le 15 octobre 2009
TROISIÈME SECTION
Requête no 56030/07
présentée par Jose Antonio FERNÁNDEZ MARTÍNEZ contre lEspagne
introduite le 11 décembre 2007
EXPOSÉ DES FAITS
EN FAIT
Le requérant, M. José Antonio Fernández Martínez, est un ressortissant
espagnol, né en 1937 et résidant à Cieza. Il est représenté devant la Cour par
Me Sr. D Mazón Costa, avocat à Murcia.
A. Les circonstances de lespèce
Les faits de la cause, tels quils ont éexposés par le requérant, peuvent
se résumer comme suit.
Le requérant fut ordonné prêtre en 1961. En 1984, il sollicita auprès du
Vatican la dispense de lobligation de célibat. Un an plus tard il épousa
civilement son actuelle femme, avec qui il a eu cinq enfants.
Depuis octobre 1991, le requérant exerçait en tant que professeur de
religion et morale catholique dans un lycée public de Murcia.
Conformément aux prévisions du Concordat existant depuis 1979 entre
lEspagne et le Saint Siège, il appartenait à lÉvêque du diocèse de
confirmer annuellement le requérant dans son poste, le ministère de
lÉducation étant lié par la décision du premier.
En novembre 1996 le journal La Verdad de Murcia publia un article sur
le « Mouvement Pro-Célibat optionnel » des prêtres, le requérant
apparaissait avec sa famille assistant à une des rencontres du mouvement,
dont il était membre.
Le 15 septembre 1997, le Vatican accorda au requérant la dispense de
célibat.
2 FERNÁNDEZ MARTÍNEZ c. ESPAGNE EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS
Le 29 septembre 1997 lÉvêché de Cartagena communiqua au ministère
de lÉducation son intention de ne pas renouveler le contrat du requérant
pour lannée scolaire 97/98. Ce ministère notifia la décision au requérant.
Elle prit effet à compter du 29 septembre 1997.
Après avoir contesté cette décision sans succès par la voie administrative,
le requérant saisit le juge social no 3 de Murcia, qui rendit son jugement le
28 septembre 2000. Le juge rappela demblée les arguments utilisés par
lÉvêché pour justifier le non-renouvellement du contrat du requérant, à
savoir la publicité de sa condition de « prêtre marié » (il ne reçut la dispense
du Vatican quen 1997) et de re de famille, déclenchée par le requérant
même, ainsi que la nécessité déviter des scandales et de protéger la
sensibilité des parents du lycée. Cette dernière pourrait se voir heurtée si le
requérant continuait à dispenser des cours de religion et de morale
catholique. A cet égard, le juge considéra que :
« (...) à la lumière des faits exposés, M. Fernández Martínez a été discriminé en
raison de son état civil et de son appartenance à lassociation Mouvement Pro-Célibat
Optionnel, lapparition dans la presse ayant été le déclenchant de son licenciement. »
Le juge social no 3 de Murcia rappela également que :
« Le principe de non discrimination au travail intègre linterdiction de
discrimination en raison de laffiliation et activité syndicale, comparable à laffiliation
à toute autre association. »
Par conséquent, le juge accepta les prétentions du requérant et déclara la
nullité du licenciement et lobligation de réintégrer le requérant dans son
même poste de travail.
Le ministère de lÉducation, le département de lÉducation de la région
de Murcia et lÉvêché de Cartagena firent appel (suplicación). Par un arrêt
du 26 février 2001, le Tribunal supérieur de justice de Murcia accepta le
recours. Il précisa que :
« (...) limpartition du cours [de religion et morale catholique] répond à la doctrine
de la religion catholique (...). Dès lors, le lien créé [entre le professeur et lÉvêque] est
basé sur une relation de confiance. [De ce fait,] il ne sagit pas dune relation juridique
neutre, comme celle qui existe entre les citoyens en général et les pouvoirs publics. Il
convient de la placer à la frontière entre la pure dimension ecclésiastique et le début
dune relation de travail. »
Par ailleurs, le Tribunal se référa aux prérogatives de lévêque en la
matière et considéra quil ny avait pas eu en lespèce violation des articles
14 (interdiction de discrimination), 18 (droit à la vie privée) ou 20 (droit à la
liberté dexpression) de la Constitution, dans la mesure où le requérant avait
dispensé le cours de religion depuis 1991, lÉvêque layant renouvelé
chaque année dans son poste alors que sa situation personnelle était
identique. Lorsque le requérant décida de donner publicité à cette dernière,
lÉvêque se limita à sacquitter de ses obligations conformément au code de
droit canonique, à savoir veiller à ce que les personnes se trouvant dans de
telles situations exercent leurs fonctions dans la discrétion, tout en évitant
que leur situation personnelle ne fasse lobjet de scandale. En cas de
publicité démesurée, lÉvêque se devait de ne plus les proposer pour le
poste.
