Agrégation de déficits sociaux et de troubles psychopathologiques 121
il est probable, selon une conception interactionniste, que
des facteurs de susceptibilité génétiques aient aussi une
influence dans leur survenue. Ainsi, dans la conclusion de
cet article, nous proposerons une hypothèse théorique sur le
rôle du tempérament comme variable médiatrice d’un lien
entre la présence du phénotype large et la prévalence plus
élevée de troubles psychopathologiques dans ces familles.
Études de l’agrégation des déficits sociaux
chez les apparentés de personnes atteintes de
troubles autistiques
Plusieurs équipes de recherche ont étudié l’agrégation
de déficits sociaux dans les familles ayant un enfant
avec autisme, à l’aide d’outils d’évaluation spécifiquement
dédiés à l’étude du phénotype large.
Dans l’équipe de Baron-Cohen et à l’aide de l’autism
spectrum quotient (AQ, [6,39]), Bishop et al. [7] ont montré
que seules les compétences sociales et langagières permet-
traient de différencier les apparentés d’enfants autistes
des contrôles. Néanmoins, le score de QI verbal des appa-
rentés ne différant pas de celui du groupe de contrôle,
les auteurs ont suggéré qu’une seule dimension cognitive,
«l’empathie »1sous-tendrait les difficultés rencontrées par
les parents dans l’utilisation sociale du langage. De même,
Piana et al. [28], utilisant la version franc¸aise de l’AQ, ont
montré que le domaine des interactions sociales discrimi-
nerait le plus significativement le groupe des apparentés
d’enfants ayant un TED de celui des témoins. Enfin, Losh et
Piven [22] ont montré que les apparentés d’enfants autistes
ayant des difficultés dans les relations sociales présentaient,
de manière conjointe, des résultats significativement plus
faibles dans un test portant sur la lecture des émotions par le
regard (Eyes Test mis au point par l’équipe de Baron-Cohen).
Le groupe de Constantino et al. a construit et validé un
questionnaire dimensionnel, le Social Responsiveness Scale
(SRS2[11]), spécifiquement dédié à la mesure des déficits
dans les trois domaines du syndrome. Ce questionnaire a
permis de mettre en évidence une répartition continue des
scores au SRS tant chez les personnes ayant un TED, que
chez des patients porteurs d’autres troubles psychopatholo-
giques (ex : le TDAH) [13]. Ces résultats suggéreraient que
le déficit d’un seul facteur — la réciprocité sociale — partici-
perait à la survenue de l’ensemble de ces troubles, mesurés
à l’aide du CBCL [2], renforc¸ant l’hypothèse transnosogra-
phique en psychopathologie. De plus, Constantino et al. [12]
ont mis en évidence une distribution continue des traits
appartenant au phénotype large et plus spécifiquement des
problèmes liés aux interactions sociales. Les déficits les plus
sévères sont plus importants dans la fratrie des familles mul-
tiplexes (ayant plusieurs enfants atteints) que dans celles
ayant un cas sporadique (un seul enfant souffrant de TED).
En revanche, ce sont les familles d’enfant présentant un
autre trouble psychopathologique (exemple : enfant avec un
TDAH) qui ont les déficits les moins sévères. Ces résultats
sont confirmés dans une étude récente de Virkud et al. [38].
1La capacité à comprendre les émotions d’autrui.
2Restructuration du Social Reciprocity Scale.
Il n’est pas toujours possible de pouvoir mettre en
évidence, d’un point de vue expérimental, les difficultés
sociales observées chez les apparentés : elles sont parfois
subtiles, semblant a priori, avoir peu d’impacts. Cependant,
dans la lignée d’études plus anciennes [8,15,32], Mazefsky
et al. [23] montrent que les indicateurs les plus signifi-
catifs de la présence de difficultés dans le domaine de
la socialisation chez les apparentés apparaissent lorsqu’ils
sont interrogés sur leur histoire développementale, révélant
certaines particularités dans l’acquisition et le développe-
ment du langage ou dans les interactions sociales. De plus,
ces auteurs soulignent l’impact familial que ces difficultés
sociales peuvent avoir sur l’autonomie et la socialisation de
leur enfant autiste : ainsi, un retrait social souvent lié à des
périodes de tristesses importantes chez les parents, est cor-
rélé négativement aux scores en compétences sociales de
leur enfant atteint, alors que ces compétences ne semblent
pas strictement liées à la sévérité des symptômes, ni au QI de
cet enfant. D’où la nécessité de prendre en compte ces pro-
blèmes de socialisation en tentant de spécifier leur lien avec
certains troubles psychopathologiques (exemple : troubles
anxieux et dépressifs). Les modèles explicatifs sont-ils cau-
saux et/ou interactionnistes ? Les travaux sur l’agrégation de
troubles psychopathologiques chez les apparentés peuvent
aider à la compréhension de mécanismes physiopatholo-
giques communs.
Études sur l’agrégation de troubles
psychopathologiques et de troubles de la
personnalité chez les apparentés de
personnes souffrant de troubles autistiques
Les études familiales menées auprès des parents d’enfants
avec autisme tendent généralement à montrer un taux plus
élevé de troubles psychopathologiques dans ces familles que
dans celles ayant un enfant souffrant d’un autre trouble
ou handicap. Les troubles psychopathologiques les plus
fréquents sont : les troubles dépressifs et anxieux et les
troubles de la personnalité (Tableau 1).
Les troubles dépressifs
Des études anciennes ont montré un taux de dépression
majeure plus important chez les parents de personnes
autistes comparativement à des parents de personnes ayant
une trisomie 21 [30,35] ; ce risque est surtout majoré chez
les mères [9]. Alors que l’annonce du diagnostic et le vécu
psychologique quotidien des parents d’enfants autistes sont
souvent incriminés pour expliquer le lien avec la dépres-
sion parentale [26], cet évènement n’est pas le seul facteur
explicatif. En effet, des auteurs [9,31] ont montré que le
début des épisodes dépressifs remonte très majoritairement
avant la naissance de l’enfant. Une étude récente de Micali
et al. [24] a répliqué les résultats précédents montrant
un taux de dépression plus important chez les parents de
personnes avec autisme comparativement à des parents de
témoins avec un âge de début du trouble situé très majori-
tairement (83 %) avant la naissance de l’enfant atteint. Ce
type de résultat suggère la participation d’une susceptibilité
génétique.