L’Encéphale (2011) 37, 119—126
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journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
PSYCHIATRIE DE L’ENFANT
Agrégation de déficits sociaux et de troubles
psychopathologiques chez les parents de personnes
avec autisme : vers une implication du
tempérament ?
Aggregation of social deficits and psychiatric disorders in parents of
children with autism: Toward a temperamental link?
V. Gousséa,,b, C. Galérac, M. Bouvardc, G. Micheld,e
aInstitut d’enseignement à distance (IED), université Paris 8, 2, rue de la Liberté, 93526 Saint-Denis cedex 02, France
bInserm U955 «psychiatrie génétique », fondation FondaMental, institut Mondor de recherche biomédicale,
94000 Créteil, France
cPôle universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, CHS Charles-Perrens, 121, rue de la Béchade,
33076 Bordeaux, France
dEA 4139 «Santé et qualité de vie », UFR sciences de l’Homme, laboratoire de psychologie,
3, ter place de la Victoire, 33076 Bordeaux cedex, France
eInserm U675 «analyse phénotypique, développementale et génétique des comportements addictifs »,
faculté Xavier-Bichat, 75018 Paris, France
Rec¸u le 13 mars 2009 ; accepté le 10 f´
evrier 2010
MOTS CLÉS
Autismes ;
Phénotype large ;
Interactions sociales ;
Troubles
psychiatriques ;
Tempérament
Résumé De nombreuses études ont été menées sur la présence d’un «phénotype large »dans
les familles ayant un enfant atteint de troubles autistiques. D’autres recherches mettent éga-
lement en évidence la prévalence plus fréquente de troubles psychopathologiques chez ces
apparentés, comparativement à des familles ayant un enfant avec un autre type de handicap.
Cet article propose une revue de la littérature dans ces domaines de recherche, en se cen-
trant plus spécifiquement sur l’hypothèse d’un lien entre l’agrégation de déficits sociaux et
celle de troubles psychopathologiques observés dans les familles ayant un enfant avec autisme.
Pour certains auteurs, le concept de tempérament participerait à cette relation. L’occurrence
de déficits sociaux pourrait ainsi être médiatisée par la présence de facteurs de susceptibi-
lité génétiques à développer un trouble psychopathologique, s’exprimant spécifiquement par
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (V. Goussé).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010.
doi:10.1016/j.encep.2010.03.009
120 V. Goussé et al.
la présence de déficits cognitifs de type sociocognitif. Aussi, les perspectives d’études sont
riches tant sur le plan des travaux en génétique que sur le plan des prises en charge ciblées des
familles.
© L’Encéphale, Paris, 2010.
KEYWORDS
Autism spectrum
disorders;
Broad autism
phenotype;
Social interactions;
Psychiatric disorders;
Temperament
Summary
Background. — Autism is a group of neurodevelopmental disorders with heterogeneous pheno-
typic expression. Twin and family-based studies have demonstrated the importance of genetic
factors in the etiology of these disorders. The pioneering work of Folstein and Rutter (1977)
[16], showing concordance — 82 % in non affected monozygotic twins and 10 % in non affected
dizygotic twins — for cognitive deficits (mostly affecting language), has directed work towards
family-based studies aiming at demonstrating the existence of a ‘‘broad autism phenotype’’
(BAP), corresponding to the extension of the ‘‘autistic’’ phenotype in the relatives of affected
children (Bailey et al., 1998 [5]). This notion of a broad phenotype makes it possible to take into
account abnormalities in one or more of the three domains of the syndrome: communication,
socialization and restrained and obsessive interest in a succession of subjects, with qualitatively
similar but quantitatively smaller difficulties observed in the relatives.
Literature findings. — We review here previous studies investigating the broad phenotype in the
relatives of children with autism. We focus specifically on the hypothesis of a link between the
aggregation of social deficits and of psychopathological problems, such problems being more
frequently observed in these families than in families with other types of handicap (Abbeduto
et al., 2004 [1]). Although the difficulties observed in these families may be partly explained
by the stress of having to raise a heavily disabled child, genetic susceptibility factors may play
a role in the occurrence of these problems in the families of autistic children. Constantino and
Todd (2003) [14] support the hypothesis that a single factor is transmitted in families — social
reciprocity — and may be responsible for the overall dysfunction in the various domains of the
syndrome in affected individuals. However, this susceptibility factor may be linked to other
deficits observed in certain psychiatric disorders (e.g., attention deficit in ADHD), consistent
with the hypothesis that there is a link between the broad phenotype and psychopathological
problems.
