L Place du curage axillaire complémentaire en cas de ganglion sentinelle

La Lettre du Sénologue N° 75 - janvier-février-mars 2017 | 13
DOSSIER
Prise en charge
de l’aisselle
Place du curage axillaire
complémentaire en cas
de ganglion sentinelle
métastatique
Axillary lymph node dissection after metastatic
sentinel node
E. Barranger1,2, M. Dejode1, Y. Delpech1
1 Pole de chirurgie oncologique séno-
logique et gynécologique, centre
Antoine-Lacassagne, Nice.
2 Université Nice-Sophia-Antipolis,
Faculté de médecine, Nice.
L
e curage axillaire a été, jusqu’à une période
encore récente, le standard du traitement
chirurgical locorégional en cas de cancer du sein
précoce. Il était admis que l’ablation des ganglions
axillaires métastatiques permettait d’améliorer le
contrôle locorégional, et d’obtenir une information
pronostique capitale guidant les éventuelles théra-
pies adjuvantes. Cependant, le curage axillaire est
un geste chirurgical invasif grevé d’une morbidité
non négligeable.
La procédure du ganglion sentinelle (GS) a amorcé,
au début des années 1990, une désescalade chirur-
gicale axillaire irréversible s’intégrant dans un
concept dit de “médecine personnalisée” (1). Cette
technique de prélèvement ganglionnaire limité de
l’aisselle a été, jusqu’au début des années 2000,
systématiquement associée au curage axillaire afin
d’évaluer le taux de faux négatifs, principal écueil à
cette procédure. Le taux de faux négatifs (patientes
ayant un GS négatif alors que le curage axillaire
contenait un ou plusieurs ganglions métastatiques)
acceptable avait été initialement et arbitrairement
fixé à 5 %. Cependant, devant l’engouement légi-
time pour cette technique dont la faible morbidité
a rapidement été démontrée, le curage axillaire a
rapidement été abandonné en cas de GS indemne de
métastase ; malgré l’absence de résultats d’études
prospectives randomisées publiées au moment de
sa diffusion. Les premières inclusions ont débuté
à la fin des années 1990 et les premiers résultats
ont été publiés seulement en 2007 par D.N. Krag
et al. (NSABP B-32) [2]. Les auteurs ont montré un
taux de faux négatifs non pas à 5 %, comme il était
attendu, mais proche de 10 %. Ce chiffre surprenant
aurait légitimement pu faire craindre un risque de
rechute axillaire relativement important, en tout
cas supérieur au taux de rechute après curage axil-
laire, et donc, de facto, faire également craindre
un impact potentiellement négatif sur la survie.
Mais, malgré cette valeur élevée que d’autres études
prospectives ont confirmée (3), la légitimité de la
technique du GS n’a jamais été remise en cause,
bien au contraire. En 2010, les mêmes auteurs que
ceux de l’étude NSABP B-32 ont confirmé la fiabilité
de la technique du GS seul après un recul de plus de
8 ans, en démontrant que, malgré ce taux de faux
négatifs élevé, proche de 10 %, le taux de récidive
axillaire observé était faible (< 1 %), et que la survie
sans récidive et la survie globale (4) n’étaient pas
statistiquement différentes des patientes ayant eu
un curage axillaire.
