81
Rev Med Liege 2017; 72 : 2 : 81-86
R
ésumé
: De nombreuses études épidémiologiques ont révélé
qu’une fréquence cardiaque de repos supérieure à 75 bat-
tements par minute est associée à une morbi-mortalité
cardiovasculaire augmentée, notamment chez les patients
insuffisants cardiaques. La fréquence cardiaque de repos
n’est pas seulement un marqueur de risque accru; elle est
aussi un facteur de risque «modifiable». Plusieurs classes thé-
rapeutiques chronotropes négatives ont démontré des béné-
fices en termes de morbidité et mortalité. Néanmoins, il existe
une différence majeure entre la fréquence cardiaque recom-
mandée et celle de la vie de tous les jours. En effet, même si la
proportion de patients insuffisants cardiaques sous bêta-blo-
quants est satisfaisante, le contrôle de la fréquence cardiaque
demeure souvent insuffisant. L’objectif de cet article est de
mettre en lumière le rôle délétère d’une fréquence cardiaque
élevée au repos chez les insuffisants cardiaques souffrant de
dysfonction systolique, afin de surmonter l’inertie thérapeu-
tique et d’améliorer le devenir de ces patients.
m
ots
-
clés
: Insuffisance cardiaque - Fréquence cardiaque -
Cibles thérapeutiques - Télémédecine
I
ncReased
heaRt
Rate
as
a
RIsk
factoR
and
tReatment
taRget
In
patIents
wIth
heaRt
faIluRe
s
ummaRy
: Numerous epidemiological studies have shown
that a high resting heart rate is associated with an increased
cardiovascular morbidity and mortality, particularly in heart
failure. The resting heart rate is not only a risk marker in
heart failure, but it is also a risk factor, i.e., modifying heart
rate also modifies the risk. Chronotropic drugs have shown
benefits in terms of morbidity and mortality. Nevertheless,
there is a major difference between the recommended heart
rate and the patients’ everyday life heart rate. Indeed, even
if the proportion of heart failure patients on beta-blockers
is satisfactory, the number of patients with an optimal heart
rate remains insufficient. The aim of this article is to examine
the deleterious effect of an elevated resting heart rate in heart
failure with systolic dysfunction, in order to overcome the the-
rapeutic inertia and to improve the outcome in this patient
group.
k
eywoRds
: Heart failure - Heart rate - Therapeutic targets -
Telemedicine
J. TrideTTi (1), F. KrzesinsKi (1), V. d’orio (2), A. Ancion (2), P. LAnceLLoTTi (3), L. PiérArd (4)
PLACE DU TRAITEMENT MÉDICAL
BRADYCARDISANT DANS L’INSUFFISANCE
CARDIAQUE
I
ntRo du ct Io n
L’insuffisance cardiaque se définit comme un
état au cours duquel le cœur est devenu inca-
pable d’assurer un débit suffisant pour répondre
aux besoins métaboliques des différents organes
et faire face au retour veineux (1). L’évolution
naturelle de l’affection est grevée d’une mor-
bidité et d’une mortalité non négligeables,
s’accompagnant d’hospitalisations répétées.
En Belgique, selon les chiffres de l’INAMI en
2013, on compte 225.000 patients souffrant
de cette affection, avec 15.650 nouveaux cas
chaque année. Cela représente un coût très élevé
en termes de dépense de santé publique.
Une fréquence cardiaque élevée est un fac-
teur pronostique important dans l’insuffisance
cardiaque chronique associée à une dysfonc-
tion systolique; ceci concerne, notamment, un
risque accru de réhospitalisations et de décès
à un an (2). Plusieurs classes thérapeutiques
chronotropes négatives ont montré des béné-
fices en termes de morbi-mortalité. Néanmoins,
il existe une différence majeure entre la fré-
quence cardiaque recommandée et celle de la
vie de tous les jours (3).
L’objectif de cet article est de mettre en
lumière le rôle délétère d’une fréquence car-
diaque élevée au repos, chez les patients insuffi-
sants cardiaques avec dysfonction ventriculaire
gauche systolique, afin de surmonter l’inertie
thérapeutique et d’améliorer leur pronostic.
