médecin est devenu un conseiller en gestion du potentiel de santé de l’individu. Pour conseiller avec compétence, il doit
prendre en compte toutes les dimensions de l’individu. La formation continue l’aide en lui permettant d’évoluer en même
temps que les sensibilités du monde.
Cette trilogie est-elle bien prise en compte dans la réalité du monde médical ?
Au plan pédagogique, ce modèle se met en place petit à petit. On doit s’affranchir de l’approche paternaliste, dominante
en Europe, qui conçoit que le médecin ou soignant sait ce qui est bon pour le malade et lui impose un traitement sans lui
demander son avis. Le modèle concurrent est celui des Anglo-saxons : autonomistes, ils considèrent que c’est au patient
à décider. La troisième vision, collectiviste, cherche à élever le niveau de santé pour tout le monde, sans se préoccuper
de l’individu. La synthèse et le dépassement de ces trois modèles, qui ont chacun des bons et des mauvais côtés, sont
réalisés par le modèle délibératif : qu’on le veuille ou non, le médecin est celui qui sait, le patient est celui qui souffre, la
collectivité est celle qui peut. En pédagogie, cela se traduit par la recherche de qualité scientifique avec le paradigme de
la médecine fondée sur des preuves, par la dimension humaniste avec la prise en compte du soigné dans son contexte
social, enfin par la dimension de solidarité et la prise en compte du contexte économique et social dans lequel se déroule
le soin : on peut enseigner la même chose à des médecins qui vont exercer à Montchat et à ceux qui vont exercer au
Burkina-Faso, mais il faut montrer comment adapter ces savoirs à la réalité quotidienne. Le fait d’accorder une plus
grande place au patient n’a-t-il pas des effets pervers, car on sait que le patient peut être influencé par les industries
pharmaceutiques ? Effectivement, la pression des patients pose des problèmes. A mon avis, le plus important est qu’il
est en train de naître une médecine de désir. Elle s’accompagne de la tendance à médicaliser tous les événements
physiologiques de la vie, de la naissance à la sexualité jusqu’à la mort, en passant par l’esthétique ou le sport. Dans le
domaine de la sexualité, c’est par exemple la prise de Viagra®, dans le domaine de l’apparence physique ce sera
notamment la médecine esthétique. A partir de là, une question se pose, qui ne peut être résolue par les seuls
professionnels de santé : cette médecine de désir doit-elle être prise en charge par la solidarité nationale ou laissée à la
charge des individus, au risque de créer un système de santé à deux vitesses : les riches enlèvent leurs rides, les moins
riches les gardent ? Ceux qui ne pourront accéder à cette médecine de désir pourront connaître une forme de souffrance
: on parle de souffrance existentielle par rapport à la souffrance essentielle. Dans ce domaine, on va être obligé de
prendre position.
Comment concevez-vous le rôle du pédagogue ?
Pour moi, le pédagogue est non pas celui qui remplit un vase, mais celui qui allume le feu : je cherche à susciter la
motivation. Il en faut car le soignant va toute sa vie avoir à travailler par lui-même pour se former. La formation continue
passe obligatoirement par l’étude personnelle. C’est d’abord une auto-formation, plus ou moins guidée. C’est ensuite le
fait de rencontres et de dialogues, dans le cadre de séminaires où des experts interviennent. Les principales difficultés
du soignant à se former tiennent à la surinformation : il doit choisir dans les publications les plus adaptées à ses
problèmes et détecter ce qu’il ne sait pas. C’est très complexe. Notre rôle est de l’aider à découvrir ses zones d’ombres.
Pourquoi avoir créé un diplôme de pédagogie médicale à l’université Claude Bernard Lyon 1 ?
On s’est rendu compte qu’une dérive s’est produite : à une médecine très humaniste jusqu’au début du XX siècle a
e
succédé une médecine très scientifique, trop scientifique en un sens : on s’est ainsi rendu compte que les professeurs de
médecine nommés dans la deuxième moitié de ce siècle n’étaient plus des cliniciens mais des chercheurs, ayant parfois
peu d’aptitude à enseigner. On a confondu maîtrise de recherche et professorat. Pour injecter ou réinjecter la valence
pédagogique, nous avons créé en 1997 ce diplôme de pédagogie médicale pour les futurs enseignants de l’université,
mais aussi pour les professionnels de santé du secteur privé qui s’investissent dans des associations de formation
continue. Ce mélange est une richesse. Chacun est obligé de prendre en compte les problématiques de l’autre car,
durant l’année, on étudie les problématiques aussi bien d’un chirurgien, d’un biologiste que d’un médecin de santé
publique. Chaque année, le meilleur mémoire est récompensé par un prix et les meilleurs travaux sont présentés lors
d’un colloque de pédagogie médicale. Quel est le contenu délivré par cette formation (diplôme de pédagogie médicale) ?
Nous essayons de balayer tous les aspects de la pédagogie. Les cours sont regroupés sur cinq mois, autour de cinq
séminaires : sont abordés les principes de psycho-pédagogie, la question de l’intégration des niveaux de preuve
scientifique dans l’enseignement, les méthodes pédagogiques, puis l’évaluation pédagogique : est-ce qu’on veut évaluer
ce que les gens savent ou la qualité de ce qu’ils vont faire, leur aptitude à créer de bons médecins ? ; enfin comment
participer à la formation continue. Les Actualités Claude Bernard est le plus important colloque de formation continue de
la région en santé, destiné aux médecins généralistes.
Est-il possible d’évaluer l’impact de ce type d’événement sur la modification des pratiques des participants ?
Un mot d’abord sur ce colloque qui fête ses trente années d’existence. Il réunit 500 participants chaque année. Les deux
principaux dispositifs de formation sont les conférences plénières et les ateliers. Les participants s’y rendent en fonction