L’Encéphale, 2006 ;
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60-6, cahier 1 Les frères des enfants atteints d’une maladie neurologique chronique : difficultés et besoins émotionnels
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CBCL, qui a démontré une fréquence de problèmes psycho-
pathologiques assimilable à celle de l’autre groupe. La mise
en évidence dans notre échantillon de signes évidents de ris-
que psychopathologique chez ces enfants, souligne pourtant
l’importance de l’attention qu’il faut donner aux frères
« sains » des enfants handicapés.
Mots clés :
Enfant ; Famille ; Frère ; Maladie neurologique chro-
nique ; Psychopathologie.
INTRODUCTION
La naissance d’un enfant avec un handicap comporte
un « changement catastrophique » (3) dans l’équilibre
émotionnel de la famille.
À la suite d’un tel événement traumatique, la désorien-
tation et la confusion des parents sont évidentes dès les
premiers instants après le diagnostic et elles ont fréquem-
ment été objet de recherches (2, 4, 19) ; d’autre part l’état
mental et émotionnel des autres enfants de la famille a
été au contraire peu étudié, à l’exception d’une récente
étude monographique (21).
De nombreux auteurs se sont occupés des dynamiques
familiales en relation avec la présence de plusieurs
enfants et des émotions associées à l’intérieur de familles
qui n’ont aucun membre handicapé.
La naissance d’un deuxième enfant apporte des modi-
fications à une structure familiale qui se trouve apparem-
ment en équilibre ; pour ce qui concerne le premier né, il
doit faire face et élaborer à un niveau intrapsychique le
deuil lié à un traumatisme double ; ce traumatisme est à
la fois lié à l’objet, à cause de l’objet maternel qui l’a déçu,
et narcissique, pour la destruction de son illusion enfantine
de toute-puissance (18).
S. Freud définit la jalousie fraternelle comme un senti-
ment de haine jalouse envers le frère, qu’il vit comme un
rival et un intrus, et de rancune tenace envers une mère
infidèle qui partage son lait entre deux fils (7) ; selon Win-
nicott, elle est au contraire considérée comme un senti-
ment sain et salutaire, puisqu’elle est liée à la capacité de
l’enfant d’aimer (23) : sa tolérance et sa résolution, grâce
à l’élaboration du deuil qui lui est associé, sont une impor-
tante poussée maturative qui permettra à l’enfant l’entrée
dans le monde social de la rivalité avec les autres.
À partir de son point de vue particulier, M. Klein théorise
que, dans le processus de formation précoce de la per-
sonnalité (11), pour que l’enfant puisse passer de la posi-
tion pré-ambivalente (schïzo-paranoïde) à la position
dépressive et pour pouvoir donc continuer dans le déve-
loppement affectif, il devrait y avoir une prévalence des
expériences « bonnes » par rapport aux « mauvaises » ;
le Soi peut ainsi apprendre à croire dans la force du
« bon » objet, « source de nourriture affective », par rap-
port aux objets persécuteurs, aussi bien qu’à la préva-
lence de son instinct de vie sur celui de mort.
La naissance d’un frère, aussi bien que d’autres évè-
nements « extérieurs », peut être vécue dans ces phases
précoces du développement comme un élément de pri-
vation, qui peut représenter un obstacle à la gratification
nécessaire pour un développement harmonieux. L’envie
est l’un des facteurs qui, selon Mélanie Klein, agit dès la
naissance et influence massivement les toutes premières
expériences de vie de l’enfant ; à différence de la jalousie,
l’envie est le propre d’une relation duelle, et commence
dès l’instant où l’enfant devient conscient du sein, objet
partiel dispensateur de vie, de gratification et d’expérien-
ces positives.
Gratification et envie sont inversement proportionnelles
et si tout ceci a lieu sans troubles, l’enfant a accès à la
position dépressive.
Si l’on peut penser qu’un enfant est capable d’éprouver
dès les phases les plus précoces du développement des
émotions aussi intenses et qui peuvent potentiellement
mener à une déstructuration, on peut aussi croire qu’une
expérience de privation maternelle, bien que partielle,
comme celle qui a lieu au moment de la naissance d’un
frère, peut effectivement créer un sentiment d’ambivalence
et d’agressivité. Néanmoins ce type d’expérience peut en
même temps créer les bases d’une importante poussée
évolutive, puisqu’elle permet l’élaboration de sentiments
qui ne sont pas seulement négatifs mais qui sont aussi des
constituants essentiels de la personnalité de l’enfant.
Les choses sont bien plus compliquées dans un milieu
familial où le frère rival a un handicap qui concerne, aussi
bien d’un point de vue concret qu’affectif, tous les mem-
bres de la famille ; la mère doit renoncer à l’image de
l’enfant parfait attendu et s’adapter à la naissance sou-
daine d’un enfant handicapé.
Les longues hospitalisations, les contrôles fréquents,
ainsi que les thérapies de réhabilitation, éloignent les
parents (et plus souvent la mère) du reste de la famille.
Mais c’est surtout le processus psychologique caractérisé
par la préoccupation, l’angoisse et des pensées centrées
presque exclusivement sur l’enfant malade, qui peut por-
ter les parents à réduire de façon importante l’attention
prêtée au reste de la famille et aux relations affectives
situées en dehors de la dyade parent-enfant malade.
Quand, en outre, comme c’est souvent le cas, l’handi-
cap est la conséquence d’un accouchement pré-terme,
donc non prévu et chargé d’angoisses de mort, le deuil
que le couple parental doit affronter après le choc initial
devient très important (5, 15, 17).
Négation, anxiété, dépression, sentiments de culpabi-
lité et ressentiment, envahissent le couple parental et, par
conséquence, l’autre ou les autres enfants qui avaient
bien partagé la joie, les fantaisies et l’excitation des
parents pendant la grossesse.
Selon les paramètres indiqués par Giannotti et Gian-
nakoulas (9) à propos des aspects psychodynamiques du
couple, on peut envisager l’apparition d’une modification
de la membrane dyadique du couple, entraînée par un
événement pathogène : le couple introduit l’handicap de
l’enfant à l’intérieur de cette membrane, qui s’endurcit
autour d’une triade pathologique, mère, père et pathologie
de l’enfant.