mise au point Rhinite et asthme Asthma and rhinitis C. Mailhol*, A. Didier* L a rhinite et l’asthme font partie des maladies respiratoires les plus fréquentes. Depuis plus d’une dizaine d’années, les liens étroits qui existent entre ces 2 maladies inflammatoires des voies respiratoires ont été largement soulignés, mettant en avant le concept d’unité des voies aériennes (“united airways disease” dans la littérature anglo-saxonne). Ces liens ne se limitent pas à la fréquente coexistence de la rhinite et de l’asthme chez un même patient mais permettent d’envisager un véritable continuum entre l’atteinte des voies respiratoires hautes et basses qui n’est pas sans conséquence pour la prise en charge du patient. Nez et bronches partagent des expositions environnementales communes. Par ailleurs, le patrimoine génétique du patient peut expliquer l’acquisition de sensibilisations allergéniques dont l’expression pourra se faire au niveau des 2 sites. Pourtant, dans la plupart des ouvrages médicaux, ces 2 affections font l’objet de chapitres séparés et, en pratique quotidienne, elles sont le plus souvent prises en charge par des spécialistes différents. Relation épidémiologique : la rhinite chronique est bien un facteur prédictif de l’apparition d’un asthme * Clinique des voies respiratoires, hôpital Larrey, CHU de Toulouse. Rhinite et asthme coexistent souvent chez un même malade et la fréquence de cette association ne peut s’expliquer par le simple fait du hasard (1). C’est ainsi que 19 à 38 % des sujets atteints de rhinite ont des symptômes d’asthme et jusqu’à 90 % des asthmatiques, dans certaines études, ont des symptômes de rhinite (2). Au-delà de cette association relevée depuis longtemps par toutes les enquêtes épidémiologiques transversales, nous disposons maintenant de données longitudinales qui confirment que la rhinite chronique, allergique ou non, est un facteur de risque de développement d’un asthme. Ainsi dans un travail ayant concerné près de 6 500 patients suivis 78 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVII - n° 3 - mai-juin 2014 plus de 8 ans, la présence d’une rhinite à l’inclusion, qu’elle soit allergique ou non, est un excellent facteur prédictif de l’apparition d’un asthme pendant la période de suivi (3). Chez les patients atteints de rhinite chronique, d’autres facteurs paraissent associés à l’apparition d’un asthme, en particulier la présence d’une sensibilisation aux acariens ou au chat ou la présence d’une polysensibilisation aux pneumallergènes, l’existence d’une hyperréactivité bronchique, le caractère perannuel ou persistant de l’atteinte nasale et sa durée (4-6). L’inflammation de la muqueuse nasale provoquant les symptômes de rhinite peut trouver son origine dans les mécanismes allergiques ou non allergiques (infectieuse, professionnelle, médicamenteuse, hormonale, etc.) [7]. Cette association entre rhinite et asthme est forte et indépendante du caractère allergique ou non allergique de la rhinite (3). Le terme “facteur prédictif” d’asthme appliqué à la rhinite chronique est préférable à celui de “facteur de risque” dans la mesure où l’atteinte chronique des voies aériennes supérieures pourrait représenter un stade précoce de l’atteinte de l’ensemble des voies aériennes pouvant progresser ultérieurement jusqu’à l’asthme. Ces observations ont conduit à l’élaboration de recommandations internationales de prise en charge de la rhinite allergique, dites “ARIA” (Allergic Rhinitis and its Impact on Asthma), qui insistent sur la recherche systématique d’un asthme chez tout patient porteur d’une rhinite identifiée (8). En conséquence, la recherche d’un asthme associé doit être systématique chez un patient atteint de rhinite et, ce, d’autant plus que la rhinite est persistante. Chez un patient présentant une rhinite allergique, une hyperréactivité bronchique de type asthmatique doit donc être systématiquement recherchée par l’interrogatoire, surtout s’il existe des antécédents familiaux d’asthme. Des épisodes de sibilance, d’oppression thoracique, de toux survenant dans certaines circonstances, telles que l’effort, l’exposition aux irritants non spécifiques, aux fortes odeurs ou aux changements de températures, sont des éléments évocateurs qui Points forts »» La rhinite chronique, qu’elle soit allergique ou non, est un facteur prédictif d’apparition d’un asthme. C’est aussi la comorbidité