I
nsuffIsance
ca Rd Ia qu e
et
fR éq ue nc e
ca Rd Ia qu e
él ev ée
:
co ns éq ue nc es
po uR
le
patIent
et
la
so cI ét é
De nombreuses études épidémiologiques ont
montré qu’une fréquence cardiaque de repos
supérieure à 75 battements par minute est asso-
ciée à une majoration de la morbidité et de la
mortalité cardiovasculaires. Cette corrélation a
été observée dans la population générale (4),
chez le patient hypertendu (5), en cas de cardio-
pathie ischémique (6) ou encore dans l’insuffi-
sance cardiaque (Tableau I). Chez les patients
insuffisants cardiaques ayant été hospitalisés
pour décompensation cardiaque, les données de
l’étude de Laskey et coll. montrent une corréla-
tion positive entre, d’une part, la fréquence car-
diaque au repos à la sortie d’hospitalisation et,
d’autre part, le risque de mortalité toute cause.
Cette corrélation est présente à court et à long
termes chez le patient en rythme sinusal ou en
fibrillation auriculaire, et quelles que soient
l’étiologie de la cardiopathie et la valeur de la
fraction d’éjection (7) (Tableau II).
La fréquence cardiaque de repos n’est pas
seulement un marqueur de risque accru. C’est
(1) Assistant, (2) Chef de clinique, Service de Car-
diologie, (3) Professeur, Service de Cardiologie, (4)
Professeur ordinaire, Chef de Service, Service de
Cardiologie, CHU de Liège, Site Sart Tilman, Liège,
Belgique.
J. TrideTTi eT coll.
82 Rev Med Liege 2017; 72 : 2 : 81-86
tement. Dans ce même groupe, la réduction de
la fréquence cardiaque de repos fut associée à
une réduction du risque de mortalité cardiovas-
culaire ou de réadmission pour décompensation
cardiaque (17).
Le risque de mortalité en fonction de la fré-
quence cardiaque semble être numériquement
supérieur chez les patients en rythme sinusal
comparativement aux patients en fibrillation
auriculaire (7, 11) (Tableau II). Il convient
de rappeler que les patients avec insuffisance
cardiaque et fibrillation auriculaire sont plus
à risque de décès ou de réadmission que les
patients en rythme sinusal (12). Néanmoins, la
plupart des patients en fibrillation auriculaire
ont une fréquence cardiaque élevée, ce qui
suggère un bénéfice réel du contrôle de la fré-
quence cardiaque (13).
également un véritable facteur de risque cardio-
vasculaire pouvant être un déterminant causal,
en particulier, d’insuffisance cardiaque (4, 8).
C’est aussi précisément un facteur de risque
«modifiable» chez les patients souffrant d’in-
suffisance cardiaque. L’étude SHIFT («Systo-
lic Heart failure treatment with the If inhibitor
ivabradine Trial») a évalué l’ivabradine versus
placebo chez 6.505 patients insuffisants car-
diaques avec dysfonction systolique déjà sous
traitement standard (9). Pour rappel, l’ivabra-
dine agit sélectivement sur le nœud sino-auri-
culaire et diminue la fréquence cardiaque, sans
affecter la contractilité myocardique et le tonus
de la paroi vasculaire (10). Dans l’étude SHIFT,
plus de 70 % des patients dans le groupe iva-
bradine ont atteint une fréquence cardiaque au
repos inférieure à 70 bpm après un mois de trai-
T
ableau
I. S
élecTIon
d
éTudeS
évaluanT
leS
conSéquenceS
d
'
une
fréquence
cardIaque
de
repoS
élevée
chez
leS
InSuffISanTS
cardIaqueS
Etudes / Auteurs Année Populations étudiées
et design de l'étude
Evénements cliniques
étudiés
Résultats et ordre de grandeur
Lechat et coll. (27)
N = 2.184
Suivi : 24 mois
2001 IC chronique Mortalité
Admission pour DC
↑ de 1,5 % par de 1 bpm
↑ de 1,8 % par de 1 bpm
BEAUTIfUL (35)
N = 5.438
Suivi : 18 mois
2008 Cardiopathie ischémique
ET IC systolique (FEVG < 40 %)
ET RSR
ET FC > 60 bpm
Mortalité CV
Admission pour IC
↑ de 8 % par de 5 bpm
↑ de 16 % par de 5 bpm
Kapoor et coll. (14)
