18 | La Lettre du Sénologue No 60 - avril-mai-juin 2013
DOSSIER
Prise en charge des seins
d’une “femme mutée”
Prise en charge du cancer
du sein chez les femmes
présentant un risque
génétique ou une mutation
de BRCA1 ou de BRCA2 : place
du traitement conservateur
avec radiothérapie
Breast-conserving surgery followed by radiotherapy
in women with high genetic risk or BRCA1/2 mutations
Y.M. Kirova*, A. Fourquet*
* Département de radiothérapie,
institut Curie, Paris.
Le traitement conservateur des cancers du sein
associe une chirurgie d’exérèse de la tumeur
avec des berges en tissu sain (mastectomie par-
tielle) à une irradiation de l’ensemble de la glande
mammaire.
BRCA1 (BReast CAncer gene 1) et BRCA2 sont des
gènes indispensables à l’intégrité et à la stabilité du
génome. Après exposition aux radiations ionisantes,
les protéines BRCA1 et BRCA2 interviennent dans
la réparation des lésions double-brin de l’ADN, par
recombinaison homologue (sans erreur) et répara-
tion non homologue (dans ce cas, des erreurs sont
possibles). Elles interviennent également dans
le contrôle du cycle cellulaire et la régulation de
l’apoptose. In vitro, il a été mis en évidence une
radiosensibilité accrue chez des lignées cellulaires
qui n’ont pas de protéine BRCA1 fonctionnelle
(lignées embryonnaires murines BRCA1−/−, tumeurs
humaines BRCA1−/−), et une sensibilité accrue à la
doxorubicine et à l’irradiation chez des lignées cel-
lulaires provenant de souris BRCA1−/− “conditional
knock-out” (1).
Ces observations soulèvent 2 questions : la radio-
sensibilité des tissus sains est-elle augmentée chez
les femmes porteuses d’une mutation BRCA1 ou
BRCA2 ? En est-il de même pour les cellules tumo-
rales, et quelles sont les conséquences sur l’évolution
carcinologique après traitement ?
Peu d’études ont évalué spécifi quement la toxicité
aiguë et les séquelles à long terme de la radiothérapie
chez les femmes à haut risque génétique. Une étude
multicentrique (2) a comparé des femmes porteuses
d’une mutation à d’autres sans histoire familiale,
analysées avec 7,5 ans de recul ; ni augmentation
de la toxicité aiguë algique, cutanée ou pulmonaire,
ni séquelles à long terme, qu’elles soient cutanées
ou sous-cutanées, pulmonaires ou osseuses, nont
été montrées. Une deuxième étude, comparant le
devenir de 55 patientes porteuses d’une mutation
à celui de 55 patientes “sporadiques” avec 7 ans de
recul, n’a montré aucune différence concernant la
toxicité aiguë ou les séquelles tardives (3).
Cinq études ont comparé les risques de récidive
mammaire et de cancer du sein controlatéral chez
Y.M. Kirova déclare ne pas avoir
de liens d’intérêts.
BRCA 1/2
Contrôles
Yale
10 ans Rotterdam
5 ans Étude
multicentrique
10 ans
Curie
10 ans Memorial/McGill
10 ans
40
30
20
10
0
%
Figure 1. Récidives locales après traitement conservateur du sein par chirurgie et radio-
thérapie : résultats des principales études publiées.
La Lettre du Sénologue No 60 - avril-mai-juin 2013 | 19
Résumé
Les mutations
BRCA1
et
BRCA2
sont le principal facteur de risque du cancer du sein : jusqu’à 80% de
risque cumulé à 70ans. Elles sont présentes chez 5 % des femmes atteintes d’un cancer du sein et jusqu’à
10 % chez les femmes âgées de moins de 35ans. La plupart des études avec des suivis de 10ans et plus
suggèrent qu’il n’y a pas de risque accru de récidive locorégionale chez les patientes porteuses de muta-
tions. Dans ces études, l’âge est le seul facteur prédictif de récidive locale, mais un avantage thérapeutique
supplémentaire du tamoxifène et/ou de l’ovariectomie, ainsi que de la chimiothérapie, a été observé. De
nouveaux traitements ciblés pourraient changer le pronostic de ces cancers, mais il existe un risque élevé
d’un cancer du sein controlatéral. Les décisions du traitement locorégional doivent tenir compte de l’his-
toire familiale, mais aussi du choix de la patiente.
Mots-clés
Cancer du sein
Radiothérapie
Risque génétique
BRCA1
BRCA2
Summary
BRCA1/2
mutations are the
major risk factor of breast
cancer: up to 80% cumulative
risk at age 70.
BRCA1/2
muta-
tions are present in 5% of all
women with breast cancer and
up to 10% in young women <
35. Most studies suggest that
there is no increased risk of
breast recurrence in
BRCA1/2
carriers at 10 years and longer
follow-up. In these studies, the
age is the strongest predictor of
local recurrence but there was
observed an added benefi t from
tamoxifen and/or oophorectomy,
as well as from chemotherapy.