Le curage axillaire
complémentaire contesté
en cas de GS métastatique
Après cette évolution majeure dans la prise en
charge axillaire en cas de cancer du sein T1-T2N0,
le maintien du curage axillaire complémentaire en
cas de GS métastatique semblait indiscutable car,
tout simplement, le taux de ganglion métastatique
du reste de l’aisselle en cas de GS macrométastique
était de 40 à 50 % (5), et même de 18 % en cas de
GS micrométastatique (6). Pourtant, dès 2011, les
résultats de l’essai ACOSOG Z-0011 ont remis en
cause l’utilité du curage axillaire complémentaire,
non seulement en cas de GS micrométastatique mais
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Place du curage axillaire complémentaire en cas deganglion sentinelle métastatique
DOSSIER
Prise en charge
de l’aisselle
aussi en présence de macrométastases (7), boule-
versant ainsi nos “certitudes chirurgicales”, 40 ans
pourtant après l’essai NSABP B-04, qui n’avait pas
montré de différence en survie chez des patientes
N0 avec ou sans curage axillaire lors d’une mastec-
tomie, et ce malgré un taux de pN+ de 40 % dans le
groupe curage axillaire et un taux de rechute axillaire
de 17 % (8). A.E. Giuliano et al. ont en effet publié,
dès 2011, les résultats de l’étude ACOSOG Z0011
qui concluait en la “non-justification” du curage
axillaire complémentaire en cas d’envahissement
métastatique “limité” du GS (7). Cette étude ran-
domisée, qui devait initialement recruter environ
1 900 patientes n’a, en définitive, inclus que 891
patientes atteintes d’un cancer du sein initia lement
classé N0 avec un envahissement macro- ou micro-
métastatique du GS. Deux groupes ont été consti-
tués en cas de GS métastatique : curage axillaire
complémentaire versus abstention. La survie globale
et la survie sans récidive à 6,3 ans étaient com-
parables dans les 2 groupes. Il n’y avait pas plus
de rechute axillaire dans le groupe abstention que
dans le groupe curage axillaire complémentaire (0,5
versus 0,9 % à 6,3 ans) qui, d’ailleurs, n’avait que
27 % d’envahissement ganglionnaire “non senti-
nelle”. Les résultats de ce faible taux de rechute axil-
laire pouvaient s’expliquer par la large prescription
d’un traitement adjuvant (96 %) et la réalisation,
dans 89 % des cas, d’une radiothérapie du sein dont
l’étendue des champs n’était d’ailleurs pas claire-
ment précisée. Cet essai a fait l’objet de nombreuses
critiques méthodologiques. En effet, le nombre de
patientes incluses était très inférieur (< 50 %) à celui
calculé comme nécessaire initialement (891 incluses
et 856 évaluables sur 1 900 planifiées). A.E. Giuliano
a confirmé, en 2016, les résultats précédents avec
un recul de 9,3 ans (9). Le taux de récidive axillaire
était de 1,5 % après GS seul, contre 0,5 % après
curage axillaire complé mentaire (non différent sta-
tistiquement). Une seule récidive ganglionnaire est
survenue après 5 ans. La survie globale et la survie
sans récidive nétaient pas non plus statistiquement
différentes dans les 2 groupes. En analyse multiva-
riée, la présence de macrométastase(s) dans les GS
n’avait pas d’impact négatif statistiquement sur le
taux de risque relatif (RR). De même, en analyse
multivariée, l’absence de curage axillaire ainsi que
la présence de macrométastases n’étaient pas des
facteurs péjoratifs sur la survie globale. A.E. Giuliano
et al. ont conclu qu’après un suivi à long terme,
l’exérèse du GS seul permet un excellent contrôle
locorégional, comparable au curage axillaire com-
plémentaire en cas de GS métastatique pour des
patientes sélectionnées (“critères ACOSOG” : trai-
tement conservateur du sein avec radiothérapie du
sein et traitement systémique [hormonothérapie ou
chimiothérapie] et 1 à 2 GS métastatique). Cette
actualisation près de 10 ans après a levé la critique
du recul insuffisant souligné par les défenseurs du
curage axillaire.
D’autres études ont confirmé
l’absence de bénéfice
du curage axillaire
complémentaire en cas
de GS métastatique
Une étude prospective randomisée de non- infériorité,
italienne, a comparé le curage axillaire à l’abstention
chirurgicale complémentaire en cas de GS micromé-
tastatique uniquement (pN1mic) [10]. L’IBCSG 23-01
(International Breast Cancer Study Group trial 23-01) a
inclus des patientes atteintes d’un cancer du sein de
moins de 3 cm unicentrique-N0 avec 1 GS microméta-
statique ( 2 mm) jusqu’en 2006, puis T1-T2N0 ou
multicentrique ou avec plus de 1 GSpN1mic. Contrai-
rement à l’étude de l’ACOSOG Z0011, les patientes
bénéficiant d’une mastectomie nétaient pas exclues.
Le plus faible taux de chimiothérapie adjuvante (30
versus 58 %) constituait une autre différence notable
avec l’étude américaine. À nouveau, cette étude a
montré, avec un recul médian de 4,8 ans, qu’en cas
de GS microméta statique, l’abstention chirurgi-
cale axillaire complémentaire n’avait pas d’impact
négatif sur la survie globale et la survie sans récidive
par rapport au curage axillaire complémentaire, et
que le taux de rechute axillaire restait faible (< 1 %)
dans les 2 groupes, sans différence statistiquement
significative. Ces résultats, qui ont confirmé ceux de
l’ACOSOG, remettaient donc à nouveau en cause
l’utilité du curage axillaire en cas de GS micrométasta-
tique. Les auteurs ont d’ailleurs conclu sans ambiguïté
que “nos pratiques chirur gicales devaient désormais
être revues en aban donnant le CA complé mentaire
en cas de GSpN1mic”.
