INFECTIONS OSTEO-ARTICULAIRES (IOA) HODILLE Elisabeth AHU – Laboratoire de bactériologie [email protected] UE13 Agents infectieux – FGSM3 - Mardi 13 octobre 2015 Problématique • Infections toujours sévères – Rechutes 31% – Amputations 6% • Mauvaise diffusion des antibiotiques • S. aureus : pathogène le + fréquent • Deux défis cliniques majeurs – IO chroniques, échecs thérapeutiques, rechutes – IO aiguës et destructrices *Adet T al , Am J Med. 2003 2 PLAN 1. Entités cliniques – Inoculation directe/hématogène / par contiguïté – IO avec / sans matériel implanté – IO aiguë / chronique 2. Physiopathologie – Physiologie du tissu osseux – Réponse inflammatoire 3. Stratégies de persistance bactérienne – Biofilms – Persistance intracellulaire 4. Etiologies 5. Diagnostic 6. IO destructrices – Rôle de la leucocidine de Panton-Valentine 3 Entités cliniques • Ostéite = infection de l’os • Ostéomyélite = infection osseuse par voie hématogène • Spondylodiscite = infection d’un disque intervertébral et des corps vertébraux adjacents • Arthrite = inflammation des articulations, arthrite septique d’origine infectieuse (bactérienne +++) • Ostéo-arthrite • Aiguë ou chronique : délai de 1 mois • Avec ou sans matériel (prothèse ou matériel d’ostéosynthèse) 4 Voies d’inoculation • Inoculation directe – Iatrogène lors d’un geste médical (infiltration, ponction) ou chirurgical (acte opératoire) – Lors d’un traumatisme (fracture ouverte) • Hématogène – Bactériémie symptomatique ou non – Porte d’entrée souvent non retrouvée • Par contiguïté – À partir d’un foyer septique dont la porte d’entrée est une plaie chronique (pied diabétique) http://www.caisson-hyperbare.com/ 5 Exemple d’IOA d’origine hématogène Cas des IOA de l’enfant • Inoculation par voie hématogène +++ – Ostéo-arthrite et ostéomyélite en fonction de l’âge • Germes impliqués = germes des bactériémies • Porte d’entrée : ORL +++ • Particularité de S. aureus : adhésine spécifique du tissu osseux : bbp fixe la sialoprotéine osseuse (Tristan et al, J Clin Microbiol 2003) • Localisation : – Os longs, membres inférieurs – Tibia + fémur = 50% cas Peltola H, Pääkkönen M. N Engl J Med 2014;370:352-360. 6 IOA de l’enfant • Avant 18 mois : Infection du réseau inter-épiphysaire = ostéoarthrites Cartilage de conjugaison vascularisé • Après 18 mois : Arthrites et ostéomyélites bien distinguées Cartilage de conjugaison avascularisé = barrière 7 Matériel implanté • Prothèse articulaire • Surface inerte : support pour la formation de biofilm facteur favorisant +++ IOA • Inoculation – Directe lors de l’implantation – Hématogène M. Rottman SF2H 2011 8 Evolution chronique • Marquée par la formation de séquestre osseux – Fragment osseux nécrotique qui se détache lors d’un traumatisme – Perte de la vascularisation => inaccessible • Au système immunitaire • Aux antibiotiques – Chirurgie Séquestre tibial intra-cortical Jennin et al. Skeletal Radiol 2010 9 Evolution vers la séquestration osseuse J15 J20 J30 J40 PLAN 1. Entités cliniques – Inoculation directe / hématogène / par contiguïté – IO avec / sans matériel implanté – IO aiguë / chronique 2. Physiopathologie – Physiologie du tissu osseux – Réponse inflammatoire 3. Stratégies de persistance bactérienne – Biofilms – Persistance intracellulaire 4. Etiologies 5. Diagnostic 6. IO destructrices – Rôle de la leucocidine de Panton-Valentine 11 Physiologie du tissu osseux Ostéoblastes et ostéoclastes • Tissu osseux en constant renouvellement – Synthèse : ostéoblastes (OB) • Origine mésenchymateuse • Sécrétion matrice protéique puis minéralisation – Résorption : ostéoclastes (OC) • Origine myéloïde • Déminéralisation puis résorption matrice protéique 12 Equilibre délicat synthèse / résorption • OB régulent la maturation / activation des OC via RANKL et OPG • Rupture d’équilibre OB/OC => résorption osseuse 13 Réponse inflammatoire et remodelage osseux • Réponse inflammatoire : rupture d’équilibre vers résorption osseuse • Cytokines majeures IL-6, IL-1 et TNF𝛼 Cytokine Origine Action sur OC IL-6 IL-1 Macrophage, OB infecté en intracellulaire Macrophage Activation indirecte via expression RANKL par les OB Activation directe TNF Macrophage Activation directe 14 Réponse inflammatoire et remodelage osseux: Exemple pour S. aureus 15 Réponse inflammatoire et remodelage osseux: Exemple pour S. aureus • Au final, action destructrice multifactorielle de S. aureus sur le tissu osseux – Activation de l’ostéoclastogénèse – Action lytique des cellules immunitaires (polynucléaires, macrophages) – Action directe sur les OB (?) 