N = 685
Suivi : 12 mois
2010 IC chronique
ET FEVG > 50 %
ET RSR
Mortalité comparée à
une FC < 60 bpm
↑ de 47 %
pour une FC entre 70 et 90 bpm
DIAMOND (36)
N = 1.510
Suivi : 10 ans
2010 IC chronique
ET FEVG < 35 % ET admis
pour SCA OU admis pour DC
Mortalité ↑ de 14 % par de 10 bpm
↑ de 10 % par de 10 bpm
SHIFT (17)
N = 6.505
Suivi : 23 mois
2010 IC chronique symptomatique
ET FE ≤ 35 %
ET RSR
ET FC > 70 bpm
Critère composite
(Mortalité CV ou
Hospitalisation pour IC)
↑ de 16 % par de 5 bpm
CHARM (15)
N = 7.597
Suivi : 38 mois
2012 IC chronique ET FEVG > 40 %
IC chronique ET FEVG < 40 %
Critère composite
(Mortalité CV ou
Hospitalisation pour IC)
↑ de 6 % par de 10 bpm
↑ de 7 % par de 10 bpm
EVEREST (37)
N = 1.947
Suivi : 10 mois
2013 Hospitalisés pour DC
ET FEVG ≤ 40 %
ET RSR ET FC > 70 bpm
Mortalité à 7 jours
Mortalité à 28 jours
↑ de 13 % par de 5 bpm
↑ de 12 % par de 5 bpm
EFFECT-HF (2)
N = 9.047
2013 Hospitalisés pour DC
ET FE préservée ou réduite
Mortalité à 30 jours
Mortalité à 1 an
↑ de 56 % si FC > 90 bpm
↑ de 41 % si FC > 90 bpm
AHA GWTH (38)
145,221 admissions
2013 Hospitalisés pour DC
ET > 65 ans
ET en RSR ou FA
Mortalité
(durant l'hospitalisation)
↑ de 21 % en RSR et
↑ 20 % en FA par ↑ de 10 bpm à l'admission
Cullington et coll. (11)
N = 2.039
2014 IC chronique
ET FE ≤ 50 % ET RSR
Mortalité à 1 an ↑ de 10 % par de 10 bpm chez patients en
RSR
AHA GWTG-HF (7)
N = 46.217
2015 Hospitalisés pour DC
ET > 65 ans
ET en RSR ou FA
ET FE préservée ou réduite
Mortalité à 30 jours de
l'hospitalisation
Mortalité à 1 an de
l'hospitalisation
de 30 % en RSR et
↑ de 22,8 % en FA par de 10 bpm
↑ de 18,5 % en RSR et
↑ de 8,8 % en FA par de 10 bpm
Lancellotti et coll. (39)
N = 712
2015 Hospitalisés pour IC aiguë non
arythmique
Mortalité
(durant l'hospitalisation)
X 4 chez patients
avec FC > 91 bpm à 24-36 h après l'admission
TraiTemenT médical bradycardisanT dans l’ic
83
Rev Med Liege 2017; 72 : 2 : 81-86
la longueur du sarcomère, la stimulation adré-
nergique et la fréquence cardiaque. Ces trois
facteurs sont altérés dans l’insuffisance car-
diaque. En effet, la distension sarcomérique
se situe sur le mauvais versant de la pente de
Frank-Starling. On observe une dérégulation
des récepteurs bêta-adrénergiques. Enfin, on
constate une absence de majoration, voire une
régression, de l’inotropisme lors de l’élévation
de la fréquence cardiaque.
Le rôle du calcium est crucial dans ce cou-
plage. L’onde de dépolarisation entraîne une
augmentation de la conductance membranaire
du calcium. Cela engendre une entrée de Ca²+
dans la cellule en diastole, puis une libération
de Ca²+ des zones intracellulaires de stockage
(réticulums sarcoplasmiques et mitochondries).
Dans l’insuffisance cardiaque, on remarque
une diminution de ces transporteurs membra-
naires de calcium. Dès lors, pour une même
force de contraction, il faudra un temps de
diastole allongé, permettant d’avoir une
concentration suffisante en calcium nécessaire
à la contraction (18). Lorsque la fréquence car-
diaque augmente, le temps de diastole diminue
et l’on constate, en cas d’insuffisance cardiaque,
une perte de la force isométrique (19), une alté-
ration des fonctions systolique et diastolique
(20) et, de manière associée, une diminution
de l’index cardiaque et de la fraction d’éjection
ventriculaire (21).
t
hé Ra pe ut Iq ue s
ch Ro no tR op es
L
es
bêta
-
bLoquants
L’usage de certains bêta-bloquants est
recommandé, en association avec un inhibi-
teur de l’enzyme de conversion, chez tous les
patients avec une fraction d’éjection du ven-
tricule gauche (FEVG) 40 %, il permet de
réduire le risque d’hospitalisation pour insuf-
fisance cardiaque et de mort prématurée (22).