New targeted treatments could
change the prognosis of these
cancers. But there is high risk
of contralateral breast cancer.
Treatment decisions have to take
into account whether the patient
is a known
BRCA
carrier or not:
her family history and her choice.
Keywords
Breast cancer
Radiotherapy
Genetic risk
BRCA1, BRCA2
des femmes porteuses d’une mutation de BRCA et
chez des femmes ne présentant pas cette mutation
ou sans histoire familiale. Les résultats sont résumés
dans la gure 1. Les méthodes utilisées varient d’une
étude à l’autre.
Une étude de l’université de Yale (4) a porté sur
290 femmes de moins de 42 ans traitées pour un
cancer du sein par chirurgie et radiothérapie, dans
une population de patientes très jeunes ; seule la
population des survivantes a été étudiée à 12,7 ans.
Une recherche de mutations a été effectuée sur
127 d’entre elles (44 %). Les 22 qui avaient une
mutation de BRCA1 (n = 15) ou de BRCA2 (n = 7)
ont été comparées aux 105 chez qui ces mutations
n’avaient pas été retrouvées. Les résultats montrent
une augmentation du risque de récidive locale et de
cancer controlatéral en cas de mutation. Le risque
de récidive devient signifi catif à partir de la huitième
année.
Létude de Rotterdam (5) a comparé 109 femmes
porteuses de mutations et 410 sporadiques, appa-
riées selon l’âge et l’année du traitement. Avec
un recul médian de 4,3 ans, le risque de récidive
locale était similaire dans les 2 groupes, alors que le
risque de cancer controlatéral était augmenté dans
le groupe présentant des mutations.
L.J. Pierce et al. (6) ont conduit une analyse
multicentrique comparant le cas de 160 femmes
porteuses à celui de 445 autres, sporadiques, appa-
riées selon l’âge et l’année du traitement, avec
7,9 ans de recul. Les taux de récidive locale étaient
respectivement de 12 et 9 % ; les taux de cancer
controlatéral, de 26 et 3 %.
Létude de l’institut Curie (7) a comparé, dans
une étude cas-témoins, les données de 131 patientes
à haut risque familial (dont 27 étaient porteuses
d’une mutation de BRCA1 ou de BRCA2) à celles
de 271 patientes sans histoire familiale, appariées
selon l’âge et l’année du traitement. Les témoins
avaient une période de suivi depuis le traitement au
moins égale au délai écoulé entre le traitement et
le test génétique chez les femmes à risque. Avec un
recul médian de 9 ans, il n’a pas été constaté d’aug-
mentation du risque de récidive chez les femmes
présentant un risque lié à leur histoire familiale,
qu’elles soient porteuses ou non d’une mutation.
De même, aucune augmentation du risque n’a été
observée chez les femmes porteuses d’une mutation
de BRCA1 ou de BRCA2 comparativement à leurs
propres témoins. Il y avait en revanche un risque
accru de cancer du sein controlatéral.
M.E. Robson et al. (8) ont recherché les muta-
tions fondatrices de BRCA1 et BRCA2 dans une
population de 496 femmes ashkénazes, à partir des
prélèvements histologiques conservés lors du traite-
ment initial. Avec un recul de presque 10 ans, aucune
différence n’a été observée entre les taux de récidive
locale des 56 femmes porteuses d’une mutation, et
ceux des 440 qui n’en étaient pas porteuses, alors
que le risque de cancer controlatéral était signifi ca-
tivement augmenté. Les données de ces études sont
présentées dans les gures 1 et 2, p. 20.
Les dernières années, 2 de ces études ont été actua-
lisées et les résultats publiés dans le Breast Cancer
Research and Treatment (9, 10). Dans les séries de
L.J. Pierce (9) portant sur 655 patientes de stade I- III,
porteuses de mutations de BRCA1 ou de BRCA2,
traitées par traitement conservateur (n = 302) ou
mastectomie (n = 353), avec un suivi médian de
respectivement 8,2 et 8,9 ans, la mastectomie
diminue le risque de récidive, ainsi que la chimio-
thérapie adjuvante, mais sans impact sur la survie.
Dans les séries de l’institut Curie (10), avec un suivi
médian de 13,4 ans, on a constaté que l’âge était le
seul facteur de risque de récidive locale (p < 10−3).
Concernant le risque de cancer controlatéral, le
facteur était la mutation de BRCA1 ou de BRCA2 (10).
Aucune différence n’a été constatée en survie entre
BRCA 1/2
Contrôles
Yale
10 ans Rotterdam
5 ans Étude
multicentrique
10 ans
Curie
10 ans Memorial/McGill
10 ans
40
30
20
10
0
%
Figure 2. Cancers controlatéraux après traitement conservateur du sein par chirurgie
et radiothérapie : résultats des principales études publiées.
