Chapitre 4 La durée du chômage Section 1. — Nature aléatoire de

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Chapitre 4
La durée du chômage
Quand on parle de la durée du chômage, si l’on n’y prend pas garde, on confond facilement la durée moyenne du chômage (ré-
ponse à la question : quand on devient chômeur, pendant combien de temps le reste-t-on en moyenne ?) et l’ancienneté moyenne au
chômage (réponse à la question : depuis combien de temps les chômeurs actuels sont-ils au chômage, en moyenne ?). Or, on le verra,
l’ancienneté moyenne est nettement supérieure à la durée moyenne.
Pour bien comprendre cela, nous commençons, dans ce chapitre, par formaliser la durée du chômage. Nous revenons d’abord sur
sa nature aléatoire (section 1). Puis nous introduisons la notion de probabilité instantanée de sortir du chômage (section 2) et celle de
fonction de survie (section 3). Nous appliquons ensuite ces notions à notre modèle du chapitre 2 (section 4).
Section 1. — Nature aléatoire de la durée du chômage
Revenons à la définition du chômeur donnée au chapitre 1. Un chômeur est défini par deux propriétés :
a) il n’a pas d’emploi ;
b) il en cherche un.
La deuxième propriété fait du chômeur un individu dont l’activité est la recherche d’emploi. Or une activité de recherche a deux
caractéristiques :
a) elle prend du temps ;
b) le temps qu’elle prend est aléatoire : quand on cherche, on ne sait pas quand on va trouver.
La durée du chômage se présente donc comme une variable aléatoire. Dans ce chapitre, nous ne nous demandons pas (encore)
quels sont les facteurs qui déterminent cette durée (a priori, ils sont nombreux, les uns tenant à la personne du chômeur, les autres à
l’état de l’économie). Nous nous contentons pour l’instant d’être précis sur les différentes probabilités qu’on peut avoir en tête lors-
qu’on parle de la durée aléatoire du chômage.
Commençons par définir la probabilité instantanée de sortir du chômage.
Section 2. — La probabilité instantanée de sortir du chômage
Intuitivement, si une nouvelle entreprise annonce qu’elle s’installe dans telle région, on voudrait dire quelque du genre : la situation
des chômeurs de cette région s’améliore, ou mieux : les perspectives des chômeurs de cette région deviennent meilleures, ou plus
techniquement : leur probabilité de sortir du chômage s’accroît. Mais il faut écrire cette probabilité proprement. C’est ce que nous fai-
sons dans cette section.
§ 1. — Le processus de sortie du chômage
Commençons avec une hypothèse très artificielle, mais très provisoire : supposons qu’on ne puisse devenir chômeur ou sortir du
chômage que le 1
er
jour de chaque mois.
Raisonnons ensuite sur une personne qui devient chômeur le 1
er
janvier. En vertu de notre hypothèse artificielle, elle ne pourra pas
en sortir avant le 1
er
février. A cette date, soit elle en sortira, soit elle y restera pour un mois supplémentaire au moins. Nous exprimons
cela en disant que cette personne a une certaine probabilité
1
h
de sortir du chômage le 1
er
février (et donc une probabilité
1
1
h
d’y
rester).
Comme on vient de le dire, dans ce chapitre, nous n’essayons pas de préciser les déterminants de
1
h
. Nous admettons simplement
que cette probabilité existe. Pour fixer les idées, posons, par exemple,
1
10%
h=
.
Le 1
er
février donc, de deux choses l’une :
– soit cette personne sort du chômage, et cesse donc d’être chômeur ;
– soit elle n’en sort pas. Alors,
a) elle y reste alors au moins jusqu’au 1
er
mars ;
b) le 1
er
mars, elle a, à nouveau, une certaine probabilité d’en sortir. Il n’y a aucune raison que cette probabilité soit la même
que celle du 1
er
février. Supposons, par exemple,
2
60%
h=
. Alors, le 1
er
mars donc, de deux choses l’une :
– soit elle sort du chômage, et cesse donc d’être chômeur ;
soit elle n’en sort pas, et y reste alors au moins jusqu’au 1
er
avril. Le 1
er
avril, elle a une certaine probabilité d’en sortir,
par exemple
3
50%
h=
. Etc.
La suite de ces probabilités
1 2
( , ,..., ,...)
t
h h h
caractérise complètement le processus de sortie du chômage. Il n’y a aucune restric-
tion sur ces probabilités, sinon, par définition d’une probabilité,
t
h
≤ ≤
. Voyons comment on déduit de ces probabilités la loi de
probabilité de la durée du chômage.