De plus, sagissant particulièrement de larticle 20 de la Constitution, le
Tribunal observa quà la lumière de larticle 10 § 2 de la Convention
FERNÁNDEZ MARTÍNEZ c. ESPAGNE EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS 3
européenne des droits de lhomme et libertés fondamentales, les restrictions
au droit du requérant devaient être considérées comme légitimes et
proportionnées au but recherché, à savoir celui déviter un scandale.
En outre, le Tribunal analysa la question de la relation de confiance et
attira lattention sur le fait que :
« (...) Lorsque cette relation de confiance se brise (et en lespèce, des circonstances
se sont produites qui font penser raisonnablement à une telle conclusion), lÉvêque est
déchargé de proposer [le requérant] pour le poste de professeur de religion
catholique. »
Finalement, quant à la nature du contrat et dans la mesure son
renouvellement était soumis à lapprobation annuelle par lÉvêque pour
lannée scolaire suivante, il sagissait de lavis du Tribunal supérieur de
justice dun contrat temporaire qui en lespèce avait simplement pris fin. De
ce fait, il nétait pas possible de considérer que le requérant avait fait lobjet
dun licenciement.
Invoquant les articles 14, 18 et 20 de la Constitution, le requérant forma
un recours damparo auprès du Tribunal constitutionnel. Par un arrêt rendu
le 4 juin 2007 et notifié le 18 juin 2007, la haute juridiction rejeta le recours.
Sagissant du premier grief, le Tribunal constitutionnel considéra que les
arguments soulevés relevaient plutôt du domaine des articles 16 (liberté
idéologique et religieuse) et 20. A cet égard, il releva premièrement que la
situation du requérant en tant que « prêtre marié » était connue par lÉvêché
et que ce dernier navait mis fin au renouvellement du contrat que lors de la
parution de larticle dans la presse, que le requérant avait lui-même
provoquée. La haute juridiction attira également lattention sur le statut
spécifique des professeurs de religion en Espagne, différent à celui du reste
des enseignants. Cette spécificité justifiait que lélection des premiers soit
fondée sur des critères exclusivement religieux, étrangers à ceux contenus
dans lordre juridique interne de lÉtat.
Par la suite, le Tribunal constitutionnel plaça la question centrale du
recours damparo sur le point de savoir si les faits litigieux pouvaient se
justifier par le biais de la liberté religieuse de lÉglise catholique et le devoir
de neutralité religieuse de lÉtat (article 16 § 3 de la Constitution) ou, au
contraire, ils constituaient une atteinte au droit du requérant à la liberté
idéologique et religieuse en relation avec son droit à la liberté dexpression
(article 20 § 1 a) de la Constitution). Pour ce faire, il commença par
reconnaître que le déclenchant du non-renouvellement avait été larticle
paru dans un journal régional, considéré comme constitutif de scandale
selon les arguments donnés par lÉvêché de Cartagena dans sa note du
29 septembre 1997 adressée au ministère de lÉducation. A ce sujet, la haute
juridiction signala premièrement que le devoir de neutralité lempêchait de
se prononcer sur la notion de « scandale » utilisée par lÉvêché et sur la
convenance du « célibat optionnel des prêtres » prôné par le requérant.
Deuxièmement, elle constata que larrêt du Tribunal supérieur de justice
contesté prévoyait un contrôle juridictionnel de la cision de lévêque, à
savoir, limpossibilité par celui-ci de proposer des candidats sans les
qualifications professionnelles requises pour le poste et lobligation de
respecter les droits fondamentaux et libertés publiques.