16 PLAN 1. Entités cliniques – Inoculation hématogène / par contiguïté – IO avec / sans matériel implanté – IO aiguë / chronique 2. Physiopathologie – Physiologie du tissu osseux – Réponse inflammatoire 3. Stratégies de persistance bactérienne – Biofilms – Persistance intracellulaire 4. Etiologies 5. Diagnostic 6. IO destructrices – Rôle de la leucocidine de Panton-Valentine 17 Persistance bactérienne • Colonisation pérenne du tissu – Biofilms : matrice exo polysaccharide dans lequel la bactérie est enchâssée protection contre les phagocytes, les antibiotiques, les contraintes mécaniques (lavages), indissociable du matériel – Survie intracellulaire : sanctuarisation (réservoir) • Phénotypes dormants : ralentissement de croissance, augmentation de résistance – Small colony variant 18 Biofilm et infection sur matériel Bactéries planctoniques : . élimination par les mécanismes de défense naturels (anticorps, phagocytes…) . Facilement accessibles aux antibiotiques Antibiotique Anticorps Bactéries planctoniques Enzymes Bactérie Biofilm 19 JW Costerton (1999) Science, 284:1318-1322 Biofilm et infection sur matériel Bactéries séssiles = adhésion sur une surface inerte et entre elles Constitution d’un biofilm : . résistante aux anticorps . aux phagocytes . à certains antibiotiques Antibiotique Anticorps Bactéries planctoniques Enzymes Bactérie Biofilm 20 JW Costerton (1999) Science, 284:1318-1322 Biofilm et infection sur matériel • phagocytes attirés par les biofilms • phagocytose inopérante mais enzymes phagocytaires libérées localement Antibiotique Anticorps Bactéries planctoniques Enzymes Bactérie Biofilm 21 JW Costerton (1999) Science, 284:1318-1322 Biofilm et infection sur matériel Libération enzymes phagocytaires = endommage les tissus autour du biofilm descellement essaimage des bactéries planctoniques à partir du biofilm : . dissémination de l’infection . infection dans un tissu voisin ou à distance Antibiotique Anticorps Bactéries planctoniques Enzymes Bactérie Biofilm 22 JW Costerton (1999) Science, 284:1318-1322 Biofilm et infection sur matériel X 2940 2h Fixation des S. aureus sur des irrégularités à la surface du matériel 4h 8h 24 h Début de fabrication du "slime « = exopolysaccharides La surface du matériel est recouverte par une couche épaisse de "slime" Des bactéries émergent du biofilm, libres et prêtes à se fixer ailleurs Olson, et al. J. Biomed Mater Res 1988 23 Biofilm sur séquestre osseux COCCI X 2940 Cocci au fond d'une cassure d'une couche épaisse de biofilm d'un séquestre infecté Evans et al., Clin Orthop. 1998, 243-249 24 Persistance intracellulaire • S. aureus est une bactérie intracellulaire facultative – Décrit depuis 1995 – Provoque son internalisation par différents types cellulaires dont les ostéoblastes Microscopie électronique à balayage Hoffmann et al., Eur J Cell Biol 2011 Bactéries (points noirs) internalisées dans les ostéocytes entourés par des lamelles osseuses. (Internalization of S. aureus by osteoblasts in a patient with long term recurrent osteomyelitis JBJS 2005) 25 Phénotypes dormants small colony variants • Les S. aureus intracellulaires peuvent adopter un phénotype dormant – Croissance ralentie (small colony variant) – Arrêt de sécrétion de toxines : préserve la cellule infectée et limite la réponse inflammatoire – Auxotrophisme Parasitisme intracellulaire 26 Phénotypes dormants small colony variants Même souche (génétiquement) Phénotype sauvage Grosses colonies Pigmentation Hémolyse SCV Phénotype SCV Petites colonies Non pigmentées Pas d’hémolyse 27 PLAN 1. Entités cliniques – Inoculation directe/hématogène / par contiguïté – IO avec / sans matériel implanté – IO aiguë / chronique 2. Physiopathologie – Physiologie du tissu osseux – Réponse inflammatoire 3. Stratégies de persistance bactérienne – Biofilms – Persistance intracellulaire 4. Etiologies 5. Diagnostic 6. IO destructrices – Rôle de la leucocidine de Panton-Valentine 28 Principaux pathogènes selon l’âge 29 Principaux pathogènes selon la localisation 30 1. Entités cliniques – Inoculation hématogène / par contiguïté – IO avec / sans matériel implanté – IO aiguë / chronique 2. Physiopathologie – Physiologie du tissu osseux – Réponse inflammatoire 3. Stratégies de persistance bactérienne – Biofilms – Persistance intracellulaire 4. Etiologies 5. Diagnostic 6. IO destructrices – Rôle de la leucocidine de Panton-Valentine 31 Clinique • Douleurs osseuses localisées • IOA aigue : – Symptômes