « subjective » d’évaluation des émotions après induction émotionnelle ; • une mesure « objective », électrophysiologique, c’està-dire la mesure de la fréquence cardiaque et de la conductance cutanée pendant l’induction émotionnelle. Méthodologie Échantillon L’échantillon de cette étude est composé de deux groupes : le premier est constitué de patients bipolaires normothymiques (selon les critères de la section des troubles de l’humeur de la DIGS [20]), recrutés lors de consultations de psychiatrie d’adulte à Marseille. Les patients inclus ont signé un consentement éclairé. Le second groupe est constitué de sujets témoins indemnes de troubles bipolaires et recrutés par voie d’affiche. Le groupe patient ne devait pas, au moment de l’évaluation, remplir les critères d’un épisode dépressif majeur ou d’un accès maniaque, mixte ou hypomane selon les critères du DSM-IV. L’échantillon final est composé de 35 sujets dont 20 patients et 15 témoins. Outils cliniques Tous les sujets sont évalués en utilisant la section « troubles de l’humeur » de la DIGS [13], entretien semi-structuré qui reprend les critères diagnostiques du DSM-IV. La normothymie a par ailleurs été vérifiée par la passation d’une échelle d’évaluation d’intensité de la dépression, la MADRS [14] et d’une échelle d’évaluation de la manie, la YMRS [15]. Procédure d’induction émotionnelle L’expérience consiste à évaluer la réactivité émotionnelle des personnes face à un stimulus émotionnel visuel, à savoir la présentation de 8 films à valence positive, neutre ou négative, extraits de la batterie de Philippot [16]. Ce protocole évalue successivement deux types de variables : des variables subjectives (valence et éveil), et des variables électrophysiologiques (fréquence cardiaque et réponse électrodermale). La mesure de la fréquence cardiaque est obtenue par la pose d’électrodes sur le thorax (3 électrodes : l’une sous la clavicule droite, une au niveau médio-sternal et une sur le grill costal gauche). La mesure de la réponse électrodermale est obtenue par la pose d’électrodes sur la 2e phalange des 3e et 4e doigts de la main non-dominante. Les électrodes sont branchées à des câbles connecteurs, eux-même reliés à l’appareil de mesure (Biopac Systems). Le protocole comporte 2 étapes : baseline et expérimentation. • baseline : pendant cette étape d’une durée de 2 minutes, nous avons recueilli les valeurs de la fréquence cardiaque S88 et de la conductance cutanée des sujets au repos. Ces valeurs représentent les valeurs de référence ; • expérimentation : pendant cette étape d’une durée de 20 minutes, nous avons recueilli les valeurs de la fréquence cardiaque et de la conductance cutanée des sujets en situation d’induction émotionnelle. Chaque sujet était situé à 1 mètre de l’écran d’un ordinateur, d’où il regardait avec attention 8 séquences filmées projetées à l’écran, l’une après l’autre. La projection de chaque extrait a été suivie d’une pause, pendant laquelle nous avons recueilli l’évaluation émotionnelle subjective (valence et éveil) du sujet. Cette étape a été réalisée à partir de la Self Assessment Mainikin (SAM) [17] évaluant chaque dimension à partir d’une échelle de type Likert à neuf niveaux (côtés de 1 à 9). Pour l’évaluation de la valence, plus le score est faible et plus le film est déplaisant. Si le score se situe vers la moyenne, le film est évalué comme neutre. Pour l’évaluation de l’éveil, plus le score est faible et moins l’intensité émotionnelle est importante, plus le score est élevé et plus l’intensité émotionnelle perçue par le sujet est importante. Chaque pause a été suivie d’une période d’une durée de 30 secondes. Nous avons recueilli, pendant ces 30 secondes, les valeurs de la fréquence cardiaque et de la conductance cutanée des sujets en condition de relaxation. Cela correspondait à un retour à l’étape baseline. L’extrait suivant était projeté par la suite. Analyses statistiques La conformité de la distribution des données, sociodémographiques, psychométriques et de réactivité émotionnelle à une distribution normale a été vérifiée avec le test de KolmogorovSmirnov. Le seuil statistique de significativité choisi a été 0,05. Le test t de Student a été utilisé pour comparer les valeurs d’un paramètre quantitatif des 2 populations de sujets bipolaires euthymiques et contrôles. Le test de Chi2 a été utilisé pour comparer les valeurs d’un paramètre qualitatif des 2 populations de sujets bipolaires euthymiques et contrôles. Les relations entre 2 paramètres quantitatifs, entre un paramètre