Dans la mesure où la décision de lÉvêque néchappait pas complètement
au contrôle des tribunaux internes, le Tribunal constitutionnel conclut que :
4 FERNÁNDEZ MARTÍNEZ c. ESPAGNE EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS
« (...) les ingérences dans les droits du requérant ne sont ni disproportionnées ni
inconstitutionnelles (...). Elles se justifient par le respect à lexercice licite du droit
fondamental de lÉglise catholique à la liberté religieuse dans sa dimension collective
ou communautaire (article 16 § 1 de la Constitution), en relation avec le droit des
parents à léducation religieuse de leurs enfants (article 27 § 3 de la Constitution). [En
effet], les raisons du non-renouvellement du requérant (...) sont de nature
exclusivement religieuse, en rapport avec les règles de la confession à laquelle le
requérant appartient librement et dont il prétendait dispenser le credo dans un centre
denseignement public. »
Par ailleurs, il se référa à son arrêt 38/2007, du 15 février et rappela que :
« (...) ce serait simplement déraisonnable que lenseignement religieux dans les
centres scolaires seffectue sans prendre en compte, comme critère de sélection des
professeurs, les convictions religieuses de ceux qui décident librement de postuler à
ces postes de travail ; ceci en garantie du droit à la liberté religieuse dans sa dimension
collective et communautaire. »
Deux magistrats formulèrent une opinion dissidente à larrêt rendu par la
majorité.
Ultérieurement, le requérant sollicita la nullité de larrêt du Tribunal
constitutionnel, au motif que deux des magistrats de la chambre ayant rendu
larrêt étaient connus par leurs affinités avec lÉglise catholique, lun
dentre eux faisant partie du Secrétariat international des juristes
catholiques.
Par une décision du 23 juillet 2007, le Tribunal constitutionnel rejeta la
demande de nullité au motif que larticle 93 § 1 de la Loi organique du
Tribunal constitutionnel disposait que le seul recours possible contre un
arrêt de la haute juridiction était la demande déclaircissement.
B. Le droit interne pertinent
1. Constitution
Article 14
« Les Espagnols sont égaux devant la loi; ils ne peuvent faire lobjet daucune
discrimination pour des raisons de naissance, de race, de sexe, de religion, dopinion,
ou pour nimporte quelle autre condition ou circonstance personnelle ou sociale. »
Article 16
« 1. La liberté idéologique, religieuse et de culte des personnes individuelles et des
communautés est garantie, sans autres limitations, quant à leurs formes dexpression,
que celles qui sont nécessaires au maintien de lordre public protégé par la loi.
2. Nul ne pourra être obligé de déclarer son idéologie, sa religion ou ses croyances.
3. Aucune confession naura le caractère de religion dÉtat. Les pouvoirs publics
tiendront compte des croyances religieuses de la société espagnole et maintiendront de
ce fait des relations de coopération avec lÉglise catholique et les autres confessions. »
Article 18
« 1. Le droit à lhonneur, lintimité personnelle et limage sont garantis.
(...). »
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Article 20
« 1. Sont reconnus et protégés les droits
a) à exprimer et diffuser librement les pensées, idées et opinions oralement, par écrit
ou par tout autre moyen de reproduction;
(...)
2. Lexercice de ces droits ne peut être restreint par aucune censure préalable.
(...)
4. Ces libertés trouvent leur limite dans le respect des droits reconnus dans le
présent Titre, dans les dispositions des lois dapplication et particulièrement dans le
droit à lhonneur, à la vie privée, à son image et à la protection de la jeunesse et de
lenfance.
(...). »
2. Code de droit canonique
Canon 805
« LOrdinaire du lieu a le droit pour son diocèse de nommer ou dapprouver les
maîtres qui enseignent la religion, et de même, si une raison de religion ou de mœurs
le requiert, de les révoquer ou dexiger leur révocation ».
3. Concordat entre le Saint-Siège et lEspagne, du 3 janvier 1979
Article XXVII
« (...)
3. Dans les lycées publics, lenseignement de la Religion sera dispensé par des
prêtres ou religieux et, subsidiairement, par des professeurs laïcs nommés par
lAutorité civile compétente après proposition de lÉvêque diocésain.
(...). »
GRIEFS
Invoquant larticle 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint du
manque dimpartialité de deux des magistrats qui rendirent larrêt du
Tribunal constitutionnel. Il soutient que leurs croyances religieuses en
faveur de lÉglise catholique sont notoires et connues de la population et
considère à cet égard quils auraient se dessaisir de laffaire. Le
requérant affirme navoir eu connaissance des noms des magistrats quune
fois que larrêt fut rendu.
Par ailleurs, le requérant invoque larticle 8 combiné avec larticle 14 et
considère que le non-renouvellement de son contrat, motivé dune part par
son appartenance au « Mouvement Pro-Célibat optionnel » et dautre part
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