Infections Nosocomiales 495 FAUT-IL ISOLER UN PATIENT PORTEUR DE BMR ? CONTRE J-Y. Fagon, Service de Réanimation Médicale, Hôpital Européen Georges Pompidou, 20 rue Leblanc, 75015 Paris. INTRODUCTION L’isolement des patients porteurs de BMR est aujourd’hui une recommandation «standard», mais n’est pas devenu un standard de soins. A l’époque de l’«evidence based medicine», cet état de fait n’est pas surprenant puisque le rationnel et le support scientifique de telles mesures sont très faibles. De plus, force est de constater que, plusieurs années après la mise en application de ces recommandations, il s’agit aujourd’hui d’un échec. De nombreux arguments plaident contre la mise en œuvre de mesures d’isolement spécifiquement dédiées aux malades porteurs de BMR. 1. AVANT D’ISOLER : IL FAUT DEPISTER LES PORTEURS DE BMR Cependant : • La sensibilité des procédures de détections, de dépistage ou de screening est inconnue, • Il est impossible de préciser aujourd’hui les modalités de détection : quels sites prélever avec quelle fréquence, comment, c’est à dire avec l’objectif de détecter quels germes ? • Il est impossible de screener tous les malades et tous les soignants tout le temps et un portage transitoire peut être méconnu, • Les facteurs environnementaux sont le plus souvent négligés, ou nécessitent des prélèvements avec les mêmes questions méthodologiques que pour les malades et les soignants, • La charge de travail liée au dépistage, pour les soignants de l’unité de soins, l’équipe d’hygiène, le laboratoire de microbiologie est probablement non supportable. 2. LES MESURES D’ISOLEMENT SONT IMPRECISES OU MAXIMALISTES Elles requièrent : • Des zones d’isolement qu’il faut logiquement prévoir dans tout l’établissement étant donné la prévalence du portage de BMR à l’admission de patients provenant des urgences, mais aussi de long et moyen séjour, d’HAD ou ayant déjà été hospitalisés auparavant. La création de telles zones nécessite des travaux souvent importants. 496 MAPAR 2002 Des décisions de mesures d’isolement géographiques hétérogènes selon les services ne peuvent qu’accroître la confusion et l’incompréhension chez les soignants. • Avant obtention des résultats des prélèvements initiaux, tout malade doit être considéré comme porteur, il faut donc prévoir des zones d’isolement dans tout l’hôpital. • Les mesures d’isolement techniques sont extrêmement diverses : l’efficacité de chacune d’entre-elles n’est pas ou mal connue et l’accumulation de mesures à validité inconnue ne rend pas un programme globalement efficace. • Dans la réalité, ces mesures ne sont pas respectées : mal expliquées (gants ?, lavage avant ?, lavage après ?, solution hydroalcoolique ?, …) ou impossibles (pas de lavabo, pas de gants, …) ou irréalisables (temps passé incompatible avec la charge de soins ; contexte de l’urgence …). 3. IL FAUT THEORIQUEMENT ERADIQUER LE PORTAGE AVANT D’INTERROMPRE L’ISOLEMENT : • Comment ? • Faut-il confirmer l’éradication ? comment ? avec quels tests ayant quelle sensibilité ? • En l’absence de réponse fiable, il faut maintenir l’isolement pendant tout le séjour. 4. SI L’EFFICACITE DES MESURES D’ISOLEMENT MERITERAIT D’ETRE REELLEMENT EVALUEE, SES EFFETS SECONDAIRES SONT EVIDENTS : • Surcoût : travaux, traitements visant à l’éradication (effet secondaire, résistance), personnels supplémentaires. • Désorganisation du service : retard à l’admission, retard au transfert dans d’autres unités, sectorisation géographique et technique. • Baisse de la qualité de soins : présence moins intense des soignants au lit du malade, retard à la prise en charge dans certaines situation d’urgence, baisse de la qualité de la rééducation. • Psychologie du malade et de son entourage : (contacts moins étroits, effet barrière, anxiété…) et psychologie des soignants (démotivation, culpabilisation, incompréhension…). • L’accumulation de ces effets secondaires risque de rendre plus fréquent le recours à des procédures médico-légales en cas d’échec. 5. ENFIN, Y A-T-IL UNE EVIDENCE QU’UN PATIENT VA MIEUX S’IL N’ACQUIERE PAS DE BMR ? LE RISQUE D’INFECTION EST-IL PLUS GRAND, LE RISQUE D’INFECTION GRAVE EST-IL PLUS GRAND, LE RISQUE D’INFECTION MORTELLE EST-IL PLUS GRAND ? CONCLUSION Il paraît aujourd’hui raisonnable d’améliorer globalement la qualité des locaux d’hospitalisation, la densité de personnels soignants, le respect de mesures d’hygiène hospitalière simples, et les conditions d’utilisation des antibiotiques plutôt que de poursuivre une politique qui n’a pas fait la preuve de son efficacité.