brutaux, impotence fonctionnelle – Abcès • IOA chronique : – Symptômes à bas bruit, parfois aucune impotence fonctionnelle – Fistule pathognomonique • IOA sur matériel 32 Microbiologie Identification du germe = étape essentielle – Aide au diagnostic – Guide la décision thérapeutique antibiogramme – Guide le suivi sous traitement – Détection des complications Prélèvements Marqueurs de l’inflammation Hémocultures À visée étiologique Sérologies Prélèvements locaux Porte d’entrée 33 Prélèvements bactériologiques • Hémocultures systématiques • Prélèvements locaux : fonction de la localisation – Liquides articulaires (si arthrite) – Ponction osseuse (si ostéomyélite, spondylodiscite) – Au bloc lors de la reprise chirurgicale (sur prothèse) • Multiplication des prélèvements peropératoire (minimum 3, idéal 5) • Incubation longue d’au moins 14 jours A prélever de manière aseptique, pas d’écouvillons A transporter le plus rapidement possible au laboratoire A distance d’une antibiothérapie, sans antibioprophylaxie • Sérologies selon contexte : – Brucella, Borrelia, Coxiella burnetti, Bartonella, Pasteurella • Portes d’entrées 34 Au laboratoire de bactériologie… • Examen direct = coloration de Gram – – – – Observation des germes et cellules Peu sensible… Si + : permet d’orienter l’étiologie Si présence de nbx PNN : origine bactérienne ++ • Culture – Germes aérobies et anaérobies – Permet d’avoir la souche et donc l’ANTIBIOGRAMME • PCR 16S (ou spécifique) si culture stérile 35 Interprétation des cultures des prélèvements ostéo-articulaires peropératoires • Infection certaine 36 PLAN 1. Entités cliniques – Inoculation hématogène / par contiguïté – IO avec / sans matériel implanté – IO aiguë / chronique 2. Physiopathologie – Physiologie du tissu osseux – Réponse inflammatoire 3. Stratégies de persistance bactérienne – Biofilms – Persistance intracellulaire 4. Etiologies 5. Diagnostic 6. IO destructrices – Rôle de la leucocidine de Panton-Valentine 37 IO à S. aureus hypervirulents • S. aureus hypervirulents – Groupe polyphylétique – Prévalence élevée de la leucocidine de Panton-Valentine (PVL) • Active et lyse les cellules myéloïdes • Portée par élément génétique mobile (phage) – Etats-Unis, Maghreb : souches pvl+ résistantes aux antibiotiques (MRSA) – France : souches pvl+ sensibles (MSSA) 38 IO à S. aureus hypervirulents • Majoritairement des ostéomyélites – Evolution aiguë – Destruction osseuse – Extension aux tissus mous – Chirurgie nécessaire – Cas potentiellement très sévères, défaillance multiviscérale 39 Moumile et al. Diagn Microbiol Infect Dis 2006 Mécanisme d’action de la PVL Action sur leucocytes selon concentration Chimiotactisme Activation / dégranulation [PVL] Apoptose Lyse Boyle-Vavra & Daum. Lab Invest 2007 40 PVL et infection osseuse • Dommages tissulaires indirects, médiés par le système immunitaire – Recrutement massif de cellules myéloïdes – Activation, dégranulation et lyse – Relargage de composés lytiques 41 Ostéomyélite expérimentale du lapin Idem observations cliniques Crémieux et al. PLoS One 2009 42 Ostéomyélite expérimentale du lapin Idem observations cliniques Destruction osseuse précoce (J7) + atteintes périosseuses chez la souche pvl+ Crémieux et al. PLoS One 2009 43 Ostéomyélite expérimentale du lapin Idem observations cliniques Destruction osseuse précoce (J7) + atteintes périosseuses chez la souche pvl+ Crémieux et al. PLoS One 2009 44 Prise en charge thérapeutique • Chirurgie – Indispensable si IOA sur matériel, ostéite/ostéomyélite chronique de l’adulte • AntibiotiqueS association +++ surtout si Staphylocoques, Pseudomonas, Enterobacter – Bonne diffusion osseuse : • • • • Fluroroquinolones Lincosamides Cyclines An association pour rifampicine, fosfomycine, acide fusidique – Diffusion moyenne : • Beta-lactamines (sauf inhibiteurs des béta-lactamases) • Glycopeptides (vancomycine, teicoplanine) • Cotrimoxazole – Diffusion faible • Aminosides 45 EN BREF… • Infections sévères et difficiles à traiter • Plusieurs entités cliniques : – Voie d’inoculation – Aigue/chronique – Avec ou sans matériel • Physiopathologie – Complexe – Liée à la réponse immunitaire délétère de l’organisme – Stratégies bactériennes la pérennité de l’infection : biofilm, small colony variant • Rôle fondamentale de la microbiologie dans le diagnostic et le traitement (permet d’avoir antibiogramme) – Qualitatif prélever aseptiquement pour éviter les contaminations – Quantitatif (idéalement 5 prélèvements) indispensable pour l’interprétation 46