Si la preuve d’un bénéfice certain des bêta-
bloquants chez les patients atteints d’insuffi-
sance cardiaque chronique avec dysfonction
systolique ventriculaire gauche a été apportée
dans plusieurs grandes études prospectives,
randomisées, en double aveugle et contrôlées
contre placebo, le mécanisme d’action par
lequel s’exerce ce bénéfice est controversé.
Communément, les bêta-bloquants freinent
les effets délétères de l’hyperactivation endo-
gènes des récepteurs adrénergiques que l’on
retrouve, notamment, au niveau des cellules
pacemakers du nœud sinusal (effet chronotrope
négatif) et du nœud auriculo-ventriculaire (effet
Une fréquence cardiaque élevée est éga-
lement un marqueur de risque accru chez les
patients souffrant d’insuffisance cardiaque
à fraction d’éjection préservée (14, 15); ils
représentent la moitié des patients avec une
insuffisance cardiaque (16). Pour illustration,
dans l’analyse post hoc du programme des
études CHARM («Candesartan in Heart Fai-
lure-Assessment of Reduction in Mortality and
Morbidity»), un incrément de 10 battements par
minute (bpm) de la fréquence cardiaque dans ce
groupe de patients est associé à une majoration
de 6 % du risque de mortalité cardiovasculaire
ou d’hospitalisation pour décompensation car-
diaque (15) (Tableau I).
Une analyse détaillée de la fréquence car-
diaque dans le groupe placebo de l’étude SHIFT
a montré que, à partir d’une fréquence cardiaque
au repos de 70 bpm, et par incrément de 5 bpm,
on observe un risque accru de décès de causes
cardiovasculaires ou d’admissions pour décom-
pensation cardiaque de 16 % (17). Cependant,
alors que le risque de réadmissions pour décom-
pensation cardiaque (un composant du critère
principal composite) est nettement majoré à par-
tir de 70 bpm, le seuil à partir duquel on observe
une augmentation progressive de la mortalité
cardiovasculaire est d’environ 75 bpm. Dans le
même ordre d’idée, dans leur étude, Laskey et
coll. observent une modification importante de
la relation entre fréquence cardiaque à la sortie
de l’hôpital et la mortalité à 1 an, à partir d’une
fréquence cardiaque > 75 bpm, chez le patient
hospitalisé pour décompensation cardiaque (7).
On considère donc actuellement que la cible à
atteindre est une fréquence cardiaque inférieure
à 75 bpm.
m
éc an Is me s
ph ys Io pathologIques
:
Re latIon
de
co up la ge
foRce
-
fR éq ue nc e
La force de contraction musculaire myo-
cardique est le résultat d’un couplage entre
l’excitation et la contraction. Pour rappel, ce
couplage est influencé par trois mécanismes :
T
ableau
II. r
ISque
de
morTalI
à
la
SorTIe
d
hoSpITalISaTIon
pour
décompenSaTIon
cardIaque
par
augmenTaTIon
de
10
bpm
(7)
Rythme sinusal
régulier
N = 26.197 patients
Fibrillation auriculaire
N = 20.197 patients
A court terme
(à 30 jours)
+ 30 %
(p-Value < 0,0001)
+ 22,8 %
(p-Value < 0,0001)
A long terme
(à 1 an)
+ 18,5 %
(p-Value < 0,0001)
+ 8,8 %
(p-Value < 0,0001)
J. TrideTTi eT coll.
84 Rev Med Liege 2017; 72 : 2 : 81-86
le risque d’hospitalisation pour aggravation de
l’insuffisance cardiaque (9).