Conclusion. — This paper reviews this issue in the two domains of study described and presents
a hypothesis to account for the possible link between the presence of the broad phenotype
or more specifically, of social deficits — and the more frequent occurrence of psychological
problems in the families of autistic individuals. The notion of temperament (Garon et al., 2009
[17]) is proposed and considered to present essential characteristics that might account for this
relationship: indeed, temperament is associated with notions of IQ, psychopathology and social
function and could potentially be used as a predictive variable in affected individuals. Finally,
the link between temperament and psychopathology in the relatives of affected individuals may
be reflected in the presence of cognitive peculiarities more specifically linked to socioemotional
dysfunction (Losh and Piven, 2007 [22]).
© L’Encéphale, Paris, 2010.
Introduction
Les troubles du spectre autistique appartiennent à la caté-
gorie des troubles envahissants du développement (TED) de
par le caractère extensif, précoce et durable d’anomalies
dans trois domaines spécifiques [3] : en communication,
socialisation et dans les intérêts répétitifs et restreints.
L’étude princeps de Folstein et Rutter [16] a montré le
poids important des facteurs génétiques dans l’étiologie de
ces troubles, en mettant en évidence une concordance — de
82 % chez les jumeaux monozygotes (MZ) atteints, compa-
rativement aux 10 % retrouvés chez les jumeaux dizygotes
(DZ) atteints — pour des déficits cognitifs, principalement
langagiers et sociaux. Les recherches se sont depuis orien-
tées vers des études familiales visant à mettre en évidence
un phénotype large incluant des anomalies qualitativement
similaires dans un ou plusieurs des trois domaines touchés
par le trouble mais moins sévères. Dans une revue de la
question sur la notion de phénotype large dans les familles
d’enfant avec autisme, Bailey et al. [5] soulignent que
les difficultés dans le domaine des interactions sociales
semblent être le marqueur le plus représentatif des troubles
autistiques : il est mis en évidence tant chez les patients que
chez la majorité des jumeaux MZ non-atteints [4,21] et leurs
apparentés de premier et second degré [8,32]. De plus, les
études familiales montrent également un taux plus élevé
de troubles psychopathologiques ou de la personnalité chez
ces apparentés, comparativement à la population générale.
Ainsi, sans reprendre l’ensemble des travaux depuis les
années 1980 (Goussé et al. [18]), cet article se centre plus
spécifiquement sur l’hypothèse d’un lien entre l’agrégation
de déficits sociaux et celle de troubles psychopathologiques
chez les parents d’enfants présentant un trouble autistique.
En effet, si la présence importante de troubles psychopatho-
logiques chez ces parents peut en partie être expliquée par
le stress d’avoir à élever un enfant avec un lourd handicap,
Agrégation de déficits sociaux et de troubles psychopathologiques 121
il est probable, selon une conception interactionniste, que
des facteurs de susceptibilité génétiques aient aussi une
influence dans leur survenue. Ainsi, dans la conclusion de
cet article, nous proposerons une hypothèse théorique sur le
rôle du tempérament comme variable médiatrice d’un lien
entre la présence du phénotype large et la prévalence plus
élevée de troubles psychopathologiques dans ces familles.
Études de l’agrégation des déficits sociaux
chez les apparentés de personnes atteintes de
troubles autistiques
Plusieurs équipes de recherche ont étudié l’agrégation
de déficits sociaux dans les familles ayant un enfant
avec autisme, à l’aide d’outils d’évaluation spécifiquement
dédiés à l’étude du phénotype large.
Dans l’équipe de Baron-Cohen et à l’aide de l’autism
spectrum quotient (AQ, [6,39]), Bishop et al. [7] ont montré
que seules les compétences sociales et langagières permet-
traient de différencier les apparentés d’enfants autistes
des contrôles. Néanmoins, le score de QI verbal des appa-
rentés ne différant pas de celui du groupe de contrôle,
les auteurs ont suggéré qu’une seule dimension cognitive,
«l’empathie »1sous-tendrait les difficultés rencontrées par
les parents dans l’utilisation sociale du langage. De même,
Piana et al. [28], utilisant la version franc¸aise de l’AQ, ont
montré que le domaine des interactions sociales discrimi-
nerait le plus significativement le groupe des apparentés
d’enfants ayant un TED de celui des témoins. Enfin, Losh et
Piven [22] ont montré que les apparentés d’enfants autistes
ayant des difficultés dans les relations sociales présentaient,
de manière conjointe, des résultats significativement plus
faibles dans un test portant sur la lecture des émotions par le
regard (Eyes Test mis au point par l’équipe de Baron-Cohen).