la plus fréquemment associée à la maladie asthmatique. »» Chez l’asthmatique, sa présence majore le risque de mauvais contrôle de la maladie. »» L’exploration du nez des asthmatiques doit être systématique, au minimum par l’interrogatoire. »» Les traitements de la rhinite sont susceptibles d’améliorer le contrôle de l’asthme sans qu’il soit nécessaire de majorer le traitement spécifique de l’asthme. devront conduire à la réalisation d’une exploration fonctionnelle respiratoire. L’examen clinique d’un patient asthmatique en dehors des crises est le plus souvent normal. L’exploration fonctionnelle respiratoire est donc indispensable en cas de suspicion clinique. Si la spirométrie est normale mais que la présomption clinique reste forte, la mise en évidence de l’hyperréactivité bronchique (HRB) pourra être effectuée soit par la surveillance pendant quelques jours du débit de pointe par un débitmètre (afin de mettre en évidence la variabilité journalière des mesures) ou par la réalisation d’un test de provocation bronchique non spécifique (histamine, métacholine). Pour certains auteurs, la mise en évidence d’une altération isolée des petites voies aériennes (DEM25-75) serait un marqueur précoce d’atteinte bronchique chez les sujets souffrant de rhinite (2). Impact de la rhinite sur l’asthme Plusieurs études confirment que la présence d’une rhinite allergique chez l’asthmatique s’accompagne d’une fréquence plus élevée des symptômes de l’asthme, mais aussi d’un recours plus fréquent aux soins d’urgence et aux hospitalisations, témoignant ainsi du caractère instable et moins bien contrôlé de l’asthme (8-10). Chez les sujets asthmatiques porteurs d’une rhinite associée, la consommation de soins médicaux est également plus élevée que chez les asthmatiques n’ayant pas d’atteinte ORL (9, 10). Plusieurs mécanismes peuvent expliquer l’aggravation de l’asthme par l’existence d’une pathologie ORL chronique (1) : ➤➤ l’obstruction nasale favorisant l’inhalation en grande quantité de polluants, d’air froid, d’allergènes et autres irritants, qui peuvent contribuer à majorer l’HRB ; ➤➤ le réflexe nasobronchique toujours hypothétique chez l’homme ; ➤➤ la diffusion de médiateurs de l’inflammation à partir de la sphère nasale soit par voie aérienne, soit par réabsorption systémique. La recherche de manifestations nasales doit donc être systématique devant un asthme non contrôlé. Comment rechercher l’atteinte nasale chez l’asthmatique ? La recherche d’une atteinte ORL chez un asthmatique repose avant tout sur l’interrogatoire. Celui-ci doit s’attacher à rechercher les signes habituels de rhinite ou de rhinosinusite : rhinorrhée, obstruction nasale, éternuements, prurit nasal, anosmie ou hyposmie. Ces derniers sont habituellement rassemblés au sein de l’acronyme PAREO (encadré). Il est important de faire préciser les signes oculaires éventuellement associés (prurit oculaire, larmoiements, œil rouge) ainsi que d’éventuels troubles de l’olfaction. La présence d’une obstruction nasale permanente associée à une anosmie doit faire évoquer et rechercher une polypose nasosinusienne. Le retentissement général de la pathologie ORL doit être systématiquement évalué, notamment en termes de troubles du sommeil, de somnolence diurne et de retentissement sur les activités de la vie quotidienne (11). Un autre questionnaire, le questionnaire SFAR (Score For Allergic Rhinitis), a démontré des performances intéressantes pour différencier les patients porteurs d’une rhinite allergique de ceux qui ne le sont pas (12). Dans ce questionnaire, un score supérieur ou égal à 7 a une valeur prédictive positive de 84 % et une valeur prédictive négative de 94 %. Dans le cadre du diagnostic d’une rhinite chez l’asthmatique, la spécificité, la sensibilité et les valeurs prédictives des symptômes ORL ont été évaluées (13). Leur absence a une excellente valeur prédictive négative de l’existence d’une atteinte ORL, alors que leur présence permet de confirmer celle d’une atteinte ORL mais sans permettre de différencier le type de pathologie (rhinite, rhinosinusite ou polypose nasale). Les indications et l’intérêt de la réalisation d’une rhinoscopie antérieure systématique n’ont pas été évalués chez les patients asthmatiques. Elle peut être facilement effectuée au cabinet d’un médecin non spécialisé en ORL, avec un otoscope muni d’un spéculum nasal. Néanmoins, la