L’intégration de l’ivabradine aux recomman-
dations thérapeutiques de la Société Européenne
de Cardiologie (ESC) dans l’insuffisance car-
diaque intervient dans cette indication moins
de deux ans après la première présentation de
l’étude SHIFT. Selon ces recommandations euro-
péennes de 2016, l’utilisation de l’ivabradine
dans le traitement de l’insuffisance cardiaque
devrait être envisagée (niveau de classe IIa)
pour diminuer le risque d’hospitalisation chez
les patients en rythme sinusal avec une FEVG
altérée (< 35 %) et une fréquence cardiaque ≥ 70
bpm malgré un traitement comprenant un bêta-
bloquant à la dose recommandée (ou maximale
tolérée), un IEC et de la spironolactone.
En Belgique, le remboursement dans l’insuf-
fisance cardiaque fixe un seuil de fréquence car-
diaque ≥ 75 bpm. Ce seuil, plus élevé que dans
les recommandations de l’ESC, s’explique, en
partie, par le fait que dans une seconde analyse
de l’étude SHIFT sur le sous-groupe de patients
ayant une fréquence cardiaque supérieure ou
égale à 75 bpm, une réduction plus importante,
de 24 %, a été observée sur le critère principal
composite et sur les autres critères secondaires,
incluant la mortalité toute cause et la mortalité
cardio-vasculaire (17).
L
a
digoxine
La digoxine peut être utilisée dans l’insuffi-
sance cardiaque symptomatique chez le patient
en rythme sinusal ou en fibrillation auriculaire,
bien que d’autres traitements soient préférés
en première intention. Elle agit en bloquant
l’action de la pompe Na/K ATPase située sur
la membrane cellulaire des cardiomyocytes. Il
en résulte une majoration de la concentration
calcique intra-cytoplasmique lors de la systole
et, par conséquence, un effet inotrope positif
(31). En outre, la digoxine réduit la fréquence
cardiaque en stimulant le noyau central vagal
et en réduisant l’activité du système nerveux
sympathique (32).
Chez les patients en rythme sinusal et selon
les recommandations européennes (ESC) de
2016, la digoxine peut être considérée, pour
réduire le risque d’hospitalisation pour décom-
pensation cardiaque, chez les patients avec une
FEVG 45 %, sous IEC et spironolactone, et
chez qui les bêta-bloquants sont contre-indi-
qués ou mal tolérés (niveau de classe IIb).
Cependant, la possibilité de l’utilisation de la
digoxine chez les patients en rythme sinusal
est probablement dépassée par l’utilisation de
dromotrope négatif) (23). Dans l’insuffisance
cardiaque, une partie du bénéfice est liée à
l’importance de la réduction de la fréquence
cardiaque. En effet, dans une récente méta-
analyse, portant sur 19.209 patients et évaluant
l’impact en termes de survie des bêta-bloquants
dans l’insuffisance cardiaque, le risque de
mortalité était significativement influencé par
l’importance de la réduction de la fréquence
cardiaque sous bêta-bloquant, indépendamment
de la dose administrée (24). Des données simi-
laires ont été retrouvées dans d’autres analyses
secondaires des données de CIBIS («Cardiac
Insufficiency Bisoprolol Study») (25), COMET
(«Carvedilol Or Metoprolol European Trial»)
(26), CIBIS II (27), ou encore, dans une méta-
analyse de Flannery et coll. (28).
S’il est certain qu’une part du bénéfice des
bêta-bloquants est lié à une réduction de la
fréquence cardiaque, d’autres mécanismes tels
que l’effet anti-arythmique, contribuent égale-
ment à ce bénéfice.
L
ivabradine
(P
rocoraLan®
)
L’ivabradine est le premier agent chronotrope
négatif «pur». Elle réduit la fréquence cardiaque
en inhibant de manière sélective le courant au
travers des canaux f («funny»), situés au niveau
des cellules du nœud sinusal (29). Ce courant If
est le principal déterminant de la pente de dépo-
larisation diastolique lente spontanée, laquelle
conditionne l’intervalle temps entre deux
potentiels d’action successifs. Contrairement
aux bêta-bloquants, les effets cardiaques de
l’ivabradine sont spécifiques du nœud sinusal,
sans action sur la conduction intra-cardiaque,
la contractilité myocardique ou la repolarisa-
tion ventriculaire. Initialement, l’efficacité de
l’ivabradine a été évaluée dans un vaste pro-
gramme comprenant plus de 10.000 patients
coronariens et porteurs d’une dysfonction ven-
triculaire gauche, avec des résultats mitigés
(30). Par la suite, les résultats de l’étude SHIFT
ont été présentés lors du Congrès de la Société
Européenne de Cardiologie en même temps que
leur publication dans le Lancet du 29 août 2010.