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§ 2. — Loi de probabilité de la durée du chômage
Notons
D
la variable aléatoire durée du chômage. Sous notre hypothèse artificielle, cette durée est un nombre entier de mois : 1,
2… Calculons la probabilité de chacune de ces durées possibles.
La probabilité que la durée du chômage soit de 1 mois (exactement) est :
{
}
{
}
1 1
Pr 1 Pr sortir à la date 1
p D h
= = = =
soit 10% dans notre exemple numérique.
La probabilité que le chômage dure 2 mois (exactement) est égale à :
{
}
{ } { }
( )
2
1 2
Pr 2
Pr ne pas sortir à la date 1 Pr sortir à la
date 2
1
p D
h h
= =
= ×
= −
soit
0,9 0,6 0,54
× =
ou 54% dans notre exemple numérique.
La probabilité que le chômage dure 3 mois (exactement) est égale à :
{
}
{ } { } { }
( )( )
3
1 2 3
Pr 3
Pr ne pas sortir à la date 1 Pr ne pas sort
ir à la date 2 Pr sortir à la date 3
1 1
p D
h h h
= =
=××
= −
soit
0,9 0,4 0,5 0,18
× × =
ou 18% dans notre exemple numérique.
Plus généralement, la suite des probabilités
1 2
( , ,..., ,...)
t
h h h
permet de calculer la distribution de probabilité
1 2
( , ,..., ,...)
t
p p p
de
D
:
( ) ( )( ) ( )
1
1 1 2 1 2 3 1
1 2 3 ... ...
1 1 1 ... 1 ...
t
i t
i
t
Dh h h h h h h h
=
= − −
1 2 3
1 2 3 ... ...
... ...
t
t
Dp p p p
=
1
1
n
n
p
=
=
Inversement, si nous nous étions donné la distribution de probabilité
(
)
(
)
1 2 3
, , ,... 10%, 54%,18%,...
p p p =
nous en aurions
tiré la suite
(
)
1 2
( , ,..., ,...) 10%, 60%, 50%,...
t
h h h =
. Vous pouvez facilement le vérifier. Il est donc équivalent de se donner
l’une ou l’autre.
L’expression « probabilité se sortir du chômage à la date
t
» est donc ambiguë, car elle n’indique pas si vous parler de
t
h
ou de
t
p
.
la probabilité
t
h
est la probabilité de sortir du chômage à la date
t
si on y est encore à cette date. C’est la probabilité de sortir du
chômage à la date
t
, conditionnelle au fait d’être encore chômeur à cette date.
– la probabilité
t
p
est la probabilité de sortir du chômage à la date
t
, au moment où on y entre.
Avant d’aller plus loin, voyons maintenant comment nous débarrasser de l’hypothèse artificielle selon laquelle on ne peut entrer et
sortir du chômage qu’à des dates données.
§ 3. — Le passage au temps continu
On peut remplacer le mois de notre hypothèse précédente par une unité de temps plus courte : la semaine, la journée, l’heure ou la
seconde. Cela ne modifierait pas la nature de notre modèle. Cela ne ferait que modifier les probabilités
t
h
et
t
p
: celles-ci devien-
draient d’autant plus petites que la durée pendant laquelle on ne peut pas sortir du chômage serait courte.
Mais tant que la période retenue a une certaine durée, le défaut de notre hypothèse artificielle subsiste : cette durée, si petite soit-
elle, a l’inconvénient d’être arbitraire. Il faut donc passer à la limite, en faisant tendre cette durée vers 0, de manière à définir une pro-
babilité de sortir du chômage à l’instant
t
, quel qu’il soit. Malheureusement, en toute rigueur, la probabilité de sortir du chômage à
l’instant
t
exactement, donc au cours d’une période de durée nulle, ne peut être égale qu’à 0.
On définit donc, à la place de la suite de probabilités
t
h
, une fonction continue
(
)
h t
, dont les valeurs sont, non pas des masses
de probabilité comme avec notre hypothèse artificielle, mais des densités de probabilité, conditionnelles au fait d’être encore chômeur
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à cette date.
(
)
h t
s’interprète de la manière suivante : si
est une durée très courte, la probabilité qu’une personne encore au chô-
mage à la date
t
en sorte entre les dates
t
et
t
+
est sensiblement égale à
(
)
h t
, couramment appelé probabilité instantanée
de sortir du chômage.