réalisation de cet examen, qui paraît souhaitable en cas de symptômes à l’interrogatoire, nécessite un minimum de pratique et de formation de la part du praticien qui l’effectue. Lorsqu’il est réalisé, cet examen permet d’apprécier la présence de sécrétions nasales et leur aspect, le Mots-clés Asthme Rhinite Allergie Relation nez-bronches Highlights »» Chronic rhinitis, allergic or nonallergic, is a risk factor for the onset of asthma. It is also the most common asthmarelated co-morbidity. »» In asthma patients, its presence increases the risk of inadequate asthma control. »» Rhinologic examination of asthma patients should be routine, at least through taking a history. »» Rhinitis treatments are likely to be beneficial for asthma, without increasing specific asthma therapy. Keywords Asthma Rhinitis Allergy United airways P comme Prurit A comme Anosmie R comme Rhinorrhée E comme Éternuements O comme Obstruction Encadré. Le score PAREO dans la recherche d’une rhinite. La Lettre du Pneumologue • Vol. XVII - n° 3 - mai-juin 2014 | 79 mise au point Rhinite et asthme caractère inflammatoire et œdémateux ou non de la muqueuse nasale et, bien sûr, la présence éventuelle de polypes dans les fosses nasales. Quelle est la place de l’imagerie dans l’évaluation de l’atteinte nasale d’un asthme non contrôlé ? Les radiographies simples des sinus ont peu d’intérêt dans le dépistage des pathologies rhinosinusiennes chroniques. La tomodensitométrie sinusienne est beaucoup plus performante et constituera l’examen d’imagerie de choix pour explorer les structures sinusiennes (7). Néanmoins, il paraît difficile d’en recommander la prescription en première intention chez un asthmatique. Cet examen semble plus logiquement indiqué lorsqu’il existe des anomalies à l’examen endoscopique ORL. Les recommandations asthme et allergie de la Société de pneumologie de langue française émises en 2007 vont dans ce sens et stipulent qu’il n’y a pas d’indication en première intention pour la réalisation d’une imagerie des sinus chez l’asthmatique (14). A. Didier déclare : ­participation à des boards d’experts pour AstraZeneca, GSK, Chiesi, Boehringer-Ingelheim, ­Stallergènes, ALK, MSD ; ­coordination d’essai clinique ALK et Stallergènes. Quel est l’impact des médicaments de la rhinite sur l’asthme ? L’application d’un traitement spécifique de la rhinite a un impact favorable sur la symptomatologie de l’asthme, ce qui est une preuve supplémentaire du lien nez-bronches. C’est ainsi que plusieurs analyses rétrospectives de cohortes ou des études cas-contrôle ont montré un impact favorable de la prise en charge thérapeutique d’une rhinite par antihistaminiques et/ou corticoïdes par voie nasale sur les paramètres fonctionnels et cliniques de l’asthme ainsi que sur le recours aux soins d’urgence et les hospitalisations pour asthme (15, 16). Cependant, selon une méta-analyse récente, les corticoïdes par voie nasale auraient surtout un effet favorable sur l’asthme dans les sous-groupes de patients les moins sévèrement atteints, qui ne nécessitent pas de corticothérapie inhalée au long cours (17). L’utilisation de ces traitements de la rhinite doit s’appuyer sur les recommandations ARIA et tenir compte du caractère persistant ou intermittent de la rhinite ainsi que de sa sévérité (11). Que peut-on attendre de l’immunothérapie spécifique ? L’immunothérapie spécifique (ITS), que ce soit par la voie sous-cutanée ou la voie sublinguale, est susceptible d’améliorer les symptômes des 2 affections rhinite et asthme lorsque son indication est bien posée (12, 16). En pratique, le caractère allergique de la rhinite et/ou de l’asthme doit avoir été démontré. Les allergènes impliqués dans la symptomatologie doivent être peu nombreux, idéalement 1 ou 2. Les recommandations de bonne pratique précisent que l’asthme doit être bien contrôlé, avec une fonction ventilatoire normale ou subnormale (14). Récemment, certains travaux ont indiqué que la désensibilisation pourrait avoir un effet préventif sur l’apparition d’un asthme chez les sujets initialement porteurs d’une rhinite allergique isolée (18). ■ Références bibliographiques 1. Compalati E, Ridolo E, Passalacqua G, Braido F, Villa E, Canonica GW. The link between allergic rhinitis and asthma: the united airways disease. Expert Rev Clin Immunol 2010;6(3):413‑23. 2. 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