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Trouble de l’usage d’alcool : les nouvelles
méthodes d’évaluation
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B. Rolland
INTRODUCTION
Trouble de l’usage d’alcool : dépistage,
évaluation et principes de prise en charge 66
B. Rolland
Trouble de l’usage d’alcool :
de la passion à la raison
Alcohol use disorder: from passion to reason
“
L’
R. Bordet*
* Département de pharmacologie
médicale, faculté de médecine,
université Lille 2, CHRU de Lille.
alcoolodépendance, aujourd’hui fondue au sein des “troubles d’usage d’alcool”
dans le DSM-5, a longtemps été négligée au plan thérapeutique,
tant par le monde médical, qui n’en soignait que les conséquences,
que par l’industrie pharmaceutique. Sans doute que cette authentique pathologie avait
une image trop péjorative, associée à un vice des populations pauvres et analphabètes,
si bien décrites par Zola dans L’Assommoir, relayé au plan pictural par Degas avec son
tableau L’ Absinthe. Mais soudainement, cette maladie est devenue “tendance” et
“médiatique”. Est-ce l’arrivée du binge drinking dans les soirées des beaux quartiers,
l’espoir qu’a fait naître l’utilisation d’une molécule promue par l’essai personnel d’un
médecin connu et largement popularisée par les médias, ou grâce
à l’approfondissement de la nosographie, de la physiopathologie et des paradigmes
d’évaluation de cette affection. Cependant, quelle qu’en soit la raison, l’emballement
médiatique risque de conduire à passer d’un extrême à l’autre, du voile pudique avec
lequel on cachait le problème à une volonté de traiter à toute force,
sans que le fondement en soit étayé par des preuves d’efficacité. Pourtant, la situation
devrait être favorable pour changer l’approche de cette pathologie, en raison
de l’existence de nouveaux agents pharmacologiques qui viennent conforter
les changements de conception dans la prise en charge thérapeutique, qu’elle soit
pharmacologique ou non pharmacologique. Ce changement est majeur, puisque
l’on passe d’une prise en charge fondée sur l’abstinence – qui pour une part était liée
à l’idée de punition face à ce qui était considéré comme un vice –, à la notion
de régulation de la consommation pour en limiter l’excès et donc les conséquences
néfastes au-delà d’un seuil. Mais, seule une action collective et cohérente du corps
médical, des pouvoirs publics et de l’industrie du médicament permettra de trouver
le bon équilibre, auquel nous incitent les 2 articles de Benjamin Rolland, publiés dans
ce numéro de La Lettre du Pharmacologue.
Ce changement de paradigme dans la prise en charge des “troubles d’usage d’alcool”
doit s’appuyer sur quelques idées-forces. La première est que les choix thérapeutiques
doivent s’appuyer sur des preuves. Dans la notion de rapport bénéfice/risque,
la première étape est la démonstration du bénéfice selon le standard
internationalement reconnu de l’essai contrôlé, randomisé, en double aveugle, avec
comparateur. En l’absence d’une démonstration claire d’un bénéfice, le risque doit être
encore plus minimisé dans le cadre d’un usage hors AMM, fût-il encadré par
une recommandation temporaire d’utilisation. La deuxième idée-force est que
le médicament n’est que l’un des éléments de la prise en charge, qui doit être globale,
La Lettre du Pharmacologue • Vol. 28 - n° 2 - avril-mai-juin 2014 |
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inclure un accompagnement psychosocial, reposer sur des structures publiques
ou associatives et ne peut être laissée aux seules industries pharmaceutiques,
dont ce n’est pas la mission première. La troisième idée-force est d’admettre
qu’une monothérapie ne suffira probablement pas à une prise en charge optimale
et que, comme pour d’autres affections (sida, HTA, polyarthrite rhumatoïde, etc.),
des bi- et des trithérapies seront sans doute nécessaires, après évaluation comparative
de leur rapport bénéfice/risque et des possibilités de personnalisation du traitement.
N’opposons pas les médicaments entre eux, car ils ont des mécanismes d’action
complémentaires, indispensables face à la complexité physiopathologique
de l’addiction à l’alcool.
Les troubles d’usage d’alcool sont un problème majeur de santé publique, en raison
de leurs conséquences médicales, individuelles et sociales. Le développement de leur
prise en charge nécessite raison et sang-froid, loin du registre émotionnel dans lequel
nous sommes aujourd’hui tombés, après des décennies d’indifférence. Faisons entrer
cette maladie dans la modernité pour que sa prise en charge médicale et psychosociale
s’appuie sur une démarche collective, répondant aux standards reconnus de la
médecine par les preuves.
”
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