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C. Deblock, D. Brunelle et M. Rioux
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concurrence systémique entre les États avec le lot d'inégalités qui l'accompagne3,
laquelle résulte d'une défense de souveraineté qui passerait désormais par la voie
obligée d'une intégration compétitive à l'économie mondiale ? C'est à ce dilemme
que sont aujourd'hui confrontées les institutions internationales, celles qui existent
et celles qui sont en train d'émerger.
Rien n’est bien clair encore pour le moment quant à la forme que prendra la
régulation de l’économie mondiale, sinon que, premièrement, les processus actuels
ont fait éclater l’espace de régulation nationale, que, deuxièmement, les jeux de la
concurrence ne se font pas seulement d'entreprise à entreprise, mais également
d'État à État et d'État à entreprise, pour reprendre le triangle de la « nouvelle
diplomatie commerciale » de Stopford, Strange et Henley, et que, troisièmement,
le débat international se pose aujourd'hui dans des termes qui n'ont plus grand
chose à voir avec ceux dans lesquels fut posée la reconstruction de l'ordre
international, il y a cinquante ans dans la mesure où il ne s'agit plus tant d'ouvrir
les marchés, d'éliminer le protectionnisme et de procéder, comme on le disait à
l'époque, au « désarmement économique » des États4 que de gérer les risques
systémiques que font surgir les stratégies d'acteurs5.
Si, pour des raisons multiples, la voie multilatérale, souvent qualifiée de
« bicyclette », ne paraît guère très prometteuse dans l'immédiat, les voies bilatérale
2 Lui-même partisan il y a quelques années d'un certain interventionnisme prudent, Krugman préfère
aujourd'hui s'en tenir au libre-échange, une option de « second rang » qu'il considère néanmoins comme
préférable à un interventionnisme dont les raisons et les effets sont toujours douteux.
3 Voir à ce sujet, Andrew Hurrell, Andrew, et Ngaire Woods, «Globalization and Inequality», Millennium,
Journal of International Studies, vo. 24, no. 3, 1995, pp. 449-470 ; et Dani Rodrick, Has Globalization
gone too far ?, Washington, Institute for International Economics, 1997.
4 James T. Shotwell, La grande décision, New Tork, Brentano’s.
5 Nous préférons parler de concurrence systémique, et non pas, comme l'a proposé Sylvia Ostry, de
« frictions systémiques ». Pour les partisans de la thèse de la convergence, l'émergence d'une société civile
mondiale s'inscrirait dans la dynamique même de la globalisation, une dynamique qui s'inscrit elle-même
dans la mouvance d'une intégration et d'une interpénétration toujours croissantes des espaces sociaux.
Cette tendance serait d'autant plus forte que, d'une part, les communications, les technologies et les
marchés réduisent les distances et les différences qui séparent et distinguent les sociétés, et que, d'autre
part, les institutions civiles elles-mêmes évoluent vers un modèle universel fondé sur la démocratie, la
reconnaissance des droits de la personne, et le marché concurrentiel. Vus sous cet angle, les problèmes
que soulève la coexistence encore difficile des espaces nationaux au sein d'une économie mondiale de plus
en plus homogène deviennent effectivement de simples problèmes de friction, autrement dit des problèmes
qui trouveront d'autant plus rapidement une solution que les lois économiques seraient mieux comprises
par les populations concernées et les gouvernements eux-mêmes.