(
)
h t
s’appelle fonction de risque (hazard function) et sa valeur, taux de risque (hazard rate). C’est en effet un taux (par unité
de temps) : par exemple
(
)
10%
h t =
par mois (à la date
t
) signifie que la probabilité de sortir du chômage au cours de la journée
qui commence à la date
t
, soit une durée d’un trentième de mois, est de l’ordre de
( )
1
0,1 0,33%
30
h t ∆ = ×
N.B. Pour vous persuader que
(
)
h t
n’est pas une probabilité, mais un taux, vérifions qu’il peut être supérieur à 1. Pour cela, chan-
geons d’unité de temps, passons du mois à l’année. La probabilité de sortir du chômage au cours de la journée ne saurait être modifiée
par ce changement d’unité. En revanche, la durée
devient
1
365
, ou, si on raisonne sur des mois égaux, elle est divisée par 12, tan-
dis que le taux de risque est multiplié par 12, donc égal à 1,2.
Comme sous notre hypothèse artificielle, à partir de la fonction de risque, on sait calculer la loi de probabilité de la durée. La va-
riable aléatoire durée du chômage
D
peut désormais prendre n’importe quelle valeur réelle
t
non négative.
D
cesse donc d’être une
variable discrète et devient une variable continue. Chaque durée possible a alors une densité de probabilité
(
)
p t
. Il reste vrai
qu’inversement, à partir d’une fonction de densité
(
)
p t
donnée, on sait calculer la fonction de risque
(
)
h t
correspondante. La den-
sité
(
)
p t
et le taux de risque
(
)
h t
sont donc deux manières équivalentes de caractériser la durée du chômage.
§ 4. — Exemple numérique
Retenons le mois comme unité de temps. Donnons-nous une fonction de risque, par exemple
(
)
0,02
h t t
=
. C’est une fonction
croissante : la probabilité instantanée de sortir du chômage augmente au fur et à mesure que le temps passe. Nous aurions pu, tout aus-
si bien, retenir une fonction décroissante, ou une fonction plus compliquée, non monotone (la suite des
t
h
de notre exemple numéri-
que précédent n’était pas monotone).
Des calculs (qui ne nous intéressent pas ici) permettent d’en déduire la fonction de densité correspondante :
( )
2
0,01
0,02
t
p t te
=
. La seule chose qui nous intéresse ici, c’est que ces deux fonctions, dont les graphes sont représentés sur les fi-
gures 1 et 2, ont des allures très différentes, mais représentent une même réalité.
0
0.1
0.2
0.3
0.4
5 10 15 20
0
0.02
0.04
0.06
0.08
0.1
5 10 15 20
Figure 1 – La fonction de risque
(
)
0,02
h t t
=
. Figure 2 –La densité de la durée du chômage correspondante.
§ 5. — La durée moyenne du chômage
Connaissant la loi de probabilité de la durée du chômage, on en déduit son espérance mathématique :
( ) ( )
0
E D tp t dt
=
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Dans notre exemple numérique, on calcule
(
)
8,9
E D =
mois, ce qui s’interprète de la manière suivante : si un grand nombre de per-
sonnes entrent au chômage avec la même fonction de risque
(
)
0,02
h t t
=
, elles resteront au chômage, en moyenne, pendant 8,9
mois.
Outre la fonction de risque et la fonction densité, il existe une troisième et dernière fonction caractéristique de la durée du chô-
mage : la fonction de survie.
Section 3. — La fonction de survie
On est souvent intéressés par la probabilité qu’une personne au chômage aujourd’hui y soit encore x mois plus tard. Pour écrire
cette probabilité, commençons par nous intéresser à une catégorie de chômeurs souvent mise en avant dans les commentaires des pu-
blications statistiques : les chômeurs de longue durée.
§ 1. — Le chômage de longue durée
La définition internationale du chômeur de longue durée est : personne au chômage depuis 12 mois ou plus. Il est équivalent de
dire : chômeur dont l’ancienneté (au chômage) est supérieure ou égale à 12 mois.
Quelle est la probabilité, pour une personne qui entre au chômage, de devenir chômeur de longue durée ? C’est la probabilité que
la durée de son chômage atteigne ou dépasse 12 mois :
{ } ( )
12
Pr 12
D p t dt
≥ =
Cette probabilité est donc représentée par la surface comprise entre la courbe de la densité et l’axe horizontal, à droite de l’abscisse
12.
0
0.02
0.04
0.06
0.08
0.1
5 10 15 20
Figure 3 –La probabilité d’être chômeur de longue durée.