L’étude SHIFT a montré qu’un traitement par
ivabradine, associé au traitement usuel de l’in-
suffisance cardiaque systolique chronique stable
symptomatique, chez des patients en rythme
sinusal avec une fréquence cardiaque ≥ 70 bpm
et une FEVG ≤ 35 %, permet de diminuer signi-
ficativement, de 18 %, l’incidence des décès
cardiovasculaires ou des hospitalisations pour
aggravation de l’insuffisance cardiaque (critère
principal composite) et de diminuer de 26 %
TraiTemenT médical bradycardisanT dans l’ic
85
Rev Med Liege 2017; 72 : 2 : 81-86
Il pourrait s’agir d’un outil d’intérêt pratique
permettant, d’une part, un suivi éducatif, amé-
liorant l’observance des traitements et, d’autre
part, une optimalisation rapide des traitements
et posologies dès les premiers signes de décom-
pensation.
e
n
co nc lu sI on
L’insuffisance cardiaque est une maladie de
plus en plus fréquente au sein de notre popu-
lation, grevée d’une morbi-mortalité majeure.
Il est démontré que l’optimalisation de la fré-
quence cardiaque permet de réduire drastique-
ment le risque d’hospitalisation ainsi que la
mortalité associée à cette maladie. Associée aux
bêta-bloquants, l’ivabradine a désormais toute
sa place dans la prise en charge des patients en
rythme sinusal pour atteindre la fréquence car-
diaque cible recommandée.
B
IBlIogRaphIe
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l’ivabradine si la fréquence cardiaque est 75
bpm. Pour rappel, l’ivabradine a montré une
régression de la mortalité dans l’étude SHIFT,
contrairement à la digoxine dans l’étude DIG
(«Digitalis Investigation Group») (33).
En cas de fibrillation auriculaire consacrée
et d’insuffisance cardiaque à FEVG altérée,
l’utilisation de la digoxine est recommandée
en seconde intention, en plus d’un bêta-blo-
quant pour contrôler la fréquence ventriculaire
chez un patient avec une réponse ventriculaire
insuffisance sous bêta-bloquant seul (niveau de
classe Ib). En effet, la combinaison digoxine
plus bêta-bloquant est plus efficace qu’un bêta-
bloquant seul (13).
I
ne Rt Ie
th éR ap eu tI qu e
dans
le
co nt Rô le
de
la
fR éq ue nc e
ca Rd Ia qu e
Le registre européen (ESC-HF Pilot) montre
une image claire de l’adhérence aux traitements
recommandés, et des doses utilisées. Comme
attendu, le taux de patients sous IEC et bêta-
bloquant est satisfaisant. Cependant le nombre
de patients traités aux doses recommandées est
sub-optimal (50 % pour les IEC et 30 % pour
les bêta-bloquants). Le traitement est généra-
lement instauré en cours d’hospitalisation, en
période aiguë, et n’est pas modifié par la suite.
Au contraire, il est diminué, voire arrêté, suite
à l’apparition d’effets indésirables attribués à
tort aux nouveaux médicaments. Ceci met en
évidence l’intérêt d’un suivi rapproché et mul-
tidisciplinaire par le cardiologue, le médecin
traitant, et toute l’équipe paramédicale de l’in-
suffisance cardiaque, permettant d’optimiser la
prise en charge et de poursuivre le traitement
initié, avec une titration appropriée.
Pour rappel, l’approche multidisciplinaire de
l’insuffisance cardiaque fait partie des recom-
mandations depuis 2005 (34). Elle repose sur
une équipe paramédicale (kinésithérapeutes,
diététicien(ne)s, psychologues, assistant(e)s
socia(ux)les…) et médicale (cardiologue, méde-
cin traitant). L’objectif principal est de fournir
un système de soins continus afin de veiller à
une prise en charge optimale, dès le début de
la maladie, le plus souvent par des moyens
simples comme le rappel de la restriction hydro-
sodée, la surveillance du poids, ou le contrôle de
la fréquence cardiaque. La clé du succès de ce
programme est la coordination des soins dans
le temps et par les différents services au sein du
système de soins. Dans ce type d’approche, un
suivi rapproché au domicile via les télécommu-
nications, après une hospitalisation récente pour
décompensation cardiaque, a toute sa place.
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