quantitatif et un paramètre qualitatif ont été évaluées par le calcul de coefficients de corrélation de Pearson dans une analyse univariée. Nous avons conduit cette analyse statistique avec la 17e version du logiciel PASW Statistics. Résultats Description de l’échantillon M. Dubois et al. de la valence ne diffèrent significativement pas entre les groupes pour les films positifs (p = 0,78), négatifs (p = 0,88) et neutres (p = 0,36) (Tableau 1, Fig. 1). Évaluation subjective de l’éveil L’éveil est significativement différent selon le type de film (positif, neutre, négatif). L’éveil attribué aux films positifs et négatifs ne diffère pas entre les deux groupes (respectivement p = 0,97 et p = 0,34). En revanche, face aux films neutres, le groupe patients bipolaires normothymiques est plus ému que le groupe témoin (p = 0,02) (Tableau 2, Fig. 2). Évaluation objective : mesure de la fréquence cardiaque On ne trouve pas de variation significative de la fréquence cardiaque dans les deux groupes entre l’état de référence et l’induction émotionnelle, quelle que soit la valence émotionnelle présentée : négatif, neutre, positif. Tableau 1 Comparaison de la valence entre les patients euthymiques et les sujets-contrôles. Films Patients Témoins p Négatif Moyenne (écart-type) 2,90 (2,07) 3,00 (1,89) p = 0,88 Neutre Moyenne (écart-type) 5,00 (1,16) 4,65 (1,06) p = 0,36 Positif Moyenne (écart-type) 6,93 (2,12) 7,10 (1,51) p = 0,78 9 8 Patients Témoins 7 6 5 L’échantillon total est composé de 35 sujets dont 20 patients bipolaires normothymiques et 15 témoins. L’âge moyen entre les groupes ne diffère pas significativement. Dans le groupe témoin, il est de 40,87 ans (± 15,03), et de 43,75 ans (± 13,38) dans le groupe patient. Les sujets témoins et les patients bipolaires normothymiques ne diffèrent ni par leur score à la MADRS, ni par leur score à la YMRS. Évaluation subjective de la valence La valence est significativement différente selon le type de film (positif, neutre, négatif). Les résultats de l’évaluation 4 3 2 1 0 Négatif Neutre Positif Figure 1. Comparaison de l’évaluation subjective de la valence des films entre le groupe de bipolaires normothymiques et le groupe témoin. Endophénotypes émotionnels et troubles bipolaires S89 La fréquence cardiaque moyenne est significativement plus élevée chez les patients bipolaires normothymiques par rapport au groupe témoin, tant au repos que pendant la procédure d’induction émotionnelle et dans toutes les modalités (Tableau 3, Fig. 3). Tableau 2 Comparaison de l’éveil entre les patients euthymiques et les sujets-contrôles. Films Patients Témoins p Négatif Moyenne (écart-type) 6,00 (2,79) 6,77 (1,52) p = 0,34 Évaluation objective : mesure de la conductance cutanée Neutre Moyenne (écart-type) Aucune différence significative n’a été montrée entre le groupe patient et le groupe témoin. Dans le groupe des patients bipolaires normothymiques comme dans le groupe témoin, on retrouve plus de pics pendant les films à valence positive ou négative, signant une activation émotionnelle plus forte que pendant les films neutres (Tableau 4, Fig. 4). 3,79 (1,62) 2,35 (1,82) p = 0,02* Positif Moyenne (écart-type) 5,73 (1,71) 5,70 (1,92) p = 0,97 *p < 0,05 120 8 100 Patients 7 * * * FC repos patients Témoins 80 6 FC induction patients 5 60 4 FC repos témoins 40 3 2 7 20 FC induction témoins 1 0 Négatif 0 Négatif Neutre Positif Figure 2. Comparaison de l’évaluation subjective de l’éveil pendant les films entre le groupe bipolaires normothymiques et le groupe témoin. Neutre Positif Figure 3 Comparaison chez les patients euthymiques et les sujetscontrôle, de la fréquence cardiaque au repos avec celle pendant induction émotionnelle, et comparaison des résultats entre les 2 groupes. Tableau 3 Comparaison, chez les patients euthymiques et chez les sujets contrôles, de la fréquence cardiaque au repos avec celle pendant induction émotionnelle et comparaison des résultats entre les deux groupes. Patients Films FC repos FC ind Témoins p FC repos FC ind p Négatif Moyenne (écart-type) 83,21 80,61 (14,00) (15,28) Neutre Moyenne (écart-type) p = 0,30 70,01 69,82 (12,82) (11,51) 82,58 69,43 70,25 (14,64) (15,37) (12,66) (12,00) 86,81 83,81 (17,11) (16,99) *p significatif < 0,05 ; ind : induction. p = 0,29 69,05 69,97 (10,81) (11,68) p p p = 0,012* p = 0,038* p = 0,006* p = 0,02* p = 0,002* p = 0,015* p = 0,29 Positif Moyenne (écart-type) PvsT induction p = 0,28 p = 0,41 84,47 PvsT repos p = 0,56 S90 M. Dubois et al. Tableau 4 Nombre de pics de réponse électrodermale par film. Films