Le groupe de Constantino et al. a construit et validé un
questionnaire dimensionnel, le Social Responsiveness Scale
(SRS2[11]), spécifiquement dédié à la mesure des déficits
dans les trois domaines du syndrome. Ce questionnaire a
permis de mettre en évidence une répartition continue des
scores au SRS tant chez les personnes ayant un TED, que
chez des patients porteurs d’autres troubles psychopatholo-
giques (ex : le TDAH) [13]. Ces résultats suggéreraient que
le déficit d’un seul facteur — la réciprocité sociale — partici-
perait à la survenue de l’ensemble de ces troubles, mesurés
à l’aide du CBCL [2], renforc¸ant l’hypothèse transnosogra-
phique en psychopathologie. De plus, Constantino et al. [12]
ont mis en évidence une distribution continue des traits
appartenant au phénotype large et plus spécifiquement des
problèmes liés aux interactions sociales. Les déficits les plus
sévères sont plus importants dans la fratrie des familles mul-
tiplexes (ayant plusieurs enfants atteints) que dans celles
ayant un cas sporadique (un seul enfant souffrant de TED).
En revanche, ce sont les familles d’enfant présentant un
autre trouble psychopathologique (exemple : enfant avec un
TDAH) qui ont les déficits les moins sévères. Ces résultats
sont confirmés dans une étude récente de Virkud et al. [38].
1La capacité à comprendre les émotions d’autrui.
2Restructuration du Social Reciprocity Scale.
Il n’est pas toujours possible de pouvoir mettre en
évidence, d’un point de vue expérimental, les difficultés
sociales observées chez les apparentés : elles sont parfois
subtiles, semblant a priori, avoir peu d’impacts. Cependant,
dans la lignée d’études plus anciennes [8,15,32], Mazefsky
et al. [23] montrent que les indicateurs les plus signifi-
catifs de la présence de difficultés dans le domaine de
la socialisation chez les apparentés apparaissent lorsqu’ils
sont interrogés sur leur histoire développementale, révélant
certaines particularités dans l’acquisition et le développe-
ment du langage ou dans les interactions sociales. De plus,
ces auteurs soulignent l’impact familial que ces difficultés
sociales peuvent avoir sur l’autonomie et la socialisation de
leur enfant autiste : ainsi, un retrait social souvent lié à des
périodes de tristesses importantes chez les parents, est cor-
rélé négativement aux scores en compétences sociales de
leur enfant atteint, alors que ces compétences ne semblent
pas strictement liées à la sévérité des symptômes, ni au QI de
cet enfant. D’où la nécessité de prendre en compte ces pro-
blèmes de socialisation en tentant de spécifier leur lien avec
certains troubles psychopathologiques (exemple : troubles
anxieux et dépressifs). Les modèles explicatifs sont-ils cau-
saux et/ou interactionnistes ? Les travaux sur l’agrégation de
troubles psychopathologiques chez les apparentés peuvent
aider à la compréhension de mécanismes physiopatholo-
giques communs.
Études sur l’agrégation de troubles
psychopathologiques et de troubles de la
personnalité chez les apparentés de
personnes souffrant de troubles autistiques
Les études familiales menées auprès des parents d’enfants
avec autisme tendent généralement à montrer un taux plus
élevé de troubles psychopathologiques dans ces familles que
dans celles ayant un enfant souffrant d’un autre trouble
ou handicap. Les troubles psychopathologiques les plus
fréquents sont : les troubles dépressifs et anxieux et les
troubles de la personnalité (Tableau 1).
Les troubles dépressifs
Des études anciennes ont montré un taux de dépression
majeure plus important chez les parents de personnes
autistes comparativement à des parents de personnes ayant
une trisomie 21 [30,35] ; ce risque est surtout majoré chez
les mères [9]. Alors que l’annonce du diagnostic et le vécu
psychologique quotidien des parents d’enfants autistes sont
souvent incriminés pour expliquer le lien avec la dépres-
sion parentale [26], cet évènement n’est pas le seul facteur
explicatif. En effet, des auteurs [9,31] ont montré que le
début des épisodes dépressifs remonte très majoritairement
avant la naissance de l’enfant. Une étude récente de Micali
et al. [24] a répliqué les résultats précédents montrant
un taux de dépression plus important chez les parents de
personnes avec autisme comparativement à des parents de
témoins avec un âge de début du trouble situé très majori-
tairement (83 %) avant la naissance de l’enfant atteint. Ce
type de résultat suggère la participation d’une susceptibilité
génétique.