Dans notre exemple numérique, on calcule que cette probabilité est de 24%. Ce qui s’interprète de la manière suivante :
– une personne qui entre au chômage avec la fonction de risque
(
)
0,02
h t t
=
a 24% de chances d’y être encore 12 mois plus tard ;
si un grand nombre de personnes entrent au chômage avec la même fonction de risque
(
)
0,02
h t t
=
, 24% d’entre elles devien-
dront chômeurs de longue durée ;
si un grand nombre de personnes entrent au chômage avec la même fonction de risque
(
)
0,02
h t t
=
, 24% d’entre elles atteindront
l’ancienneté
12
a
=
mois.
§ 2. — Généralisation
Mais la question que nous nous sommes posée pour le chômage de longue durée peut être posée pour n’importe quelle durée du
chômage. De manière générale, on appelle fonction de survie la fonction
(
)
S t
qui donne la probabilité que la durée du chômage at-
teigne
t
:
( ) { } ( )
Pr
t
S t D t p x dx
= ≥ =
Comme vous le voyez, la fonction de survie se déduit de la fonction de densité de manière unique, et inversement. Fonction de sur-
vie, fonction de densité et fonction de risque sont trois manières équivalentes de caractériser une durée du chômage. La figure
4 représente la fonction de survie
(
)
S t
de la durée
D
dont la fonction de risque est représentée sur la figure 1 et la fonction de den-
sité sur la figure 2 :
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0
0.2
0.4
0.6
0.8
1
5 10 15 20
Figure 4 –La fonction de survie
(
)
S t
correspondant à la fonction de risque
(
)
0,02
h t t
=
.
Une fonction de survie a 3 propriétés remarquables :
a) la première est évidente :
( ) ( )
0
0 1
S p t dt
= =
.
b) la deuxième aussi :
(
)
S t
est une fonction décroissante de
t
.
b) la troisième se démontre. Nous l’admettrons :
( ) ( )
0
S t dt E D
=
. Sur la figure 4, l’espérance mathématique de la durée du chô-
mage se présente donc comme la surface comprise entre le graphe de
(
)
S t
et l’axe horizontal.
Si nous notons
a
l’ancienneté d’un chômeur,
(
)
S a
se lit : probabilité que la personne qui entre au chômage atteigne l’ancienneté
a
:
( ) { } ( )
Pr
a
S a D a p x dx
= ≥ =
Ainsi, si un grand nombre de personnes deviennent chômeurs à la date 0 avec la même fonction de risque, donc de survie, la propor-
tion d’entre elles qui seront encore au chômage à la date
t
est
(
)
S t
.
Nous serons également amenés à le dire dans l’autre sens : à la date
t
, il reste une proportion
(
)
S a
des personnes entrées au chô-
mage à la date
t a
.
Section 4. — Application
Déterminons les fonctions de risque, de densité et de survie des chômeurs de notre modèle du chapitre 2.
Dans ce chapitre, nous avons présenté un marché du travail sur lequel la durée qui sépare 2 appariements suit une loi exponentielle
de paramètre
(
)
k fU t
=
(
)
U t
est le nombre des chômeurs à la date
t
. Ce paramètre
k
reste constant tant que le nombre de
chômeurs reste constant. On démontre que la fonction de risque d’une loi exponentielle de paramètre
k
est justement ce paramètre
k
,
c’est-à-dire une fonction constante. En d’autres termes, la probabilité instantanée que l’un quelconque des
(
)
U t
chômeurs de la date
t
sorte du chômage est donc égale à
k
.
Sous notre hypothèse d’homogénéité (cf. chapitre 2), tous les chômeurs ont la même probabilité de sortir du chômage. Alors la
probabilité instantanée de sortir du chômage, pour un chômeur don, est le produit de la probabilité
k
que quelqu’un sorte, par la
probabilité
(
)
1/
U t
que ce soit lui, soit
( ) ( ) ( )
1 1
k fU t f
U t U t
= ∆ =
Dans notre modèle donc, un chômeur a une fonction de risque constante, indépendante donc du nombre des chômeurs et de la date.
La seule loi de probabilité qui présente une fonction de risque constante
(
)
h t f
=
est la loi exponentielle de paramètre
f
. La durée
D
du chômage suit donc une loi exponentielle, avec pour fonction de densité :
(
)
ft
p t fe
=
, pour fonction de survie :
(
)
ft
S t e
=
et pour espérance mathématique :
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