
Les Etats qui avaient un fort niveau d'endettement sans être producteurs de pétrole ont
eu de plus en plus de mal à équilibrer leurs exercices budgétaires. Il a fallu emprunter pour
rembourser les emprunts passés, à des taux qui promettaient d'engendrer de nouvelles
difficultés. Faute de remèdes radicaux, cette situation vouait irrémédiablement les pays à la
faillite. Il s‟y ajoutait dans plusieurs cas, une énorme distorsion entre l‟affectation théorique et
l‟utilisation effective de la dette extérieure, qui n‟a pas favorisé la création de conditions
adéquates de formation et de mobilisation de surplus indispensables à l‟amortissement
régulier du service de la dette (principal et intérêts échus). Cette situation risquait de
constituer assurément le fondement d‟une crise de paiements dont la perpétuation, si rien
n‟était entrepris, pouvait déboucher sur une crise sérieuse de solvabilité. La cessation de
paiements se traduirait alors par un retrait des financements extérieurs et un effondrement des
importations qui aurait des incidences sur la production par le biais des nombreux secteurs qui
recourent à des biens d'équipement importés. Ces difficultés sont propres à la majorité des
Etats qui avaient financé leur croissance par l'endettement. Elles ont naturellement été plus
aiguës au Sud, mais les problèmes n'ont pas épargné le Nord, où l'Etat Providence a subi de
nombreuses attaques, tandis que les politiques d'offre se sont partout substituées à la
régulation par la demande.
Cette montée des déséquilibres, de l‟endettement et de la stagnation de la production a
rendu inéluctables les politiques de stabilisation et d'ajustement structurel. Aussi a-t-elle fait
durement ressentir ses conséquences, du fait de la compression drastique des dépenses en vue
d‟une réduction des créances futures. Le choix, à l'époque, n'était pas entre le refus d'une telle
politique et son acceptation passive, mais entre la possibilité d'entrevoir, au prix de sacrifices,
un avenir meilleur, et la certitude de s'enfoncer dans la voie du déclin. Cette politique qui
consiste à affamer pour développer n‟est pas nouvelle.
La conjugaison de toutes ces situations a conduit progressivement tous les Etats
africains à adopter des programmes de stabilisation et d‟ajustement et les mécanismes de
gestion qui les accompagnent avec l‟appui de la Banque mondiale et du FMI, au détriment des
stratégies planifiées de développement. A une politique volontariste orientée vers la
modernisation des bases du développement a ainsi succédé un ensemble de programmes de
gestion des déséquilibres macroéconomiques et à court terme.
Toutefois, les stratégies de développement telles qu‟elles se sont déployées durant un
quart de siècle, ont conduit à l‟impasse au double point de vue des perspectives de
développement national et de celui d‟une insertion qualitative dans l‟ordre mondial. Les
problèmes des nations comme ceux des individus se sont multipliés et compliqués.
Paradoxalement, l‟abondance n‟a pas apporté aux populations, l‟amélioration du niveau ou de
la qualité de la vie. Elle a plutôt pollué l‟environnement, gaspillé de gigantesques ressources,
engendré la peur et le doute relativement aux relations intergénérationnelles.
L‟incapacité à maîtriser les turbulences des systèmes économiques et financiers, à
gérer les risques et les incertitudes et à gouverner l‟ordre mondial sont des manifestations
évidentes qui rendent indispensables et urgents des changements fondamentaux dans toutes
les sphères des économies. L‟Afrique est confrontée à l'aggravation de ses déséquilibres
financiers, à la stagnation, voire au recul de ses systèmes de production mais encore à la
pauvreté grandissante (avec un approfondissement du couple chômage et pauvreté). Les
populations sont de plus en plus insatisfaites et impatientes et les jeunesses sont frustrées par
leur impuissance face aux nécessités les plus élémentaires de la vie : nourriture, éducation,
soins médicaux, logement, eau potable. Or, il est bien connu qu‟un monde qui désespère est
un monde qui va exploser.