Patients Témoins p Négatif Moyenne (écart-type) 6,57 (4,61) 4,77 (3,32) p = 0,23 Neutre Moyenne (écart-type) 2,65 (2,00) 1,58 (1,57) p = 0,12 Positif Moyenne (écart-type) 8,70 (6,40) 6,90 (3,76) p = 0,36 12,00 Patients Témoins 10,00 8,00 6,00 4,00 2,00 0,00 Négatif Neutre Positif Figure 4 Comparaison du nombre de pics de réponse électrodermale entre les patients euthymiques et les sujets-contrôles. Discussion Cette étude d’induction émotionnelle a mis en évidence que l’évaluation subjective de l’éveil face à des stimulations neutres est majorée chez les patients bipolaires normothymiques en comparaison à des sujets témoins. Si les stimulations définies et validées comme émouvantes n’induisent pas de comportement singulier chez les patients bipolaires normothymiques, ces derniers se démarquent des sujets témoins face à un environnement neutre. Si le terme de distorsion du fonctionnement émotionnel ne semble pas le plus adapté ici, nous pouvons parler d’une capacité plus importante à s’exalter face à l’environnement pour décrire le mode de fonctionnement de ces patients. Si nous considérons l’hyperréactivité émotionnelle des patients normothymiques comme un symptôme, alors nos résultats vont dans le sens des travaux d’Escande et al. [5,18]. Ces derniers décrivent en effet la présence de symptômes thymiques résiduels en dehors de toute décompensation psychiatrique. Dans la même mouvance, Judd et al. [19] font le constat d’un état subsyndromal permanent et posent la question du trouble bipolaire comme maladie chronique ayant des symptômes entre les accès aigus ou comme pathologie récurrente avec des traits spécifiques présents en intercrise. Notre interprétation va plutôt dans le sens d’une hyperréactivité émotionnelle des patients bipolaires, comme trait spécifique présent même en dehors des accès thymiques. Cette hypothèse s’inscrit dans la lignée des résultats de l’équipe de Henry [9,10,20]. L’hypothèse sous-jacente provient de réflexions sur la possible existence de caractéristiques psychopathologiques propres aux patients présentant des troubles bipolaires. Plutôt que de s’intéresser au type de personnalité, cette équipe s’est orientée vers une approche dimensionnelle de la psychopathologie du trouble bipolaire. Les résultats de l’approche dimensionnelle montrent que des patients bipolaires en période normothymique ont une labilité émotionnelle plus importante et un ressenti émotionnel plus intense que les témoins, et ce, quelle que soit la tonalité des émotions [20]. Nos résultats vont dans le sens de ces études, tout en apportant une méthodologie nouvelle. En effet, les études précitées évaluent la dimension émotionnelle des troubles bipolaires au moyen de questionnaires ou d’échelles, la nôtre a pour particularité d’évaluer les émotions selon un protocole de mise en situation et selon un recueil de données couplant des mesures subjectives et des mesures physiologiques. D’autre part, nos résultats peuvent apporter un éclairage intéressant aux travaux sur l’impact des évènements de vie chez les patients bipolaires. Certaines études montrent la grande sensibilité des patients aux évènements de vie majeurs, alors que d’autres précisent que même face à des évènements de vie mineurs, les patients bipolaires ont une sensibilité particulièrement élevée. Selon Ellicott et al. [21], chez les patients bipolaires compliants au traitement, les risques de rechute sont multipliés par cinq en cas d’exposition à des facteurs de stress. Pour Malkoff-Schwartz et al. [22], les évènements a priori mineurs peuvent aussi perturber le rythme de routine sociale et provoquer des accès maniaques. Nos résultats appuient l’hypothèse d’une vulnérabilité à des évènements apparemment mineurs mais ayant un retentissement important chez les patients bipolaires. La réactivité émotionnelle des patients bipolaires paraît se généraliser à tous les types de stimulations, bien qu’elle soit surtout manifeste face aux stimulations neutres. Cependant, même si notre étude montre que les patients atteints de troubles bipolaires se caractérisent par une hyperréactivité émotionnelle de base, les résultats de l’évaluation de l’activation physiologique restent plus mitigés. Chez les patients normothymiques comme chez les témoins, on ne retrouve pas de variation significative de la fréquence cardiaque entre l’état de repos et l’induction émotionnelle par tous les autres films (négatifs, neutres, positif). L’observation majeure concernant l’étude de la fréquence cardiaque est la tachycardie retrouvée au