Enfin, une méta-analyse publiée en 2015, incluant
26 870 patientes présentant un GS métastatique sans
curage axillaire complémentaire et 103 705 patientes,
un GS métastatique et curage axillaire complémen-
taire n’a pas montré de différence en survie globale,
en survie sans récidive et en taux de rechute axil-
laire. En revanche, il a été clairement démontré une
morbidité significativement plus élevée après curage
axillaire complémentaire (11).
La Lettre du Sénologue N° 75 - janvier-février-mars 2017 | 15
DOSSIER
À l’étranger, absence
de nécessité d’un curage axillaire
en cas de GS métastatique
Les résultats de l’ACOSOG Z0011 ont conduit
les sociétés savantes américaines (12) et euro-
péennes (13) à actualiser, dès 2011, les pratiques
chirurgicales axillaires en ne recommandant
plus de CA complémentaire en cas de GS méta-
statique lorsque les critères d’inclusion de l’essai
ACOSOG Z0011 étaient respectés, à savoir : un trai-
tement conservateur du sein, une radiothérapie de
l’ensemble du sein, la prescription d’un traitement
adjuvant (chimiothérapie et/ou hormonothérapie)
et moins de 3 GS envahis quelle que soit la taille
de la métastase.
En France, cette stratégie n’est pas encore consen-
suelle et beaucoup d’équipes réalisent encore un
curage axillaire lorsqu’une macrométastase est dia-
gnostiquée dans le GS, voire, pour certaines équipes,
en cas de GS micrométastatique.
Les pratiques chirurgicales
ont évolué
Des études ont évalué l’impact de la publication
de l’ACOSOG Z0011 sur les pratiques chirurgi-
cales axillaires. Ainsi, A.S. Caudle et al. ont montré
qu’au MD Anderson Cancer Center (États-Unis), la
publication de l’ACOSOG Z0011 a conduit à une
réduction significative du taux de curage axillaire
en cas de GS métastatique (85 versus 24 %), sans
modification des décisions de traitement adjuvant
(82 % de chimiothérapie, contre 76 %), mais avec un
élargissement des champs d’irradiation du sein vers
l’aisselle (10 versus 43 %) et sans modification de la
proportion de patientes avec irradiation ganglion-
naire sus-claviculaire et de la chaîne mammaire
interne (21 versus 17 %) [14]. Une autre étude a,
de plus, démontré une réduction de 64 % des coûts
après omission du curage axillaire complémentaire,
en cas de GS métastatique, par l’application des cri-
tères de l’ACOSOG Z0011 (15).
En Europe, M.A. Beek et al. (16) ont analysé l’évo-
lution des pratiques chirurgicales axillaires aux
Pays-Bas depuis l’introduction de la biopsie du
GS en 1993-1994 jusqu’en 2014. Les auteurs ont
montré, à partir d’un registre de 34 037 femmes
ayant bénéficié d’une biopsie du GS, que la pro-
portion de biopsie du GS seule en cas de GS micro-
métastatique est passée de 0 % en 1993-1994 à
86 % en 2013-2014. En cas de GS macrométas-
tatique, le taux de biopsie du GS seul sans curage
axillaire complémentaire était de seulement 5 %
avant la publication de l’ACOSOG Z0011, contre
50 % en 2013-2014 (pour les femmes ayant subi
une chirurgie conservatrice du sein).
Conclusion
Il n’y a désormais plus de raison scientifiquement
valable à poursuivre systématiquement la pratique
du curage axillaire en cas de GS métastatique, quelle
que soit la taille de la métastase. L’abstention légi-
time de curage axillaire complémentaire doit tout
de même être validée en réunion de concertation
pluridisciplinaire afin de ne pas contre-balancer
cette désescalade chirurgicale par une étendue
plus importante des champs d’irradiation. L’explo-
ration radiologique du creux axillaire, qui doit être
systématique, permet d’exclure les patientes avec
des envahissements ganglionnaires métastatiques
multiples, renforçant encore l’indi cation d’omission
en cas de GS métastatique.
Les auteurs déclarent ne pas avoir
de liens d’intérêts.
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