20 | La Lettre du Sénologue No 60 - avril-mai-juin 2013
Prise en charge du cancer du sein chez les femmes présentant un risque
génétique ou une mutation de
BRCA1
ou de
BRCA2
: place du traitement
conservateur avec radiothérapie
DOSSIER
Prise en charge des seins
d’une “femme mutée”
les patientes avec mutation ou avec un risque élevé
et leurs témoins.
En 2005, les groupes de T. Helleday (11) et de
A. Ashworth (12) ont montré, dans des études
in vitro, que les cellules défi cientes en BRCA1 ou
BRCA2, dans lesquelles la réparation des cassures
double-brin (CDB) par recombinaison homologue
était compromise, étaient hypersensibles à l’inhibi-
tion de l’activité PARP (poly[ADP-ribose] polymé-
rase). Le mécanisme actuellement proposé à la base
de cette toxicité repose sur le blocage de la voie de
réparation des cassures simple-brin (CSB) dû à l’inhi-
bition de PARP, qui conduit à la formation de CDB
lors de la progression des fourches de réplication.
Dans des cellules normales ou hétérozygotes pour
BRCA1 ou BRCA2, le système de réparation des CDB
peut réparer ces lésions létales, mais il est inopérant
dans les cellules tumorales qui sont mutées pour les
2 allèles de BRCA1 ou BRCA2. L’olaparib a fait l’objet
d’une étude de phase I incluant 60 patients porteurs
de tumeurs solides, dont 23 présentant une muta-
tion de BRCA1 ou de BRCA2 (13). La dose maximale
tolérée d’olaparib était de 400 mg par voie orale
2 fois par jour. Le taux de réponse objective était de
49 % chez les patients dont les tumeurs présentaient
une mutation de BRCA1 ou de BRCA2 ; cela a motivé
une étude de phase II incluant des patientes ayant un
cancer du sein triple-négatif ou un cancer de l’ovaire
localement avancé ou métastatique (14). Au total,
91 patientes ont été incluses (65 patientes atteintes
d’un cancer de l’ovaire et 26 d’un cancer du sein).
Les patientes ont été stratifi ées selon leur statut
BRCA1 ou BRCA2. Ainsi, 90 patientes ont été trai-
tées par olaparib (400 mg × 2/j ; cycle de 28 jours)
jusqu’à progression de la maladie. Quel que soit le
statut BRCA des patientes atteintes d’un cancer
du sein, aucune réponse objective n’a été mise en
évidence. Les principaux effets indésirables étaient
la fatigue (50 %), les nausées (62 %), les vomisse-
ments (35 %) et la diminution de l’appétit (27 %).
Il est donc nécessaire d’identifier d’autres bio-
marqueurs prédictifs de la réponse aux inhibiteurs
de PARP. L’identifi cation de mutations germinales,
telles que BRCA1 ou BRCA2, constitue une première
approche (15). Du fait des altérations des méca-
nismes de réparation liées aux mutations de BRCA1
ou de BRCA2 les rendant potentiellement radiosen-
sibles (16), les patientes traitées par radiothérapie
pour un cancer du sein avec une mutation de BRCA1
ou de BRCA2 pourraient bénéfi cier d’un traitement
combiné avec un inhibiteur de PARP.
Conclusion
L’indication d’un traitement conservateur du sein,
par une chirurgie conservatrice associée à une irra-
diation mammaire, est toujours diffi cile à poser chez
des femmes, souvent très jeunes, qui ont un cancer
du sein dans un contexte familial à risque : les déci-
sions de la patiente seront différentes selon que la
présence d’une mutation est connue au moment du
diagnostic, qu’elle est connue dans la famille mais pas
chez la personne concernée, ou qu’elle est inconnue.
Les données de la littérature suggèrent que la toxi-
cité aiguë et à long terme de la radiothérapie nest
pas augmentée chez les femmes porteuses d’une
mutation.
Elles montrent également dans leur majorité qu’une
mutation n’est pas un facteur de risque de récidive
mammaire homolatérale, au moins dans les 10 pre-
mières années, alors que le risque de cancer contro-
latéral multiplié par 3 ou 4.
Compte tenu des facteurs de risque de récidive asso-
ciés au phénotype tumoral BRCA1 muté, un risque
accru de récidive était attendu chez les femmes por-
teuses de cette mutation, ce qui n’a pas été observé.
Ces constatations suggèrent que ces tumeurs sont
particulièrement sensibles à l’irradiation, peut-être
à cause du défi cit des capacités de réparation des
lésions de l’ADN induites par cette irradiation.
Les résultats de ces études suggèrent donc qu’un
traitement conservateur du sein doit être proposé
aux femmes porteuses d’une mutation de BRCA1 ou
de BRCA2, et qu’une mastectomie du sein concerné
ne doit pas être la règle.
De nouvelles options thérapeutiques, comme l’asso-
ciation de nouvelles molécules de type anti-PARP
avec une radiothérapie, peuvent être proposées à
nos patientes.
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Références bibliographiques (suite)
Prise en charge du cancer du sein
chez les femmes présentant un risque
génétique ou une mutation de
BRCA1
ou de
BRCA2
: place du traitement
conservateur avec radiothérapie
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