repos comme pendant l’induction émotionnelle, et ce indépendamment de la valence présentée, chez les patients bipolaires normothymiques par rapport au groupe témoin. La présence de facteurs de confusion tels que le niveau d’anxiété plus élevé chez les patients que chez les témoins pourrait être ici en cause. Par ailleurs, l’effet des traitements médicamenteux peut influencer les résultats, et reste une des limitantes principales de notre étude. Endophénotypes émotionnels et troubles bipolaires En ce qui concerne l’étude de la réponse électrodermale, on observe que la conductance cutanée n’est influencée ni par le groupe, ni par le type de film présenté. Il est à noter tout de même que, en 2005, M’Bailara a étudié la réactivité émotionnelle chez 110 sujets bipolaires en phase euthymique. Les mesures électrophysiologiques (réponse électrodermale, fréquence cardiaque et réflexe de sursaut) faites n’ont pas montré de résultat statistiquement probant (pas de variation significative des 3 paramètres en période d’euthymie), et ce en l’absence de biais statistique majeur. Par ailleurs, dans cette étude, la puissance statistique mesurée était suffisante (0,74, α = 0,05) [11]. Nos résultats pourraient, sous réserve, s’inscrire dans la continuité de ce travail. Fonctionnement émotionnel chez les apparentés du premier degré Ce travail soulève un certain nombre de questions, notamment autour du concept d’endophénotype. La réactivité émotionnelle peut-elle représenter un endophénotype des troubles bipolaires ? La littérature scientifique à ce sujet est assez limitée. Une étude menée en 2009 montre un biais cognitif concernant les informations à caractère émotionnel chez les apparentés de patients souffrant d’un trouble de l’humeur bipolaire. Ce biais est mis en évidence à l’aide du test de Stroop émotionnel [23], et introduit la possibilité que l’interférence au test de Stroop soit un marqueur de vulnérabilité pour cette pathologie. Par ailleurs, Contreras et al. [24] montrent, dans un une population du Costa Rica, la persistance de scores d’anxiété élevés chez les apparentés sains de patients souffrant de troubles de l’humeur, ainsi qu’une forte corrélation génétique, suggérant que l’anxiété-trait pourrait être un endophénotype des troubles bipolaires. Enfin, dans un travail récent, Seidel et al. [25] montrent qu’un déficit de reconnaissance des émotions est le seul souscomposant de l’empathie candidat comme endophénotype des troubles de l’humeur. Ainsi, les travaux concernant la réactivité émotionnelle chez les apparentés du 1er degré de patients bipolaires sont rares. Des études ultérieures pourraient s’intéresser aux différents profils de réactivité émotionnelle en lien avec les caractéristiques cliniques du trouble bipolaire. Pour cela, il serait nécessaire de réaliser ce type d’étude auprès d’apparentés sains ou de sujets à risque de développer ce trouble. Conclusion L’étude des émotions prend particulièrement son sens dans le cadre de la maladie psychiatrique, et l’étude du trouble de l’humeur bipolaire en particulier. Dans l’étude présentée ici, l’humeur a fait l’objet d’une réflexion multidimensionnelle concernant plus largement la manière d’être face au monde. Nous avons montré la persistance d’une hyperréactivité émotionnelle subjectivement évaluée pendant la phase euthymique de la maladie bipolaire, après disparition des symptômes dépressifs ou maniaques, allant dans le sens des travaux récents montrant l’existence de caractéristiques cliniques particulièrement associées aux troubles bipolaires. S91 Les troubles de la réactivité émotionnelle apparaissent donc comme des endophénotypes candidats des troubles bipolaires assez prometteurs, et il semble nécessaire d’étendre les expérimentations aux apparentés du 1er degré afin de dégager plus finement les caractéristiques du fonctionnement émotionnel de ces sujets. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec cet article. Références [1] Leboyer M, Bellivier F, Nosten-Bertrand M, Jouvent R, Pauls D, Mallet J. Psychiatric genetics: search for phenotypes. Trends Neurosci 1998;21:102-5. [2] Gershon ES, Badner JA, Goldin LR, Sanders AR, Cravchik A, Detera-Wadleigh SD. Closing in on genes for manic-depressive illness and schizophrenia. Neuropsychopharmacology 1998;18:233-42. [3] Addington J, Addington D. Facial affect recognition and information processing in schizophrenia and bipolar disorder. Schizophr Res 1998;32:171-81. [4] Getz GE, Shear PK, Strakowski SM. 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