122 V. Goussé et al.
Tableau 1 Études portant sur l’agrégation de troubles psychopathologiques (troubles dépressifs, troubles anxieux et de troubles de la personnalité), chez les apparentés de
personnes avec des troubles envahissants du développement.
Effectif des études Principaux résultats selon le trouble envisagé
nparents enfants
avec AU ou TED
nparents du
groupe de témoin
Outils d’évaluation Troubles dépressifs Troubles anxieux Traits de personnalité
Piven et al., 1991
[29]
81 parents AU 34 parents Tr 21 SADS-LA Taux de
dépression :
familles AU (16 %)
et contrôles (6 %)
Troubles anxieux :
familles AU (23,5 %)
et contrôles (2,9 %)
Smalley et al.,
1995 [35]
96 parents AU 45 parents Tr 21 SADS-LA Taux de
dépression :
familles AU
(37,5 %) et
contrôles (11 %)
Phobie sociale :
familles AU (20,2 %)
et contrôles (2,4 %)
Piven et al., 1997b
[33]
48 parents AU 60 parents Tr 21 Entretien avec l’un des
deux parents :
M-PAS
FI
Traits de
personnalité rigide,
anxieuse plus élevés
dans familles AU
multiplexes que
sporadique et
témoins
Bolton et al., 1998
[9]
195 parents AU 72 parents Tr 21 SADS-LA Taux de
dépression :
familles AU
(19,7 %) et
témoins (5,7 %)
——
Piven et Palmer,
1999 [31]
48 parents AU 60 parents Tr 21 Entretien avec l’un des
deux parents :
M-PAS
SADS-LA-R
FHI
Taux plus élevé de
dépression :
familles AU (18 %,
vie entière) et
témoins (1,7 %)
Phobie sociale :
familles AU (14,6 %)
et contrôles (3,3 %)
Murphy et al.,
2000 [27]
99 parents AU 36 parents Tr 21 Entretien avec l’un des
deux parents :
M-PAS
Mise en évidence de
trois sous-groupes de
traits de personnalité
chez apparentés AU :
«introverti »,
«difficile »et
«anxieux »
Agrégation de déficits sociaux et de troubles psychopathologiques 123
Wilcox et al., 2003
[40]
120 parents AU 121 parents
d’enfant SP
123 parents
d’enfant avec TED
SCID Taux plus élevé de
troubles anxieux
(56%;
majoritairement de
TOC) dans les familles
AU, que dans familles
TED (2 %) et témoins
(0 %)
Micali et al., 2004
[24]
97 parents AU/TED 206 parents SP Entretien semi-structuré
sur histoire
développement et
troubles psychiatriques
Taux plus élevé de
dépression :
familles AU/TED
(58,2 %, vie
entière) et
témoins (46 %)
Taux plus élevé de
TOC dans les familles
AU/TED (11,4 %) que
témoins (2 %)
Losh et Piven,
2007 [22]
48 parents AU 22 parents SP Entretien avec les deux
parents :
BAPQ
Traits de personnalité
«bizarre »chez 25 %
des parents AU
expliquant difficultés
cognition sociale
(eyes test)
Hurley et al., 2007
[19]
86 parents AU 64 parents SP Entretien avec les deux
parents :
BAPQ
Taux plus élevés de
traits de personnalité
(rigidité, bizarreries)
dans familles AU que
chez les contrôles
Mazefsky et al.,
2008 [23]
77 parents AU pas de groupe
témoin
Entretien avec l’un des
deux parents :
FHI
Taux de dépression
(33,8 %) corrélés
positivement à la
présence de
difficultés
adaptatives chez
l’enfant atteint
Taux de stress (31 %)
et d’anxiété (14 %)
corrélés positivement
à la présence de
difficultés
adaptatives chez
l’enfant atteint
AU : parents d’enfants avec autisme; TED : parents d’enfants avec TED ; Tr 21 : parents d’enfant avec trisomie 21 ; témoins : parents d’enfant sans pathologie ; SADS-LA : Schedule for
Affective Disorders and Schizophrenia Lifetime Version ; M-PAS : Modified Personality Assessment Schedule; FI : friendship interview ; SCID : Structured Clinical Interview for DSM ; BAPQ :
Broad Autism Phenotype Questionnaire ; FHI : family history interview.
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